Épilepsie et cœur Épilepsies 2010 ; 22 (3) : 217-21 Les troubles du rythme cardiaque et SUDEP Alexandra Montavont2,3,4, Sylvain Rheims1,3,4, Laurent Bezin3,5, Philippe Ryvlin1,2,3,4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 1 Service de neurologie fonctionnelle et d’épileptologie, hôpital neurologique, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 2 Institut des épilepsies de l’enfant et de l’adolescent, HFME, hospices civils de Lyon et UCBL, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 3 CTRS-Inserm IDEE, 59 boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 4 Inserm U821, Centre Hospitalier Le Vinatier (Bât 452), 95 boulevard Pinel 69500 Bron, France <[email protected]> 5 UMR, CNRS 5123, UCB Lyon1, Bât Raphaél Dubois, 43 boulevard du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne cedex, France Résumé. Les morts soudaines inattendues dans l’épilepsie (SUDEP) représentent une des principales causes de décès en rapport direct avec la survenue d’une crise d’épilepsie. Leur incidence annuelle peut atteindre près de 1 % chez les patients candidats à un traitement chirurgical de leur épilepsie. Les mécanismes physiopathologiques des SUDEP restent incertains, mais deux hypothèses sont évoquées : d’une part, un arrêt cardiaque par troubles du rythme ou de la conduction et d’autre part, une détresse respiratoire aiguë. La survenue de troubles du rythme ou de la conduction cardiaque lors de crises d’épilepsie a pu être parfaitement étayée dans la littérature. Différentes études expérimentales et chez l’Homme orientent vers la participation de l’insula dans la genèse de ces troubles du rythme ou de la conduction. En revanche, il semble que la très grande majorité des asystolies ictales soient spontanément résolutives et n’exposent pas à un risque de SUDEP. Dans ce contexte, la mise en place d’un pacemaker peut être discutée et reste avant tout justifiée par la survenue de chutes traumatisantes secondaires à ces asystolies. La détresse respiratoire, quant à elle, peut être per- ou postcritique et de nature centrale et/ou obstructive et représente à l’heure actuelle l’hypothèse la plus probante pour expliquer la survenue d’une SUDEP. Mots clés : SUDEP, physiopathologie, arythmie cardiaque, apnée, épilepsie, insula Abstract. Cardiac arrhythmias and SUDEP doi: 10.1684/epi.2010.0317 Sudden unexpected death in epilepsy (SUDEP) is one of the main cause of seizure-related mortality in young adults with drug resistant epilepsy, with an annual incidence rate that raises up to 1% in surgical candidates. SUDEP pathophysiology remains unclear, but two hypotheses are discussed: 1) a primary ictal arrhythmia, and 2) a post-ictal central or obstructive apnea, leading to a delayed cardio-respiratory arrest. The occurrence of ictal asystole has been well documented in the literature. Several experimental and Humans studies point to the role of the insula in the genesis of such cardiac dysfunction. However, it seems that the majority of ictal asystole are self-limiting and do not expose to an overt risk of SUDEP. The usefulness of a pacemaker is therefore debated, and is primarily justified by the occurrence of traumatic falls related to the asystole. Respiratory distress may be per or post-ictal, central and/or obstructive and is currently the most convincing hypothesis to explain the occurrence of SUDEP. Key words: SUDEP, physiopathology, epilepsy, ictal arrhythmia, apnea, insula Tirés à part : P. Ryvlin 217 Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 A. Montavont, et al. disponibles ne permettent pas de conclure de manière formelle quant à leur responsabilité dans la survenue d’une SUDEP (Langan et al., 2005 ; Aurlien et al., 2007 ; Tomson et al., 2008). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Après avoir été longtemps ignoré, le problème de la mort soudaine inattendue dans l’épilepsie, ou SUDEP (sudden unexpected death in epilepsy), s’est récemment imposé comme un des principaux enjeux de santé dans le domaine de l’épileptologie (So et al., 2009). Son incidence est estimée à 1 ‰ au sein de la population épileptique, soit environ 500 cas par an en France pour 500 000 patients si l’on s’en réfère aux chiffres disponibles au Royaume-Uni (Pedley et Hauser, 2002 ; Tomson et al., 2008), mais l’essentiel des SUDEP concerne les patients souffrant d’une épilepsie partielle pharmacorésistante (EPPR). Au sein de cette population, le taux d’incidence annuelle des SUDEP est considérablement plus élevé, proche de 1 %. De tous ces facteurs de risque, on retient le rôle possiblement majeur des CGTC, particulièrement bien étayé dans l’étude cas-témoin la plus large ayant porté sur 154 cas de SUDEP et 616 témoins (Langan et al., 2005). La présence de CGTC dans les trois mois précédant le décès ou l’inclusion des témoins était retrouvée chez 79 % des cas et seulement 20 % des témoins, avec un odds ratio de 13,8 (6,6–29,1). Caractère postcritique des SUDEP La gravité des SUDEP tient à deux éléments particuliers : – l’âge du décès, intervenant typiquement entre 20 et 40 ans (Hitiris et al., 2007) ; – son caractère effectivement inattendu, tant de la part du patient que de ses proches souvent habitués à la survenue de crises depuis des années sans avoir été jamais avertis du caractère potentiellement fatal de ces dernières. La définition des SUDEP ne fait pas appel de manière explicite au rôle causal éventuel d’une crise d’épilepsie, alors même que de nombreux éléments indiquent que la majorité des SUDEP survient dans les suites immédiates d’une crise d’épilepsie, et en est la conséquence directe (Nashef et al., 1998 ; Langan et al., 2000 ; Tomson et al., 2008). La majorité des SUDEP survient en l’absence de témoin, typiquement la nuit, chez un patient dormant seul mais avec des signes indirects de crises convulsives, dont la présence d’une morsure latérale de langue ou encore la surexpression de protéine HSP-70 au sein des neurones de l’hippocampe. Néanmoins, 7 à 38 % des cas rapportés font l’objet d’une description par un tiers. Dans 90 % des cas, est décrite la survenue d’une crise, le plus souvent généralisée tonicoclonique, dans les secondes ou minutes qui précédent le décès (Nashef et al., 1998 ; Kloster et Engelskjon, 1999 ; Langan et al., 2000 ; Langan et al., 2005 ; Tomson et al., 2008). Deux mécanismes physiopathologiques sont proposés : d’une part, un arrêt cardiaque par troubles du rythme ou de la conduction et d’autre part, la survenue d’une détresse respiratoire aiguë. Rappel épidémiologique Définition et données épidémiologiques Une SUDEP est reconnue comme probable lorsqu’un patient épileptique décède brutalement, sans autre pathologie médicale causale, sans état de mal épileptique et sans que le décès puisse s’expliquer par une cause accidentelle (traumatisme, noyade) ou un suicide. Une SUDEP est considérée comme certaine lorsque l’autopsie écarte par ailleurs toute autre cause explicative, notamment toxique ou lésionnelle. La question principale qui reste actuellement sans réponse est la nature des événements per- et postcritiques qui vont finalement conduire au décès. Deux mécanismes physiopathologiques principaux sont évoqués : d’une part, un arrêt cardiaque par troubles du rythme ou de la conduction, d’autre part, une détresse respiratoire aiguë d’origine centrale ou obstructive (Tomson et al., 2008). Quelques auteurs décrivent par ailleurs la survenue d’une cessation postcritique primitive de l’activité cérébrale, précédant l’arrêt cardiaque, sans qu’il soit cependant possible de déterminer l’état concomitant de la fonction respiratoire (Bird et al., 1997 ; Lee et al., 1999 ; McLean et Wimalaratna, 2007). Comme déjà évoqué, le risque de SUDEP varie de manière considérable en fonction du type d’épilepsie, puisque estimé entre 0,9 et 3,5/10 000 patient-années dans les cohortes d’épilepsie nouvellement diagnostiquées, pour atteindre 63 à 93/10 000 patient-années dans l’épilepsie pharmacorésistante (chez les patients en attente d’un traitement chirurgical ou dont l’opération s’est avérée inefficace) (Tomson et al., 2008). Troubles du rythme et de la conduction Facteurs de risque de survenue d’une SUDEP Asystolie ictale Le risque de SUDEP est augmenté par la présence et la fréquence élevée de crises généralisées tonicocloniques (CGTC), l’absence de traitement antiépileptique (reflétant une mauvaise observance) ou au contraire la prise d’une polythérapie, témoin indirect de la sévérité de la maladie, un âge de début précoce ou une durée prolongée de l’épilepsie (Nilsson et al., 1999 ; Walczak et al., 2001 ; Langan et al., 2005 ; Tellez-Zenteno et al., 2005 ; Hitiris et al., 2007). Un rôle aggravant spécifique de la lamotrigine dans les épilepsies généralisées idiopathiques ainsi que de la carbamazépine a aussi été évoqué, mais les données L’asystolie ictale est définie comme une pause sinusale d’une durée de trois secondes ou plus, intervenant pendant une crise d’épilepsie. Il s’agissait jusqu’à présent de l’élément le plus évocateur du rôle potentiel d’un trouble du rythme cardiaque à l’origine des SUDEP. Néanmoins, aucun cas de SUDEP secondaire à une asystolie ictale n’a été formellement identifié à ce jour. Le seul patient décédé d’une SUDEP pour lequel une arythmie cardiaque fut authentifiée au moment de l’événement souffrait d’un antécédent d’infarctus du myocarde et présentait en réalité une fibrillation ventriculaire (Dasheiff et Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 218 Les troubles du rythme cardiaque et SUDEP En tout état de cause, il semble aujourd’hui que les asystolies ictales ne représentent pas une cause prévalente de SUDEP. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dickinson, 1986). Chez ce patient, l’origine cardiaque du décès peut être interprétée comme une complication classique de sa cardiopathie ischémique, possiblement favorisée par la demande énergétique accrue intervenant brutalement lors de ses crises d’épilepsie (Tomson et al., 2008). Autres anomalies du rythme ou de la conduction cardiaque La variabilité de l’intervalle R-R, mesuré sur des ECG réalisés à titre systématique en préopératoire, a été retrouvée normale chez des patients secondairement guéris par une lobectomie temporale réglée mais anormalement diminuée chez des patients non guéris, laissant à penser que ces patients ne souffraient pas d’une simple épilepsie du lobe temporal mais d’une zone épileptogène s’étendant probablement en dehors des limites du lobe temporal et, notamment, au niveau de l’insula (Persson et al., 2005 ; Persson et al., 2006). Cette anomalie, témoignant d’une dérégulation des systèmes orthoet parasympathiques, représente un facteur de risque de mort subite en cardiologie et s’avère être maximale la nuit chez les patients épileptiques, période la plus propice aux SUDEP (Persson et al., 2007). D’autres anomalies ECG interictales témoignant d’un dysfonctionnement de l’équilibre ortho-/parasympathique ont été plus récemment rapportées dans l’épilepsie (Mukherjee et al., 2009), de même qu’un allongement percritique du segment QT (Brotherstone et al., 2010). Cependant, ce type d’anomalies ne semble pas représenter un facteur de risque de SUDEP (Surges et al., 2009a ; Surges et al., 2009b ; Surges et al., 2010). L’incidence des asystolies ictales est estimée à 12 pour 100 patient-années sur l’ensemble des données disponibles (Scott et Fish, 2000 ; Rocamora et al., 2003 ; Rugg-Gunn et al., 2004 ; Schuele et al., 2007 ; Tomson et al., 2008). Toutes les asystolies ictales enregistrées à ce jour ont été d’une durée inférieure ou égale à 60 secondes et ont toujours été spontanément réversibles (Scott et Fish, 2000 ; Rocamora et al., 2003 ; Rugg-Gunn et al., 2004 ; Schuele et al., 2007 ; Tomson et al., 2008). La prévalence des asystolies ictales est aujourd’hui bien appréhendée. Trois études rétrospectives, réalisées dans des unités de monitoring vidéo-EEG et portant respectivement sur 589, 1 244 et 3 754 patients, ont ainsi rapporté des résultats très similaires, compris entre 2,7 et 4 asystolies ictales pour 1 000 patients enregistrés (Tomson et al., 2008). Il est intéressant de noter qu’un chiffre tout à fait comparable a été retrouvé dans le cadre d’une étude utilisant une méthodologie très différente, à savoir l’implantation d’un holter électrocardiogramme (ECG) implantable (Reveal) chez 20 patients souffrant d’une EPPR, sans antécédent cardiaque (Rugg-Gunn et al., 2004). Ces patients ont pu être ainsi monitorés en ambulatoire pendant une durée moyenne de 18 mois. Au total, trois des 20 patients ont présenté un ou plusieurs épisodes d’asystolie ictale correspondant à un risque de 16 cas pour 100 patient-années. Enfin, un certain nombre d’éléments plaident en faveur d’une souffrance myocardique ischémique percritique : d’une part, l’observation possible d’un sous-décalage du segment ST, cependant non associée à une élévation significative des enzymes cardiaques, et, d’autre part, des stigmates de fibrose sous-endocardique retrouvés lors d’examens autopsiques de patients décédés de SUDEP. Des travaux récents suggèrent que la dynamique per-/ postcritique des asystolies ictales implique un phénomène « positif » et autocontrôlé, déclenché par une décharge impliquant les structures centrales contrôlant le rythme cardiaque, suivie en cas d’asystolie prolongée d’une hypoxie cérébrale conduisant à l’arrêt de la décharge épileptique et du même coup à la reprise d’un rythme sinusal (Schuele et al., 2010). Il est donc possible que les asystolies ictales relèvent d’un mécanisme central reproduisant celui des asystolies d’origine vasovagale. Ce type d’asystolie est considéré par nos collègues cardiologues comme des troubles du rythme cardiaque bénins, spontanément résolutifs et ne représenterait pas un facteur de risque de SUDEP. Néanmoins, une étude récente de l’innervation sympathique myocardique en SPECT au MIBG, réalisée chez cinq patients ayant présenté une asystolie ictale, a retrouvé une réduction significative et pathologique de cette innervation (Kerling et al., 2009). Rôle du cortex insulaire Un certain nombre d’éléments suggère que le cortex insulaire pourrait participer au déterminisme des asystolies ictales et à la genèse des troubles de rythme ou de la conduction d’origine centrale, notamment en raison de son rôle dans la régulation des fonctions cardiovasculaires chez l’animal et chez l’homme (Oppenheimer et Cechetto, 1990 ; Oppenheimer et al., 1991 ; Oppenheimer et al., 1992), et la mise en évidence de sa compromission dans plusieurs cas d’asystolie ictale (Rocamora et al., 2003 ; Seeck et al., 2003 ; Ryvlin et al., 2006). Ainsi, la stimulation électrique de l’insula entraîne des modifications de la pression artérielle et du rythme cardiaque, probablement au travers de voies empruntant un relais au sein de l’aire hypothalamique latérale. On note aussi des connections réciproques entre le cortex insulaire et le noyau du tractus solitaire, relais des afférences et des efférences du nerf vague. En l’occurrence, les travaux expérimentaux chez le rat ont permis de produire de manière reproductible des arythmies myocardiques d’origine épileptique à partir de décharges provoquées dans les structures hypothalamiques et du tronc cérébral. De la même En l’absence de certitude quant au caractère nécessairement résolutif des asystolies ictales, la règle a été, jusqu’à présent, de proposer l’implantation d’un pacemaker aux patients présentant de tels troubles. Il s’agit clairement d’un principe de précaution susceptible d’être revu dans le futur, sur la base de nouvelles données. Cependant, lorsque l’asystolie ictale est responsable de chutes traumatisantes, il apparaît justifié de proposer un pacemaker dans le but premier d’agir sur cette composante symptomatique des crises d’épilepsie. 219 Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 A. Montavont, et al. ciant d’un monitoring vidéo-EEG dans le cadre du bilan préchirurgical de leur EPPR (Nashef et al., 1996 ; Bateman et al., 2008). Il s’agissait dans ce cas d’étudier l’ensemble des apnées survenant lors des crises d’épilepsie, et non pas exclusivement celles responsables d’une détresse respiratoire aiguë (la détresse traduisant la durée et le caractère spontanément réversible ou non du processus). Ces travaux, fondés sur l’enregistrement des paramètres respiratoires, notamment l’oxymétrie de pouls, indiquent que deux tiers des patients vont présenter une apnée critique à l’occasion de leur monitoring vidéo-EEG (Nashef et al., 1996 ; Bateman et al., 2008). Ces apnées surviennent lors d’une crise sur trois, qu’elle soit secondairement généralisée ou strictement partielle, et peuvent être responsables d’une désaturation en oxygène pouvant atteindre 50 % (Bateman et al., 2008). Des résultats équivalents ont été récemment rapportés chez l’enfant (Moseley et al., 2010). manière, des microstimulations phasiques de l’insula postérieure chez le rat, déclenchées à partir de l’onde R de l’ECG, peuvent entraîner une asystolie et le décès de l’animal. Les structures amygdaliennes et hippocampiques sont, elles aussi, susceptibles d’entraîner des troubles cardiovasculaires à l’occasion d’une décharge épileptique chez le rat et le singe. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Détresse respiratoire per-/postcritique La détresse respiratoire aiguë peut être de nature obstructive, liée par exemple à la compression externe de la trachée ou à l’obstruction des voies aériennes supérieures lors de la phase de confusion postcritique, mais est aussi susceptible d’admettre une origine centrale, par épuisement postcritique des structures du tronc cérébral régulant la respiration ou libération massive d’opioïdes endogènes. Une majorité de données suggère que la survenue d’une détresse respiratoire aiguë joue un rôle déterminant dans la survenue des SUDEP. Les témoins de SUDEP relatent fréquemment la survenue d’une telle détresse respiratoire dans les minutes ayant précédé le décès (Nashef et al., 1998 ; Langan et al., 2000). Quelques rares cas de SUDEP survenus en cours de monitoring, ainsi que de near-SUDEP – c’est-à-dire d’arrêt cardiorespiratoire postictal prolongé ayant nécessité une procédure de réanimation active pour sauver le patient – se sont avérés être en rapport avec un trouble primitivement respiratoire (Thomas, 1996 ; So et al., 2000 ; Tavee et Morris, 2008, Tomson et al., 2008 ; Pezzella et al., 2009 ; Bateman et al., 2010). Sur l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc très probable que les apnées per-/postcritiques puissent être à l’origine d’une proportion importante de SUDEP. Cependant, la question de savoir si la survenue et la sévérité d’une apnée critique, telle qu’elle peut être évaluée lors du monitoring vidéo-EEG, représente un facteur de risque significatif de SUDEP, reste posée. Cessation primitive de l’activité cérébrale Chez l’homme, six incidents de type SUDEP ou near-SUDEP (à savoir un arrêt cardiorespiratoire prolongé, réversible grâce à des mesures de réanimation, mais dont on suppose qu’il aurait été fatal en l’absence d’intervention) sont intervenus, alors que le sujet bénéficiait d’un monitoring (Tomson et al., 2008). Les informations disponibles, permettant de juger de la séquence des événements pathologiques, varient cependant d’un sujet à l’autre (EEG de scalp ou EEG intracérébrale, vidéo, ECG ou artéfact de pouls, respiration). Pour trois des quatre cas de SUDEP, l’anomalie considérée comme primitive fut l’apparition d’un tracé de mort cérébrale laissant persister pendant de nombreuses minutes un artéfact de pouls, et sans signe EEG préalable d’hypoxie, suggérant la persistance d’une respiration. Cependant, cette interprétation reste sujette à caution, et il nous apparaît tout à fait envisageable que le tracé plat soit la résultante combinée d’une dépression EEG postcritique sévère combinée à une apnée centrale non détectée sur la vidéo. Par ailleurs, on relève fréquemment que les patients décédés de SUDEP, typiquement alors qu’ils se trouvaient seuls la nuit dans leur lit, sont retrouvés le visage dans l’oreiller et présentent une congestion pulmonaire à l’examen anatomopathologique, deux éléments suggérant un mécanisme de suffocation postcritique (Kloster et Engelskjon, 1999). Enfin, deux modèles animaux de SUDEP, l’un chez le mouton, l’autre chez les souris DBA/2 atteints de crises audiogènes, démontrent le rôle primitif d’une apnée à l’origine du décès (Johnston et al., 1995 ; Johnston et al., 1997 ; Venit et al., 2004 ; Tupal et Faingold, 2006). La survenue d’une détresse respiratoire aiguë lors d’une crise d’épilepsie apparaît donc avant tout en rapport avec des apnées répondant à l’un des mécanismes suivants : – apnée centrale susceptible de refléter l’envahissement par la décharge épileptique des centres de contrôles corticaux ou sous-corticaux de la respiration ou encore la libération excessive d’opiacés endogènes en vue d’interrompre la décharge épileptique ; – apnée obstructive liée à un spasme tonique critique laryngé, à un encombrement trachéal massif postcritique ou à une obstruction exogène des voies respiratoires (tête dans l’oreiller, contention du cou). Conclusion On retient de l’ensemble de ces données que plusieurs mécanismes physiopathologiques peuvent rendre compte des SUDEP. Le mécanisme prépondérant correspond plus, à l’heure actuelle, à une détresse respiratoire aiguë endogène ou exogène qu’à un trouble du rythme ou de la conduction cardiaque. □ Deux études ont permis d’étudier la fréquence et la nature des apnées critiques et postcritiques chez des patients bénéfi- Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010 Conflit d’intérêts : aucun. 220 Les troubles du rythme cardiaque et SUDEP Persson H, Kumlien E, Ericson M, Tomson T. Preoperative heart rate variability in relation to surgery outcome in refractory epilepsy. Neurology 2005 ; 65 : 1021-5. Références Aurlien D, Tauboll E, Gjerstad L. Lamotrigine in idiopathic epilepsyincreased risk of cardiac death? Acta Neurol Scand 2007 ; 115 : 199-203. Persson H, Kumlien E, Ericson M, Tomson T. No apparent effect of surgery for temporal lobe epilepsy on heart rate variability. Epilepsy Res 2006 ; 70 : 127-32. Bateman LM, Li CS, Seyal M. 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