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LEÇON XIX
RÉCITS DES TEMPS MÉROVINGIENS
A
près Clovis, on pouvait espérer que l’histoire
de France allait enfin commencer. Las ! Voici
que s’ouvrent aussitôt trois longs siècles de
décadence, ceux de la dynastie des Mérovingiens. Elle
commença dans le crime et finit dans la paresse, si l’on
en croit les récits hauts en couleur qu’en fait Augustin
Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens. Mais
comment Clovis a-t-il ainsi pu laisser dépecer le beau
royaume qu’il avait constitué ? C’est ce que les historiographes de la dynastie capétienne et de la république
jacobine furent incapables de comprendre.
Ils font d’abord mine de croire qu’il n’y avait
qu’une seule Gaule, appelée de toute éternité, par un
décret de la providence ou une dialectique historique,
à se transmuer un jour en nation française une et indivisible. Or, la Gaule, qui ne fut jamais seule et
unique, ne devint jamais une seule et unique province
romaine, mais quatre. Puis les Francs ne la conquirent
jamais tout entière. Et pourquoi auraient-ils transmis
à leur fils aîné les royaumes qu’ils s’étaient taillés à
l’intérieur de l’empire ? Leurs lois les obligeaient à
partager leurs possessions entre tous leurs fils.
Devenu chrétien, Clovis fut reconnu en 508 par
l’empereur comme souverain de cette partie de l’empire ; et l’épiscopat le considéra comme le pendant de
l’empereur (d’autant plus que celui-ci était arien). Il
ne faut pas en déduire qu’il se mit en tête de transmettre ce royaume intact à son fils aîné comme s’il
l’avait hérité du feu roi son père ! C’est de l’empereur
qu’il tenait sa légitimité, et la couronne impériale
elle-même n’était pas héréditaire. Clovis était roi des
Francs, pas roi de France. Lui-même et ses successeurs régnaient sur un royaume (et encore le mot estil impropre) composé d’autres royaumes qui avaient
conservé leurs frontières propres.
L’armée continuait de combattre sous ses propres
chefs, comme le faisaient les armées barbares au service l’empire. Sous les Mérovingiens, une « grande
armée » qui les assemblait toutes ne fut réunie pour la
première fois que sous Dagobert Ier. Qui est, comme
par hasard, le seul roi mérovingien qui ait trouvé
grâce aux yeux des historiographes ultérieurs… Seuls
Clotaire Ier, Clotaire II et son fils Dagobert régnèrent
sur l’ensemble des royaumes francs. Mais quand ce
n’était pas le cas, l’unité du monde franc perdurait.
Par la suite, les historiographes oscillèrent entre
deux tentations. La première était de faire des Mérovingiens les prédécesseurs des Capétiens, au point de
les affubler d’emblèmes fleurdelisés et même du blason d’azur à fleurs de lis d’or, alors que l’héraldique
n’apparut qu’à l’époque des croisades. La seconde,
entreprise par les Carolingiens, était de présenter les
Mérovingiens comme des brutes incapables, afin de
souligner les bienfaits de la nouvelle dynastie. Le tout
tendant à montrer qu’un peuple ne peut se passer de
roi, que le premier devoir d’un roi est de concentrer,
voire de confisquer tous les pouvoirs, et que ceux qui
s’y opposent sont des traîtres à la patrie.
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