santé métier urgentologue

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A 22
LA PRESSE
MONTRÉAL
SAMEDI
8
JANVIER
2005
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SANTÉ MÉTIER URGENTOLOGUE
SEULE DANS LA NUIT
Textes Pascale Breton et photoreportage Martin Tremblay
Minuit. Le boulevard de l’Assomption, qui mène à l’hôpital
Maisonneuve-Rosemont, est quasiment désert. Dans la salle
d’attente de l’établissement, les chaises en plastique sont
presque toutes inoccupées. Seule une femme, son bambin
somnolant dans les bras, attend pour consulter le médecin.
C’est le changement de garde.
Responsable des urgences cette nuit,
la Dre Nadine Cassiani rencontre tour
à tour les quatre médecins qui ont
travaillé ce soir afin de faire le transfert
des patients, c’est-à-dire d’assurer le
suivi des dossiers des malades qui
sont hospitalisés pour la nuit.
0h10. Des ambulanciers arrivent,
transportant un jeune homme gravement intoxiqué. Il a ingurgité des
médicaments, mais on ne sait pas
encore lesquels. Sa respiration difficile,
son rythme cardiaque accéléré et son
état somnolent ne laissent place à
aucune tergiversation.
D’une voix douce mais ferme, la
Dre Cassiani lui demande d’ingurgiter
du charbon de bois, nécessaire dans
les cas d’intoxication. Après plusieurs
minutes de persuasion de la part du
personnel et d’hésitations du jeune
homme qui proteste, il accepte
finalement de boire la mixture au
mauvais goût.
L’état de son patient s’étant stabilisé,
la Dre Cassiani termine le changement
de garde. Elle communique ensuite
avec le Centre antipoison, comme le
veut le protocole, pour les informer
de l’arrivée d’un patient intoxiqué
et vérifier avec exactitude les effets
possibles des médicaments qu’il a
pris.
Elle retourne ensuite le voir, le
front soucieux. À un certain moment,
elle craint même que les reins n’aient
été touchés de manière irréversible.
«Il nous a fait peur, ce patient, surtout
au début de la nuit quand il est arrivé»,
dira plus tard le médecin dans la
jeune trentaine.
1h35. Profitant d’une accalmie, la
Dre Cassiani entreprend la tournée
des patients déjà hospitalisés. Elle
doit relire les notes de leur dossier,
s’assurer que les radiographies et
les prises de sang demandées ont
été faites et que les médicaments
administrés ont l’effet escompté.
À peine 45 minutes plus tard, une
nouvelle ambulance se pointe. Cette
fois, elle amène un patient sérieusement malade qui reçoit des traitements d’hémodialyse trois fois par
semaine à l’hôpital. Cette nuit,
l’homme de forte corpulence a de
graves difficultés respiratoires. Il est
tout de suite installé dans la salle
29, la salle de choc comme on l’appelle,
pendant que les infirmiers, les préposés aux bénéficiaires et les techni-
ciens de laboratoire s’affairent autour
de lui.
L’horloge marque près de 3h et la
salle d’attente est presque déserte.
Heureusement parce qu’il n’y a déjà
plus de moniteur disponible aux
urgences, comme si ce soir tous les
patients qui se présentaient souffraient d’un problème cardiaque.
Appuyée par l’équipe de nuit —
une vingtaine de personnes au total,
le médecin de garde doit déterminer
lesquels des patients peuvent recevoir
leur congé de l’hôpital ou être transférés aux étages pour dégager des
lits aux urgences.
Experte en convulsions
Un jeune homme se présente dans
la salle d’attente. Il s’est blessé au
pied en glissant sur le plancher.
Visiblement nerveux, il ne tient pas
en place deux minutes. Une rapide
investigation permet au Dre Cassiani
de savoir pourquoi. Le jeune homme
a ingurgité un mélange de cocaïne,
de bière et de marijuana pour tenter
de calmer lui-même la douleur avant
de se résigner à se rendre aux urgences.
Ce n’est pas un cas unique.
3h50. Le Dr Daniel Potvin, médecin
de soutien aux urgences cette nuitlà, est sur le point de partir. Avec la
Dre Cassiani, il revoit les dossiers
des patients qu’il avait sous sa
supervision, question d’assurer le
suivi.
La Dre Cassiani se prépare à terminer
la nuit seule. Elle n’a pas pris une
minute de pause depuis le début de
son quart de travail. Elle n’en prendra
pas non plus par la suite. «Ça dépend
des personnes, mais la nuit, on est
seul. Personnellement, dès que je
vois que la pile de patients s’accumule,
je ne me sens pas bien d’aller prendre
mon café. Il n’y a personne d’autre
pour les voir», explique-t-elle.
Le Dr Potvin vient à peine de quitter
l’annexe où dorment des patients
qu’une dame d’une soixantaine
d’années est prise de convulsions,
tremblant des pieds à la tête dans
son lit. C’est le branle-bas aux urgences. Un préposé arrive avec une bonbonne d’oxygène, des infirmières
accourent au chevet de cette patiente
à la chevelure grisonnante.
Concentrée, la Dre Cassiani réfléchit
rapidement et fait transférer la civière
de la dame dans la salle de choc.
Presque aussitôt, la patiente prend
TOUTE LA NUIT,
LA DRE CASSIANI
FILE D’UNE SALLE
À L’AUTRE,
S’ARRÊTANT
QUELQUES
MINUTES SUR
LE BOUT D’UNE
CHAISE OU
D’UN COMPTOIR
POUR REMPLIR
QUANTITÉ
DE PAPERASSE,
TOUJOURS
CONCENTRÉE.
du mieux et le médecin a tôt fait de
constater qu’il s’agissait en fait de
pseudo-convulsions que la femme
feint de déclencher pour attirer
l’attention. Elle n’en est d’ailleurs
pas à ses premières, comme en
témoigne son dossier médical épais
de plusieurs centimètres.
Les abonnés des urgences
5h55. Un homme attend dans l’un
des cabinets de consultation. Il souffre
terriblement, semble-t-il. La Dre
Cassiani prescrit une dose de
médicaments pour le soulager, mais
elle l’aura à l’oeil, soupçonnant en
fait une dépendance aux narcotiques.
Elle demande même qu’on vérifie si
son nom ne figure pas dans le livre
noir de l’hôpital.
À peine 10 minutes s’écoulent avant
que les ambulanciers amènent un
homme d’une cinquantaine d’années
qu’ils ont trouvé dans la rue. Il s’est
fait des coupures à l’avant-bras.
Pendant qu’il attend dans la salle de
consultation, un préposé est chargé
de le surveiller afin qu’il n’attente
pas à ses jours. Il s’agit d’un patient
connu, un patient chronique comme
on les appelle. «On voit l’importance
de bien documenter les dossiers
médicaux. Ça nous aide parce qu’on
apprend à connaître les patients. On
a quelques réguliers qui viennent
aux urgences et on les reconnaît, mais
c’est le danger de crier au loup. La
fois où il va vraiment y avoir quelque
chose, on risque de passer à côté,
alors on est toujours un peu sur nos
gardes par rapport à ces patients
chroniques», raconte la Dre Cassiani.
Le jour point à l’horizon et la salle
d’attente commence à se remplir de
patients à moitié réveillés. Vers 7h,
cinq ambulances arrivent coup sur
coup, transportant des patients en
détresse respiratoire ou avec des
douleurs thoraciques. Ce sont des
cas très fréquents après 4h du matin,
lorsque l’organisme est en mode
sommeil depuis quelques heures.
Toute la nuit, la Dre Cassiani file
d’une salle à l’autre, s’arrêtant quelques minutes sur le bout d’une chaise
ou d’un comptoir pour remplir
quantité de paperasse, toujours
concentrée.
Autour d’elle les infirmiers tourbillonnent, lui demandant un renseignement, lui faisant signer des
documents ou lui apportant les
radiographies.
Lorsque l’heure du changement
de garde sonne à nouveau, vers 8h
du matin, la Dre Cassiani fait une
dernière tournée des patients
qu’elle a hospitalisés pendant la
nuit et assure le suivi de chacun
d’eux avec l’équipe de jour. Elle
quittera finalement l’hôpital à 10h,
pendant que la salle des urgences
refait le plein de patients.
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