UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE École doctorale I : Mondes anciens et médiévaux INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS Theologicum, Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses Cycle des Études du Doctorat Thèse pour l’obtention du Doctorat conjoint en histoire des religions et anthropologie religieuse (Paris-Sorbonne) et en théologie (I.C.P.) Présentée et soutenue par : Amphilochios-Thomas MILTOS le 20 mai 2017 COLLÉGIALITÉ CATHOLIQUE ET SYNODALITÉ ORTHODOXE Recherches sur l’ecclésiologie du Concile Vatican II, ses sources, sa réception et son rôle dans le dialogue entre les Églises Directeur de thèse pour Paris-Sorbonne : Professeur Jean-Marie SALAMITO Directeur de thèse pour l’I.C.P. : Professeur Laurent VILLEMIN Membres du jury : Professeur Joseph FAMERÉE, Université catholique de Louvain (Belgique) Professeur Alberto MELLONI, Université de Modena et Reggio Emilia (Italie) Professeur Grigorios PAPATHOMAS, Université d’Athènes (Grèce) Professeur Michel STAVROU, Institut de Théologie orthodoxe Saint-Serge, Paris « La multitude qui ne se réduit pas à l’unité est confusion. L’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie »1. Cette étude porte sur un thème actuel du dialogue entre les Églises orthodoxe et catholique, la synodalité. Il a été dit que si le XXe siècle est caractérisé comme « le siècle de l’ecclésiologie », le XXIe pourrait être celui de la synodalité2. Cette remarque correspond étonnamment à la vision du Pape François, exprimée plus récemment : « Le chemin de la synodalité est justement le chemin que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire »3. En effet, le développement de l’ecclésiologie au cours du dernier siècle a permis, entre autres, de mettre en relief l’importance de la synodalité, non seulement en rapport avec la structure hiérarchique de l’Église (l’institution des conciles ou des synodes des évêques), mais aussi en ce qui concerne l’Église elle-même. Dans ce sens, nous pouvons d’emblée définir la synodalité (ou conciliarité), à la fois comme un principe de l’organisation de l’Église (synodalité des évêques) et comme une caractéristique inhérente à la vie de l’Église ; pour Jean Chrysostome le mot synode est synonyme du mot Église4. L’intérêt pour la synodalité ne cesse de croître, semblant apte à éclairer les questions ecclésiologiques d’aujourd’hui. Au niveau œcuménique, la plus épineuse de ces questions est sans doute celle de la primauté du pape, qui demeure la pierre d’achoppement, en matière d’ecclésiologie, pour le rapprochement entre les Églises catholique romaine et orthodoxe. Ainsi, si la question de la primauté, ou encore celle de l’épiscopat, a fait couler beaucoup d’encre, la synodalité, elle, est tout aussi importante, car c’est en elle que s’articulent les questions de la primauté et de l’épiscopat. Notre travail de Master de recherche sur le ministère épiscopal5 nous a incité à approfondir davantage les notions de primauté et de synodalité dans les ecclésiologies catholique et orthodoxe, à travers leur conception respective du rôle de l’évêque. Afin 1 Blaise PASCAL, Pensées, (604) Paris, Éd. du Seuil, 1962, p. 269. CHARKIANAKIS Stylianos, « Synod and "Synodality" » dans Phronema, 23, 2008, p. 1: « Just as the 20th century has rightfully been characterised as "the century of the Church", given that it was the century in which the ecumenical movement was established and developed worldwide among "divided Christians", it would be a blessing for the 21th century also soon to emerge and be named "the century of the SYNOD and SYNODALITY" ». 3 PAPE FRANÇOIS, « Le chemin de la synodalité est celui que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire », Discours à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire de l’institution du synode des évêques, Rome, le 17 octobre 2015, DC, no 2521, 2016, p. 76. 4 JEAN CHRYSOSTOME, Explication in Ps 149, PG 55, p. 493. Le mot synode, σύνοδος, peut désigner chez les Pères l’Église elle-même : voir LAMPE Geoffrey W. Hugo, A Patristic Greek Lexicon, Oxford, Oxford University Press, 1961, p. 1334-1335. 5 MILTOS Amphilochios-Thomas, La notion de « personnalité corporative » et son application possible à l’évêque : Recherches sur l’ecclésiologie de Jean Zizioulas et ses fondements patristiques, Master de recherche en Histoire des faits culturels et religieux, Université de Paris-Sorbonne, et en Théologie dogmatique et fondamentale, Institut catholique de Paris, 2013. 2 2 d’explorer ce vaste thème, la collégialité épiscopale, doctrine promulguée par le Concile Vatican II, nous a paru être une porte d’entrée particulièrement intéressante. Cette doctrine, qui semblait exprimer la réalité de la synodalité des évêques, fut critiquée par les théologiens orthodoxes, dont l’analyse fut également partagée par des théologiens catholiques. Le sujet du présent travail est d’explorer comment la critique de la collégialité épiscopale éclaire des questions qui sont communes aux deux Églises et d’autres qui sont propres à chacune. En effet, le problème de l’articulation entre l’évêque, la synodalité épiscopale et la primauté, notamment au niveau de l’Église entière, n’est pas seulement une question du dialogue bilatéral (catholique-orthodoxe) mais touche à des problèmes propres à chaque Église. Nous pourrions dire – bien que de manière très caricaturale – que si les catholiques peinent à vivre vraiment la collégialité épiscopale ou la synodalité au niveau régional (à savoir entre le niveau du diocèse et de l’Église universelle), les orthodoxes de leur côté peinent à se mettre d’accord sur l’exercice d’une primauté sur le plan universel. Le problème ecclésiologique (de nature également œcuménique) qui a motivé cette recherche est à la fois simple et complexe. En un mot, les ecclésiologies catholique et orthodoxe ne comprennent pas la synodalité de la même manière. Tant les théologiens orthodoxes que des théologiens catholiques6 soulignent que la doctrine de la collégialité épiscopale ne coïncide pas avec la synodalité orthodoxe. Ensuite, le problème est complexe dans ses différentes formes. Au sein de l’Église catholique, on constate que la réception de la doctrine de la collégialité était difficile, voire très problématique. La notion de la collégialité, qui devait rapprocher les deux Églises, a été critiquée dès sa promulgation par les théologiens orthodoxes. Le cinquantième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II (19621965) offre une bonne occasion d’évaluer sa doctrine sur l’épiscopat et sa réception, et peutêtre de revenir aux critiques orthodoxes. Ces dernières révèlent des questions que l’ecclésiologie orthodoxe doit se poser sur sa conception de la synodalité et son rapport à la primauté. Devant donc cette quête commune de deux ecclésiologies pour un équilibre pertinent entre les évêques et le primat, notre recherche a tenté de répondre à la question suivante : Quelle compréhension commune de la notion de synodalité épiscopale, entre catholiques et orthodoxes, peut éclairer les différents problèmes autour de l’articulation entre l’évêque, la synodalité et la primauté ? Pour répondre à cette question, on pourrait considérer que les deux ecclésiologies sont deux approches complémentaires. Certes, il faut avant tout souligner que nous admettons en principe la fécondité d’une considération des deux ecclésiologies, occidentale et orientale, 6 Voir p. ex. « Tanto i non specialisti quanto gli specialisti sanno bene che al Vaticano II i dibattiti più vicini al nostro argomento si cristallizzano intorno alla collegialità, realtà che differisce significativamente dalla sinodalità » : LEGRAND H., « La sinodalità al Vaticano II e dopo il Vaticano II », p. 68 et DE HALLEUX André, « La collégialité dans l’Église ancienne » dans Revue théologique de Louvain, 24, 1993, p. 436. 3 comme complémentaires sur plusieurs points. Il est absolument vrai que chacune a mis des accents différents, en partie en raison aussi de son contexte historique. Les traditions peuvent incontestablement s’enrichir mutuellement et doivent impérativement œuvrer ensemble non seulement pour leur réconciliation, mais aussi pour éclairer des questions théologiques propres à chacune. Néanmoins, il nous semble que, au sujet de la collégialité, l’hypothèse de la complémentarité des deux approches n’apparaît pas opératoire afin d’arriver à une compréhension commune. Sans exclure une convergence salutaire entre les deux ecclésiologies, il nous paraît que pour atteindre un consensus sur la question de la synodalité des évêques (et sur d’autres comme celle de la primauté), il ne faut pas partir de leur complémentarité mais d’une tradition d’origine supposée commune, en éclaircissant les fondements théologiques et les présupposés de chaque approche par rapport à cette tradition d’origine. En même temps, pour ne pas rester uniquement au plan des idées théologiques, il faut prendre en considération les réalités ecclésiales qui expriment en Orient et en Occident cette tradition commune. Ces présupposés touchent principalement la conception de l’Église locale, et de son rapport à l’Église entière, et celle du ministère épiscopal. Force est de souligner qu’il ne suffit pas de signaler une certaine complémentarité des deux approches sans avoir examiné leurs fondements théologiques. Nous avons donc fait l’hypothèse qu’une compréhension commune doit se fonder non pas sur une complémentarité a priori des deux approches, mais sur la reconnaissance commune de la tradition originelle que partagent les deux ecclésiologies. Afin de vérifier notre hypothèse, nous avons étudié si la collégialité est une manière légitime d’exprimer ce qu’est la synodalité épiscopale dans la tradition commune. Pour cette raison, la doctrine de la collégialité, et plus précisément ses fondements scripturaires, patristiques et dogmatiques, constitue donc le domaine dans lequel nous posons notre question. En d’autres termes, notre recherche s’interroge sur les présupposés ecclésiologiques ou les conditions indispensables à une compréhension commune de l’articulation entre l’évêque, la synodalité et la primauté. L’exploration de notre sujet nécessite une approche historique au moins à deux égards. D’abord, la doctrine de la collégialité est un fruit du Concile Vatican II (1962-1965), événement emblématique du renouveau théologique qui a marqué non seulement l’Église catholique mais aussi l’œcuménisme. Il ne s’agit pas seulement de situer la doctrine dans l’histoire des idées théologiques, mais surtout de retracer d’une manière synthétique son évolution et ce que la théologie appelle « réception », durant les cinquante ans qui se sont découlés depuis ce Concile. En même temps, nous suivrons, comme un autre fil historique, les réactions des théologiens orthodoxes à la doctrine de Vatican II, qui traversent en partie la même période. 4 Ensuite, faisant un saut historique considérable, nous laissons la théologie contemporaine pour remonter aux premiers siècles chrétiens. Comme l’a évoqué le Pape François, une telle réflexion commune qui porte sur la collégialité ou la synodalité ne peut négliger « la manière dont l’Église était gouvernée dans les premiers siècles »7. De fait, si tant l’ecclésiologie catholique que l’ecclésiologie orthodoxe se prétendent fidèles à la tradition du premier millénaire de l’Église indivise, la collégialité nous impose encore davantage un tel recours. D’une part, la doctrine du Concile Vatican II sur l’épiscopat est considérée comme le fruit d’un « ressourcement » patristique, et d’autre part l’élément central des critiques orthodoxes de la collégialité était l’absence de cohérence entre cette idée et la tradition patristique. D’où surgit la nécessité d’une recherche qui serait fondée sur les sources historiques et patristiques du premier millénaire de l’Église. En effet, c’est dans cette histoire et cet héritage communs que nous rechercherons des réponses à la question fondamentale de cette thèse. D’après les résultats de cette recherche, nous pouvons soutenir que non seulement les fondements étudiés éclairent les problèmes communs, mais qu’ils appellent de plus à une révision tant de l’énoncé de la doctrine de la collégialité de l’Église catholique que de la pratique synodale dans l’Église orthodoxe d’aujourd’hui. La doctrine de la collégialité épiscopale est au fond un fruit de Vatican I. Nous avons constaté que, d’une part, l’idée de la succession du collège des évêques à celui des apôtres existait déjà à l’époque de Vatican I (dans le schéma de Kleutgen), et, d’autre part, que la sacramentalité de l’épiscopat, si solennellement enseignée dans la Constitution sur l’Église de Vatican II, Lumen gentium, n’a point déterminé la perception de la collégialité. C’est cette dernière qui reste, selon nous, le fil rouge de la théologie de Lumen gentium sur l’épiscopat, exposée dans le troisième chapitre. Ensuite, nous avons présenté les critiques de la réception de cette doctrine par des théologiens catholiques, évaluations qui peuvent être ramenées à l’observation d’une mise en pratique restreinte de la collégialité, qui n’a pas essentiellement modifié le problème de la centralisation romaine ou de l’exercice monarchique de la primauté papale. Les critiques orthodoxes nous ont fourni le cahier des charges de notre recherche, dont les axes étaient la collégialité et la succession apostoliques, l’importance fondamentale de l’Église locale, la corrélation entre primauté et synodalité. Nous avons proposé une typologie des arguments orthodoxes contre la collégialité, qui se regroupent autour de ces sujets et nous avons particulièrement souligné la contribution du théologien orthodoxe J. Zizioulas. Ce dernier a notamment mis en exergue le lien constitutif entre l’évêque et son Église, qui rend 7 PAPE FRANÇOIS, « Entretien accordé aux revues jésuites » dans Études, octobre 2013, p. 18. 5 totalement incohérent le fait d’être évêque sans attachement à une Église réelle, au titre seulement de membre du collège épiscopal. Zizioulas a souligné que l’évêque est successeur de tous les apôtres, tant à titre personnel que collectif, à savoir de concert avec les autres évêques, grâce au fait que sa succession apostolique ne découle pas d’une transmission individuelle, mais s’inscrit dans une succession des communautés. Chaque Église locale, unie dans l’identité avec les autres Églises locales, succède à l’Église apostolique, car elle est pleinement l’Église une, catholique et apostolique, réalisée en un lieu, sans être certainement l’Église entière. Cela nous a conduit à nous interroger sur la manière dont la collégialité épiscopale comprend la notion d’apostolicité. La doctrine du troisième chapitre de Lumen gentium réduit effectivement la succession apostolique à la succession de l’ensemble des évêques au collège des Douze. Nous devons à Nellas un argument biblique, dont nous avons pu vérifier la pertinence, à savoir que le groupe des Douze conserve toute son importance du vivant de Jésus. D’autres disciples existaient du vivant de Jésus et il y avait aussi, après la Pentecôte, d’autres apôtres, qui sans aucun doute se sont associés au noyau des Douze. Les biblistes et les théologiens soulignent à l’unanimité que la signification de l’existence du groupe des Douze est ecclésiale et eschatologique : le groupe de Douze préfigure et symbolise, au sens le plus fort du mot, l’Ecclesia, le nouvel Israël restauré par Jésus. S’il en est ainsi, le chef de ce « collège apostolique » doit être le Christ et non pas Pierre. Il est clair que le rôle des Douze, en tant que groupe fermé et considéré comme dirigeant l’Église apostolique, est relativement limité dans le livre des Actes, à l’instar, par ailleurs, de celui de Pierre, qui néanmoins reste incontestablement une figure de premier plan, tant au sein des Douze que dans l’Église de Jérusalem, aux alentours de l’événement de la Pentecôte. La « collégialité apostolique », comme l’entend Lumen gentium, nous apparaît comme problématique d’un point de vue exégétique et historique et occulte la véritable base biblique de la synodalité épiscopale qu’est la conciliarité ecclésiale. La constitution Lumen gentium renvoie souvent à Ignace d’Antioche et à Cyprien de Carthage, et cela à juste titre, car leurs œuvres sont les sources patristiques fondamentales pour une théologie du ministère épiscopal. Ainsi, nous avons recherché si l’ecclésiologie patristique, et particulièrement celle de Cyprien, justifie d’une certaine manière le paradigme universel, ou mieux universaliste, dans lequel se situe la collégialité. Chez les deux Pères, il n’y a aucune opposition entre le local et l’universel. Il existe réellement pour eux un rapport mystérieux entre l’un (le total) et le multiple : les Églises locales s’identifient à l’unique Église et entre elles. Le collegium sacerdotum, le collège des évêques, expression rare dont la première occurrence se trouve chez Cyprien, ne signifie pas pour l’évêque de Carthage un corps universel des évêques, qui existe de manière indépendante des Églises locales. Au 6 contraire, il exprime le fait que ce corps ou collège des évêques incarne la concorde, l’unanimité et l’unité dans lesquelles coïncident ou doivent coïncider toutes les Églises. Selon Cyprien, chaque évêque, siégeant sur la cathedra Petri de son Église locale, jouit d’une succession à la fois apostolique et pétrinienne, bien que la cathedra Petri soit d’une manière spécifique occupée par l’évêque de Rome. Enfin, un aperçu succinct de la réception de cette ecclésiologie patristique dans les anciens canons des Conciles œcuméniques et locaux, a corroboré le caractère normatif que revêtaient les vues d’Ignace et de Cyprien, sur les points principaux qui concernent par exemple le lien entre l’évêque et son Église, son unicité au sein de celle-ci, ou la synodalité épiscopale. Nous avons découvert avec un intérêt tout particulier la conception cyprianique de l’un et du multiple, idée remarquée chez lui par plusieurs chercheurs, concernant les Églises locales et l’Église entière ou l’unique charge épiscopale, l’episcopatus, et les évêques. Selon la célèbre phrase de son De Unitate (5), l’episcopatus, à savoir le ministère épiscopal, est un, et chaque évêque le détient in solidum, à savoir dans sa totalité. Cette idée de l’unité de l’un et du multiple, où l’un est présent dans la multitude sans fragmentation, nous a reconduit à la pensée de Zizioulas, pour qui ce principe s’appuie sur la théologie dogmatique. Ce concept de l’un et du multiple, fondé sur la théologie trinitaire, nous est apparu comme une base dogmatique très solide pour la théologie de la synodalité épiscopale. La contribution salutaire de J. Zizioulas consiste à avoir mis en avant le fait que l’ecclésiologie reflète le dogme fondamental de l’Église. Ainsi, une ecclésiologie de communion qui se veut fidèle à la communion trinitaire signifie un rapport de réciprocité, de simultanéité et d’interdépendance entre l’un et le multiple, qui s’applique concrètement à l’épiscopat (l’unique charge épiscopale) et aux évêques, à l’unique Église et aux Églises locales, aux évêques et à leur primat etc. Cette idée, centrale dans la théologie de Zizioulas, interprète de façon adéquate l’ecclésiologie patristique, qui se trouve aux antipodes d’une « spéculation moderne » (pour reprendre l’expression de J. Ratzinger), qui prend comme point de départ l’Église universelle et sauvegarde l’unité à travers une priorité de l’un. Enfin, tout ce qui précède a effectivement éclairé la conciliarité ecclésiale et la synodalité épiscopale. La première se réalise fondamentalement dans l’Église locale, comprise comme une communauté eucharistique, au centre de laquelle se situe l’évêque, qui peut être considéré comme la « personnalité corporative » de l’Église locale. Cette qualification révèle la réciprocité, conformément à l’idée de l’un et du multiple, entre l’évêque et sa communauté et, en même temps, l’enracinement eucharistique de leur interdépendance. Nous avons souligné que chez Ignace ou Cyprien le concept de la collégialité apostolique (comme le conçoit Lumen gentium) correspond mieux à la collégialité presbytérale, à savoir au collège des prêtres qui entoure l’évêque. Cette collégialité du 7 presbyterium est très importante, car elle montre que le mono-épiscopat, qui a très tôt prévalu dans l’Église, n’est pas un ministère « monarchique ». L’existence ecclésiale de l’évêque, est par ailleurs conditionnée par la communion, « le multiple », de l’Église locale. Son pouvoir est d’origine sacramentelle, puisqu’il découle de sa place de président de l’assemblée eucharistique, que forme idéalement l’Église locale, l’évêque en étant par excellence l’image eucharistique du Christ. Non seulement la considération de l’évêque comme « personnalité corporative » ne justifie pas un exercice monarchique du pouvoir épiscopal mais, au contraire, elle lui impose une manière synodale ou collégiale (c’est-à-dire dans un esprit de participation et coresponsabilité) dans l’exercice de sa charge pastorale. La compréhension eucharistique (qui est celle de la notion de « personnalité corporative »), et non pas juridique, du ministère de l’évêque peut éclairer des débats actuels pour une « démocratisation » de l’organisation ecclésiale. Le présent travail a confirmé la nécessité, exprimée par plusieurs théologiens catholiques, d’une articulation entre la collégialité épiscopale et la « collégialité des Églises » (pour reprendre l’expression de Congar), en d’autres termes entre la synodalité épiscopale et la conciliarité ecclésiale. C’est sur la base de cette articulation que l’on peut bâtir une compréhension commune d’une autre articulation, celle entre l’évêque, la synodalité et la primauté. Dans le sens de ces deux articulations, qui au fond doivent être des corrélations, les résultats de cette étude suggèrent les deux constats suivants. D’abord, les différentes étapes de notre recherche ont démontré que l’ecclésiologie universaliste, exprimée par la collégialité, n’est pas compatible et conciliable avec l’ecclésiologie de communion, considérée en principe comme celle de la tradition commune. Non seulement la vision universaliste d’une structure collégiale des évêques ne correspond pas aux données des sources, mais, de plus, les fondements bibliques, patristiques, canoniques et dogmatiques, que nous avons approfondis, nous interdisent d’adhérer à une telle vision qui met en péril la catholicité et la plénitude de l’Église locale. Enfin, cette étude ne s’est pas bornée à vérifier le caractère inadéquat du paradigme universaliste de la collégialité, mais a montré quels sont les fondements sur lesquels peut s’appuyer une compréhension commune de la synodalité épiscopale. Pour construire alors cette conception commune selon l’ecclésiologie de communion, nous avons besoin des trois éléments suivants : l’Église locale ; le ministère de l’’évêque, compris comme la « personnalité corporative » de son Église locale et la compréhension de l’ecclésiologie de communion en tant qu’unité de l’un et du multiple. 8