recherche.ch Statines – bonnes pour le cœur, problématiques pour les muscles1 Annette Draegera, Verónica Sanchez-Freirea, Eduard B. Babiychuka, Katia Monastyrskayaa, Hans Hoppelera, Fabio Breila, Markus G. Mohauptb a b Institut für Anatomie, Universität Bern Abteilung für Nephrologie/Hypertonie, Inselspital, Universität Bern Introduction Programme national de recherche PNR 53 «Santé musculosquelettique – douleurs chroniques» Les maladies cardiovasculaires sont l’une des plus im­ portantes causes de décès dans le monde occidental. Un taux élevé de cholestérol favorise notablement leur manifestation. Les statines, qui inhibent la production endogène de cholestérol, en sont le traitement reconnu. Mais 5 à 10% des patients ressentiront des douleurs musculaires comme effet indésirable [1]. La situation s’améliore en général après diminution de la dose ou un changement de médicament. Mais parce que la ma­ ladie de base persiste, une diminution de la dose, voire une interruption complète du traitement, n’est la plu­ part du temps pas indiquée. La forme la plus grave de myopathie chez les patients traités par statines, la rhabdomyolyse, est très rare. Elle ne touche statistiquement que moins d’un patient sur 100 000. Mais si rare qu’elle soit, la rhabdomyolyse est une complication potentiellement très dangereuse [1]. Des douleurs moindres sont plus fréquentes, sur­ tout à l’effort physique, de même qu’une myasthénie. De tels effets indésirables discrets ne sont malheureu­ sement pas pris au sérieux, pas plus par les patients que par leurs médecins traitants. But Si le traitement par statines inhibe la synthèse de cho­ lestérol par l’organisme, il est concevable que les mem­ branes cellulaires en souffrent. Elles se composent en effet en majeure partie de cholestérol. C’est la raison pour laquelle notre projet a d’abord cherché à savoir si un sevrage en cholestérol avait un effet sur les mem­ branes des myocytes surtout. Notre question suivante fut pourquoi la musculature squelettique est particu­ lièrement sujette aux dégâts provoqués par les statines. Dans un second temps, nous avons examiné dans quelle mesure les problèmes musculaires diagnostiqués cliniquement étaient en corrélation avec les lésions vi­ sibles sur les biopsies. Nous avons en outre cherché à savoir si la créatine­kinase pouvait être un indicateur d’une myopathie provoquée par les statines. Cet en­ zyme est effectivement augmenté dans le sérum en cas de pathologies musculaires. Les hypocholestérolémiants ne provoquent des pro­ blèmes que chez quelque 10% des patients traités. Dans une troisième partie de l’étude, nous nous sommes posé la question du pourquoi. Si nous pouvons savoir rapidement quels patients sous statines risquent de dé­ velopper une myopathie, il devrait être possible de sim­ plifier le choix du médicament et d’optimiser le traite­ ment et la surveillance des patients. Finalement nous avons tenté d’améliorer les tests cliniques dans le but de favoriser le développement de nouveaux hypolipé­ miants. Méthode Depuis de nombreuses années, notre groupe de travail à l’Institut d’Anatomie de l’Université de Berne s’intéresse à l’équilibre lipides–protéines dans les mem­ branes des cellules contractiles [2]. Nous étions donc à même d’étudier la structure des cellules de la muscula­ ture squelettique au microscope optique, électronique et à fluorescence. Nous avons ainsi voulu d’abord exa­ miner l’effet du sevrage de cholestérol sur les différents systèmes membranaires de ces cellules [3]. Pour la partie clinique de notre étude, nous avons pré­ levé des biopsies musculaires de la cuisse de quelques patients pour en examiner les défauts structurels (n = 83). 44 échantillons provenaient de patients sous statines avec problèmes musculaires et 19 de patients traités mais sans de tels problèmes. 20 biopsies pro­ venaient de personnes non traitées par statines qui ont servi de témoins. Nous avons dosé la créatine­kinase dans le sérum de tous ces sujets. Une analyse biolo­ gique moléculaire de la musculature squelettique était censée nous montrer si certains patients avaient une prédisposition génétique à une myopathie due aux sta­ tines. Résultats Les cellules de la musculature squelettique ont un système membranaire complexe, les tubules T, avec une structure lipides­protéines particulière. Ce système est conçu pour que les excitations nerveuses soient transmises efficacement à l’intérieur de la cellule [2]. La structure des membranes est si compliquée qu’un stress mécanique intense du muscle squelettique peut provoquer des lésions structurelles à ce niveau. Ce risque est accru chez les patients sous traitement par statines car elles inhibent un enzyme (l’HMG­CoA­ réductase) responsable de la production de cholestérol. Les fibres musculaires squelettiques desquelles du cho­ lestérol a été extrait in vitro montrent déjà que de très 1 Myopathie induite par les statines. Projet numéro: 405340-104679. Forum Med Suisse 2010;10(4):71 71 recherche.ch A B révéler une prédisposition génétique à une myopathie secondaire aux statines. Dans nos premières analyses génétiques moléculaires, nous avons identifié un gène (récepteur à la ryanodyne 3) surexprimé chez les patients souffrant de douleurs musculaires dues aux statines et présentant en plus des lésions tissulaires [4]. Il faut maintenant d’autres études pour confirmer ce résultat. Conclusion pratique Figure 1 Musculature squelettique humaine en coupe transversale semi-fine (épaisseur 0,5 µm). A: Muscle témoin normal. B: Myocytes vacuolisés d’un patient souffrant d’une myopathie due aux statines. faibles doses d’un capteur de cholestérol (méthyl­b­ cyclodextrine) provoque des anomalies marquées de leur système membranaire [3]. Dans leur structure et leur localisation, ces lésions sont identiques à celles que nous pouvons voir dans les biopsies des patients sous statines ayant des problèmes musculaires. Il s’agit de dilatations locales du système des tubules T (fig. 1 x). La moitié environ des patients souffrant de myalgies sous traitement par une statine présente des vacuoles dans les tubules T, parfois très marquées. Mais ces vacuoles se limitent toujours à l’intérieur de la cellule, aucune anomalie n’étant visible sur la membrane cellu­ laire extérieure. Nous pouvons voir ici ou là de minus­ cules déchirures à l’intérieur des cellules musculaires. Chez les patients traités par statines et ne présentant pas de myalgies, ces vacuoles ne sont que très discrè­ tes. Dans la plupart des cas, ces problèmes musculaires disparaissent après l’arrêt du médicament. Les dou­ leurs et la vacuolisation du système membranaire ne persisteront pendant des mois que chez de rares pa­ tients. Le dosage de la créatine­kinase dans le sérum des pa­ tients peut lui aussi donner un argument en faveur d’une atteinte musculaire. Dans notre étude, la créatine­ kinase n’a été nettement augmentée que chez les trois patients ayant dû être hospitalisés en raison de violen­ tes myalgies. Comme cet enzyme augmente aussi après effort physique, il ne peut être qu’un marqueur condi­ tionnel pour analyser l’intégrité musculaire. Ce dosage ne donne apparemment des arguments fiables que si les lésions musculaires sont déjà à un stade très avancé. La nature de la lésion musculaire – l’apparition de va­ cuoles dans le secteur membranaire conducteur d’excitations – fait supposer qu’il s’y cache une pertur­ bation de l’équilibre du calcium intracellulaire. Ce fait permet de rechercher un marqueur génique impliqué dans la régulation de la concentration intracellulaire de calcium. Un tel marqueur pourrait éventuellement Certains patients ayant des taux sériques de lipides augmentés réagissent à un traitement hypocholestéro­ lémiant par des myalgies dont la cause peut être une altération des cellules de la musculature squelettique. Même si cette altération est minime, elle est ultrastruc­ turellement visible. Des myalgies persistantes font que de nombreux patients interrompent leur traitement, ce qui peut présenter certains dangers pour leur survie. Ce n’est que s’il est possible d’identifier et de caractériser les patients à risque que le traitement actuel pourra être amélioré et que d’autres traitements pourront être développés. Perspectives De très nombreux patients ont besoin d’un traitement hypolipémiant, et leur nombre est en constante aug­ mentation. Aux Etats­Unis, uniquement 140 millions de prescriptions de statines ont été enregistrées en 2006 (IMS Health, USA). Avec de tels chiffres, le diagnostic rapide d’un effet indésirable pouvant se présenter chez quelque 5 à 10% des patients a une grande importance. Il est capital pour le bien­être de ces patients et soulage le système de santé de nations entières. Message le plus important Dans 5 à 10% des cas, le traitement par statines pro­ voque des problèmes musculaires pouvant être graves. Pour les prévenir, il faut reconnaître rapidement les pa­ tients à risque potentiel. Correspondance: Prof. Annette Draeger Institut für Anatomie Universität Bern CH-3012 Bern [email protected] Références 1 Thompson PD, Clarkson P, Karas RH. Statin­associated myopathy. JAMA. 2003;289:1681–90. 2 Draeger A, Monastyrskaya K, Burkhard FC, Wobus AM, Moss SE, Babiychuk EB. Membrane segregation and downregulation of raft markers during sarcolemmal differentiation in skeletal muscle cells. Dev Biol. 2003;262:324–34. 3 Draeger A, Monastyrskaya K, Mohaupt M, Hoppeler H, Savolainen H, Allemann C, et al. Statin therapy induces ultrastructural damage in skeletal muscle in patients without myalgia. J Pathol. 2006;210: 94–102. 4 Mohaupt MG, Karas RH, Babiychuk EB, Sanchez­Freire V, Mona­ styrskaya K, Iyer L, et al. Association between statin­associated myo­ pathy and skeletal muscle damage. CMAJ. 2009;181:E11–8. Forum Med Suisse 2010;10(4):72 72