L`éthique de la sexualité face aux dogmes des religions monothéistes

publicité
RELIGIONS
G. DURAND
RÉSUMÉ : La pensée éthique doit s’appuyer
sur des normes solides d’origine législative et
religieuse pour pouvoir s’établir. L’élaboration
de la conscience individuelle permettra de
trouver le juste équilibre entre objectivisme
et subjectivisme et d’aider au mieux les
patients dans les conflits éthiques auxquels
la technicisation de la procréation les
soumet. Pour cela, il est nécessaire d’étudier
les dogmes inhérents aux différentes religions
dans le domaine de la sexualité. Nous
étudierons les dogmes et les doctrines
catholiques, protestants, juifs et musulmans.
Nous tenterons de comprendre l’élaboration
de tel ou tel point de doctrine dans la morale
religieuse qui le soutient en le resituant dans
son histoire, de manière à être au plus près
de la conscience éthique. Les applications
concrètes concernant les normes en matière
de sexualité et reproduction seront exposées
pour les quatre religions monothéistes
essentielles.
Sexologies, Vol. XII, N° 45, p. XX-XX.
MOTS-CLEFS :
• Ethique
• Sexualité
• Reproduction
• Catholicisme
• Protestantisme
• Judaïsme
• Islam
• Dogmes et doctrines
1
L’éthique
de la sexualité
face aux dogmes
des religions
monothéistes
Gemma Durand, docteur en médecine et gynécologue, a passé sa thèse en 1987 sur: “La
contraception à l’adolescence. L’impact de l’information” (Prix de thèse 1987).
Elle est diplômée en stérilité féminine et en maladies du sein.
Elle est l’auteur de plusieurs publications, notamment sur la contraception, l’IVG,
sexualité et religion…
Gemma Durand a écrit trois ouvrages de littérature: (Un poème en terre étrangère, 1997;
Le père offert, 1999; La femme absente, 2000. Ed. Domens Pézenas) et un ouvrage de gynécologie (Dico Ado. 2001, Catherine Dolto, coord. Ed. Gallimard Jeunesse).
L
a gynécologie est une spécialité
qui, plus que tout autre, nécessite
la parole. Dans l’exercice de notre
métier, on parle beaucoup, on écoute
surtout. Mais, au fil des consultations,
ces dernières années, peu à peu les mots
ont commencé à manquer. Des questions restaient sans réponse. Comme
une perte de clarté, une brume, un vertige. Les dogmes et les lois s’affaiblissaient, la morale hésitait; la morale universelle n’arrivait plus à se transposer à
la particularité, à la singularité de la
morale individuelle. Dans le huis clos de
nos bureaux, il est question de conception, parfois de contraception. De désir
d’enfant, de grossesse désirée, parfois
d’interruption. D’enfant surveillé,
d’anormalité; de redéfinition dans le
doute des critères de la normalité. D’accueil, de respect. D’infertilité et de
conception assistée. De procréation
médicalement assistée dans laquelle on
s’engage sans être capable de fixer la
limite, sans être plus capable d’aider à
renoncer, démunissant alors les couples
de toute ressource leur permettant de
sublimer l’absence de l’enfant qui ne
viendra pas et de redevenir fertiles de
fertilités symboliques. Les mots eux
aussi ont changé; veut-on un enfant ou
désire-t-on un enfant, simple détail de
langage? Dans vouloir, il y a exigence, il
y a immédiateté. Dans attendre il y a
espoir. Dans l’attente est le temps, il y a
une durée. A-t-on un enfant ou donne-t-
on la vie? Dans avoir il y a possession,
pouvoir. Dans donner la vie, il y a don.
Sous les pieds, la terre a bougé, insensiblement. Maimonide, Averroès peutêtre, ont doucement demandé: qu’est
devenu le sacré: le biologique? le génétique? Plus à la surface, les piliers se
sont ébranlés. La conscience individuelle doit pouvoir s’appuyer sur des
normes universelles d’origine législative
et religieuse. Avec le progrès scientifique, le XXe siècle a vu se modifier les
repères et s’effondrer, entre autres, les
valeurs religieuses. Les avancées techniques ont doté l’homme d’une puissance nouvelle. Devenant maître de la nature, il est devenu l’objet même de sa puissance d’agir. Alors se pose la question
“est-ce que savoir faire permet de pouvoir faire” et la réflexion éthique devient
indispensable. Pour pouvoir poursuivre
l’exercice de leur art, les médecins se
regroupent, s’unissent à des religieux,
des juristes, des psychanalystes, ils
mêlent leurs réflexions, posent leurs
doutes, leurs interrogations, ensemble
ils font de l’éthique. Les questions souvent ne trouvent pas de réponse, la
réflexion éthique consiste seulement à
reposer les vraies questions, fixer les
limites, laisser s’élaborer sa propre
conscience. L’élaboration de la conscience individuelle permet de retrouver le
juste équilibre entre objectivisme et subjectivisme et d’aider au mieux le patient
dans les conflits éthiques auxquels la
- VOL.XII, N°45
2
technicisation de la procréation le soumet. Il devient alors indispensable d’étudier les dogmes inhérents aux différentes religions dans le domaine de la
sexualité.
Nous étudierons les dogmes et les doctrines des catholiques, protestants, juifs et
musulmans.
Le catholicisme
L’histoire du monde a été datée au cinquième siècle à partir de la naissance d’un
homme, né en fait entre l’an VI et l’an XIV
avant notre ère, en Palestine occupée par
les Romains. Cet homme, prénommé
Jésus, a été reconnu comme le Messie
attendu, comme le fils de Dieu, comme
Dieu lui-même fait homme. Quatre de
ses amis, Matthieu, Marc, Luc et Jean ont
écrit son histoire, de sa naissance, entourée d’annonces et de signes merveilleux,
à sa “vie publique”, qui n’a duré que
quelques années. De son nom grec,
“Christ” est né le christianisme qui se distingue des deux autres grandes religions
monothéistes, le judaïsme et l’islam, par
l’affirmation de la divinité du Christ :
Jésus “vraiment Dieu, vraiment homme”,
livré au supplice et ressuscité, venu sauver les hommes par son sacrifice. Être
chrétien aujourd’hui, c’est croire et affirmer que Jésus est le fils de Dieu et en tirer
toutes les conséquences pour sa propre
vie. Très tôt, et après avoir été expulsés
de la synagogue, les chrétiens se séparent du judaïsme. Ils refusent la circoncision et prennent des libertés par rapport aux préceptes de la loi juive. Le
christianisme n’est pas une religion du
livre et les Textes Saints peuvent être
interprétés dans une grande liberté, avec
l’aide de l’Esprit Saint. Si Dieu est Trinité,
c’est-à-dire Père, Fils et Esprit, cela revient
à dire qu’il est vie, relation et amour. Le
schisme d’Orient en 1054 entraînera la
séparation de l’Église orthodoxe, due à
des divergences religieuses (Primat de
l’évêque de Rome et compréhension de
La Trinité) mais surtout à des divergences
de culture et de tradition. La Réforme,
dans la première moitié du XVIe siècle,
entraînera la séparation des Églises protestantes pour avoir voulu, tout en se
réclamant du Credo (confession de foi
chrétienne) obtenir le retour strict à l’Écriture comme source de la révélation et
valoriser la liberté du chrétien par rapport au rôle médiateur de l’Église.
- VOL.XII, N°45
Dans l’Église catholique, le Pape, successeur de saint Pierre, garde une fonction
essentielle et unique pour l’unité de l’Église, et il peut user, s’il le désire, de “l’infaillibilité pontificale” (dogme établi
durant le Concile du Vatican en 1870)
pour déterminer un point de doctrine
essentiel. Il a, de plus, la responsabilité
des interventions sociales et publiques de
l’Église (26).
Les dogmes fondamentaux de la religion
catholique et sur lesquels doit s’appuyer
toute réflexion théologique sont:
- Le mystère de La Trinité;
- Le mystère de l’Incarnation;
- La transmission du péché d’Adam à ses
descendants;
- La rédemption de ce péché par la mort
du Christ;
- Et les sept sacrements vécus en tant
qu’étapes d’une vie spirituelle.
Pour comprendre la morale catholique
actuelle et les règles qu’elle propose, il faut
d’abord définir plusieurs concepts:
- Jésus-Christ a communiqué à Pierre et
aux apôtres sa divine autorité et il les a
envoyés enseigner l’Évangile et la loi
morale qui en découle et dont ils sont les
gardiens. Cette loi morale est constituée
de la loi évangélique et de la loi naturelle.
- les principes doctrinaux enseignés par
la commission d’étude dirigée par le pape
Jean XXIII en 1963, revus et corrigés par
Paul VI, reposent sur une vision globale
de l’homme, naturelle et terrestre, surnaturelle et éternelle;
- la morale catholique ne peut être comprise que si elle est entendue et analysée
dans ses trois dimensions, fondamentalement indissociables : sa dimension universelle; sa dimension particulière représentant des normes concrètes; et enfin sa
dimension singulière, construite sur le fait
qu’un individu est unique et que la morale
doit prendre en compte cette unicité pour
pouvoir être transcrite dans le réel.
La morale catholique réside dans la subtile
association de ces trois dimensions (27).
En matière de sexualité, la doctrine catholique repose sur deux idées fondamentales: sexualité et procréation sont indissociables. Ceci repose sur plusieurs
principes.
Le premier principe concerne l’amour
conjugal, pour lequel Paul VI dans son
Encyclique Humanae Vitae nous explique
qu’il n’existe dans sa vraie nature et dans
sa vraie noblesse que si on le considère
dans sa source suprême, Dieu. Il s’agit
donc d’une relation d’amour unissant trois
personnes, un homme, une femme et
Dieu. Le mariage entre ces deux êtres sera
ainsi un élément important de cette trilogie puisqu’“il provient du Créateur qui
réalisera par lui son dessein d’amour”. “Il
représente une collaboration avec Dieu à
la génération et à l’éducation de nouvelles
vies”. Il est signe sacramentel de la grâce
puisqu’“il représente l’union du Christ et
de l’Église”.
Cet amour conjugal a quatre caractéristiques :
- il est humain (les époux deviennent un
seul cœur et une seule âme et atteignent
ensemble la perfection);
- il est total (“ils ne s’aiment pas seulement
pour recevoir de l’autre mais pour
l’autre”);
- il est fidèle et exclusif (et ce jusqu’à la
mort);
- et fécond (car ordonné par sa nature à la
procréation) (24).
Cette définition de l’amour conjugal par
le pape est le premier principe concernant la sexualité, principe rigide et clair,
constituant le premier aspect de la morale
universelle.
Le second principe énoncé par Paul VI est
le concept de “la paternité responsable”
(24) que les évêques traduisent aussitôt
“paternité et maternité responsables” (17).
Partant du principe que “raison et
volonté” doivent primer sur “instincts et
passion”, le pape nous rappelle que “les
êtres sont libres de leur choix en ce qui
concerne la constitution de leur famille et
donc le nombre d’enfants qu’ils désirent.
Ils peuvent éviter une naissance dans le
respect de la loi morale, en reconnaissant
dans ce choix, leurs devoirs envers Dieu,
envers eux-mêmes, envers leur famille et
la société et ce dans une juste hiérarchie
des valeurs” (24).
Le troisième principe fondamental de
l’encyclique de Paul VI concerne “l’acte
matrimonial” et le fait qu’“union et procréation” ne sont pas dissociables. Dieu
a rendu indissolubles les deux significations de cet acte. Il doit aboutir au
sens de “mutuel et véritable amour” et
à la très haute vocation de l’homme à
la paternité (24).
Cette sexualité a trois fonctions:
- une fonction relationnelle: “la Bible présente la création de l’attirance sexuelle
comme permettant de mettre fin au sentiment d’abandon de l’homme”. “La
femme sort l’homme de son isolement
3
dans la construction du monde” (27).
- une fonction de plaisir : la Bible reconnaît par le Cantique des Cantiques la
“force érotique qui transit toute rencontre
dans le couple”. Le plaisir entraîne la perte
de la maîtrise et donc l’obligation d’avoir
foi en l’autre et en soi-même. Le refus du
plaisir pourrait équivaloir au refus de
croire en l’autre. Mais ce sentiment éphémère de plénitude faisant oublier le
manque qui nous constitue peut entraîner
une suraccumulation de plaisirs constituant un danger.
- enfin, une fonction fécondité.
Ces trois fonctions constitutives de la
sexualité ne seront épanouissantes que si
elles s’ordonnent à la quête d’un monde
conforme au projet de Dieu, un monde
qui reconnaisse son créateur, un monde
qui aime (27).
La condition d’homme ou de femme
sexués n’est pas une fatalité, encore moins
un manque, mais une bénédiction, un don,
un appel à une vie de liberté (7).
En ce qui concerne la sexualité féminine, le
plus grand changement de ces 30 dernières
années n’a été ni la contraception ni encore
moins l’IVG, mais, bien en amont, la
volonté des femmes de mieux maîtriser
leur descendance. Les femmes ont désiré
avoir des rapports sexuels quand elles le
voulaient, sans être enceintes, elles ont
voulu dissocier sexualité et procréation.
Pour ce faire, la loi Neuwirth leur a permis d’utiliser la contraception et elles l’ont
utilisée. Massivement et très rapidement.
Si la théorie néomalthusienne estime que
la séparation entre sexualité et procréation
offre une chance de liberté et de bonheur,
l’Église rappelle que leur indissociabilité
permet de “ne pas altérer la double réalité humaine”. D’une part, la fécondité
humanisée s’enracine dans une vie
sexuelle à laquelle le mariage donne sa
pleine signification, d’autre part la sexualité trouve sa signification dans une relation d’amour établissant une communauté
de vie débordante, source de vie, c’est-àdire féconde dans tous les sens du terme
(7). L’Église catholique est rigoureuse sur
les conséquences morales du rapport entre
sexualité et fécondité.
L’animation de l’embryon se fait dès la
fécondation, le rendant dès lors personne
humaine, digne de respect au même titre
que tout autre et nous engageant vis-à-vis
de lui aux mêmes droits et devoirs
humains. Dans Evangelium Vitae, 1995, il
est dit: “Dans la biologie de la génération
est inscrite la généalogie de la personne”.
“Dès que l’ovule est fécondé, une vie est
inaugurée, différente de celle du père, différente de celle de la mère. Il ne sera jamais
humain s’il ne l’est pas déjà”. L’embryon
est une personne. Il doit être respecté et
traité comme une personne dès sa conception. La thèse de l’animation immédiate
est constante dans tous les textes.
■ Dans la doctrine catholique,
quelles sont les applications
pratiques de tout cela ?
La cohabitation avant le mariage est reconnue comme ayant été positive dans des
situations particulières mais n’est pas de
l’ordre du “souhaitable habituel” (27).
Les relations extraconjugales, bien que
n’entraînant pas systématiquement
l’échec du couple, ne peuvent être envisagées dans l’engagement dans la fidélité qu’est le mariage. Néanmoins, il est
rappelé que la responsabilité engagée
n’est pas seulement celle de celui qui trahit et qu’elles peuvent amener à la notion
de “pardon” (27).
Concernant l’homosexuel, comportement
non reconnu comme norme par l’Église,
il a droit, plus que toute autre personne,
à être reçu et écouté. Souvent socialement
exclu, il est prioritaire dans la transcendance chrétienne qui va au-delà du jugement moral. Il sera reconnu en tant que
frère, témoin de Dieu.
En ce qui concerne la chasteté, il nous est
d’abord rappelé qu’étymologiquement
“chaste” est le contraire d’“incestueux”.
Être chaste peut représenter le renoncement à un monde de toute puissance, au
désir de coïncider avec son origine. À l’inverse de la continence, qui réside en la
“contention des pulsions sexuelles”, la
chasteté représente la régulation de l’organisation des pulsions et augmente le
pouvoir relationnel de celui qui s’y engage.
Cette chasteté basée sur un renoncement
dû à l’évolution n’a plus rien à voir avec
un sentiment de culpabilité entraînant un
refoulement malsain de la génitalité.
La stérilisation directe, perpétuelle ou temporaire de l’homme ou de la femme et
toute action sur l’acte conjugal visant à
rendre impossible la procréation est interdite. L’utilisation des préservatifs est autorisée si l’existence d’un des deux partenaires est menacée. Par contre, il est licite
d’avoir recours aux périodes infécondes,
légitimes, ceci usant d’une disposition
naturelle. “Cela permettra de savoir renoncer à l’usage du mariage dans certaines
périodes, de sauvegarder une mutuelle
fidélité, de donner la preuve d’un amour
vraiment et intégralement honnête. Ceci
préviendra aussi le risque de voir passer
une autorisation individuelle ou familiale
au niveau collectif par le biais des autorités publiques”. Pour Jean-Paul II: “le choix
des rythmes naturels comporte l’acceptation du temps de la personne, l’acceptation du dialogue, du respect de la responsabilité commune, de la maîtrise de soi”.
L’interruption directe du processus de
génération déjà engagé est illicite. De
l’avortement, le pape nous dit qu’il est illicite, si “directement voulu et provoqué,
même pour des raisons thérapeutiques”
(24). L’Église confirme par la voix épiscopale que “tous, dans une unanimité qui
ne souffre aucune exception, continuent
de condamner l’avortement ainsi que tout
procédé, chimique ou mécanique, même
s’il est présenté comme contraceptif” (17).
Il est noté que s’il faut choisir entre deux
normes, la théorie du moindre mal n’est
pas retenue comme une excuse.
Dans la médicalisation de la suite de la
grossesse et de la naissance, le Mystère,
ainsi nommé par saint Paul et devant donner vie à un être humain issu du Créateur,
doit être respecté en tant que tel, et respecté aussi pour l’enfant en tant que personne. Toute médecine expérimentale dont
l’efficacité constituerait le seul sacré et qui
occulterait l’énigme du Mystère ne peut
être encouragée (8). Le diagnostic anténatal est moralement licite, uniquement
quand il est destiné à la sauvegarde et à
la guérison de l’embryon ou du fœtus. Il ne
peut être pratiqué à une femme qui aurait
l’intention de demander une interruption
de grossesse en cas de malformation (12).
Reste la question délicate de l’aide médicale à la procréation et de tout acte pouvant modifier les conditions de vie et le
devenir de l’embryon. L’encyclique
Donum Vitae (12) interdit la fécondation
hors du corps. La médicalisation de la
conception et de la grossesse fait intervenir, par la main du médecin manipulant
une technique, une personne supplémentaire dans ce temps réclamé par le
pape “chaste et intime”. Néanmoins, cette
aide externe peut être admise en tant
qu’aide à donner la vie si elle est pratiquée dans le respect des êtres “manipulés” par cette technique et dans le respect
du processus d’humanisation. Dans le cas
d’insémination artificielle, seuls les
gamètes endogènes peuvent être utilisés:
- VOL.XII, N°45
4
“La fécondation artificielle hétérologue
est contraire à l’unité du mariage, à la
dignité des époux, à la vocation propre
des parents et au droit de l’enfant à être
conçu et mis au monde dans le mariage et
par le mariage” (12). La congélation des
embryons, les thérapies géniques et l’utilisation d’embryons humains à des fins
de recherche sont interdits.
Le clonage est totalement interdit sous
toutes ses formes; pour le Vatican, le clonage thérapeutique est encore plus grave
que le clonage reproductif, car on utilise
le délit de suppression de l’être humain à
des fins thérapeutiques.
En conclusion, l’éthique chrétienne est un
subtil mélange de “la conscience morale
de l’être humain”, la Raison et de “l’accueil dans la foi de la manifestation de
Dieu dans l’histoire des hommes”, la Révélation. “Raison et Révélation ont une
même source auprès du Dieu unique”.
■ Réflexions suscitées
par l’étude analytique des normes
de la doctrine catholique
• Religion et psychanalyse
Les découvertes freudiennes et le message du Christ sont très proches sur bien
des aspects. Les Évangiles illustrent et
éclairent les lois de l’inconscient découvertes au siècle dernier, par la confirmation qu’elles représentent “cette dynamique vivante à l’œuvre dans le
psychisme humain et sa force qui vient
de l’inconscient, là où le désir prend sa
source, d’où il part à la recherche de ce
qui lui manque” (10).
•Sexualité et procréation
doivent être redéfinies
La sexualité, considérée comme un aspect
noble de l’être humain, présente de la
conception à la mort, est un élément essentiel constituant le moteur de l’être dans
tout ce qu’elle engendre comme désirs au
sens large et, en cela, elle diffère de la génitalité. La procréation est élargie à une
conception globale comme projet dynamisant, à l’ensemble d’une vie et non
ramenée à la réduction de la rencontre possible entre deux gamètes. Dans cet esprit
et dans la recherche d’une humanisation
du sujet, sexualité et procréation ne sont
dissociées, ni dans leur concept général,
ni surtout dans leur contenu symbolique.
La sexualité dans sa vocation de rencontre,
de moteur, d’échange et de générosité perdrait sa composante fondamentale si elle
n’était sous-tendue par sa finalité originelle, promouvant, dans la générosité de
- VOL.XII, N°45
cet échange, la naissance, métaphysiquement énigmatique, d’un nouvel être
humain. Écoutons les psychanalystes: “Le
critère inconscient de l’approche et de la
recherche de l’autre semble être toujours la
fertilité attendue. Un fruit est toujours
inconsciemment impliqué, sinon
consciemment voulu, lors d’une rencontre
entre hommes et femmes”. “L’appel par
le ventre à l’homme aimé est toujours
référé par le fantasme de la fécondité” (11).
Indépendamment de toute considération
religieuse, la dissociation sexualité/procréation reste difficile sur le plan inconscient. On est à la limite du conscient et de
l’inconscient, face aux débordements possibles et imprévisibles.
Dans l’exercice de notre métier, nous
sommes confrontés quotidiennement aux
aléas de cette dissociation: priver la relation à l’autre de cette dimension procréatrice symbolique définitivement par une
stérilisation va amputer la sexualité de sa
composante procréatrice et par là même
demander aux êtres engagés dans cette
relation de réorganiser leurs rapports en
tenant compte de cela.
Pour ce qui est de la réduction temporaire
de cette fonction procréatrice par la contraception, il n’est pas rare de voir des
couples ayant des rapports trop bien protégés et depuis trop longtemps, consulter
pour signaler que leur sexualité s’est peu
à peu modifiée. Les raisons alléguées sont,
et à juste titre, mécaniques ou hormonales.
Mais ne peut-on s’interroger sur le fait
qu’une contraception moins médicale,
moins parfaite, puisse les aider à retrouver une juste mesure dans leurs rapports,
méthode aussi moins efficace, nécessitant
donc un grand discernement de la part du
médecin qui la conseille.
De la même manière, nombreuses sont les
situations de grossesses non désirées,
aboutissant, pour la plupart à une
demande d’interruption, dues à une insuffisance d’humanisation de cette relation
privée de procréation symbolique.
Enfin, nous sommes aussi soumis quotidiennement aux difficultés de nos
patientes ménopausées, à cet âge où, malgré une correction convenable de la perte
œstrogénique, la fertilité vient de se décrocher de la sexualité.
■ Le début de la vie
L’origine de la vie spirituelle ou affective
dans la vie “cellulaire” d’un œuf fécondé,
pour les catholiques, est à la conception.
La question du début de la vie est essen-
tielle et c’est sur elle que reposent bien des
tourments éthiques actuels. Si le début de
la vie est considéré comme étant à la fécondation, aucune technique basée sur la
manipulation des cellules embryonnaires
ne peut être acceptée, embryon, bien sûr,
mais cellules souches aussi. Ceci est fort
bien illustré par un débat récent ayant
opposé, au sein du Comité consultatif
national d’éthique, Axel Kahn argumentant sur le fait que cette nouvelle médecine régénératrice à partir de cellules
souches embryonnaires est justifiée par la
simple solidarité humaine, et auquel Olivier de Dinechin répondait que l’acceptation d’une médecine sacrificielle ouvrait
la voie à tous les abus. Mais, à l’inverse,
cette notion de début de la vie dès la
conception peut entraîner des déductions,
certes logiques, mais néanmoins inquiétantes, puisque la doctrine catholique
admet la réimplantation de l’embryon
congelé dans le ventre de la mère après la
mort du père. Le début de la vie est antérieur, disent-ils, l’enfant a été conçu du
vivant de son père. Et pourtant, comment
faire recoller les deux morceaux d’une telle
histoire ? La réimplantation post-mortem
est une aberration, le temps de congélation est un néant, un vide. Aucune parole
ne peut être posée sur ce temps-là.
Pour le comité consultatif national
d’éthique, l’embryon est une personne
potentielle.
Le protestantisme
Lorsque Luther en Allemagne et Calvin
en France provoquent la Réforme, dans la
première moitié du XVIe siècle, les Églises
protestantes se distinguent par leur désir
de ramener le christianisme à sa pureté
primitive en soumettant les décisions et
les traditions ecclésiastiques au contrôle
de l’Écriture Sainte. Du recul est pris par
rapport à la tradition au profit d’une foi
plus pure. Cette doctrine proclame la souveraineté absolue et exclusive de Dieu, le
rôle prééminent du pape est rejeté. La
place occupée par Marie dans la théologie catholique est réduite et le culte des
saints n’est pas accepté. Le célibat des
prêtres et les vœux monastiques sont supprimés. Le corollaire en est la revalorisation du mariage et le fait qu’il n’est plus
incompatible avec le ministère (18).
■ Les fondements de cette doctrine
sont les suivants
Les Églises de la Réforme sont nées de
5
leurs protestations contre la non-reconnaissance du jugement personnel et c’est
à ce titre qu’elles vont réévaluer la responsabilité individuelle. Le jugement personnel réfléchi, éduqué, éclairé à la lumière
des Évangiles, ne nécessite pas d’autorité
moralement supérieure ou divinement inspirée. Ces Églises ont une structure démocratique et les idées qui en sont issues proviennent de la réflexion commune
d’esprits divers issus de disciplines différentes. Les normes proposées sont moins
rigides et elles seront livrées à la responsabilité de la personne. Les zones d’incertitude sont acceptées ainsi que les situations dans lesquelles vont s’affronter des
normes contraires, l’arbitrage de la
conscience se fera en faveur du moindre
mal. La compassion peut s’appliquer à une
situation singulière : “toute pitié envers
l’homme est piété envers Dieu”. La Loi
divine a pour finalité l’homme et elle peut
donc s’accomplir dans une apparente
transgression. En effet, l’exception à une
règle est licite puisque “dans son application à une situation singulière, elle deviendra la seule forme possible de la généralité” (25). Dans la relation, le souci de
l’autre sera respecté par la reconnaissance
de “la trace de l’exemple de Dieu et de sa
loi”. Cet “autre” en relation d’amour sera
triple: le partenaire, l’enfant et Dieu. Elle
admettra donc un triple respect (15). Les
Protestants acceptent les zones floues dans
la morale, “les zones grises” de Paul
Ricœur.
■ La doctrine protestante en matière
de sexualité
• Sexualité et procréation peuvent
être dissociées
D’ailleurs elles l’ont toujours été, depuis
que le monde est monde. C’est dans cette
dissociation que réside l’humanité, dans
sa différence avec l’animalité. La nature
ne peut en aucun cas imposer sa loi à
l’homme. La nature n’est pas un maître
absolu auquel il faille obéir. Tout doit être
ramené au désir fondateur de vie (25). La
loi naturelle n’occupe pas la place qu’elle
a dans la religion catholique. “La loi naturelle, en diverses circonstances, n’a rien
d’une loi universelle, nous dit France
Quéré, on peut détourner la toute-puissante nature, considérée comme sacrée par
tant d’autres, lors même que cette nature
a donné vie à un ventre récalcitrant”.
• En ce qui concerne le début de la vie
Il n’y a pas de commencement. Nous
sommes engagés dans la génération et
chargés de transmettre la vie que l’on a
reçue. L’origine, elle, est dans le retrait de
Dieu au moment de la création. Dieu se
retire en créant l’homme. La science, qui
s’est donné le pouvoir d’assister en direct
à la rencontre entre les gamètes, est présente à la conception. Donc Dieu et la
science ne se rencontreront jamais. Par
contre, Dieu convoquera l’humain à sa
responsabilité éthique. C’est l’alliance avec
la vie. La dignité du fœtus naît de l’ordre
de la parole, parole déjà présente lors de la
vie intra-utérine, puisque l’embryon, son
père et sa mère, s’installent d’emblée dans
un dialogue. La dignité du fœtus provient
du biologique ordonné à la parole. C’est
l’inscription de la chair dans l’ordre de la
parole qui est responsable de l’animation.
“Croisée invisible de la voix et du corps, il
deviendra sujet parlant”. “Nous ne
sommes jamais au commencement de rien,
mais toujours situés dans un commencement dont la vie”. “L’âme du fœtus, c’est
l’union de la conception biologique au
futur respir de la naissance. Elle est relationnelle et le demeure, elle est l’irreprésentable du sujet humain”, nous dit Marc
Faessler. Pour France Quéré, “La vie
humaine commence dès la première cellule puisque celle-ci provient d’un homme
et d’une femme et que ce matériau ne
pourra donner qu’un être humain… elle
commence même avant cette première cellule puisqu’elle est déjà dans la vivacité
du spermatozoïde et dans la patience
angoissée de l’ovule”. “En revanche, la
notion de personne suppose une
conscience de soi, une histoire personnelle,
un rapport aux autres, elle est donc en
devenir progressif” (25). La naissance n’est
pas seulement un processus organique
mais, en toutes circonstances, l’alchimie
d’une adoption. Dans les situations obstétricales difficiles, le fœtus ne peut être
séparé, absolutisé. Il est en relation avec
la vie, avec ses géniteurs. Il partage leur
fragilité, leur malheur, le dialogue intérieur entre les parents et le fœtus doit être
écouté.
■ Les conséquences de la doctrine
protestante sur la sexualité
La contraception est autorisée.
L’interruption de grossesse est laissée au
libre choix de la conscience.
La mise en évidence par le diagnostic anténatal d’une anomalie grave laisse l’arbitrage à la conscience en faveur du moindre
mal. Les médecins doivent transmettre
une information complète incluant les
conséquences à long terme. Pour les malformations légères, il faut résister à un
avortement de convenance. Pour l’irrécupérable, l’interruption médicale de grossesse est autorisée. La dignité du fœtus est
respectée, y compris dans cette limite de
fracture avec l’alliance avec la vie.
Le diagnostic préimplantatoire est
autorisé.
“L’intervention d’un tiers dans la médicalisation de la conception et de la grossesse est acceptée en tant que relais indispensable dans le but d’aider à donner la
vie” (25). Toutefois, si ces techniques procréatives sont autorisées, elles ne doivent
pas être surévaluées (15). La congélation
des embryons est admise. L’utilisation
d’embryons à des fins de recherche n’est
pas rejetée a priori.
Le clonage thérapeutique est accepté, c’est
l’implantation dans l’utérus qui compte
et non la fusion des gamètes.
Le clonage reproductif est condamné, mais
quelques Églises protestantes laissent une
porte ouverte à ce sujet.
Le judaïsme
En ce qui concerne le judaïsme, l’élément
caractéristique est qu’il forme une religion
dans laquelle les croyances sont fondées
sur des lois (2). Abraham, Jacob, Moïse et
David en furent les fondateurs. Abraham
établit le fait fondamental qu’il y a un Dieu
unique et qu’il est un Dieu de justice.
Moïse fait figure de législateur car c’est lui
qui reçut au Sinaï les “dix paroles”, destinées au peuple hébreu et définies parfois
comme “la charte morale de l’humanité”.
Elles constitueront la base de la loi juive.
Les prophètes sont les gardiens scrupuleux de l’éthique et de la moralité qui en
découlent. Il n’y a pas de dogme dans le
judaïsme mais des éléments doctrinaux
essentiels:
- le rite;
- le respect de la morale;
- la recherche de la justice;
- la protection de la veuve et de l’orphelin ;
- la paix et l’amour.
La mission de l’homme est de collaborer à
l’œuvre divine en tentant de parfaire la
création. Cette loi transmise par Dieu à
Moïse et assortie de commentaires est inscrite dans la Torah, premier Livre saint du
Judaïsme. Les Mitzvot, ou commandements devant être respectés, sont au
nombre de 613. Maimonide, au Moyen
- VOL.XII, N°45
6
Âge avait recensé 13 articles de foi incontournables, qui composent la prière quotidienne et qui insistent particulièrement
sur l’unicité du Créateur, le rôle du prophète MoÏse, la révélation par Dieu au
Sinaï de la Torah, la récompense et le châtiment. Le Talmud constitue le recueil de
tradition rabbinique interprétant la loi.
Dans le Talmud, la Torah est interprétée
et enseignée par les rabbins qui, par elle,
fixent les commandements humains
posant les limites de la morale. “Ce que
la loi recommande de faire me donne
figure humaine et donc sacrée”. Les limites
de cette morale imposée par une loi Divine
immuable et déterminée seront donc plus
précises que dans la religion chrétienne.
■ Pour ce qui est de la sexualité
Dans le judaïsme, l’amour a une place
prépondérante ; il est une obligation
morale et religieuse, concrétisée par le
mariage qui est un devoir et dans lequel
sexualité au sens large et plaisir sexuel
plus particulièrement ont leur place (20).
La sexualité est définie comme “un dialogue permanent avec Jéhovah” et elle est
illustrée par le Cantique des Cantiques.
L’union de l’homme et de la femme rétablit l’unité divine, la réussite du couple
porte la marque du sacré (18). Comme
dans la religion chrétienne, l’homme
engagé dans la relation d’amour n’est pas
seul, il est inscrit dans une histoire (19).
Dans cette relation et dans le mariage, qui
en est le corollaire immédiat, le choix de
la personne aimée n’est pas primordial
car elle est aimée pour elle mais aussi
pour toute l’humanité qu’elle représente.
L’amour est un tout, l’épouse est synonyme du foyer, la famille juive est
construite sur l’amour et la passion, le
plaisir et la conception des enfants.
L’homme a le devoir d’être joyeux avec
la femme qu’il a prise (20). Dans le livre de
la création, la personne humaine est définie comme ayant dix qualités symbolisant parole et langage. Dix autres qualités
symbolisent la sensualité. L’homme doit
être complet dans cette bipolarité pour
être accompli. Le langage permettra la
multiplication des liens, l’épanouissement
de la personnalité et l’accès à l’intelligence.
La sensualité représente l’unicité de la
relation pour l’éternité (6). Si Salomon
essaya 1000 femmes et eut donc une vie
dissolue, Isaac n’eut que Rébecca et l’aima
“réellement” (6). Dans cette sensualité, la
relation physique aura le pouvoir d’augmenter l’intelligence, créant ainsi le lien
- VOL.XII, N°45
entre les deux composantes de la nature
humaine, conduisant à la plénitude.
• En ce qui concerne l’origine de la vie
Il est dit: “jusqu’au 40e jour de grossesse,
l’embryon est comme de l’eau” (1). Le
fœtus fait partie du corps de la mère, il
n’existe pas avant de naître. Il n’a pas de
droit juridique, “pars viscero matrix”. L’embryon n’est pas une personne, il appartient à la femme. Il sera être humain à part
entière lorsqu’il aura la tête dehors et qu’il
respirera. Si l’accouchement présente un
danger, les rabbins décideront de la priorité; tant que l’enfant est à l’intérieur, on
peut le tuer pour sauver la mère. S’il est
sorti en partie, il n’y a pas de priorité d’une
vie par rapport à l’autre.
•La loi juive concernant la sexualité
La circoncision pratiquée au 8e jour de vie
est un rite sacrificiel de signification initiatique. Elle scelle le sceau de l’alliance
avec Dieu et est un signe de puissance.
Les rapports sexuels ne sont pas autorisés avant le mariage.
Le plaisir sexuel est un dû entre les deux
époux unis par le mariage et la légitimité
des rapports sexuels incombe à l’homme.
L’abstinence totale peut être condamnée
comme une faute grave.
Les rapports sexuels sont interdits pendant les règles et ce jusqu’au 12e jour du
cycle. Le mikvé, le bain rituel, amènera
alors la purification. Si une femme est touchée pendant ses règles, l’homme doit se
laver.
L’acte sexuel devra être réalisé portes fermées, dans l’obscurité, dans le silence. Les
livres saints seront recouverts.
L’adultère est proscrit. L’onanisme est
réprouvé. L’homosexualité est interdite.
L’inceste est interdit. Le divorce est possible. Il n’y a pas de célibat pour les
ministres de Dieu, les prêtres et les rabbins doivent se marier,
La contraception n’est autorisée pour
autant qu’elle n’est pas définitive (5), mais
seulement à partir du moment où le
couple aura mis au monde un garçon et
une fille.
Dans le judaïsme, l’IVG est à éviter. On ne
porte pas d’interdit. L’IVG reste possible en
cas de souffrance physique ou morale, et
en toutes circonstances, la mère est prioritaire face à l’enfant.
Le dépistage anténatal et le dépistage préimplantatoire sont autorisés, ainsi que la
chirurgie sur le fœtus.
Pour ce qui est de la médicalisation de la
conception, la stérilité est considérée
comme une malédiction car elle empêche
d’obéir à “croissez et multipliez”. Les techniques de procréation médicalement assistées sont donc autorisées, mais à condition qu’elles ne privent pas les sujets “de
visage et d’histoire” (19) (mère porteuse,
gamètes exogènes…). Si le père et la mère
transmettent le patrimoine génétique, si
la mère transmet la religion, c’est le père
qui transmet le patrimoine identitaire (2).
Le sperme congelé et la création d’enfants
posthumes sont des aberrations (5). Dans
l’insémination artificielle, le sperme doit
être celui du mari et recueilli si possible
en évitant le péché d’Onan. Si le sperme
devait, devant des cas de stérilité très
graves mettant en jeu la santé mentale de
la mère, être exogène, il ne peut être de
donneur juif à cause du risque d’inceste
(19). La congélation des embryons est
autorisée, ainsi que l’utilisation des
embryons à des fins de recherche.
Le clonage thérapeutique est autorisé
puisque l’animation de l’embryon ne se
fait qu’au 40e jour.
Le judaïsme est opposé au clonage
reproductif.
Dans toutes ces règles légales et en cas de
conflit de normes, la pitié est un sentiment
à éviter car elle entraîne une situation de
supériorité. Mais si une situation singulière met un individu hors norme, c’est-àdire “hors histoire”, “hors du sacré”, le
rôle du religieux sera d’accueillir ces êtres
dans la communauté, “leur rendant visage
et histoire, les regardant comme des personnes humaines, merveilleuses et sacrées
en dépit ou peut-être grâce à leurs
errances” (19). Ici non plus l’exclusion
n’existe pas.
En conclusion, la doctrine dans le judaïsme
préserve la rencontre qui permettra aux
êtres de se percevoir dans leur totalité, leur
unicité et leur histoire.
La transmission de la vie, qui met en jeu
le père, la mère et Dieu, est sacrée et il
ne faut pas oublier que si, pour les Juifs,
religion et histoire sont indissociables,
se reproduire est synonyme de survivre,
et Hanoukka, la fête des lumières, le
symbolise.
L’islam
La nuit du Destin, la 27e nuit du mois du
ramadan, un ange visita un homme qui
pratiquait une retraite spirituelle sur la
montagne de la Lumière, située près de
La Mecque.
7
Les premiers versets du Coran furent révélés à Mahomet qui les déchiffra alors qu’il
ne savait lire. En fait, le Coran entier descendit sur lui en pluie d’étoiles, dit la tradition (16). Mahomet fit connaître cette
Révélation autour de lui et naquit alors la
religion islamique. Elle repose essentiellement sur la reconnaissance d’un Dieu
unique et sur une fraternité universelle.
Le calendrier musulman commence en
633 lors de l’Hégire, migration dans la ville
qui deviendra Médine, de Mahomet et de
la petite communauté musulmane qui
l’entoure. Mahomet est reconnu prophète,
il revient vers La Mecque et devient le
“messager fidèle du Coran, délivrant un
enseignement spirituel et éthique inspiré”.
En “homme parfait” qu’il est, il restera
“l’exemple excellent que tous les musulmans s’efforcent de suivre”. Centré sur
l’adoration d’Allah, son Dieu unique, Dieu
de toute l’humanité, l’islam, religion nouvelle, prend en fait ses racines dans la foi
d’Abraham et jalonne l’histoire de prophètes envoyés par Dieu : Adam, Abraham, Moïse, Jésus. Le Coran prêche une
éthique qui associe l’effort spirituel de
l’homme et sa confiance en Dieu. La loi
religieuse concrétise par des normes juridiques les principes spirituels de la relation de l’homme à Dieu et des valeurs
éthiques régissant les rapports entre les
hommes.
Cinq piliers sous-tendent l’ensemble des
rites:
- la profession de foi;
- la prière coranique, cinq fois par jour, suivant les ablutions purificatrices;
- l’aumône légale;
- le jeûne du mois de ramadan (neuvième
mois lunaire);
- et le pèlerinage à La Mecque, subordonné
à la capacité financière et physique du
sujet.
Cette foi musulmane, construite sur ces
cinq piliers, est pratiquée par la lecture
régulière du Coran, les nombreuses prières
et invocations quotidiennes, la pratique
de la pudeur, du pardon, de la générosité
et de l’hospitalité. S’ajoutent des interdits
alimentaires ou de coutumes, la réglementation du statut personnel, les contrats
et les peines. L’étude et la recherche du
savoir sont une obligation, chez l’homme
et chez la femme. Le Coran, dans ses 114
sourates, est aussi source d’enseignement.
À cette première source de la tradition islamique s’ajoute la Sunna, résumant l’ensemble des coutumes présentées sous
forme de lois, et permettant de codifier
plus complètement la jurisprudence. Par
ailleurs, se développe la théologie musulmane qui insiste sur le rôle de la raison et
de la liberté humaine.
En un mot, l’Islam, tout en présentant
des dogmes et des rites simples offre une
grande richesse spirituelle et intellectuelle (16).
La sexualité y occupe une place importante. Elle sera au centre de la vie conjugale. Elle est déculpabilisée. Allah a créé
la femme pour apporter le repos à
l’homme, pour que le couple mène une
vie équilibrée. Le mariage y représente
une obligation canonique. Mahomet
énonce qu’en se mariant l’homme accomplit la moitié de sa religion (4). La femme
est un cadeau, par l’amour et la bonté
qu’elle apporte et si, de sa conduite morale
dépend l’honneur de la famille, c’est sur
elle qu’en repose le fondement. Dans ce
mariage, l’amour physique a toute sa
place, conçu pour procréer avant tout,
mais pas seulement, car le plaisir physique
est un dû entre les époux. Il est un avantgoût du paradis, il ouvre la porte à la plénitude, mais si on le pratique, chez les
musulmans, on n’en parle pas. Les relations sexuelles entre les époux sont un don
de Dieu, l’œuvre de chair est devoir, y
compris dans son érotisme (4). La métaphore du sillon dit aux hommes : “les
femmes sont pour vous un champ de
labour, allez à votre champ comme vous le
voudrez” (20). L’abstention est un manquement aux préceptes du Coran et met
en droit une femme de se plaindre de son
mari. Le grand tabou en matière de sexualité consisterait en un amoindrissement de
la différence entre les deux sexes (18). Les
recommandations religieuses ordonnent
une muraille située entre eux, infranchissable quant aux distinctions fondamentales: si l’homme doit se distinguer par sa
virilité, la femme doit le faire par sa
pudeur. Il est dit “que les femmes
croyantes abaissent leur regard et protègent leur pudeur, qu’elles ne montrent
leurs attraits qu’à leurs époux ou à leurs
pères, qui possèdent leurs droits”.
L’homme et la femme sont impurs après
un contact sexuel qui entraîne une
souillure nécessitant une purification avant
toute lecture de textes sacrés. Mais si cette
femme est objet de jouissance, elle est aussi
génitrice (4). Car si le plaisir physique est
reconnu en bonne place dans le mariage
par le Coran, la procréation en reste la fina-
lité première et elle revêt une fonction
sacrale: “mariez-vous et procréez” (4). Ce
but procréatif est l’excellence, mais s’en
écarter est toléré. Au décours d’une bataille
qui fit de nombreuses veuves et de nombreux orphelins, naquit la polygamie, car
les soldats survivants épousèrent les
veuves et leurs filles pour assurer leur subsistance (20). Par le fait d’avoir plusieurs
femmes, l’homme peut se protéger du
péché et rester pur. Mais si la polygamie
est autorisée, dans le Coran, la monogamie est fortement encouragée, et Mahomet lui-même répondit à son frère qui lui
demandait l’autorisation de prendre une
seconde épouse: “il ne peut y avoir qu’un
seul cœur dans ta poitrine”.
Pour les musulmans, la vie débute avec la
conception et l’être vivant est être humain
dès cet instant (3). L’esprit, lui, investira
la créature au 120e jour (14). L’enfant naît
du ventre de sa mère ne sachant rien. Le
fœtus n’a aucune personnalité. C’est un
temps sans vie propre, un simple processus biologique.
■ Des normes précises concernant
la sexualité
La circoncision, culturelle et religieuse,
marque l’inclusion dans la société musulmane et se réfère à la tradition abrahamique. Elle n’est pas mentionnée dans le
Coran. C’est une sunna (loi). Elle sera suivie d’une fête mais pas de prières (18). La
naissance d’une fille est entourée des
mêmes joies que celle d’un garçon. L’excision est interdite (3).
Les relations sexuelles hors normes entraînent réprobation et désaveu (4).
Pendant les rapports sexuels, l’homme
et la femme sont égaux, aucun des deux
ne doit dominer l’autre, ils doivent se
compléter.
Les rapports sexuels sont interdits pendant les règles et après l’accouchement
Les ablutions et purifications féminines
dans les hammams après les rapports et
après les règles créeront une union du
spirituel au charnel dans une ambiance
de sensualité et d’homosexualité non
avouée (18).
L’homosexualité est interdite.
Le divorce est réprouvé mais admis.
Si le but procréatif reste la finalité de l’acte
sexuel, s’en écarter est admis, et la contraception sera tolérée, essentiellement en ce
qui concerne les rapports interrompus et
les préservatifs. Néanmoins, tout moyen
de contraception reste autorisé s’il n’est
pas abortif. Devant le choix d’un contra-
- VOL.XII, N°45
8
ceptif, la femme est prioritaire face à
l’homme.
L’avortement n’est admis que si la grossesse présente un risque vital pour la mère
(3), ainsi qu’à des fins thérapeutiques,
jamais par confort personnel, dans quel
cas il est assimilé à un meurtre.
Le diagnostic anténatal peut être pratiqué
en tant que “médecine de prédiction et de
prévention” mais pas dans un but de
dépistage d’anomalie grave, car “prédire
est redoutable et cela peut se traduire par
des paroles meurtrières s’il n’y a pas de
solution” (3).
L’aide médicale à la procréation est acceptée en tant qu’instrument permettant de
donner la vie, ne transgressant pas la loi
divine (14). Elle est un progrès thérapeutique qui doit respecter la dignité des êtres
et leur dimension spirituelle (3). Les traitements de la stérilité sont licites, y compris
l’insémination artificielle, mais avec des
gamètes parentaux (3). La congélation
d’un embryon n’est autorisée qu’en cas
de nécessité urgente, dans ce cas, sa
conservation engage la responsabilité
morale du médecin. L’utilisation d’embryons à des fins thérapeutiques est en
principe interdite. Les manipulations génétiques de quelque nature qu’elles soient
sont interdites (3).
En ce qui concerne le clonage, il est dit: le
clonage d’un embryon, quel qu’en soit
l’objectif est condamné. Cependant, il faut
amener quelques réserves à cela concernant le clonage thérapeutique, puisque
l’utilisation de cellules ou tissus humains
est autorisée si elle a pour but de soigner.
Dans le respect des différences attenantes
au culte et au dogme, on retrouve donc
dans l’Islam une base morale, des principes doctrinaux identiques à ceux des
autres religions monothéistes étudiées,
fondée sur la dignité humaine et sur le respect de l’être.
Néanmoins, la différence essentielle repose
sur la place sociale et affective de la femme,
objet de jouissance et de procréation,
vivant soumise à l’homme, pudiquement
dans son ombre, responsable par sa
conduite morale de l’honneur de la famille.
Il est fort probable que cette situation ait
fourni à tous les bases d’un équilibre familial et social dans un contexte bien déterminé. Mais l’émergence de la religion
musulmane hors des frontières du monde
islamique remet cet équilibre en question
et, s’il est souhaitable que la femme soit
moins soumise comme c’est le cas actuel-
- VOL.XII, N°45
lement dans les couples musulmans
modernes, cela devra se faire progressivement et sans heurts, pour ne pas fragiliser la situation déjà bien exposée de
l’homme.
Forte de la connaissance de l’ensemble de
ces dogmes, forte de l’appui solide constitué par les lois de bioéthique devant suivre
au plus près le progrès scientifique et dont
les remous politiques n’ont que trop
retardé la réécriture, la pensée éthique
pourra poser les vraies questions et reprendra sa réflexion si elle peut s’élaborer à
partir d’un langage clair. Il faut pour cela
d’abord réinventer les mots justes. Les
modifications syntaxiques comme, par
exemple, le fait d’appeler un embryon de
moins de quatorze jours “pré-embryon”
afin de le consacrer librement à des fins
utilitaires, ne sont que des petits arrangements avec la conscience tendant à se jouer
de l’éthique. La religion catholique, plus
que toute autre, a sacralisé l’embryon. Le
progrès scientifique ainsi que ceux qui le
portent ont tendance à sacraliser le biologique et le génétique. L’embryon est à la
rencontre entre deux axes de temps, celui
de la génération et celui de la rencontre
sexuée entre un homme et une femme. Le
sacré n’est-il pas dans le respect de ces
deux lignes de temps croisées? Modifier
l’ordre du temps est dangereux. Nul ne
devrait être en droit de toucher au fil du
temps, au fil des générations. L’enfant
n’appartient pas à ses parents, leur désir
est fondateur, leur parole humanisante
mais il ne leur appartient pas. Un embryon
ne peut être réduit à un “projet parental”
terme à la mode, terme devenu sacré ?
terme consacré depuis peu à la dignité de
l’homme. L’embryon destiné à naître, le
petit d’homme doit être rendu au lignage
et à la génération. Alors, l’origine redeviendra énigme et l’histoire de l’humanité
continuera à s’écrire, respectant l’intégrité
du temps qui passe.
Communication au 33e séminaire de l’AIHUS
(3 avril 2003, Montpellier, France).
RÉFÉRENCES
1- ATLAN P. La femme, le gynécologue et les
religions. Schering Théramex. Paris, 1995.
2- BERNHEIM G. La reproduction religieusement assistée. Gyn-Obs 348, mars 1996.
3- BOUBAKEUR D. La maternité et le sacré.
Spirale. Ed. Erès, 1996.
4- CHERIFI. La femme, le gynécologue, et les
religions. Schering Théramex. Paris, 1995.
5- CHOUCHENA, La femme, le gynécologue,
et les religions. Schering Théramex. Paris,
1995.
6- COHEN R. Le judaïsme en 70 thèmes. La
Maison du Taleth, Paris, 1991.
7- DE DINECHIN O. La femme, le gynécologue, et les religions. Schering Théramex.
Paris, 1995.
8- DE DINECHIN O. La maternité et le sacré.
Spirale. Ed. Erès, 1996.
9- DOLTO F. À la source de chacun de nous.
Échanges 213, juin 1987.
10- DOLTO F. L’évangile au risque de la psychanalyse. J.-P. Delarge éd. 1977.
11- DOLTO F. Sexualité féminine. Scarabée
& co/AM Metailie, 1982.
12- Donum Vitae. Cahiers de l’Actualité
Religieuse et Sociale 347.
13- FAESSLER M. Éthique, Religion, Droit et
Reproduction. Schering Théramex. Paris,
1998.
14- FARI H.E. La reproduction religieusement
assistée. Éthique, religion, loi et reproduction.
[In: Gyn-Obs n° 348, mars 1996, pp. 4-7].
15- FUCHS E. La reproduction religieusement
assistée. Éthique, religion, loi et reproduction.
[In Gyn-Obs n° 348, mars 1996, pp. 4-7].
16- GUIDERDONI A. Dieu dans tous ses
états. Télérama hors-série nov. 1996.
17- Humanae Vitae. Note pastorale. Assemblée plénière de l’épiscopat à Lourdes. Ed.
Centurion, novembre 1968.
18- JACQUEMIN-LE VERN H. La place de
la sexualité dans les religions. Gynécologie
& Psychosomatique, 1996; 17: 21-5.
19- KLEIN B. La maternité et le sacré. Spirale. Ed. Eres, 1996.
20- L’amour au quotidien: Le plaisir, un don
de Dieu. Arte, janvier 1997.
21- MALKA V. Dieu dans tous ses états. Télérama hors-série, nov. 1996.
22- MATTEI J.F. Panorama, 1996.
23- PAUL VI, Humanae Vitae. Aspects nouveaux et magistère. Ed. Centurion, juill. 1968.
24- PAUL VI, Humanae Vitae. Principes doctrinaux. Ed. Centurion, juill. 1968.
25- QUÉRÉ F. La femme, le gynécologue et
les religions. Schering Theramex. Paris,
1995.
26- SCHLEGEL J.L. Dieu dans tous ses états.
Télérama hors série, nov. 1996.
27- THÉVENOT X. Repères éthiques pour
un monde nouveau. Ed. Salvador.
Dr Gemma Durand, gynécologue,
attachée des services
de gynécologie-obstétrique,
hôpital Arnaud de Villeneuve,
34295 Montpellier Cedex 5.
E-mail: [email protected]
Téléchargement