Gérard Escher Le génie génétique Pour un soutien critique Ce numéro spécial 1339-1340 a été réalisé avec la collaboration de Jean-Daniel Delley, André Gavillet, Claude Pahud et Géraldine Savary Rédacteur responsable : Jean-Daniel Delley Ont collaboré à ce numéro : Gérard Escher André Gavillet Françoise Gavillet Pierre Imhof Claude Pahud Géraldine Savary Secrétariat : Murielle Gay-Crosier Administrateur délégué : Luc Thévenoz Impression : Imprimerie des Arts et Métiers SA, Renens Abonnement annuel : 85 francs Étudiants, apprentis : 60 francs Domaine Public - Hebdomadaire romand Rue Saint-Pierre 1 - Case postale 2612 1002 Lausanne Tél. Fax E-mail CCP 021/312.69.10 021/312.80.40 [email protected] 10-15527-9 Compris dans l'abonnement à Domaine Public, ce numéro double 1339-1340 peut également être obtenu auprès de la rédaction, au prix de 12 francs plus les frais de port. Contre l'optimisme béat et l'obscurantisme D Domaine Public propose régulièrement à ses lecteurs des informations et des réflexions sur le thème controversé du génie génétique. Actuellement la campagne en vue de la votation du 7 juin prochain bat son plein. Avec son lot d'arguments à l'emporte-pièce, où les terribles simplifications le disputent à l'exploitation sans vergogne de nos angoisses existentielles. Qu'ajouter encore à ce débat? nous sommes-nous demandés. EPUIS PLUSIEURS ANNÉES, À la relecture, les articles parus sur ce thème dans nos colonnes au cours des cinq dernières années nous ont semblé toujours pertinents. D'abord savoir de quoi l'on parle! Nous avons défini les termes, décrit les découvertes et les expériences réalisées dans ce domaine, sans en taire les risques et les échecs. Mais comprendre le génie génétique ne suffit pas. Encore faut-il en saisir les enjeux: quels sont les dangers et les espoirs suscités par cette discipline pour la santé des humains, pour le développement économique et la juste distribution de ses fruits? Nous avons suivi et commenté pas à pas les efforts législatifs déployés pour piqueter le parcours rapide du génie génétique. Cette brochure est le fruit d'une sélection de ces articles, repris tels quels ou abrégés, parfois mis à jour. Quelle que soit l'issue de la votation sur l'initiative pour la protection génétique, ce débat se poursuivra. Déjà certains des partisans de cette initiative craignent leur victoire puisqu'ils annoncent le nécessaire assouplissement des interdictions qu'elle exige. Si l'initiative est rejetée, il faudra bien compléter et adapter un dispositif légal encore trop lacunaire. La date du 7 juin 1998 ne rendra donc en aucun cas cette brochure périmée. N ous AVONS ACCUEILLI avec méfiance l'initiative populaire de l'Appel de Bâle. Non pas que nous soyons de ceux qui, optimistes béats, applaudissent sans réserve aux découvertes scientifiques et aux technologies nouvelles. Cet aveuglement nous déplaît tout autant que celui des initiants qui croient résoudre un problème de cette envergure par interdit constitutionnel. La curiosité humaine et le génie génétique ne connaissent pas les frontières. Si nous leur faisons la vie dure ici, ils se développeront ailleurs. Aurons-nous pour autant les mains propres? Certes nous regrettons que le Parlement n'ait pas cru bon d'opposer un contre-projet à cette initiative et de mettre sous toit une législation plus complète avant la votation populaire. Mais on ne fait pas de bonne politique en réagissant par dépit. Fondamentalement, c'est l'esprit présidant à ce type d'initiative auquel nous ne pouvons adhérer. Cette manière de verrouiller un problème en croyant le résoudre révèle à la fois un idéalisme prétentieux, un isolationnisme dangereux et une démission politique. La Suisse dispose de chercheurs de premier plan et d'entreprises de pointe dans le domaine du génie génétique. Son devoir consiste donc non pas à brader ce précieux capital, mais à définir les conditions de son exploitation. C'est là une tâche politique, jamais achevée, plus exigeante certes que la diabolisation du génie génétique, mais seule conforme à la raison démocratique. - 1 - Les développements scientifiques et commerciaux ! Gènes et génomes I qui désire obtenir des tomates jaunes. Il lui est déjà possible, par croisements successifs choisis dans une espèce très voisine - par exemple des tomates jaunâtres sauvages -, de modifier le répertoire génétique des tomates cultivées jusqu'à réaliser l'effet désiré. Dans ce sens, cette tomate, en fait l'immense majorité des plantes cultivées et des animaux domestiques, sont des organismes génétiquement modifiés, des êtres qui n'existaient pas dans la nature avant l'intervention de l'homme. Ce n'est pas de ces organismes que l'on débat. MAGINONS UN PRODUCTEUR Le producteur, s'il veut une tomate jaune, peut recourir au génie génétique et prélever ce trait «jaune» sous forme de séquence d'ADN sur toute espèce vivante: le jaune d'un citron, celui d'une jonquille ou des ailes d'un papillon, à condition bien sûr que le «gène jaune» ait été identifié dans ces espèces. La tomate ainsi obtenue sera «transgénique» une tomate toujours, mais avec un trait - le jaune pimpant - provenant d'une autre espèce. Le génie génétique permet donc d'obtenir des plantes ou des animaux que ni la nature ni les croisements traditionnels n'auraient pu réaliser. Tout en utilisant l'expression «organisme génétiquement modifié» (OGM), les promoteurs de l'initiative pour la protection génétique déclarent que celle-ci ne porte que sur les «organismes génétiquement modifiés par génie génétique». Le génome humain Quel grand projet «géographique», devisé à trois milliards de francs et d'une durée de quinze ans, sera finalement réalisé avant les délais et à un coût inférieur à deux milliards? Non, il ne s'agit pas des NLFA mais du «Human Génome Project», l'ambitieux projet mis sur pied pour déchiffrer lettre par lettre les chromosomes humains. Au début, le monde politique était plus enthousiaste que les scientifiques: séquencer le génome humain constituait un projet aussi évident qu'aller sur la lune; mais on ne trouvait pas de biologistes prêts à accomplir ce travail anonyme, alors qu'il était déjà possible d'étudier des gènes individuels qui pourraient leur apporter la gloire. Au lieu de construire un grand complexe industriel de séquençage, on eut donc l'idée de confier des contrats à de petits groupes en compétition, avec des objectifs progressifs: d'abord on établirait la carte des chromosomes et l'on démontrerait la faisabilité du séquençage total sur de petits organismes, puis on développerait l'automatisation du processus et le séquençage proprement dit. Moins de cinq ans après les premiers balbutiements, - 3 - - DOMAINE PUBLIC - les premiers objectifs auraient dû être atteints. Genèse des travaux Les cartes d'abord. L'équipe-phare du Centre du polymorphisme humain de Daniel Cohen a produit à ce jour une carte qui couvre probablement 75% du génome, à basse résolution (en moyenne, les poteaux indicateurs sont distants de plus d'un million de bases d'ADN). Des cartes dites de seconde génération apparaissent rapidement (résolution environ cinq fois supérieure). Mais les cartes intégrées, qui contiennent à la fois les poteaux indicateurs et les gènes connus, sont encore de la musique d'avenir - proche. 5% des femmes. Parmi celles-ci, une sur vingt manifeste une mutation dans le gène BCRA1; parmi les femmes qui ont une altération dans ce gène, le risque de développer le cancer est de plus de 80%. Les mutations de ce gène sont tellement tortueuses qu'elles sont mises à jour interactivement sur Internet. Au fur et à mesure que l'on découvre ces gènes de risque, parviendrons-nous à éviter que l'on discrimine, au niveau des assurances maladie par exemple, les personnes qui, au vu de leur bagage génétique désormais explicite, risquent de coûter cher? Progrès de la thérapie génique Face aux mutations entraînant des malaLes organismes modèles ensuite. Le dies, il y a possibilité de correction par thé28 juillet 1995, la revue Science annonce rapie génique. Alors que les essais foisonque, pour la première fois, le génome d'un nent (plus de 500 essais en cours aux organisme vivant et autonome, capable de États-Unis), il n'y a à l'heure actuelle aucuse nourrir et de se reproduire, a été complène guérison enregistrée par thérapie gétement déterminé. Il s'agit d'une humble nique. Le problème majeur réside dans l'efbactérie Hemophiliis influenzae, variante la- ficacité du transfert du «bon» gène dans la boratoire, dont les cousins pathogéniques cellule malade. Seules 5% des cellules que provoquent méningites et otites. Le génome l'on voulait modifier le sont, avec des effets du microbe s'étale sur 1800000 bases positifs (s'ils existent) extrêmement vad'ADN (soit 1/400 de celui de l'homme), et riables. comporte 1743 gènes (80000 à 100000 chez D'autre part, l'homme n'est malheureusel'homme). 736 de ces gènes sont nouveaux, ment pas qu'une grosse souris, et les essais ce qui nous vaudra autant de publications qui, chez l'animal, faisaient régresser cersans doute. L'enthousiasme des patrons de taines tumeurs ont été négatifs chez l'homla «big science» se comprend: c'est une peme. Par ailleurs, un traitement génique peut tite équipe qui a séquence ce génome comêtre toxique pour un patient à des doses plet - ils sont tout de même quarante aumille fois inférieures à celles qui, chez l'aniteurs - pour un coût inférieur à 50 cents par mal, n'avaient pas encore d'effets dangereux. base. Séquencer tout le génome humain est Mais au bout du projet du génome humain, désormais faisable. il y aurait 80000 à 100000 gènes candidats potentiels à la thérapie génique! Le dévelopLes chercheurs n'attendent pas bien sûr pement d'un être humain est guidé par la détermination complète du génome hu750 millions de lettres d'ADN; le tout tiendra main pour s'intéresser à un gène précis; sous forme banale de séquences ACGT sur ainsi du gène BCRA1, de fonction inconnue un seul CD. «Tout l'homme sur CD»: le camais dont l'altération augmente le risque de deau pourrait être prêt pour Noël 2005. cancer du sein. Ce cancer touche environ - 4 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - •Une technique encore adolescente 1 983 VIT LA première plante transgénique au sens moderne, c'est-à-dire une plante ayant incorporé dans son génome un gène d'une autre espèce; en l'occurrence, le planton de tabac avait incorporé le gène de l'alcool déhydrogénase de la levure (ce qui ne lui était d'ailleurs d'aucune utilité). Quatorze ans plus tard, plus d'une vingtaine de variétés transgéniques sont déjà commercialisées et rien que pour l'Union Européenne, il y a plus de deux mille projets de transformations de plantes. Ce développement extraordinaire nous empêche peutêtre de rester attentif au fait que les promesses de cette technologie sont encore celles de sa jeunesse et de son immaturité. À y regarder de plus près, la jeunesse - ou l'immaturité - de la technique transparaît, au niveau de l'insertion du gène, de la sélection des cellules transgéniques, de la stabilité des caractères. Pour insérer un gène désiré dans des cellules végétales dissociées - on ne peut transformer une plante différenciée - on utilise essentiellement les capacités étonnantes d'un microbe naturel modifié pour la circonstance, Agrobacterium tumefaciens, qui, exemple rarissime, transfère une partie de son ADN dans les chromosomes de la plante lors de l'infection; les producteurs de plantes transgéniques ne manqueront pas de relever qu'au fond ils ne font que copier la nature; mais le transfert de matériel génétique d'une bactérie vers un organisme multicellulaire est tout à fait exceptionnel; l'agrobacterium d'ailleurs ne transférait qu'un seul gène utile à sa croissance. Plus récemment, on sait aussi bombarder les cellules avec des particules d'or recouvertes de l'ADN du gène à insérer. Mais dans les deux cas, on ne peut pas «diriger» l'insertion du gène, qui s'installera au hasard dans le génome de la plante réceptrice. Dans le pire des cas, un gène important de la plante sera inactivé. On ne peut pas non plus contrôler le nombre de copies insérées de ce gène, nombre variable par cellule. Comme un grand nombre de cellules n'intégrera aucune copie, il faudra sélectionner les cellules transformées. Dans ce but, au gène «utile» que l'on veut insérer dans la plante, il faut adjoindre en tandem un gène «marqueur» (souvent un gène qui confère à la cellule une résistance à un antibiotique); puis on élève les plantons dans un milieu qui contient cet antibiotique - seules les cellules transgéniques survivront. Mais la résistance à l'antibiotique restera insérée dans le patrimoine génétique de la plante, même au moment de la mise en culture commerciale. Finalement, lorsqu'une plante adulte, fertile, est dérivée des cellules transformées, on ne sait pas contrôler (ou garantir) le niveau d'expression du nouveau gène. C'est assurément un problème quand le trait transgénique est une résistance à un ravageur (cas du coton Bt®); l'étude de la stabilité d'une plante transgénique prend du temps et doit être faite dans des conditions réalistes; ces études se heurtent à la fois à l'opposition d'organisations écologistes pour des expériences en plein champ et à la pression des firmes agro-industrielles pour rentabiliser le plus rapidement possible les énormes investissements consentis. En dehors d'intérêts commerciaux évidents - la même firme produisant l'herbicide et la plante résistant à cet herbicide - la vogue des plantes transgéniques résistant à un herbicide précis s'explique simplement par le fait «qu'on sait le faire». En effet, ces résistances sont simples, elles sont conférées par un seul gène et sont plus faciles à réaliser. Si l'on veut créer une plante alimentaire résistant à la sécheresse, à la salinité, aux nuits fraîches, ou un blé qui fixerait l'azote du sol, on touche à des traits multigéniques. Ces transformations multiples, on ne sait pas les faire. On aimerait aussi pouvoir contrôler ces gènes insérés, par exemple exprimer les résistances seulement en cas de présence de ravageurs, et diriger l'expression aux parties concernées de la plante (exemple fictif: seuls les bourgeons exprimeraient l'arsenal génétique antigel). - 5 - - DOMAINE PUBLIC - •Premières applications: coton de couleur, colza, tomate L ES PLANTEURS INDUSTRIELS d e COtOn SOnt ennuyés par l'incapacité de cette plante à produire des fibres d'une autre couleur que le blanc naturel. De multiples essais - reprenant des connaissances traditionnelles - ont bien produit du coton aux fibres brunes ou vertes mais le rendement était très bas; et quand le rendement était bon, alors la couleur évoquait, au mieux, des bancs de brouillard matinaux. Mais fin juillet 1996, l'Office américain des brevets accorde le brevet US 5530185 à la compagnie californienne Calgene (rachetée par le géant Monsanto); et celle-ci d'annoncer du coton transgénique brun, bleu et noir dans les magasins pour 1999 (le rouge suivrait peu après). Le coton, c'est en fait les soies qui recouvrent les graines; il fait partie de l'appareil sexuel de la plante. Pour que la plante transgénique ne soit modifiée que dans la partie voulue, il faut s'assurer de posséder, en plus du gène qui modifierait la couleur, un élément de contrôle qui restreigne l'expression de la nouvelle couleur dans les cellules sexuelles de la plante. La maîtrise de ces éléments de contrôle, appelés promoteurs, constitue un domaine majeur de la recherche fondamentale - elle est essentielle à l'ère transgénique. Ici le promoteur (breveté) est un élément (appelé pZ), qui dans la tomate par exemple est spécifique aux cellules ovariennes. Pour la couleur, on prend (si on désire des tons bruns et noirs) le gène de la mélanine qui colore aussi nos peaux humaines. Sauf accident commercial, nous verrons bientôt des champs de coton multicolore rendant inutile les colorants et dont les couleurs ne partiront pas au lavage. On peut imaginer quelques risques de santé, tels qu'allergies aux protéines couleurs introduites. Pour la mélanine nous savons que cette allergie ne frappe que l'extrême-droite. Plus préoccupante est l'évolution des rapports entre les agriculteurs et les producteurs de graines. Dans le cas présent du coton- couleur, Calgene ne vend pas la graine, mais la prête (procédé appelé «identity-preserved production»). Les paysans seront payés pour planter le coton transgénique puis Calgene reprendra les balles de coton pour les vendre elle-même à l'industrie textile. Les producteurs deviennent des métayers, bien payés, semble-t-il, dans le cas présent. Le colza transgénique s'éparpille La recherche publique centrée sur les risques de dissémination de plantes transgéniques est infinitésimale comparée aux énormes investissements des firmes agro-industrielles. Mais quand ces études sur le comportement des plantes transgéniques en conditions normales de culture viennent à être publiées, elles nous réservent quelques surprises. Deux de ces rapports, traitant du colza, ont été publiés dans le magazine Nature (7 et 14 mars 1996) mais dans une rubrique «Scientific correspondence», indiquant que l'article n'a pas suivi l'évaluation normale par experts. La première équipe montra que, en conditions d'agriculture commerciale, le pollen du colza (transgénique ou non) voyage régulièrement sur des distances de 1,5 à 2,5 km, à faible densité il est vrai. La question se pose alors du comportement, loin du champ initial, de ce pollen. Dans le cas présent, le colza transgénique est un colza qui a été rendu résistant à un herbicide particulier, le Basta (techniquement, ce colza est «tolérant à la glufosinate»). Aussi longtemps que les paysans utiliseront la faux pour le contrôle de la croissance, la plante transgénique n'a pas d'avantage sélectif sur les autres. Dans le seul cas où l'utilisation d'herbicide se généraliserait, remplaçant la faux, les plantes transgéniques, plus précisément les hybrides entre un pollen transgénique venu de loin et une plante «sauvage», auraient un avantage et occuperaient rapidement le lieu de culture. - 6 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - La deuxième étude, de prime abord plus inquiétante, exploite le fait que le colza utile (Brassica napus) possède un cousin qui est une mauvaise herbe (Brassica campestris), qui hybridise spontanément; le transfert du gène de la résistance du colza à la mauvaise herbe est donc possible. Pire encore: à la surprise des chercheurs, ces hybrides n'étaient pas stériles mais capables de se croiser avec la Brassica campestris; ainsi, après deux saisons seulement, il y a dans des champs des mauvaises herbes transgéniques, fertiles et résistantes à un herbicide. La seule solution est-elle alors d'interdire la dissémination des plantes transgéniques? Si, ici, la condition de la dissémination est l'existence naturelle d'un cousin mauvaise herbe, d'autres cultures, telles le maïs et les patates, n'ont pas, en Europe du moins, de parenté dans les mauvaises herbes. De plus, la plupart des hybrides connus sont stériles. Le jugement au cas par cas s'impose donc. II est refusé par l'initiative, mais préconisé dans l'avant-projet GenLex. Le coton Bt® et Roundup Ready® se défend mal Lors de la première saison commerciale du coton Bt® - coton où une protéine antichenilles produite normalement par une bactérie a été introduite -, les chenilles ont attaqué un nombre important de champs. Pourquoi? Les raisons en sont encore disputées: était-ce une année exceptionnellement riche en chenilles, comme l'affirme Monsanto, ou, et c'est plus probable, les tests en plein champ avaient-ils été bâclés La belle tomate qui ne vieillit pas Au printemps 1994, une nouvelle tomate est annoncée en grande pompe au monde entier: la «Flavr Savr®, tomate transgénique dont la maturation a été ralentie. Elle peut être cueillie plus mûre, être transportée et arriver encore belle au supermarché. Qu'avait-elle donc de si spécial, cette Flavr Savr? Pour la tomate comme pour l'être humain, le vieillissement est à la fois une maturation souhaitée et un ramollissement maudit. Pourrait-on dissocier les deux processus? Lorsque la tomate vieillit, elle détruit activement les parois qui entourent ses cellules; le gène de l'enzyme responsable, la polygalactorunase (PAG), est connu, tout comme la partie régulatrice (promoteur) de ce gène, c'est-à-dire la séquence d'ADN qui est utilisée pour enclencher/déclencher l'utilisation de la PAG. Les scientifiques ont alors construit l'entité biologique suivante: le promoteur du gène de la polygalactorunase, puis la séquence inverse (anti-sense, en jargon), et deux séquences conférant la résistance à deux antibiotiques. Seules les cellules qui ont incorporé cette séquence après injection dans leur ADN survivent aux deux antibiotiques; ces cellules donnent naissance au planton transgénique. Lorsque le fruit mûrit, il va transcrire à la fois le message pour faire l'enzyme PAG, et celui qui lui est contraire; les deux messages vont se neutraliser, et la tomate, faute de détruire les parois cellulaires, restera ferme. Jusqu'ici, les tomates étaient cueillies vertes, et vieillies à l'éthylène après transport; le traitement confère une belle couleur, mais ne mûrit pas le goût; avec Flavr Savr, on peut garder la tomate beaucoup plus longtemps sur le plant et la cueillir rouge, épanouie et résistante à la pression. Trois ans après, c'est en vain que vous chercherez la belle Flavr Savr sur les rayons des supermarchés, américains ou autres. Calgene, entre temps rachetée par Monsanto, se borne présentement à produire des Flavr Savr pour purée, autorisées hors États-Unis en Angleterre où le distributeur Safeway prétend connaître un bon succès: deux consommateurs sur trois utiliseraient cette purée-là (les boîtes porteraient le label OGM). Mais de tomates entières, point. Explication: d'une part, on n'a pas réussi à la cultiver avec des rendements suffisants, et d'autre part, les tomates arrivaient trop fréquemment en parée aux rayons des supermarchés, probablement parce que le gène «ralentisseur» introduit ne s'était pas correctement exprimé. - 7 - - DOMAINE PUBLIC - avant la commercialisation, comme semblent l'indiquer certains scientifiques ayant travaillé pour la compagnie? Première saison commerciale encore du coton Roundup Ready® - coton rendu résistant à un herbicide, le Roundup® (le coton et l'herbicide sont vendus par Monsanto, la résistance provient d'un gène bactérien). Or à peu près 20% des plantes transgéniques ont perdu leurs capsules fleuries de manière précoce. La cause en est encore inconnue, mais c'est une contradiction fondamentale avec le dogme du génie génétique - en tout cas appliqué aux plantes: l'on change une plante seulement ponctuellement et uniquement en rapport avec le gène introduit. Or il n'y a pas de liens de cause à effet entre la capsule et la résistance à un herbicide. Ce qui introduit un élément d'imprévisibilité et nécessiterait des tests en plein champ avant commercialisation, menée de façon plus importante et sérieuse que jusqu'à présent. Pour une excellente discussion sur la problématique des plantes transgéniques: P. Stocco, Génie génétique et environnement, Georg, Genève, 1994. •Premier bilan à propos des plantes transgéniques L ES PLANTES TRANSGÉNIQUES sont certainement l'élément du génie génétique le plus politiquement sensible: non seulement elles doivent être disséminées et peuvent représenter un danger pour l'environnement ou la biodiversité, mais elles sont souvent destinées au domaine de l'alimentaire et évoquent des risques de santé (allergies). En outre elles impliquent la création de monopoles dans lesquels les paysans seraient réduits à un statut de métayer puisqu'avec les graines transgéniques brevetées, ils perdraient leur droit de réensemencer. Trois thèmes récurrents dans notre analyse: les plantes transgéniques effrayent et sont souvent «diabolisées»; les décisions d'autorisation manquent de transparence, et enfin la qualité de la recherche avant commercialisation (études d'efficacité et de risques), menée surtout par les firmes agroindustrielles, laisse à désirer. Des procédures d'autorisation claires, des tests indépendants, des essais plus complets en plein champ (interdits d'ailleurs par l'initiative) sont plus que jamais nécessaires. Appréciation globale L'appréciation globale de cette technique est difficile. Deux citations pour illustration. Dans une réponse à un lecteur bâlois de Domaine Public, M. Georges Rossier, de Novartis, écrit: «L'adjonction d'un gène bien caractérisé, même provenant d'un organisme non apparenté, à une plante qui en contient déjà 100000 n'en change pas les caractéristiques de base. Une plante de maïs génétiquement modifié reste une plante de maïs. Le génie génétique est donc un moyen d'atteindre le but poursuivi de façon beaucoup plus ciblée qu'avec la sélection traditionnelle». Urs R. Joss, {Basler Zeitung du 25 avril 97), biologiste transfuge de CibaGeigy, s'interroge sur cette conception: «Au lieu d'argumenter que les plantes transgéniques sont sans problème parce qu'elles n'ont été modifiées qu'en un seul point, on pourrait aussi souligner la puissance de ce génome, puisqu'une modification ponctuelle peut produire du soja résistant à l'herbicide, et du riz et des pommes de terre résistant aux ravageurs!» Le laboratoire en plein champ: catalogue des risques Il est clair aussi que le chercheur, être de laboratoire, travaille soudain dans un milieu beaucoup moins contrôlable quand les essais ont lieu dans la nature. La prudence s'impose donc. Le risque majeur pour l'en- - 8 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - vironnement imputé aux plantes transgéniques est celui du transfert horizontal: puisqu'une séquence d'ADN a pu être insérée dans le génome hôte, pourquoi ne pourrait-elle pas en être rejetée plus tard, puis transférée dans la mauvaise herbe d'à côté? Le biologiste est convaincu de ne faire qu'une imitation des processus naturels; les échanges d'ADN sont pratiqués depuis l'avènement de la vie sur terre et constituent même un de nos passe-temps favoris. Malgré le nombre considérable de variétés obtenues par les procédés classiques, aucun transfert de propriétés n'a jamais été rapporté. Le risque de transfert horizontal est probablement minime. On évoque aussi un risque pour la santé, qui peut provenir de deux sources: Pour sélectionner les plantons transgéniques, on a recours à des gènes conférant la résistance à des antibiotiques; ceci génère une peur infondée sur des possibilités de transfert de ce gène (en réalité dissous comme le reste de la plante par les sucs gastriques) aux bactéries présentes dans notre corps. Au moment de la construction de la plante transgénique, l'insertion du gène se fait au hasard, et peut donc interrompre un autre gène et ainsi créer des effets indésirables (dépistables par des essais rigoureux). Mais les vrais risques viennent plutôt de l'efficacité des plantes transgéniques. Si une plante transgénique trouve grâce auprès des consommateurs, elle éliminera d'autres variétés cultivées, non pas par transfert horizontal de gènes, mais sous la contrainte des lois du marché; si elle est brevetée, l'agriculteur sera obligé d'acheter les semences chaque année (le replantage/repiquage sera probablement interdit). Enthousiasme et panique Trente-cinq plantes transgéniques ont été approuvées pour commercialisation de 1994 à 1997. Bien sûr, question surfaces plantées, c'est encore modeste: six millions d'hectares de plantations transgéniques en 1997. Pour le maïs, par exemple, sur les trente-deux millions d'hectares plantés aux États-Unis, moins de trois millions d'hectares le sont en maïs transgénique (provenant essentiellement de Novartis et de Monsanto). Curieusement, c'est l'Argentine (avec 1,5 million d'hectares, de soja surtout) qui arrive en seconde place des surfaces agricoles transgéniques. En Europe, la situation est (encore?) loin d'être celle de l'acceptation joyeuse qui prévaut aux États-Unis. Ainsi, les quinze expériences (à petite échelle, mais en plein air) conduites par des universités allemandes l'an passé ont été en partie détruites par les «activistes», y compris les recherches destinées à étudier la dissémination involontaire de ces plantes. Soulignons aussi la foi qui anime les capitalistes américains: ainsi, malgré la tomate-qui-ne-pourrit-pas, le coton-résistant-auBXN (un herbicide), le colza-qui-contientdes-huiles-tropicales, et bientôt le cotoncouleur, la compagnie Calgène (filiale Monsanto) qui propose ces produits est hautement déficitaire depuis sa création. Modalités d'admission problématiques aux USA Trois agences se partagent le processus d'admission des variétés transgéniques. L'EPA (Environmental Protection Agency) vérifie si les herbicides ou pesticides contre lesquels les plantes ont été rendues résistantes sont des substances autorisées; mais elle n'évalue pas les risques associés à la plante transgénique; la FDA (Food and Drug Administration) fait une analyse abrégée du dossier sécurité fourni par les firmes; et l'USDA (United States Department of Agriculture) vient d'édicter de nouvelles règles qui auront pour effet que 99% de tous les essais plein champ pourront être entrepris sans autorisation. Pour la commercialisation, l'USDA a introduit le concept de «plantes proches parentes»: si une de ces plantes est déjà approuvée, les plantes/transgènes similaires subiront un processus d'autorisation accéléré. À l'heure où la Suisse et l'Europe cherchent un cadre légal pour le génie génétique qui ne soit pas celui de l'interdiction, il est intéressant - et inquiétant - de constater qu'aux États-Unis les premiers avatars des plantes -9 - - DOMAINE PUBLIC - transgéniques commerciales coïncident avec une dérégulation et une accélération des procédures d'admission. Des garde-fous à l'exploitation économique Les États-Unis, en assouplissant leur réglementation, favorisent leurs entreprises dans la course aux brevets et aux marchés futurs; ils mettent sous pression les autres pays technologiquement avancés qui ne pourront pas résister longtemps à leurs industriels. La concurrence conduit à des essais de plus en plus téméraires, au-delà des limites qu'exigerait l'insuffisance de données sûres au sujet de l'impact écologique de tels essais. Par ailleurs, à cette libéralisation des conditions d'expérimentation s'ajoute un vide complet en matière de responsabilité: qu'il s'agisse d'accident ou de conséquences se révélant dommageables à long terme. Il ne s'agit pas de rejeter en bloc et sans les examiner les possibilités ouvertes par la biotechnique. Brandir l'anathème, exiger moratoires et interdictions ne fera pas avancer le débat. Par contre, les autorités doivent imposer des contraintes en matière de sécu- rité, l'obligation d'investiguer en profondeur les risques encourus avant de se lancer en grandeur nature dans la culture de plantes transgéniques, une obligation qui coûtera cher mais qui fera réfléchir les producteurs. Discipliner la biotechnique, c'est aussi lui indiquer les objectifs prioritaires en matière de politique agricole et de promotion de la diversité des espèces; c'est exiger d'elle des compensations financières en faveur des pays du tiers-monde d'où proviennent la plupart des espèces végétales que nous consommons. Et c'est surtout établir des règles internationales sur la sécurité et la responsabilité pour que cesse cette dangereuse course à la déréglementation au nom d'intérêts économiques nationaux à courte vue. Mais de l'autre côté, il faut reconnaître aussi que les plantes transgéniques constituent un problème nouveau, à prendre en compte dans un cadre légal complet; en particulier, «l'acceptabilité sociale» de ces plantes, discutée dans un comité éthique national, ne devrait-elle pas être un critère de leur autorisation? Acceptabilité qui passe fondamentalement par la preuve qu'elles ne seront pas une menace - de plus - pour la biodiversité et le développement durable. -10- - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - • Les souris et les hommes S OURIS SENSIBLES AU CANCER, souris fluorescentes dans le noir, moutons produisant du lait enrichi en protéines humaines, mouches à vinaigre avec yeux ou pattes supplémentaires, têtards sans tête - et bientôt porcs humanisés pour des transplantations d'organes chez l'homme, les animaux transgéniques ont envahi nos laboratoires, nos médias et notre imaginaire. Dans ce chapitre, nous distinguerons les animaux transgéniques de laboratoire des animaux de rapport (chèvres, moutons, vaches). L'initiative pour la protection génétique interdit, absolument, les animaux transgéniques. Or, et ce n'était peut-être pas prévisible, les souris transgéniques sont devenues banales, omniprésentes et nécessaires. Conceptuellement, les souris transgéniques sont la transposition au vingtième siècle des ablations d'organes pratiquées au début de la médecine expérimentale - au lieu d'extirper le bourgeon d'une patte, on extirpe un gène impliqué dans la formation de la patte. Interdire ces petites souris handicaperait de manière irréversible la biologie dans notre pays. Quant aux animaux de rapport, qui sont «disséminés» dans la nature, ils devraient effectivement être l'objet d'un meilleur cadre légal, surtout s'ils sont destinés à l'élevage. Au début des années quatre-vingt, il devint possible d'introduire dans les chromosomes de cellules de vertébrés des séquences d'ADN exogènes. Possible mais pas facile, pour au moins deux raisons: le biologiste a peu de contrôle sur l'endroit exact où ces séquences d'ADN supplémentaires s'insèrent dans les chromosomes. Il doit donc longuement tester qu'aucun autre gène important n'a été inactivé par cette insertion; et si l'insertion - ou l'excision - est réussie, il faut encore que la modification soit transmise à la lignée germinale pour que celle-ci devienne héritable. Un travail de longue haleine donc. Communément, on peut ainsi distinguer les souris transgéniques: 1. les animaux où l'on remplace un gène par un autre (dans une souris, remplacer l'hormone de croissance par celle du rat); 2. les animaux où l'on inactive («knock out» en jargon) un gène, par exemple une protéine nécessaire au système immunitaire, rendant ainsi l'animal immuno-déficient; ces souris sont connues dans le jargon sous le nom de «souris knock-out»; 3. les animaux où l'on greffe un gène supplémentaire - un oncogène humain, par exemple, comme dans le cas de l'Oncomouse. Pourquoi des souris transgéniques? Dans les laboratoires, les souris transgéniques sont populaires pour une simple raison: dans la plupart des projets scientifiques, on connaît la séquence d'un gène bien avant la fonction de la protéine dont il est responsable. Pour découvrir cette fonction, les souris transgéniques, où ce gène est enlevé ou modifié, représentent un outil extraordinairement puissant. Si un mécanisme cellulaire est perturbé ou supprimé dans une souris transgénique, cela nous indiquera que le gène à l'étude est impliqué. En corollaire, on a besoin d'un très grand nombre de souris transgéniques différentes pour ces études - au moins une par gène: il n'est pas rare aujourd'hui qu'une publication scientifique soit basée sur l'utilisation d'une dizaine de souris transgéniques différentes. Il est vrai que les premières souris transgéniques, rapidement médiatisées (par exemple la souris géante qui avait hérité de l'hormone de croissance du rat et l'Oncomouse), maladroitement brevetées, traînent avec elles des relents de monstruosité. En vérité, les souris transgéniques ne sont pas une panacée, mais un petit outil, crucial certes, qui nous aidera à comprendre l'interaction entre l'environnement et les gènes, ce qui est et sera une des grandes interrogations de la biologie au siècle prochain. - 11 - - DOMAINE PUBLIC - Souris transgénique et cancer En 1983-1984, un groupe de chercheurs de l'Université de Harvard réussit à créer un muridé vedette, en insérant un gène de cancer humain (un «oncogène» qui développait facilement des tumeurs du sein) dans une souris. Un pur outil de recherche, mais le coût de production et de maintien d'une telle lignée (50 à 100000 dollars par an) poussa l'Université à demander une patente sur la souris, qui devint ainsi le premier animal à être breveté (en 1987 aux USA) et changea son nom en Oncomouse®; les droits exclusifs furent vendus à Dupont de Nemours. Dans la pesée des intérêts, il y a d'un côté la petite Oncomouse® qui développera certainement un cancer du sein et en souffrira, et de l'autre, l'avantage de pouvoir tester traitements et substances chimiques cancérigènes sur une souris plutôt que sur des femmes; l'avantage de disposer d'une telle souris est évident lorsqu'il s'agit d'étudier l'efficacité de substances nouvellement produites. Avec le recul, on sait que ce modèle ne fut pas un grand succès commercial pour Dupont de Nemours, et que l'approche du cancer par un seul oncogène ne peut être qu'une toute première étape. Souris transgéniques et encéphalopathie spongiforme Les prions, ces formes anormales d'une protéine normale présente chez tous les mammifères, causent peut-être la maladie de la vache folle. Une souris transgénique «knock out», sans le gène pour la protéine cellulaire normale du prion, a été créée; ces souris sont un bon modèle pour étudier le rôle - encore inconnu - du «prion normal», et l'infectiosité de prions apportés de l'extérieur. Cette souris sans prion cellulaire présente, et ce fut une surprise, un cycle circadien (rythme journalier) légèrement allongé par rapport à une souris normale ce qui a pu entraîner les chercheurs sur la piste de la fonction normale de la protéine prion. D'autre part, ces mêmes souris ne pouvaient plus être infectées par l'agent de la vache folle: il faut donc un «bon» prion propre à soi pour que le prion muté soit efficace. Plus récemment, toute une batterie de souris transgéniques, à qui il manquait à chacune un type de globule blanc (les lymphocytes) a été utilisée; le prion, efficace s'il était inoculé directement dans le cerveau au laboratoire, devait normalement utiliser la voie sanguine pour l'infection. Le type de lymphocyte nécessaire à l'infection a été ainsi déterminé, ce qui ouvre la voie, encore longue, à un traitement de la maladie. Souris transgéniques et compréhension du système nerveux Les souris transgéniques permettent la dissection des effets des neurotransmetteurs, ces molécules sécrétées par des cellules nerveuses et qui transmettent l'activité. Les principaux sont le glutamate (excitateur) et le GABA (inhibiteur), puis la sérotonine et la dopamine (effets complexes). Ainsi d'une souris transgénique privée de l'enzyme (MAOA) qui dégrade la sérotonine: petite, elle recule au lieu de tourner; adolescente, elle est peureuse, court partout et mord l'expérimentateur; adulte, les mâles ont des comportements sexuels inappropriés (sic!), empoignent une femelle non réceptive et la font couiner en moyenne 113 fois (± 20) par demi-heure. Ailleurs, les souris mâles privées d'un récepteur (5HT1B) à cette même sérotonine n'attendent que 80 secondes pour attaquer un intrus (au lieu des 160 secondes d'un individu non mutant). Les souris dépourvues d'un transporteur de dopamine (le transporteur rapatrie la dopamine sécrétée) deviennent indifférentes à la cocaïne et aux amphétamines, et souffrent d'hyperactivité locomotrice. À l'exception de la célèbre Oncomouse®, peu de souris transgéniques ont été brevetées. Autre exemple de souris avec brevet américain (à l'avenir commercial peut-être prometteur): la HuMab-Mouse® de GenPharm, souris manipulée pour produire des anticorps humains. Le souci principal des chercheurs qui créent des souris transgéniques n'est pas le brevet mais la recherche de solutions financièrement intéressantes pour le maintien de ces colonies. Ainsi, les Jackson Laboratories (USA) maintiennent «sans but lucratif» une grande banque de souris transgéniques, accessibles aux chercheurs du monde entier. - 12 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - •Animaux de rapport: veaux, moutons, saumons N ÉTÉ, les populations du bord de l'eau s'intéressent aux décolletés plongeants. Ce phénomène entraîne, vers la fin août, une élévation générale du taux de testostérone, bénéfique pour la reproduction de notre espèce. Mais une minorité voit dans la glande mammaire un bioréacteur capable de produire des protéines utiles. E des emphysèmes. Un litre de son lait vaut mille francs. Elle peut en produire 700 par an; on ne la verra donc pas sur nos alpages, mais elle broutera derrière des barrières électrifiées. Dans le troupeau de son propriétaire, PPL Therapeutics, il y a 200 moutons transgéniques (et 2300 moutons normaux, pour dérouter les militants des mouvements opposés à ces recherches). La glande mammaire est un bioréacteur Autre mammifère transgénique, dont on a peu de nouvelles: Herman (né en décembre 1990; propriétaire: le Hollandais Pharming BV) et ses descendantes qui doivent sécréter dans leur lait de la lactoferrine humaine, à rajouter au «lait maternel» en poudre. La commercialisation de la lactoferrine faisait craindre une reprise de la publicité dans le tiers-monde pour les avantages du lait en poudre; mais annoncée pour 1996, elle n'a pas (encore?) eu lieu. Imaginez des chercheurs occupés à traire des souris et des rats... Au début des années quatre-vingt, on caractérisa une nouvelle protéine du lait de rongeurs, la whey acidic protein, WAP. Question simple: comment se fait-il que cette protéine apparaisse dans le lait et non ailleurs? Tout près de l'AND qui code pour cette protéine, il y a une séquence régulatrice (elle-même de l'ADN), que les biologistes appellent le «promoteur» du gène WAP. Ce promoteur, semblable à un interrupteur, réagit à l'hormone de la lactation, la prolactine. Il suffit alors de bricoler une nouvelle séquence d'ADN, comportant d'un côté le promoteur du gène WAP et de l'autre l'ADN codant d'une protéine choisie (par exemple l'hormone de croissance humaine) pour que, par micro-injection dans un oocyte, on réussisse à créer un mammifère transgénique qui aura inclus cette séquence dans son oocyte d'abord, puis dans toutes les cellules du corps de l'animal; il pourra donc la transmettre à sa descendance, mais seuls les tissus répondant à la prolactine (en clair, la glande mammaire) utiliseront cette séquence et produiront la nouvelle protéine. La glande mammaire comme bioréacteur est née, en 1987. Moutons et vaches Tracy naquit en 1990, en Ecosse, premier mouton transgénique à produire dans son lait une protéine humaine, l'alpha 1-antitrypsine humaine utilisée dans le traitement En dehors du choc moral que ces animaux provoquent (des vaches produisant du lait humain!), ils ne paraissent pas pouvoir créer un désastre écologique. Ils ne sont pas non plus une panacée; la production de protéines humaines par cette voie restera chère et confinée dans des élevages de haute sécurité; de nombreux problèmes doivent encore être résolus: la santé de ces animaux, la stabilité des modifications génétiques au fil des générations, la qualité des protéines produites (les protéines complexes sont modifiées par la cellule après leur synthèse et il faut s'assurer que la cellule non humaine produit les modifications identiques à celles des cellules humaines) et surtout la garantie de pureté du produit final. On n'aimerait pas voir dans le lait en poudre amélioré une mixture de lactoferrine humaine et de prions. Saumons, truites et carpes Une cinquantaine de laboratoires produisent des poissons transgéniques, créés en vue d'une croissance accélérée. Par exemple, en - 13 - - DOMAINE PUBLIC - remplaçant l'hormone de croissance d'une espèce de saumon d'élevage par celle d'une autre, on crée un poisson transgénique qui grandit au moins dix fois plus vite et peut être mis sur le marché après un an d'élevage, - il en faut trois normalement. D'autres manipulations consistent à injecter l'ADN de l'hormone de croissance de la truite dans la carpe (accélération de croissance de 40%), ou bien à multiplier, par injection, les copies de ce même gène (augmentation de croissance de 60%). Ces poissons sont capables de s'accoupler avec leurs cousins sauvages, et s'ils devaient s'échapper un jour, ils les élimineraient par leur voracité et détruiraient la biodiversité. En Norvège, les saumons d'élevage - non transgéniques - échappés des enclos ont complètement supplanté les saumons sauvages. Des efforts sont entrepris pour rendre ces poissons stériles, en changeant le nombre de leurs chromosomes, mais on connaît mal la stabilité de ces manipulations au fil du temps. Alors que la biotechnologie est généralement l'affaire des États-Unis, de l'Europe et du Japon, pour ce qui est des poissons transgéniques, il y a autant de laboratoires en Chine qu'aux ÉtatsUnis. La Chine, qui semble avoir éliminé les poissons natifs par surpêche, n'attendra certainement pas les années nécessaires pour les études d'impact. De même, les laboratoires commerciaux mettent au point des joint venhires dans des pays à moindre sensibilité écologique; ainsi, un saumon transgénique mis au point en Ecosse (Otter Ferry Salmon Ltd) sera élevé et commercialisé d'ici l'an 2000 au Chili. Le clonage au service des animaux transgéniques Un des problèmes techniques des moutons transgéniques réside dans le fait qu'ils sont extrêmement coûteux à produire. Si, par chance, on a une brebis extraordinairement productive (en protéines humaines) on aimerait bien sûr la garder. Voilà pourquoi nous savons désormais «cloner» des moutons. Commentaire loin des objectifs de l'initiative qui ne mentionne pas le clonage, mais Dolly témoigne bien que la biologie moderne est un réseau sans faille de techniques, où le clonage joue un rôle utilitaire. Une preuve? L'article qui suit la publication du clonage de Dolly, par la même équipe, est intitulé «Moutons transgéniques pour le facteur IX humain produits par transfert de noyaux de fibroblastes fétaux transfectés». En clair: nous savons produire des brebis - par clonage - dont le lait contient une protéine humaine; extraire cette protéine de ce lait sera moins dangereux que de l'extraire du sang humain. Dolly? Ça sert à faire du facteur IX, nécessaire aux hémophiles. Parole de scientifique : il faut à tout prix défendre les souris transgéniques On dit des biologistes qu'ils sont opposés à la guerre nucléaire parce que les radiations interféreraient avec leurs autoradiographies. Notre opposition à l'initiative peut faire croire que nous ne voulons pas être privés de petites souris. De fait, l'interdiction est si radicale qu'elle nous obligerait à jeter le bébé avec l'eau du bain; mais que le rejet souhaité de cette initiative ne dispense pas le Parlement de vigilance, en adoptant, comme contre-projet de fait, une législation qui reprendrait les points sensibles, à savoir les animaux transgéniques hors laboratoires, les organismes modifiés disséminés dans l'environnement, la propriété intellectuelle. - 14 - Une question fondamentale : la brevetabilité A États-Unis, leaders mondiaux, ont adopté une attitude pragmatique voire utilitariste à l'égard des brevets sur les organismes vivants - et avec eux le Japon, l'Australie, l'Angleterre -, en Europe, et singulièrement en Allemagne et en Suisse, ce point focalise toutes les craintes. L'initiative pour la protection génétique interdit l'octroi de brevets liés aux plantes et animaux transgéniques, mais n'exclut pas du brevet les micro-organismes génétiquement modifiés. La motion GenLex et I'avant-projet ne mentionnent pas le problème des brevets sur le vivant. LORS QUE LES Pourtant l'administration fédérale a publié en 1993 un rapport, sur «Biotechnologie et droit des brevets», que nous reprenons ici. La première souris transgénique brevetée aux Etats-Unis montre les interrogations ainsi que le labyrinthe juridique de l'octroi des brevets sur un animal transgénique. De la brevetabilité des inventions concernant les organismes Le génie génétique constitue l'instrument le plus puissant de la biologie moderne et il mérite d'être soutenu au vu de ses applications thérapeutiques, diagnostiques et pharmaceutiques. Mais la brevetabilité est-elle une condition essentielle de cette industrie-clé? Pour le chercheur travaillant dans un organisme public, l'importance d'obtenir un brevet est certainement moindre, même si ce dernier représente une sorte d'authentification de sa recherche «pure», la preuve de son utilité; sans compter le fait que, pour une université, les brevets peuvent rapporter gros : plus de quinze millions de dollars par an pour l'Université de Stanford, par exemple. Le processus de brevetage empiète néanmoins sur la publication des résultats, puisqu'aucune publication significative ne peut être faite avant le dépôt de la demande. En revanche, pour obtenir un brevet, les sociétés doivent divulguer l'objet de leurs recherches. Quant aux souris transgéniques, beaucoup de chercheurs préféreraient une banque mondiale de ces animaux plutôt que de breveter chacun d'eux. Ces souris coûtent en effet très cher à l'entretien, ce qui pousse à leur brevetage et à leur vente. La situation de la recherche privée, majoritaire en Suisse, est par contre très différente. Pour des raisons de compétitivité et de récupération des frais engagés, ce secteur réclame la brevetabilité. Il serait difficile à la Suisse, isolée, de mettre en place un embargo sur le brevetage et une position souple semble inévitable. D'autant plus que l'obtention d'un brevet ne donne pas le droit de procéder à son utilisation sans autre contrôle. Distinguons donc l'industrie pharmaceutique (thérapie et recherche), l'élevage et les semences. Paradoxalement la situation est plus claire pour le genre humain que pour les légumes. La loi suisse exclut déjà toute manipulation génétique affectant les gamètes humains (c'est-à-dire transmissible aux générations futures), et exclut tout transfert de gène animal chez l'homme - 15 - - DOMAINE PUBLIC - comme contraire à la dignité humaine. De simples séquences d'ADN humain ne peuvent pas être brevetées non plus. Les thérapies géniques somatiques - modifications non transmises aux descendants - sont en principe brevetables. Une souris transgénique peut être brevetée si la souffrance causée à l'animal est contrebalancée par l'utilité qu'en retirent les humains: ainsi la souris de Harvard, modèle pour l'étude du cancer, obtint un brevet européen, brevet refusé à la «souris laineuse», qui aurait peut-être permis d'étudier la perte de cheveux. Quant à l'élevage, prenons le cas d'animaux - ovins, bovins - transgéniques qui pourront concentrer dans leur lait une protéine utile (par exemple humaine) dont le gène leur a été inséré. L'idée de l'humble paysan de montagne qui peut survivre avec trois chèvres parce qu'elles ne produisent plus de la tomme mais une protéine rarissime est attrayante; mais peu réaliste. C'est dans le domaine des plantes transgéniques que la situation est la plus confuse; il est d'abord plus difficile aux chercheurs de donner toutes les garanties de sécurité pour l'environnement si le brevet s'obtient avant les essais hors laboratoire. Ensuite, c'est dans ce domaine que des mo- difications légales devraient être faites si la brevetabilité était désirée. En effet, jusqu'ici, le paysan bénéficiait du «privilège de l'agriculteur», le droit de réensemencer les graines achetées. Comme les plantes transgéniques ne sont pas nécessairement stériles, ce droit annulerait les avantages du brevet. Les conditions de la brevetabilité et ses effets ont fait l'objet d'un rapport fédéral (août 1993). Pas moins de treize Offices et Directions y ont participé: il n'y gagne pas en clarté. On y lit des arguments désinvoltes: «aucun producteur dans les pays en développement n'est obligé d'acheter des variétés brevetées». Ou encore: «on introduit de nouvelles variétés, donc on augmente la biodiversité». Si l'on se réfère aux conclusions du rapport qui admet le principe de la brevetabilité, il faut souligner, à nos yeux, l'importance de trois garde-fous. Veiller à la sauvegarde de la biodiversité et empêcher que les plantes transgéniques plus rentables éliminent d'autres cultures. Eviter une dépendance accrue du tiers-monde, vu la cherté des graines brevetées. Enfin, l'isolationnisme étant inconcevable en ce domaine, il faut tendre à l'édification d'un droit européen. Les conclusions du rapport 1. Les organismes vivants sont en principe brevetables. 2. L'invention brevetable doit constituer un développement biotechnologique. 3. Ne sont pas brevetables les inventions contraires à la dignité humaine, la liberté personnelle, la dignité de la créature, les inventions qui mettent sérieusement en danger l'environnement et la diversité biologique. 4. Il faut abandonner l'exclusion de brevetabilité des variétés végétales et des races animales. 5. Il faut mettre en place des mécanismes qui permettent l'appréciation interdisciplinaire des demandes. 6. Le droit doit être réglé au niveau européen. 7. Il faut des solutions différenciées pour les pays en voie de développement. Référence: Biotechnologie et droit des brevets - La brevetabilité des invention concernant les organism Rapport, août 1993. En vente à I'OCFIM, 3000 Berne (réf. 406.761f) - 16 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - Oncomouse® N ous AVONS EXPOSÉ (page 12) l'invention d'Oncomouse à l'Université de Stanford, sa vente à Dupont Nemours et son brevetage aux États-Unis. Son parcours en vue d'un brevet européen mérite un complément. En juin 1987, l'European Patent Office (EPO) à Munich rejeta la patente européenne, en argumentant que la loi interdisait le brevetage de «variétés de plantes ou d'animaux»; l'EPO signalait aussi que l'on pourrait s'opposer à l'exploitation de cette souris pour des raisons morales. Après appel, l'EPO octroya le brevet en mai 1992, causant une opposition pan-européenne, dont le dépôt d'une pétition de 6000 signatures au bureau des brevets à Berne. De plus, un recours formel fut déposé à Bruxelles, de sorte qu'à l'heure qu'il est, le sort juridique de l'Oncomouse est encore incertain. Il aura fallu deux ans pour développer la souris, trois pour la breveter aux États-Unis et cinq pour ne pas prendre de décision en Europe... L'argument moral ou éthique évoqué, et qui fit pencher la balance du côté de l'octroi du brevet, est qu'il faut peser les souffrances de l'animal et les risques pour l'environnement d'un côté, et l'utilité de l'invention pour le genre humain de l'autre. L'Onco- mouse va certainement développer un cancer du sein, mais l'avantage de pouvoir tester traitements et substances chimiques sur des souris plutôt que sur des femmes est considérable (sauf pour les opposants irrationnels à toute expérience animale). L'avantage de disposer d'une telle souris est évident lorsqu'il s'agit d'étudier l'efficacité de substances nouvellement introduites. Le Parlement européen a approuvé en juillet 1997 (par 378 voix contre 113) une directive de la Commission européenne instituant le principe de la brevetabilité des organismes. La deuxième lecture est prévue pour le «début 1998». L'approbation définitive mettrait fin à un moratoire de fait sur la brevetabilité des animaux et des plantes transgéniques; environ 1500 demandes d'octroi de brevets européens pour des plantes transgéniques et 500 demandes pour des animaux transgéniques - des souris en grande majorité - sont pendantes au Bureau européen des Brevets (EPO). Le projet actuel établit une commission éthique pour la pesée des intérêts lors de l'octroi (souffrance de l'animal, acceptabilité sociale, bénéfice escompté pour l'avancement de la recherche); de plus, les agriculteurs auraient le droit - avec restrictions - de revendre les graines des plantes transgéniques. Moratoire sur les brevets E N EUROPE, la. situation des brevets pour plantes transgéniques est épique. Nous assistons à un moratoire de fait. Pour l'obtention d'un brevet, dit la Convention européenne, l'invention ne doit pas troubler l'ordre public. Chacun des huits brevets accordés à ce jour et portant sur des organismes supérieurs a été contesté au nom de cette clause. Mais la tactique d'opposition change en février 1995. La compagnie belge PGS dépose une demande de brevet pour un procédé permettant de produire des plantes résistantes, en incluant dans la demande les plantes produites par ce nouveau procédé. Cette fois les opposants avancent l'argument de la taxinomie. En effet, la convention stipule que les variétés de plantes sont interdites de brevet. Or le concept de variété, issu de la génétique d'avant Gregori Mendel et attaché au phénotype des organismes, est particulièrement flou. On peut affirmer en toute bonne foi que toute plante n'est qu'un ensemble de variétés; il est tout aussi légitime de considérer toute nouvelle plante transgénique comme une nouvelle variété de cette plante. Dans les deux cas, pas de brevet. - 17 - - DOMAINE PUBLIC - • Quelle propriété intellectuelle? L E CENTRE EUROPE-TIERS-MONDE (CETIM) publie une réflexion militante contre l'octroi de brevets dans le domaine des ressources vivantes. Les auteurs présentent les tares de la Convention de Rio (omission du droit souverain des communautés locales; acceptation de la Banque Mondiale comme structure financière intermédiaire; exclusion des banques mondiales de gènes végétaux du champ d'application de la Convention). Pour eux, l'introduction du droit des brevets dans le domaine des ressources vivantes constitue l'erreur la plus grave. Ce droit mènera au pillage des ressources génétiques du tiers-monde, à la disparition des variétés indigènes, à la dépendance accrue face aux multinationales. L'analyse du Gatt/OMC, faite dans une perspective indienne, est tout aussi impitoyable. À l'Organisation mondiale du commerce, il manque l'élaboration d'un droit commun de propriété intellectuelle, reconnu exclusivement comme droit privé. Cette lacune exclut toutes sortes de connaissances, idées et inventions qui sont issues de la «communauté intellectuelle» des paysans villageois et des tribus forestières. Il faudrait compléter l'accord par l'équivalent de la loi indienne sur les brevets, qui interdit les brevets sur les procédés agricoles ou horticoles, en étendant la possibilité d'exclusion à tous les organismes biologiques et à leurs éléments et procédés. Finalement, voilà qui fera plaisir aux paysans suisses, il faut soustraire l'agriculture à toutes mesures de rétorsion, et les questions ayant trait à la sécurité alimentaire ne doivent pas être régies par le Gatt. Existe-t-il une possibilité de préserver et de promouvoir la biodiversité ainsi que le savoir et la technologie des peuples indigènes sans s'engager nécessairement dans la voie des droits de propriété intellectuelle? Nous n'avons pas encore trouvé de réponse à cette question, dit une représentante des peuples indigènes. Il ne faut effectivement pas se tromper de cible: au lieu de s'en prendre à la biotechnologie, ne faudrait-il pas négocier, en échange de l'accès aux richesses génétiques incontestables des tropiques, le transfert dans le sud de technologies de la révolution biologique? Un des enjeux essentiels du génie génétique réside dans ses effets sur le (déséquilibre Nord-Sud. Son développement anarchique entraînerait une exploitation accrue du tiers-monde. Il est donc devenu indispensable, non de l'interdire, mais de fixer des règles politiques et commerciales. La Déclaration de Berne (DB) est divisée sur la question du génie génétique: la DB alémanique soutient l'initiative pour la protection génétique alors que la DB romande n'y adhère pas. On comprend la difficulté de l'organisation, dont il faut par ailleurs saluer l'important travail d'information: comment trouver une position unique dans un domaine qui bouleverse notre perception de la nature, sur laquelle on augmente nos possibilités d'intervention, et qui affecte également notre inconscient? Les droits du Sud Plusieurs des reproches adressés au génie génétique concernent le champ classique des relations Nord-Sud: cette technologie, qui n'est qu'un prolongement d'autres techniques déjà connues et appliquées, profitera essentiellement aux pays du Nord, même si elle est en grande partie basée sur l'exploitation de la richesse génétique des pays pauvres. Elle risque également de diminuer les capacités d'exportation de ces pays en substituant à leur production traditionnelle des produits de synthèse. Elle augmente en outre la dépendance à l'égard des firmes détentrices des savoirs et des brevets sur les espèces modifiées. Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais ils sont remis à jour et accentués par le développement du génie génétique. Les - 18 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - multinationales sont depuis longtemps présentes dans le tiers-monde, essentiellement pour en exploiter les ressources ou la maind'œuvre, mais aussi pour être proches de ses marchés. Le remplacement de la vanille par des produits artificiels ne date pas d'aujourd'hui, ni la dépendance des paysans à l'égard des géants de la chimie qui fournissent engrais et pesticides. La réponse ne viendra pas d'une interdiction du génie génétique: d'autres pays ne nous suivront pas et l'expérience montre que les avancées technologiques ne peuvent être étouffées; tout au plus peut-on les encadrer et préparer le terrain pour qu'elles s'appliquent au service de l'homme. recherche doit être consacrée à des maladies affectant principalement les pays du Sud, même si les produits qui devraient en résulter ne sont pas rentables, au contraire de ceux destinés à soigner le cancer. Ou que les techniques ou savoirs reposant sur les ressources génétiques du Sud seront retransférés dans ces pays après un certain délai. Le champ de la négociation est vaste et devrait être exploré sans tarder. Il est possible que les industries concernées s'y refusent. Mais il est possible aussi qu'elles trouvent un intérêt à calmer le jeu. Elles savent que des complications légales et administratives risquent de leur coûter plus cher que des concessions volontaires. Pour cette tâche, les références éthiques et le savoir-faire des organisations non gouvernementales seront précieux. On pourrait imaginer des relations contractuelles entre elles et les firmes effectuant de la recherche et commercialisant des produits issus du génie génétique. Par ce moyen, les organisations pourraient faire reconnaître des valeurs qui doivent servir de repères dans ce domaine. Par exemple qu'une partie de la - 19 - Référence: Vandana Shiva (et ai), La Nature sous licence, ou le processus d'un pillage, PubliCetim, 1994 Un numéro de la revue Solidaire est entièrement consacré au génie génétique. Information ouverte et d'excellente qualité à commander à la Déclaration de Berne, case postale 212,1000 Lausanne 9. Le droit dans tous ses états •Chronologie N nouvelles lois. À une technologie aussi complexe que le génie génétique, qui touche tant de secteurs, de l'agriculture à la médecine, et qui évolue très vite, répond une valse-hésitation législative qui essaie de conjuguer - et c'est louable - à la fois souplesse et efficacité. OUVEAUX DÉFIS, Nous présentons ici les textes de base: l'article constitutionnel de 1992, le texte de l'Initiative pour la protection génétique avec sa déclaration interprétative et nos propres commentaires, la motion Gen-Lex du Parlement (raccourcie) et les têtes de chapitre de l'avant-projet GenLex actuellement en procédure de consultation. À ces documents de base, nous joignons quelques textes qui synthétisent et commentent les grandes étapes de l'évolution législative. Une histoire mouvementée Avril 1987. Dépôt de l'initiative de la revue Schweizerischer Beobachter visant à introduire dans la Constitution l'interdiction des manipulations du patrimoine germinal humain. Le Conseil fédéral puis les Chambres mettent au point un contre-projet que le peuple, après retrait de l'initiative; accepte massivement le 17 mai 1992. 27 mai 1992. Se basant sur le rapport KOGABO, le Conseil fédéral renonce à élaborer une loi sur le génie génétique dans le domaine non humain. Janvier 1993. Le groupe interdépartemerital IDAGEN publie son rapport et propose d'appliquer l'article constitutionnel dans un programme législatif comportant neuf projets, allant de la révision de la Loi sur les épidémies jusqu'à celle sur les brevets d'invention. 25 octobre 1993. L'initative pour la protection génétique est déposée. 6 juin 1995. Le message du Conseil fédéral propose de soumettre l'initiative au vote sans contre-projet, en recommandant le rejet. Juillet 1995. Entrée en vigueur de l'ordonnance sur les denrées alimentaires: les produits transgéniques sont soumis à autorisation; obligation de déclarer de tels produits avec le label «OGM». Octobre 1995. Des membres de la commission science-culture-éducation (SCE) du Parlement élaborent des contre-projets et mandatent un rapport sur l'état des lois ayant trait au génie génétique en Suisse. Décembre 1995. nouvelle loi sur la protection de l'environnement, entrée en vi- -21 - - DOMAINE PUBLIC - gueur en juillet 1997: la mise sur le marché et la dissémination d'OGM ou d'organismes pathogènes est soumise à autorisation. Création d'une Commission d'experts pour la sécurité biologique. Juin 1996. Le rapport Schweizer est publié qui montre les lacunes des projets législatifs IDAGEN et suggère un paquet plus musclé, baptisé GenLex. Août 1996. La commission SCE du Conseil national rejette les contre-projets in- ternes et propose une motion pour la mise en route de GenLex. Septembre 1996. Le Conseil national et le Conseil des États (mars 1997) proposent le rejet de l'initiative sans contre-projet; la motion GenLex est adoptée, intimant au Conseil fédéral de ficeler un paquet de modification de lois existantes pour fin 1997. Décembre 1997. L'avant-projet GenLex est publié et soumis à consultation jusqu'à fin mars 1998. •Constitution et Initiative: les textes Art 24. novies de la Constitution fédérale actuelle 1 L'homme et son environnement sont protégés contre les abus en matière de techniques de procréation et de génie génétique. 3. La Confédération édicté des prescriptions sur l'utilisation du patrimoine germinal et génétique d'animaux, de plantes et d'autres organismes. Ce faisant elle tient compte de la dignité de la créature et de la sécurité de l'homme, de l'animal et de l'environne- ment; elle protège aussi la multiplicité génétique des espèces animale et végétale. Cet article est adopté en 1992 par trois citoyens sur quatre. La même année, vingt-trois organisations de protection de l'environnement et des animaux, de l'agriculture et tiers-mondistes, estimant que les dispositions de l'alinéa 3 sont trop vagues, lancent une initiative dite «pour la protection génétique». Art. 24 dccies propose par l'Initiative pour la protection génétique 1. La Confédération édicté des prescriptions contre les abus et les dangers liés à la modification génétique du patrimoine héréditaire des animaux, des plantes et d'autres organismes. Elle veille ainsi à la dignité et à l'intégrité des êtres vivants, à la préservation et à la mise en valeur de la diversité génétique, ainsi qu'à la sécurité de l'être humain, de l'animal et de l'environnement. 2. Sont interdits: a. La production, l'acquisition et la remise d'animaux génétiquement modifiés; b. La dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement; c. L'octroi de brevets pour des animaux et des plantes génétiquement modifiés ou des parties de ces organismes, pour les procédés utilisés à cet effet, et pour les produits en résultant. 3. La législation établit des dispositions concernant notamment: a. La production, l'acquisition et la remise de plantes génétiquement modifiées; b. La production industrielle de substances résultant de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés; c. La recherche utilisant des organismes génétiquement modifiés, susceptibles de créer des risques pour la santé humaine et pour l'environnement. 4. La législation exige notamment de tout notifiant qu'il fournisse la preuve de l'utilité, de la sécurité et de l'absence d'alternative, et qu'il démontre que l'opération est acceptable sur le plan éthique. - 22 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - •L'interprétation de l'initiative par ses promoteurs et nos commentaires P AR «ORGANISME GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉ» on entend une entité biologique capable de se reproduire (y compris les micro-organismes) dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qu'il n'est pas possible d'obtenir par croisement ou recombinaison naturelle. [Un OGM est un organisme modifié par génie génétique (ndlr)]. Par «animal» on entend tout le règne animal, depuis les protozoaires (plancton) aux primates non humains, en passant par les invertébrés (mouches, crevettes, vers de terre...). L'importation, l'élevage et la production d'animaux transgéniques en Suisse sont interdits. Par «dissémination» on entend le fait de relâcher volontairement des OGM dans l'environnement; elle est interdite sans exception. La vaccination individuelle par des vaccins basés sur des OGM, la thérapie génique somatique, les cultures cellulaires faites en laboratoire (à moins qu'elles n'utilisent des animaux transgéniques) ne sont pas considérées comme des disséminations, et par conséquent, sont autorisées. Les campagnes de vaccination [par exemple le vaccin Raboral contre la rage ], les plantations - même expérimentales - de plantes transgéniques sont interdites. Si les aliments transgéniques restent capables de reproduction [un épi de maïs, une tomate] ils sont alors interdits d'importation. L'interdiction de «l'octroi de brevet» s'étend aux animaux et plantes transgéniques, à l'exclusion des algues bleues, des bactéries, des levures. L'interdiction couvre aussi les organes, tissus, cellules et gènes individuels des plantes ou animaux transgéniques, à l'exception des cultures cellulaires utilisées pour la production industrielle de protéines. Les substances obtenues par génie génétique mais qui ne peuvent pas se reproduire (par exemple des protéines) sont brevetables. L t INTERDICTION D'UTILISER DES animaux génétiquement modifiés viserait en premier lieu la recherche et n'épargnerait pas la recherche médicale. Les souris «transgéniques» se sont banalisées dans les laboratoires, dont elles ne sont par ailleurs jamais sorties. Les médias trompettent parfois que «la souris nous guérira du cancer» ou plus récemment que « la souris nous guérira de l'Alzheimer». Il n'en est rien. Ces souris sont des outils primitifs: on affecte un seul gène à la fois, alors que ces maladies font intervenir de multiples régulations. Mais les souris transgéniques restent absolument indispensables pour désenchevêtrer la jungle des 30000 à 100000 gènes de notre organisme. Les autres animaux transgéniques posent des problèmes de santé (vaches produisant des protéines humaines, porcs humanisés pour les transplantations) et de sécurité pour l'environnement (saumons géants), sans compter le problème éthique et constitutionnel de la dignité de la créature. Combien de personnes seraient-elles affectées par l'arrêt de la recherche en génie génétique? D'après une récente étude de la Société pour le développement de l'économie suisse, 42000 emplois dépendraient du génie génétique en Suisse en 2005; une étude difficile à interpréter car elle ne spécifie pas s'il s'agit d'investissements des industries pharmaceutiques helvétiques en Suisse seulement ou dans le monde. Selon l'étude Binet (Basler Zeitimg, 29 mai 1996), la délocalisation (vers les USA) a commencé avant l'insécurité juridique des années quatre-vingt-dix; cette étude blâme les universités pour leur manque d'autonomie et d'esprit d'entreprise. Alors que l'initiative permet la mise au point de plantes transgéniques, elle en interdit totalement la dissémination dans l'environnement. Cette notion de dissémination est complexe et sujette à interpréta- is - - DOMAINE PUBLIC - tion: dans le sens strict, on ne pourrait plus vacciner avec des microbes atténués par génie génétique; par ailleurs beaucoup de thérapies géniques se fondent sur des vecteurs capables de dissémination (dans un corps humain). Faut-il se poser la question de la légitimité de produire des plantes transgéniques, avant celle des risques spécifiques et supplémentaires liés à la dissémination? L'Union suisse des paysans déclare que le génie génétique en agriculture doit être accepté par la société et ne doit pas créer de nouvelles dépendances pour les paysans; il ne doit pas avoir d'effets négatifs sur la qualité des produits et sur l'environnement et doit contribuer à la baisse des coûts de production. Les dangers spécifiques des plantes transgéniques sont la prolifération (avantage sélectif des plantes résistant à des herbicides ou pesticides), l'évasion du gène dans une autre espèce (c'est fait pour le colza) et la toxicité de ces plantes pour les pollinisateurs. Malheureusement, sans dissémination responsable et contrôlée, il n'y aura pas d'évaluation des dangers. Reste cependant le danger d'allergie, qui constitue le fonds de commerce des opposants au génie génétique. Mais les allergies ne sont pas provoquées par une «artificialité» particulière des plantes transgéniques; si vous êtes allergique aux noix de cajou, la présence d'un gène cajou dans votre soja (pour en compléter l'arsenal en acides aminés) pourrait provoquer une allergie lors de la consommation de votre tofu. Scénario catastrophe (variété unique de maïs mondial dépendant d'un certain herbicide et propriété d'une seule multinationale) ou futuriste (riz résistant aux ravageurs, ne nécessitant plus de traitements, enrichi en provitamine A, propriété publique - projet de l'EPFZ). Pour l'instant ce débat est avant tout spéculatif. Peut-on donc à ce stade nous permettre une interdiction radicale des disséminations? Sur ce point, la communauté scientifique est en fait assez divisée, avec une solide minorité opposée au brevetage d'êtres vivants; parce que les êtres vivants évoluent sans cesse, parce que la pratique du secret, associée au dépôt de brevet est contraire à la tradition de publication des résultats; parce qu'enfin il n'y a pas «invention» mais «découverte» de nouveaux gènes. Les premiers brevets octroyés (par exemple Oncomouse) l'étaient de façon si large (tous les cancers induits, tous les mammifères couverts par brevet) que cela a effrayé nombre de scientifiques. Beaucoup de chercheurs ont, en Europe, des doutes sur la brevetabilité du vivant; c'est un moment très favorable pour explorer les procédés autres que le brevetage pour récompenser ou protéger la propriété intellectuelle. En particulier, la Convention sur la biodiversité ratifiée par la Suisse exige que l'on trouve des mécanismes de compensation pour l'utilisation des ressources génétiques du Sud. - 24 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - • U n chantier législatif L E RAPPORT IDAGEN (1993) dressait une première liste de lois et ordonnances à mettre à jour pour tenir compte du génie génétique. C'était un premier constat de l'ampleur du paquet législatif, depuis ficelé dans l'avant projet Gen-Lex, dont nous présentons les points principaux. Le droit sur les denrées alimentaires. L'ordonnance du 30 juin 1995 précise à son article 15 que les organismes génétiquement modifiés destinés à être remis au consommateur sont soumis à une autorisation délivrée par l'Office fédéral de la santé publique, après consultation de l'Office fédéral de l'agriculture, de l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage et de l'Office vétérinaire fédéral. Lors de la remise au consommateur (art. 22 et 23), ces produits devront porter la mention «produit OGM». Le droit sur les substances chimiques. La loi actuelle ( 1969) ne vise pas les effets toxiques que peuvent provoquer des organismes. Lacune à combler. La procédure de consultation est en cours. Protection contre les accidents majeurs. L'ordonnance de 1991 sur la protection contre les accidents majeurs règle les questions de sécurité lors de l'utilisation de micro-organismes dans les laboratoires et les établissements de production; les cantons sont responsables de son exécution. La lacune la plus importante de ces dispositions réside dans l'absence d'une obligation d'annoncer les objets particuliers. Le droit de l'environnement. Avec l'adoption de la nouvelle loi en décembre 1995, le génie génétique entre explicitement dans le champ d'application de la loi. Ainsi, l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (essais de dissémination à titre expérimental et mise dans le commerce de produits) est soumise à autorisation, tout comme l'utilisa- tion de ces organismes dans les laboratoires. Est instituée une commission d'experts pour la sécurité biologique. Cette révision semble donc pallier en partie les lacunes de la protection contre les accidents majeurs. Le droit sur les épidémies. En l'état actuel, la manipulation d'agents pathogènes qui peuvent provoquer chez l'homme des maladies transmissibles n'est soumise qu'à une réglementation partielle (obligation de prendre toutes précautions utiles et obligation de bénéficier d'une autorisation). Manquent des dispositions concernant la manipulation d'agents pathogènes dans des systèmes confinés, lors de l'importation, de l'exportation et du transit ainsi que lors du transport, de la dissémination à titre expérimental et de la mise dans le commerce. Protection des animaux. La modification du patrimoine héréditaire des animaux par les méthodes du génie génétique n'est pas interdite à l'heure actuelle. Aux termes de la loi sur la protection des animaux adoptée en 1991, personne ne doit, de façon injustifiée, imposer aux animaux des douleurs, des maux ou des dommages. Ainsi, une part des expériences animales en génie génétique est déjà soumise à autorisation; le contrôle est effectué par des commissions cantonales. Lacune importante, la loi ne réglemente pas l'élevage, y compris les interventions par les méthodes du génie génétique. Protection des travailleurs. La Suisse devra harmoniser sa législation avec celle de l'Europe, en particulier la directive CE 90/679/CEE, concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents biologiques au travail. Le droit sur les médicaments et vaccins. Une autorisation de la Confédération est requise pour la fabrication de produits im- -25 - - DOMAINE PUBLIC - munobiologiques dans le domaine de la médecine humaine, alors que la production de tous les autres médicaments est soumise à une autorisation cantonale! Les essais cliniques de médicaments sur l'homme doivent être approuvés par la commission d'éthique cantonale compétente et annoncés à l'Office intercantonal de contrôle des médicaments, appelé d'ailleurs à disparaître pour faire place à une organisation fédérale. Le texte de l'avant-projet est disponible sur www.admin.ch/bvet/f/GENTECHNIK/ Motion GenLex (septembre 1996/mars 1997) I. Le Conseil fédéral est chargé d'examiner la législation concernant le génie génétique dans le domaine non humain, afin d'y déceler des lacunes, des insuffisances et des adaptations souhaitables [...]. Les lacunes doivent être comblées aussi rapidement que possible [...]; on veillera à garantir [...] la cohérence de tous les actes législatifs portant sur le génie génétique. II. L'examen portera en particulier sur la concrétisation des principes suivants: 1. Les principes de la dignité de la créature, de la biodiversité et de l'utilisation durable des ressources naturelles doivent être garantis dans les activités ayant recours au génie génétique. Le principe de l'utilisation durable et les instruments pour le faire appliquer doivent être ancrés dans la législation. 2. La vie et la santé de l'homme doivent être protégés contre les effets nuisibles ou gênants d'animaux, de plantes et d'autres organismes génétiquement modifiés ainsi que de leurs produits. 3. La nature et l'environnement doivent être protégés contre les effets nuisibles et gênants qui peuvent résulter de la manipulation d'organismes génétiquement modifiés. Celui qui est à l'origine de telles activités doit prendre toutes les mesures qui s'imposent pour éviter d'éventuels préjudices, notamment lors de disséminations. 4. Les interventions du génie génétique sur les animaux, de même que l'élevage [...] d'animaux transgéniques sont soumis à autorisation. Elles nécessitent une justification et une présentation de la pesée des intérêts. 5. Le droit en matière de responsabilité civile doit tenir compte des particularités du génie génétique dont les effets peuvent se manifester à long terme. Ces adaptations doivent être entreprises le plus tôt possible [...]. 6. Le dialogue avec le public sur l'utilité du génie génétique doit être encouragé. 7. Les produits qui contiennent des organismes génétiquement modifiés doivent être déclarés comme tels. 8. Il convient d'instituer une commission d'éthique chargée de surveiller en permanence le respect des principes éthiques (dignité de la créature, biodiversité, utilisation durable des ressources naturelles, protection de l'homme, des animaux et de l'environnement); les divers milieux de la population et les divers groupes d'intérêt doivent y être représentés. [...] [Cette commission] peut donner son avis du point de vue éthique à la Commission d'experts pour la sécurité biologique au sujet de demandes d'autorisations particulières. - 26 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - I Commentaire T de ce processus nous avons déploré «l'emmentalité», la filandrosité et la lenteur de la procédure, contraires à tout bon sens. Aucun projet législatif ne sera prêt avant la votation populaire du 7 juin prochain; mais il faudra bien voter. Disons-le tout net, cette initiative qui veut tout interdire est malsaine; et plutôt que de la soutenir - par esprit de revanche sur ceux qui n'ont pas voulu de contre-projet - il faut s'atteler à suivre attentivement la mise en œuvre des propositions présentées dans l'avant-projet GenLex. L'avant-projet est globalement positif, si OUT AU LONG l'on excepte bien sûr le fait qu'aucune loi modifiée n'entrera en vigueur avant l'an 2000, - et cela si tout va bien. Il souffre de quelques faiblesses comme la non-uniformisation - voulue - des voies de droit en cas de recours et l'absence d'information publique pendant la demande d'autorisation ou de recours. Lacune majeure, le problème des brevets sur le vivant est totalement ignoré. Sur ce dernier point néanmoins, la Suisse n'est pas un cas à part, car aucun pays européen, ni même l'Union Européenne, n'a à ce jour réussi à adapter sa législation. - 27 - Pour conclure C E QUI FRAPPE D'ABORD, c'est la confrontation stérile entre deux camps également marqués par le dogmatisme: d'un côté les partisans des expériences génétiques, à la tête desquels on trouve l'industrie chimique pour qui le progrès technique est synonyme de progrès pour l'humanité; de l'autre les adversaires pour qui ces expériences ne sont que le prolongement d'une agriculture industrialisée néfaste à l'environnement et donc à proscrire. De part et d'autre dominent préjugés et perception réductrice de la réalité. Et entre les deux, la grande masse des hésitants et des indifférents. L'approche éthique d'un tel problème passe d'abord, avant tout jugement de valeur, par un effort d'appréhension des faits en cause et de leur complexité: de quoi estil question exactement dans ces expériences, quel est le contexte écologique et social, y a-t-il des alternatives? Plusieurs de ces expériences sont en fait des essais; elles ne sont pas réalisées dans des conditions de laboratoire, sous contrôle, à l'abri des facteurs perturbants, mais au contraire en pleine nature puisqu'il s'agit de tester in vivo le comportement des nouveaux organismes. La nature devient laboratoire, l'essai se déroule dans un espace public luimême objet de manipulation. La question acquiert ainsi une dimension politique. En démocratie, ceux qui peuvent être touchés par l'exercice d'un pouvoir ont droit à contrôler ce pouvoir. Tout comme dans la recherche clinique l'accord du patient est indispensable, dans le domaine de la biogéné- tique le public doit pouvoir donner son opinion; directement sur les principes et par l'intermédiaire d'organes démocratiquement constitués pour les décisions plus concrètes. Aujourd'hui les commissions autodésignées par les milieux scientifiques n'ont aucune légitimité: pour de tels enjeux, les experts n'ont pas à se substituer à la population concernée pour dire ce qui est acceptable. L'évaluation des risques technologiques n'est pas une question scientifique seulement; des valeurs sont en jeu. Jusqu'à présent, dans un débat influencé par deux réductionnismes antagoniques, on n'a parlé que de moratoire, d'interdiction, de limitation ou au contraire de nécessaire liberté. Il est temps de réfléchir et de mettre en place des procédures qui permettent une discussion plus sereine et des décisions moins unilatérales, notamment en ouvrant les organes compétents à tous les milieux intéressés, y compris aux esprits critiques. Pour une évaluation permanente Souvent les initiatives populaires contribuent à stimuler le débat politique. Elles bousculent l'agenda en imposant des thèmes négligés par les partis et les autorités. Même si elles sont rejetées en votation, elles préparent le terrain pour des solutions innovatrices. Bref, le droit d'initiative apporte l'oxygène indispensable à un système politique guetté par l'immobilisme. Cette qualité ne vaut pas dans tous les cas. Dans le dossier du génie génétique, par - 28 - - LE GÉNIE GÉNÉTIQUE. POUR UN SOUTIEN CRITIQUE - exemple, l'initiative lancée par l'Appel de Bâle a contribué à figer des positions inconciliables plutôt qu'elle n'a éclairé les enjeux et les problèmes liés à ce nouveau pouvoir de l'homme sur la vie. Il n'est que d'observer la campagne lancée depuis plusieurs mois déjà et qui table avant tout sur la peur. Pour les uns, peur que la dissémination des organismes génétiquement modifiés ne perturbe l'équilibre écologique et n'affecte la santé humaine. Pour les autres, peur que la renonciation à ces nouvelles techniques ne nous laisse désarmés face à des maladies aujourd'hui incurables. En politique comme ailleurs la peur est mauvaise conseillère. Point n'est besoin de disposer de compétences scientifiques étendues pour comprendre que le génie génétique comporte tout à la fois des avantages indéniables et des risques certains. Un scrutin populaire qui ne laisse de choix qu'entre l'adhésion ou le rejet ne permet pas d'affronter sereinement un tel problème. La Constitution, parce qu'elle établit des règles fixes difficilement modifiables, n'est pas le lieu adéquat pour trancher de manière catégorique. Initiative ou pas, le génie génétique continuera de se développer. Si nous lui bar- rons la route, ce développement se fera ailleurs et nous n'hésiterons pas, le cas échéant, à profiter de ses découvertes. Plutôt que de nous déchirer abstraitement sur le principe, c'est du processus de contrôle qu'il faut débattre. Déjà le Parlement a édicté des dispositions législatives qu'il complétera probablement d'ici l'an prochain. Cela ne suffit pas. Les incertitudes et l'enjeu éthique que recèle le génie génétique exigent une approche nouvelle, des modes de participation originaux aptes à garantir le contrôle démocratique d'un domaine à la fois complexe et en constante évolution. Pour être efficace, ce contrôle implique une évaluation permanente de l'impact des applications du génie génétique et un suivi dans l'appréciation des enjeux toujours nouveaux de cette discipline. Certains pays ont institué des conférences de consensus réunissant experts et laïcs. Pourquoi ne pas admettre que, dans certains domaines, les formes traditionnelles de la démocratie directe ont atteint leurs limites et ne pas tenter l'expérience en Suisse? Mais l'on ne pourra innover si des interdits irréalistes et isolationnistes mettent fin à la recherche. Il faut donc lever le veto de l'initiative. Ce refus est un préalable. -29 - Table des matières Contre l'optimisme béat et l'obscurantisme 1 Les développements scientifiques et commerciaux Gènes et génomes Une technique encore adolescente Premières applications : coton de couleur, colza, tomate La belle tomate qui ne vieillit pas Premier bilan à propos des plantes transgéniques Les souris et les hommes Animaux de rapport: veaux, moutons, saumons 3 3 5 6 7 8 11 13 Une question fondamentale: la brevetabilité Oncomouse® Quelle propriété intellectuelle? 15 17 18 Le droit dans tous ses états Chronologie Constitution et Initiative: les textes L'interprétation de l'initiative par ses promoteurs et nos commentaires Un chantier législatif Motion GenLex Commentaire 21 21 22 Pour conclure 28 - 31 - 23 25 26 27 Domaine public L'essentiel sur huit pages Hebdomadaire • Né en 1963 • Pas de publicité • Indépendant • L'essentiel s u r h u i t p a g e s • Des réflexions sur l'actualité suisse • D e s a n a l y s e s • O r i g i n a l e t v a r i é • Une source irremplaçable • Des s i g n a t u r e s • Des r é f é rences • DP vous o f f r e tout ça... un mois à l'essai... Et vous refuseriez? (^L3) £=] n;—] p . ^=> pEEj Chaque semaine, l'essentiel sur huit pages Bossy • François Brutsch • Lorette Coen • Jean-Daniel Delley • Gérard Escher • Jean-Claude Favez • JeanPierre Fragnière • André Gavillet Françoise Gavillet • Fabrice Ghelfi Jean-Pierre Ghelfi • Jacques Guyaz Pierre Imhof • Yvette Jaggi • Jean Kaempfer • René Longet • Daniel Marco • Jérôme Meizoz • Denis Mùller Claude Pahud • Charles F. Pochon Anne Rivier • Géraldine Savary • JeanLuc Seylaz • Jean Steinauer • Luc Thévenoz • Albert Tille • Je souhaite m'abonner à Domaine public au prix de 85 francs par année. • Je souhaite m'abonner à Domaine public au prix étudiant-apprenti de 60 francs. • Je souhaite recevoir Domaine public gratuitement à l'essai pendant un mois. (offre valable en Suisse seulement) • Je souhaite recevoir exemplaires de la brochure Le Génie génétique. Pour un soutien critique, au prix de 12 francs, plus les frais de port. Expéditeur : DP Eric Baier • Claude Bossy • Jean-Pierre 23 avril 1998 - n° 1339-40 Hebdomadaire romand Trente-cinquième année JAA 1002 Lausanne