SÉCURITÉ DES SOINS Lucien Abenhaïm Directeur g en eral de la sante de 1999 à 2003 [email protected] Tir es à part : L. Abenhaïm DOI: 10.1684/med.2016.79 À propos de l’évaluation du médicament et de son suivi* L e Pr Lucien Abenhaim a été, dans les années 1980, l’un des fondateurs mondiaux d’une discipline nouvelle – la pharmaco-épidémiologie – et son représentant francophone le plus emblématique. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Ses interventions dans les domaines du risque professionnel, environnemental et médicamenteux ont contribué à le faire accéder à la fonction de Directeur général de la santé en 1999. Pendant les quatre années où il a exercé ses fonctions, la Direction Générale de la Santé a initié, entre autres, une réforme profonde de l’évaluation du médicament. Il revient sur ces années fondatrices. Médecine : La pharmaco-épidémiologie est une discipline qui est née dans les années 1980. Comment a-t-elle été médiatisée en France à suite de la publication de votre travail dans le New England Journal of Medicine sur la famille des fenfluramines ? Pr L.A : En 1988, j’ai fondé, au sein du département d’épidémiologie de l’université McGill de Montréal, le premier cours au plan international d’une discipline nouvelle : la pharmaco-épidémiologie. Cette approche intègre les méthodes épidémiologiques dans l’évaluation de l’efficacité, du risque et du bénéfice de l’usage des médicaments en vie réelle. Lorsque les autorités de santé françaises ont demandé aux laboratoires 1 Servier qui commercialisaient deux fenfluramines – l’Isoméride et le 1 Pondéral – de réaliser une étude sur les risques de ces produits, ils se sont adressés à mon laboratoire. Le résultat de notre travail, qui a été mené sur 3 ans, a été publié en 1996 dans le NEJM [1]. Nous avons pu établir qu’il existait un lien causal entre les fenfluramines et la survenue d’hypertension artérielle pulmonaire primitive (« HTAP » à l’époque). Médecine : Comment expliquez-vous la différence de comportement des autorités de santé françaises et américaines ? Pr L.A : Sur la base de notre rapport issu en 1995, la France avait une décision de limitation drastique des remboursements des produits et l’Europe devait en restreindre les indications. Néanmoins, en avril 1996, la FDA a autorisé la commercialisation du 1 1 Redux (l’équivalent de l’Isoméride ) dans des indications larges et avec une autorisation de publicité directe ! À ce moment-là, la FDA a cru que le risque individuel du produit était contrebalancé par le bénéfice chez les obèses. La voix d’un expert français n’a pas été beaucoup entendue, fut-il de McGill. L’année suivante, en 1997, Michael McGoon, un membre du comité aviseur de notre étude, qui travaillait à la Mayo Clinic (Rochester, États-Unis), a orienté Heidi Connolly vers les fenfluramines pour expliquer les valvulopathies sérotoninergiques qu’elle avait observées chez des malades. La FDA, qui commençait déjà à regretter amèrement sa décision suite aux premiers cas d’HTAP chez des utilisateurs de fenfluramines, que nous détections dans une nouvelle étude américaine cette fois, a alors rapidement demandé aux laboratoires à les retirer du marché. ÉDECINE 32 MÉDECINE Octobre 2016 *Entretien réalisé par le Dr Isabelle Catala. SÉCURITÉ DES SOINS Médecine : Votre nomination à la Direction générale de la santé a suivi de près la création de certaines agences (Agence française du médicament, Agence française du sang, Agence française de sécurité sanitaire des aliments) qui ont été mises en place pour répondre à une demande de sécurité accrue des populations. Ce dispositif vous a-til permis de mener à bien les interventions de la DGS dans l’évaluation du médicament et de son suivi ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Pr L.A : Les missions de la DGS sont très larges : guider la politique de santé publique, protéger les populations, garantir les normes de pratiques pour des soins de qualité. . . Le domaine du médicament n’est que l’un de ses domaines d’action (encadré 1). En tant que pharmacoépidémiologiste, j’ai naturellement porté une attention particulière au médicament. Nous avons avec les équipes Encadré 1 En France, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est la première étape de commercialisation d’un médicament. Le dossier d’AMM est déposé soit auprès de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) soit de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Un avis est ensuite rendu par la Commission de la Transparence – qui est abritée par la Haute Autorité de Santé – et qui statue sur le service médical rendu (SMR) et son amélioration, ce qui oriente le remboursement. L’avis rendu par cette commission est ensuite transmis au ministre chargé de la santé (qui peut déléguer son pouvoir au Directeur Général de la Santé) et de celui l’économie (en charge de la sécurité sociale). La décision finale sur le prix des médicaments est fixé par le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) qui fait participer tous les acteurs, dont les Caisses d’Assurance Maladie. de la DGS proposé une méthodologie pour la mise en œuvre d’une politique d’évaluation de l’intérêt de santé publique des médicaments après leur mise sur le marché, afin de préciser leur impact en situation réelle d’utilisation. Des critères d’évaluation ont été définis, des mesures d’impact proposées. . . Médecine : Comment a évolué l’évaluation du médicament depuis le milieu des années 2000 ? Pr L.A : Alors que les essais thérapeutiques étaient les seuls arguments de la décision de mise sur le marché et de remboursement des médicaments, le paradigme de l’évaluation des médicaments « en vie réelle », en pratique médicale courante, s’est depuis très largement diffusé dans le monde entier. S’il est encore rare (mais pas exclu) que des produits soient acceptés avec de simples études observationnelles, la présentation d’arguments sur la place des produits dans la thérapeutique, s’appuyant sur des études du contexte et des comparateurs existants, est maintenant systématique. Mieux, les agences règlementaires et les organismes de couverture sociale et de remboursement partout dans le monde exigent que des études de l’impact en vie réelle des produits soient proposées après leur mise sur le marché. En France, nous avions commencé il y a 15 ans ! Partout dans le monde, des « contrats de performance » sont maintenant signés entre l’industrie et les « payeurs » pour le suivi des produits mis sur le marché, similaires à ce que la France a inauguré en 2000. Cette politique – qui a pu être qualifiée à l’époque d’interférence exagérée de l’État – est désormais appliquée largement aux États-Unis entre les industriels et les grands assureurs privés. . . Mais il reste encore du chemin à faire dans ce domaine, et il faut conserver notre avance ! ~Liens d’intérêts : l’auteur est aujourd’hui président d’une société internationale de conseil et d’évaluation dans le domaine du médicament et est professeur honoraire à la London School of Hygiene & Tropical Medicine. RÉFÉRENCE 1. Abenhaim L, Moride Y, Brenot F, et al. Appetite-suppressant drugs and the risk of primary pulmonary hypertension. International Primary Pulmonary Hypertension Study Group. N Engl J Med 1996 ; 335 : 609-16. MÉDECINE Octobre 2016 33