A C T U A L I Intérêts de la thérapie génique en pathologie cardiovasculaire : principes et exemples d’applications C. Brasselet*, A. Lafont**, P. Lemarchand***, D. Metz* L a thérapie génique est une stratégie thérapeutique dont l’objectif est l’administration d’acides nucléiques afin de modifier, plus ou moins durablement, le patrimoine génétique de cellules-cibles. Elle s’applique légitimement au traitement des maladies génétiques, mais représente aussi une alternative thérapeutique possible pour certaines pathologies acquises. Les premiers protocoles de thérapie génique ont débuté en septembre 1990. Depuis huit ans, plus de trois mille patients ont été inclus dans plus de 300 études (1). La thérapie génique se définit comme la possibilité de transfert de gènes pour le traitement de pathologies systémiques ou focales, dont l’origine n’est pas obligatoirement liée à une origine génétique (2). Plus qu’une alternative, elle représente un véritable complément à la thérapie “classique”. Principes Le principe de thérapie génique consiste à transférer un gène étranger à une population cellulaire définie grâce à un vecteur, et à faire surexprimer ce gène par la population cellulaire visée. Le rôle du vecteur est de faciliter la pénétration cellulaire du transgène. Ce * Département de cardiologie et pathologie vasculaire, CHU Robert-Debré, Reims. ** Service de cardiologie, hôpital Boucicault, Paris. *** INSERM U25, faculté de médecine Necker-Enfants malades, Paris. vecteur est constitué de la région codante du gène recombinant (gène d’intérêt) associé, dans la construction vectorielle, à une ou plusieurs séquences de gènes régulateurs. Le vecteur peut être de nature virale ou non virale (2). Après pénétration cellulaire, le gène à surexprimer doit échapper aux actions des enzymes lysosomiales, franchir la membrane nucléaire, éviter la dégradation liée aux endonucléases, puis être exprimé (3). Cela implique le développement, la mise au point, puis la validation préliminaire d’une construction vectorielle avant toute transfection. Elle peut être réalisée in vivo, soit par une administration locale au sein du tissu concerné, soit par une administration systémique, soit par transplantation de cellules transfectées ex vivo (2). La thérapie génique permet de développer une stratégie thérapeutique palliant le défaut ou la déficience d’un gène (2-4). Le champ d’application de la thérapie génique est potentiellement très large. Certaines pathologies systémiques peuvent être traitées par thérapie génique (défaut de l’expression de certains gènes : hémophilie, certains types de cancers). En pathologie cardiovasculaire, un traitement local peut s’appliquer à de nombreuses situations : prévention de la resténose après angioplastie (5, 6), limitation de l’évolution de l’athérosclérose (7), prise en charge de cardiopathies ischémiques situées au-delà de toute revascularisation conventionnelle (8), traitement d’hypercholestérolémies familiales avec déficit en récepteur aux LDL (9), ou traitement des artérites sévères (10, 13). Les deux difficultés de la thérapie génique concernent d’abord la spécificité de la cible cellulaire visée et la durée de surexpression 185 T É du gène et, ensuite, la nature du gène à surexprimer. Dans le cas de pathologies liées à la déficience d’expression d’un gène (comme l’hémophilie), le vecteur doit permettre l’expression du gène déficitaire. Dans le cas de pathologies acquises (resténose après angioplastie par exemple), la nature du gène à surexprimer n’est plus aussi “évidente”. Cela implique une connaissance, la plus complète possible, du processus physiopathologique concerné. Or, ces pathologies acquises sont généralement la conséquence de cascades d’interactions complexes et non totalement élucidées. Actuellement, c’est à ce niveau que sont centrés les principaux axes de recherche (4). Les limites de la thérapie génique proviennent, in vivo, de l’adaptation des organismes contre les agressions extérieures et environnementales (en particulier, contre les incorporations d’ARN ou d’ADN étrangers dans leurs génomes). En revanche, la thérapie génique semble être liée à un faible risque de réactions adverses. Dans ces conditions, le rapport bénéfice/risque du traitement génique est favorable. Néanmoins, après le recul de nombreuses études in vitro, puis in vivo, tant chez l’animal que chez l’homme, la première Gene Therapy Policy Conference organisée en 1997 exclut l’usage de la thérapie génique pour des raisons “fonctionnelles” ou “cosmétiques” (1). Différents types de vecteurs Ils sont classés en vecteurs viraux ou non viraux (tableau I, p. 186). Vecteurs viraux Ils utilisent la propriété naturelle des virus à pénétrer et à modifier la séquence génomique des cellules-cibles. La construction vectorielle virale a pour but de permettre la transfection cellulaire et l’expression du transgène, tout en n’autorisant pas la prolifération virale. Les vecteurs rétroviraux permettent le transfert de simples brins d’ARN qui sont traduits, via la reverse transcriptase, en ADN double brin, intégré ensuite dans le génome cellulaire. Ils sont les premiers vecLe Courrier de l’Arcol (1), n° 4, décembre 1999 A C T U A L I T Tableau I. Différents vecteurs de thérapie génique. Vecteurs Viraux Non viraux Rendement de transfection Intégration génomique Stabilité Inconvénients majeurs rétroviraux adénoviraux faible élevé oui non mois semaine mutagenèse inflammation immunogénicité liposomes plasmides HVJ-liposomes faible faible faible non non non jours jours jours non non non teurs utilisés (2). Le transfert n’est possible que si la cellule hôte possède le récepteur membranaire pour le rétrovirus concerné. Néanmoins, le rendement de transfert est faible. Le principal avantage de ces vecteurs est une expression stable du transgène dans le temps, après la transfection (plusieurs mois), du fait de l’intégration génomique. Les inconvénients de ces vecteurs sont une instabilité dans le temps, et le fait qu’ils soient difficiles à concentrer et à purifier. Ils sont, de plus, associés à un risque de mutagenèse induite. Ils ne transfectent que les cellules en phase de division, et ne s’appliquent pas à la transfection directe in vivo. Ils sont testés dans des protocoles de thérapie génique pour des transfections ex vivo, avant transplantation cellulaire. Dans la famille des rétrovirus, les lentivirus développés à partir du VIH permettent un transfert stable du gène dans des cellules qui ne sont pas en phase de division. Ces nouveaux vecteurs sont en cours d’évaluation (1-3). Les vecteurs adénoviraux pénètrent par endocytose après liaison avec un récepteur membranaire. L’ADN double brin est libéré dans le cytoplasme, puis transporté vers le noyau cellulaire où il se situe en position épisomale (c’est-à-dire, non intégré à l’ADN cellulaire). La transcription virale est sous le double contrôle des facteurs de transcription cellulaire et de l’expression de la région E1 du vecteur adénoviral. Pour les applications de thérapie génique, les adénovirus sont rendus déficients pour la réplication par la délétion de leur région E1. Les avantages liés à ces vecteurs sont la possibilité d’infection de cellules en phase quiescente, la production relativement aisée de stocks importants de vecteurs, la transfection efficace des cellulescibles par instillation locale, et la limitation des risques de mutagenèse du fait de la situaLe Courrier de l’Arcol (1), n° 4, décembre 1999 tion épisomale du transgène. Le rendement de la transfection est élevé. L’expression du transgène est relativement limitée dans le temps, mais cette expression transitoire n’est pas un obstacle dans certaines situations (resténose après angioplastie), et confère même une certaine sécurité au traitement. Outre le caractère transitoire de l’expression du transgène, les inconvénients des vecteurs adénoviraux sont l’induction d’une réponse immune qui aboutit à la destruction des cellules transfectées par le vecteur adénoviral, et le risque de réplication des vecteurs adénoviraux lors de l’emploi de hauts titres de transfections. D’autres vecteurs adénoviraux, dits de “deuxième génération”, permettent une expression plus importante du transgène, et donc une production protéique plus importante, tout en s’accompagnant d’une modération de la réponse immune cellulaire (1-3). D’autres vecteurs viraux (essentiellement les adeno-associated viruses [AAV]) sont en cours d’évaluation. Vecteurs non viraux Même si les systèmes vectoriaux viraux sont très efficaces, deux éléments suggèrent que les systèmes non viraux pourraient être préférables dans l’avenir : la sécurité d’emploi et la facilité de fabrication (1). Dans ces constructions, l’ADN est complexé ou conjugué à des molécules facilitant la pénétration intracellulaire. Le principal avantage de ces vecteurs est de pouvoir se passer de l’usage d’agents infectieux. Les liposomes sont des vésicules lipidiques, artificiellement chargées positivement, qui incorporent l’ADN plasmidique chargé, lui, négativement. Ces complexes d’ADN et de lipides cationiques sont internalisés dans les 186 É cellules-cibles par endocytose. La principale limite de ces vecteurs est la destruction de la majeure partie de l’ADN par les lysosomes cytosoliques. Seuls 1 à 2 % de l’ADN contenus dans le vecteur parviennent effectivement au noyau. Cet ADN transfecté se situe en position épisomale (2, 3). Les plasmides ont aussi un faible rendement de transfert (3). L’efficacité des liposomes peut être optimisée par l’hemagglutinating virus of Japan (HVJ), inactivé par la chaleur. Les HVJ-liposomes n’ont pas de toxicité connue, et sont dix fois plus efficaces que les liposomes seuls pour transfecter les cellules-cibles (2, 3). Ces trois constructions non virales ont deux inconvénients majeurs. L’efficacité et le rendement de transfection in vivo sont beaucoup plus faibles que ceux des vecteurs viraux. Ce rendement varie avec le statut des cellules transfectées (quiescentes ou en division). Ces trois constructions non virales n’autorisent qu’une expression transitoire du transgène (quelques jours), mais ne sont cependant pas à l’origine d’effet indésirable majeur. Leur situation reste épisomale, comme les vecteurs adénoviraux (1-3). Leur production est aisée et sans risque (4). Actuellement, de nombreux travaux sont en cours soit pour optimiser les constructions déjà existantes (adénovirus de deuxième génération), soit pour développer de nouveaux vecteurs (vecteurs conjugués) (3). Exemples d’application En pathologie cardiovasculaire, la thérapie génique s’adresse non seulement aux maladies constitutionnelles, mais aussi aux pathologies acquises. La première étude clinique utilisant la technique du transfert de gène a été menée par l’université du Michigan (États-Unis). Elle consistait en la transfection ex vivo de cellules hépatiques par un vecteur rétroviral permettant la surexpression du gène LDL human receptor. Les patients inclus dans l’étude présentaient une hypercholestérolémie et une maladie athéroscléreuse prématurée, en rapport avec un déficit en LDL-récepteurs. Après une greffe hépatique de cellules transfectées, les taux de LDL plasmatiques ont baissé de façon signifi- cative. Parallèlement, les taux de HDL plasmatiques augmentaient (9). D’autres anomalies génétiques, comme certains déficits de facteurs de la coagulation (déficits en facteurs VIII et IX), peuvent bénéficier de ce mode thérapeutique (2). Seule la durée limitée d’expression du transgène conditionne la réussite et la faisabilité pratique de ce traitement. À côté des maladies constitutionnelles, la thérapie génique peut s’appliquer à la lutte contre le développement ou la progression de pathologies acquises. Or, du fait du caractère multifactoriel de ces maladies, leur prise en charge est beaucoup plus délicate, et représente un défi bien plus difficile à relever que le “simple” remplacement d’un gène déficitaire. La resténose après angioplastie concerne 35 % des 70 000 angioplasties annuelles réalisées en France. Elle est fréquente, coûteuse, réfractaire aux thérapies classiques, et du fait des améliorations techniques actuelles, la thérapie locale est désormais possible. Plusieurs phases successives concourent au phénomène de resténose après angioplastie. Durant les premières heures, les processus inflammatoires et thrombotiques dominent. Ensuite, durant sept jours, l’activité de prolifération des cellules musculaires lisses est majeure. Enfin, la production de matrice extracellulaire clôt ce processus complexe. Cette cascade d’enchaînements complexes est modulée et contrôlée par de nombreux facteurs, sur lesquels les produits des vecteurs de thérapie génique peuvent agir. La cible initiale de la lutte contre la resténose était l’inhibition de la prolifération des cellules musculaires lisses. Aujourd’hui, le remodelage vasculaire apparaît comme le principal mécanisme responsable de la resténose (5). Les différents mécanismes contrôlant le remodelage ne sont pas encore parfaitement connus. Les cibles, et donc les gènes d’intérêt à surexprimer sont encore à définir. De nombreuses stratégies ont été testées avec des résultats expérimentaux encourageants : – Oligonucléotides antisens : c-myb, cdk2, proliferating cell nuclear antigen ; – Gènes suicides : thymidine kinase, cytosine désamisase ; – Gènes contrôlant la prolifération cellulaire : gène gax, retinoblastoma gene, protéine p21, protéine p53 ; – Cytokines et médiateurs cellulaires : NO, fibroblast growth factor, vascular endothelial growth factor (VEGF), cyclooxygénase, agents antithrombotiques ; – Anticorps : anti-TGF (transforming growth factor) (1, 2, 4-6). Le développement de l’athérosclérose débute au cours de la seconde décennie. Actuellement, il n’est pas possible de savoir si la thérapie génique sera efficace ou réalisable dans la prévention primaire des lésions d’athérosclérose. Cependant, elle constitue probablement une stratégie de stabilisation des plaques vulnérables (inhibition des métalloprotéinases, prévention de la formation du thrombus), comme de limitation de la progression de ces plaques (inhibition de la prolifération ou de la migration cellulaire, actions antioxydatives, blocage des cytokines ou des facteurs de croissance, correction de la dysfonction endothéliale...) (2, 4). L’injection de vascular endothelial growth factor stimule la néo-angiogenèse sur un modèle porcin d’ischémie myocardique chronique (11). Le transfert de fibroblast growth factor 5 améliore le flux sanguin et la contractilité des segments myocardiques ischémiques d’après Giordano et coll. (8). Des études sont en cours, concernant la prise en charge de cardiopathies ischémiques situées au-delà de toute possibilité de revascularisation classique (interventionnelle ou chirurgicale), en stimulant la néoangiogenèse par la technique du transfert de gène. La maladie du greffon veineux est le talon d’Achille des revascularisations myocardiques chirurgicales. Malgré le développement de nouvelles techniques (artère mammaire interne, gastro-épiploïque, radiale), les greffons veineux sont encore largement utilisés. Soumis à un régime hémodynamique artériel, les greffons subissent une adaptation aboutissant à la formation du thrombus, à une hyperplasie néointimale et à un remodelage vasculaire. Baker et coll. rapportent les différentes cibles potentielles susceptibles de prévenir la maladie du greffon par thérapie génique (12). Isner et coll. montrent l’intérêt du transfert du gène VEGF par vecteur plasmidique, dans le cadre des pathologies artérielles périphériques. Ils obtiennent ainsi l’augmentation du nombre de vaisseaux collatéraux, mais aussi des vélocités sanguines enregistrées en périphérie chez des patients en stade IV de la 187 classification de Fontaine et Leriche (13). Conclusion Aucun vecteur de thérapie génique ne possède toutes les qualités d’un vecteur optimal. Cependant, la diversité des cibles potentielles rend difficile la standardisation d’un vecteur qui serait applicable à toutes les situations. De nombreux problèmes théoriques et pratiques devront encore être résolus avant que la thérapie génique ne soit employée en clinique courante. De nombreuses études sont encore nécessaires pour confirmer la sécurité et l’efficacité de la thérapie génique, dans un premier temps chez l’animal, puis, à terme, chez l’homme. Néanmoins, elle représente un formidable espoir pour de nombreuses pathologies, en particulier dans le domaine cardiovasculaire. ■ Références 1. Anderson W.F. Human gene therapy. Nature 1998 ; 382 : 25-30. 2. Glowes A.W. 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