Thierry Pécou - Compositeur - Photo : Alain Llobregat numéros de Rendez-Vous Opéra, nous revenons une fois encore sur cette Trilogie Beaumarchais présentée par l’opéra de Rouen sur l’idée de Daniel Bizeray. Alors que les deux premiers volets de ce triptyque ne nécessitaient « que » d’être mis en production (voir RendezVous Opéra N°3 – Mise en scène), pour L’Amour Coupable c’est tout différent. La seule matière première disponible était la pièce de Beaumarchais. Rien de moins, mais rien de plus. Thierry Pécou, compositeur en résidence à l’opéra de Rouen, a élaboré la partition, Eugène Green le livret. Nous les avons questionnés tous deux, et cherché l’esprit global de cette création d’envergure. Voici leurs cheminements et leurs intentions. Des propos de Thierry Pécou se dégage une impression dominante de solidité, d’une création très accomplie. Il y a aussi un vrai fil conducteur et rien n’a été laissé au hasard : toutes les options prises – en tout cas celles évoquées - sont véritablement étayées par Thierry Pécou : « un livret pas fait et une musique à faire » Consécration intimidante Pour un compositeur l’opéra est une forme de consécration, une sorte d’idéal que l’on rêve d’atteindre, le déploiement de l’art de la composition dans toute sa splendeur, et la dimension d’art total fascine. Créer un opéra requiert de posséder un certain sens du théâtre. Musicalement, il faut conjuguer la voix, l’orchestre et même la musique de chambre, tandis que la forme même exige en général de déployer tout ceci sur une grande durée… tout contribue à rendre cette entreprise vraiment très excitante. Excitante certes, mais aussi un peu intimidante surtout quand on se place dans une trilogie dont le volet qui précède est signé Mozart. J’ai essayé de mettre ce problème-là de côté, parce que je pense qu’il faut s’en abstraire, même si évidemment Mozart, plus que Rossini d’ailleurs, était très présent dans ma pensée lors de l’élaboration de la partition. S’ancrer dans le contemporain Je vois l’opéra, ce théâtre musical chanté, comme une manière de s’exprimer qui doit être ancrée dans le monde contemporain. Lorsque Daniel Bizeray m’a proposé de réfléchir à la composition d’une suite au volet mozartien de cette trilogie Beaumarchais, j’étais un peu dubitatif, me demandant « par quel bout le prendre ». La Mère coupable est en effet une pièce très marquée par son temps, et dont le thème de prime abord 4 me semblait difficile à traiter dans un contexte qui puisse parler aux gens d’aujourd’hui. Le seul document dont je disposais étant la pièce de théâtre originelle, la question de l’écriture de cet opéra sortait largement du champ de la composition musicale pure : il s’agissait aussi d’un livret à fabriquer. Fallait-il conserver le texte de Beaumarchais tel quel, ou au contraire le transposer ? Et comment respecter l’esprit même de l’oeuvre sans abandonner ce désir de traiter le contemporain ? Besoin d’un livret De plus le langage du théâtre, bien trop « bavard » n’est pas du tout adapté à l’opéra : pour décrire une situation, il emploie beaucoup de mots, notam- un raisonnement, une sensibilité, une conduite artistique argumentée et des choix esthétiques. Eugène Green - Librettiste - Photo : Catherine Hélie / Gallimard Am our cou pab le Déjà traitée dans les précédents En ce qui concerne Eugène Green, nous sommes en présence d’un érudit - son dernier roman, La Bataille de Roncevaux, est paru chez Gallimard en novembre. Spécialiste de la période baroque, fin lettré et éminemment respectueux de la création de son partenaire compositeur, il joue avec les mots, fait du vrai faux Beaumarchais, et agence son écriture en fonction d’une partition qu’il ne connaît pas. Tout ceci fait extrêmement plaisir. Que l’on explore de nouvelles voies, certes, sinon à quoi bon composer ? Qui peut dire ce que donnera ce Pécou ? Personne : nul n’a jamais joué vraiment une seule mesure de cette partition ! Mais une oeuvre est un édifice, une architecture qui doit tenir. Dans le cas présent, les fondations inspirent confiance. Rendez-vous le 23 avril. ment pour créer l’atmosphère. L’opéra au contraire nécessite un langage beaucoup plus resserré : la musique amplifie en quelque sorte le texte et pèse énormément par son expressivité dans la compréhension du déroulement des événements. Presque tous les opéras inspirés de pièces de théâtre ont d’ailleurs pour cette raison été adaptés par des librettistes rompus à cet exercice de transposition du langage. Un librettiste ad-hoc Je ne me sentais pas assez technicien du langage pour être certain de donner à la pièce tout ce qu’elle méritait si je me chargeais de réaliser cette adaptation. J’ai sollicité Eugène Green dont les compétences dans des domaines complémentaires à la fois de dramaturge, poète et réalisateur de le pab cou our Am Ecritures Trilogie Beaumarchais cinéma me paraissaient de nature à lui permettre de réussir l’exercice. Il connaît bien le théâtre, sa maîtrise parfaite du langage notamment baroque sur lequel il a beaucoup travaillé lui permettrait de moderniser les propos de Beaumarchais sans les trahir, et sa pratique du dialogue cinématographique donnerait sans aucun doute des textes concis et efficaces. J’avais vu juste, Eugène a réalisé un texte très proche de Beaumarchais tout en offrant un excellent support à la création d’une musique contemporaine. Tout a fonctionné parfaitement, il y a eu quelques ajustements à faire, mais il avait tout prévu. Ne rien commencer sans le livret J’ai attendu de pouvoir disposer du livret pour attaquer véritablement la composition. 5 Un livret d’opéra doit être malléable, presque un texte à trous, il doit laisser une part de mystère pour que la musique ait sa part. Sans oublier que le compositeur doit pouvoir jouir d’une certaine liberté lui permettant d’enlever ici ou là, et à l’inverse de solliciter des rajouts si du texte supplémentaire s’avère nécessaire à un bon support de la partition. S’est posé aussi le choix de la langue : Rossini et Mozart ont choisi l’Italien, que fait-on ? Le débat a été tranché en faveur d’un livret en Français. Eugène Green m’a livré un texte délibérément assez dense dans l’idée de me laisser la liberté de le déblayer. En poésie par exemple chaque mot doit être respecté, ici nous parlons d’un scénario c’est moins primordial. Eugène Green, à la fois scénariste et poète, a pleinement conscience de la simpli-