Éphéméride P. Bourget* Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette technique est tout simplement celle de la décompression progressive dite “à la Cushing”, du nom du chirurgien américain qui, vingt-cinq siècles après Hippocrate, l’appliqua, au début du XXe siècle, au traitement de la perte de la vue dans les hypertensions intracrâniennes. Mais pour des raisons difficilement explicables, la trépanation préconisée par Hippocrate dans l’indication qu’il avait posée, fut progressivement abandonnée au profit d’autres méthodes jusqu’à la fin du XIXe siècle ! Mais nous n’en sommes pas encore arrivés à Celse, médecin romain sous le règne de l’empereur Auguste (63 av. J.-C. et 14 ap. J.-C.), qui donne des indications très précises de la trépanation thérapeutique dans ses écrits et, après lui, Théodoric au XIIIe siècle. Curieux personnage que ce Théodoric qui amassa une fortune considérable en exerçant la médecine, avant de s’asseoir sur le siège épiscopal de Cervia en tant que chapelain du pape. Ce dernier souhaitait que Thédoric fût l’un des premiers chirurgiens à avoir recours à l’anesthésie pour soulager la douleur des trépanés – douleur cutanée d’abord, puis localisée à la dure-mère. Théodoric mit au point un savant mélange imbibant une spongia somnifera (une éponge somnifère), placée sous le nez du patient. Ainsi était réalisée une narcose, par inhalation des constituants du mélange où avait trempé l’éponge : opium, suc de feuilles de mandragore, suc de lierre arboré, suc de mûres, semences de laitue et d’oseille sauvage, ciguë, etc. Au XVe siècle, l’éponge somnifère était encore utilisée avec une variante technique : elle était employée une fois tous ses ingrédients séchés, mise sous le nez du patient qu’elle… endormait, et qu’on réveillait en plongeant l’éponge dans du vinaigre ! Mais bien avant Théodoric, Galien avait * Ancien chef de la section médicale de la rédaction de TF1, lauréat de l’Académie de médecine. Act. Méd. Int. - Neurologie (3) n° 6, juin 2002 mis au point une “potion” somnifère à base de pavot et de jusquiame ; on ignore si elle fut utilisée sous des trépanations – opérations constamment pratiquées par les chirurgiens au cours des siècles : le grand Ambroise Paré luimême construisit un trépan qui sera employé jusqu’en… 1905, avec quelques améliorations cependant ! Si, au fil des siècles, des chirurgiens interviennent sur des abcès au cerveau, la mortalité per- et postopératoire est si élevée que le nombre d’opérations reste faible. Et il fallut attendre le XIXe siècle pour que naisse la neurochirurgie qui porte aussi bien sur le cerveau que sur la moelle épinière et les nerfs eux-mêmes. Pionnier incontesté de cette discipline, l’Écossais Mac Ewen opéra avec succès, pour la première fois dans l’histoire, un méningiome en 1879 ; il récidive en 1888, puis intervient avec le même bonheur, sur des gliomes. En 1887, l’Anglais Victor Horsley est intervenu sur une tumeur comprimant la moelle, arrachant à Osler cette appréciation : “Avec cette opération, peut-être la plus brillante de l’histoire de la chirurgie, la victoire était remportée.” En 1903, enfin, Horsley opère – c’est encore une “première” – une tumeur du nerf cochléo-vestibulaire. Après Mac Ewen et Horsley, le travail de Harvey Cushing allait bouleverser la neurochirurgie. Né en 1869, au sein d’une famille de médecins, il connut Halstedt, Kocher et Horsley. Très tôt, il s’orienta vers la neurochirurgie qu’il pratiqua au célèbre Peter Brent Brigham Hospital de Boston, jusqu’à sa mort, en 1939. Là, Cushing mena une existence d’ascète : full time au “Peter Brent”, il restait dans son enceinte 14 heures par jour, partageant son temps entre le bloc opératoire et la visite à ses opérés, dont il refaisait lui-même les pansements. Il s’attaqua à toutes les maladies touchant le cerveau et la moelle épinière, utilisant, afin d’aboutir aux hémisphères cérébraux, le trépan mis au point en 1905 par le français Doyen : l’appareil comporte une chignole qui s’arrête de tourner quand sa pointe, une fois l’os S i, encore actuellement, on se perd en conjectures sur la signification “thérapeutique” des trépanations observées à l’époque néolithique, la situation s’éclaircit dans la Grèce des Ve et IVe siècle avant J.-C., où la chirurgie fleurit. Et grâce à Hippocrate, on assiste à la première trépanation véritablement “médicale”, fondée sur l’observation fine des pathologies. Dans le classique Traité des plaies de la tête, attribué au célèbre médecin grec, on lit : “Si quelqu’un dont les yeux sont d’aspect normal perd la vue, il faut le guérir en incisant le sommet de la tête, en ruginant (raclanus) l’os, en trépanant et en faisant échapper l’hydropisie, et ainsi les yeux deviennent normaux…” perforé, arrive au niveau de la duremère. Jusqu’en 1929, Cushing opérera 2 000 cas de tumeurs cérébrales ! En France, la “neurochir” démarre tardivement en 1911, lorsque Babinski demande à Lecène de procéder à l’ablation d’une tumeur de la moelle, 34 ans après Horsley ! Après Lecène, deux hommes, Clovis Vincent et Thierry de Martel, sont les premiers à procéder à des interventions dans des conditions véritablement hallucinantes – l’anesthésie générale (par chloroforme ou éther) étant contre-indiquée, au profit de l’anesthésie locale du cuir chevelu à la novocaïne. “Le malade, raconte Raymond Houdart, était littéralement ligoté sur la table d’opération. Afin d’éviter qu’il ne s’agite, on l’immobilisait avec des rouleaux entiers de sparadrap et un des membres de l’équipe encourageait le malade à supporter sa douleur… Pour aider à l’hémostase, on utilisait volontiers des muscles de pigeon que l’on sacrifiait en salle d’opération, ce qui n’allait pas sans apparenter l’intervention à quelque sacrifice païen…” Tels furent les débuts héroïques de la “neurochir” : ils permettent de mieux apprécier les progrès considérables faits en plus d’un demi-siècle ! 141 Éphéméride À propos de la naissance de la neurochirurgie P. Bourget