L`examen clinique infirmier (PDF Available)

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Pratique des soins
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Une pratique innovante au sein d’un hôpital universitaire suisse
L’examen clinique infirmier
Depuis une vingtaine d’années aux Etats Unis, une dizaine d’années au Canada et
dans les pays du nord de l’Europe, se développe la pratique de l’examen clinique
infirmier. En Suisse, les Hautes Ecoles Spécialisées de la santé l’enseignent aux futures
infirmières dans les filières Bachelor (BSc) depuis l’année académique 2012 [1].
Texte: Cécile Massebiaux, François Dettwiler, Miguel Ferreira, Marie-José Roulin / Photos: Cécile Massebiaux
Les compétences
infirmières sont déterminantes pour la
sécurité du patient.
www.sbk-asi.ch >Rôle infirmier >Examen clinique >Sécurité des patients
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Les institutions de santé, les hôpitaux
et tous les autres acteurs recrutant des
infirmières BSc, vont voir émerger des
disparités de connaissances entre leurs
professionnels expérimentés et les nouveaux engagés. Les nouveaux diplômés
BSc risquent de ne pas pouvoir pratiquer
l’examen clinique si les milieux hospitaliers ne sont pas familiarisés avec cette
pratique et ne l’intègrent pas dans les
soins usuels. Il est donc possible que ces
connaissances ne profiteront pas aux
bénéficiaires de soins, se perdront et que
le transfert vers les compétences n’aura
pas lieu [3]. Enfin, de récentes recherches
révèlent que seule une proportion allant
de 1 à 35% des infirmières formées à
l’examen clinique, vont le pratiquer au
chevet du patient [3,4].
L’infirmière, en première ligne
Dans les institutions de santé, l’infirmière est l’actrice de première ligne dans
la plupart des services, présente vingtquatre heures et trois-cent-soixante-cinq
jours auprès des patients. Il est donc
essentiel, afin d’accroître la sécurité de
ces derniers, qu’elle puisse détecter précocement et décrire de manière pointue
les manifestations cliniques et les signes
d’aggravation. Ce dernier point est crucial, compte-tenu du profil démographique de la population vieillissante, ce qui
est l’un des facteurs générateur de la complexité chez les patients hospitalisés en
soins aigus. Les pathologies sont plurifactorielles, touchent plusieurs systèmes et
de fait, présentent une morbidité élevée.
D’autres arguments plaident en faveur
du développement de cette pratique innovante, une étude réalisée en Europe
dans plus de 300 hôpitaux a montré
Les auteurs
Cécile Massebiaux, infirmière spécialiste clinique en soins aigus, direction
adjointe des soins, HUG. Contact:
[email protected]
François Dettwiler, infirmier responsable d’unité de soins, Département
de médecine interne, de réhabilitation
et de gériatrie, HUG.
Miguel Ferreira, infirmier assistant
du responsable des soins, Département de médecine interne, de
réhabilitation et de gériatrie, HUG.
Marie-José Roulin, Directrice
adjointe des soins, HUG.
qu’une augmentation de 10% dans le
nombre d’infirmières titulaires d’un Bachelor dans une institution est associée
à une diminution de 7% (odds ratio
0·929, 0·886–0·973) de la probabilité
de décès d’un patient dans les 30 jours
après son admission [5]. D’une part, ces
résultats confirment que les qualifications et les compétences du personnel
«L’examen clinique
permettrait le dépistage
précoce des complications
et favoriserait la pertinence
de l’intervention du
médecin, lorsqu’un avis
médical est demandé.»
soignant sont déterminantes pour la sécurité des patients. D’autre part, l’évaluation clinique exhaustive du patient
est déterminante dans l’élaboration du
processus de soins.
Une pratique invisible
Aujourd’hui, l’évaluation clinique s’est
développée dans les services de soins
de manière incomplète. L’anamnèse infirmière permet de recueillir des éléments
sur l’histoire de santé et l’environnement
du patient, cependant en pratique l’examen physique reste limité à certains
secteurs spécialisés comme les soins intensifs. En effet, l’infirmière mesure les
signes vitaux, utilise des échelles pour
évaluer certains paramètres tels que la
douleur ou l’état de conscience, mais ne
réalise pas formellement un examen physique du patient. Cette absence de formalisation de l’examen physique a pour
conséquence de rendre cette pratique
invisible et peu efficiente. Enfin, une pratique informelle ne permet pas de développer un réel savoir et de le transmettre.
Forts de tous ces constats, est né ce
projet pilote d’implantation de l’examen
clinique infirmier aux HUG.
Expérience pilote
Cet article décrit une expérience pilote
visant à former les infirmières à l’examen physique et implanter formelle-
Deux facettes
Evaluation et
surveillance
L’évaluation clinique infirmière
comprend deux parties: l’évaluation
initiale et la surveillance clinique en
cours de séjour. L’évaluation initiale comprend l’anamnèse infirmière
et une évaluation de l’état clinique
comprenant un examen physique.
Cette évaluation initiale permet
d’identifier les problèmes de soins
et de planifier les interventions de
soins qui en découlent. La surveillance clinique a pour but de
suivre l’évolution de l’état de santé
et de déceler les complications
éventuelles. Il s’agit d’un processus
ciblé sur les problèmes de santé
identifiés [2].
Formation
Trois axes
principaux
La formation des 12 infirmières de
l’équipe s’est articulée sur trois axes
principaux:
• Un atelier de trois heures d’en-
seignement sur l’examen clinique
(théorique et pratique). Illustré
par des situations de soins extraites du quotidien des participants,
ainsi que par un formulaire leur
permettant de s’exercer et de documenter leurs expériences.
• Une phase de mentorat individua-
lisé, par une infirmière spécialiste
clinique au chevet du patient,
avec entraînements à la pratique a
eu lieu dans l’unité de soins.
• Une coordination des actions de
formation par le cadre de proximité.
Enfin, les médecins ont participé au
processus en échangeant avec les
infirmiers, en apportant leur savoir
sémiologique, en les invitant à
ausculter et à partager leurs points
de vue.
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Regard médical
«Un réel plus pour
la collaboration»
Le point de vue de la Dresse Pauline
Darbellay, cheffe de clinique dans
l’unité pendant la phase pilote du
projet.
Quelle fut votre vision et
quelles expériences avez-vous
vécues lors du projet pilote
d’Examen Clinique Infirmier
dans l’unité?
«J’en ai pensé beaucoup de bien. J’ai
trouvé l’équipe soignante très impliquée et avide d’apprendre à utiliser
cet outil. Les infirmiers-ères participaient activement à l’examen clinique lors de la visite, et n’hésitaient
pas à poser des questions sur les sons
entendus pour vérifier leurs connaissances ou leurs trouvailles. Je pense
que c’est un réel plus pour la collaboration médico-infirmière, et que cela
peut contribuer à permettre d’avertir
le médecin interne en charge plus
rapidement de la dégradation d’un
patient, puisque la tournée est faite
bien plus tôt que la visite médicale.
Particulièrement pour prévenir les
OAP, qui aiment bien survenir le matin. Je pense qu’il faut intégrer toujours cet examen au contexte clinique
du malade. Pour cela, il faut bien que
les infirmiers-ères soient convaincus
qu’il ne s’agit pas d’un examen routinier de plus à faire en sus de la prise
des signes vitaux, mais qu’il s’agit
bien de détecter une mauvaise évolution le plus tôt possible. Les signes
précurseurs hors symptômes du patient, sont détectables… je trouve
que l’Examen Clinique Infirmier a
beaucoup de sens…Lors de mon passage au sein de l’unité, l’équipe était
encore en phase d’apprentissage. J’ai
trouvé très positif que les questions
soient librement posées, pour augmenter les connaissances et que les
infirmières participent à l’auscultation au moment de la visite…»
ment cette pratique, dans un service
de médecine interne prenant essentiellement en soins des patients avec des
affections respiratoires. Cette unité comprend huit lits de pneumologie et huit de
médecine interne. Elle est dotée de 10.9
équivalants temps plein (ETP) infirmiers, de deux médecins internes et
d’un chef de clinique.
Le déploiement de ce projet pilote a
duré six mois (janvier à juin 2015) et a
été construit de manière systématique
en suivant une méthode de gestion de
projet. Une action de formation a été
élaborée pour la douzaine de collaborateurs infirmiers expérimentés (cf encadré) en impliquant des référents de
proximité. De plus, le support de documentation des soins a dû être revu, car
il ne prévoyait pas d’espace pour documenter les observations infirmières lors
de l’examen clinique.
Une évaluation de ce projet a été réalisée à l’aide de deux questionnaires qui
ont été conçus par les acteurs du projet
en se basant sur la théorie de la diffusion d’une innovation de Rogers.
Changement de culture
Les résultats de l’enquête mettent en
évidence la conviction partagée des
soignants (médecins et infirmiers) que
la réalisation de l’examen clinique est
bénéfique à la qualité des soins dispensés aux patients. Ceci est révélateur
d’une amélioration de l’efficience par
une identification des interventions et
L’évaluation infirmière
favorise le lien entre
soignant et patient.
des surveillances à prodiguer plus performante. Ils estiment ainsi assurer un
meilleur suivi.
L’examen clinique permettrait ainsi le
dépistage précoce des complications et
favoriserait la pertinence de l’intervention du médecin, lorsqu’un avis médical
est demandé.
Les infirmiers estiment mieux structurer
la transmission des informations auprès
de leurs pairs, mais aussi auprès des
médecins. Ces derniers ne sont pas tous
convaincus de ce bénéfice. Il reste toutefois difficile de mettre en lumière une
amélioration des transmissions lors de
cette phase, la fréquence d’exposition
étant peu importante. Toutefois le recours au médecin semble plus pertinent
lorsqu’un avis médical est requis. Les
infirmiers estiment offrir une prise en
charge plus complète.
A ce jour, le lien entre l’examen clinique
et l’aspect sécuritaire n’a pas pu être mis
en évidence.
Il semble y avoir une cohésion médicosoignante s’accordant à penser que le
développement de cette activité serait
favorable à une collaboration interprofessionnelle plus prononcée et qu’une
méthodologie commune dans l’examen
du patient serait profitable.
L’ensemble des infirmiers considèrent
dès à présent l’examen clinique comme
étant de leur rôle, ce qui n’est pas la
vision unanime des médecins. Ceci présage de la nécessité d’un accompagnement progressif dans ce changement de
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culture et de perception du rôle infirmier
par l’ensemble des professionnels soignants, notamment les médecins.
Améliorer la sécurité
En outre, nous relevons que plus de
87% des infirmières perçoivent cette
évolution de pratique comme étant
une valorisation de leurs compétences.
D’un point de vue managérial ceci
est très intéressant et est en accord
avec les bénéfices escomptés dans le
développement du concept du Magnet
Hospital (concept de l’hôpital attractif,
d’origine américaine, associant la qualité des soins et la satisfaction du personnel).
Nous constatons que la réalisation de
l’examen clinique n’est pas quotidienne. 50% des participants le réalisent
une à deux fois par semaine et nous espérons que cette pratique sera facilitée,
à travers l’optimisation du support de
documentation.
Au vu des résultats obtenus, nous pensons qu’une systématisation de l’examen clinique permettrait aux infirmiers
de s’approprier cette nouvelle pratique.
L’objectif ultime étant que les infirmières mobilisent ces nouvelles compétences de manière ciblée en fonction
de l’état de santé du patient et puissent
détecter précocement des signes de détérioration, améliorant ainsi la sécurité
des soins.
Regard Infirmier
«Favorable au lien
soignant-soigné»
L’avis de Frédéric Pierre, infirmier clinicien de l’unité.
En votre qualité d’infirmier clinicien, comment avez-vous perçu
l’expérience du déploiement
de l’examen clinique au sein de
l’unité?
«Le déploiement de l’examen clinique
(EC) au sein de mon unité a suscité
une très forte adhésion de la part de
l’équipe infirmière, car il répond à un
véritable besoin des professionnels en
comblant un espace méthodologique
manquant. Il permet de structurer la
pratique soignante et fait le lien entre
l’observation infirmière – le fameux
‹tour du lit› – et la formulation du plan
de soins, complétant la première et argumentant le second. Exhaustif, il facilite le recueil d’informations objectives
quant à l’état clinique du patient et facilite l’échange interdisciplinaire avec
le corps médical par l’emploi d’un langage et d’un vocabulaire commun.»
«S’il ne se substitue en aucun cas à
l’examen clinique médical, il constitue
une base de travail dans le cadre de la
prise en charge infirmière et un outil
d’évaluation de l’évolution du patient.
Il facilite le réajustement des actions
mises en place, et favorise la détection
précoce des éventuelles dégradations.
Il facilite également le renseignement
de la documentation de soins en
constituant une base de travail collective, un socle commun. Fort de ces
qualités, il est un levier d’amélioration
qualitative de la profession infirmière.»
«Enfin, je trouve à la démarche un
intérêt tout particulier: l’examen clinique participe à replacer l’infirmierère au lit du malade, en lui redonnant
du temps auprès de ce dernier et influence favorablement le lien soignésoignant.»
Pouvez-vous nous décrire les
réactions et perceptions de la
patientèle face à cette pratique
innovante?
«Les patients ont exprimé de la curiosité, un peu de surprise aussi et au final
de l’intérêt, voire de la reconnaissance,
grâce au temps passé auprès d’eux. Il
est aussi important de bien répondre à
leurs questions, en particulier sur le fait
que notre examen ne se substitue pas
à celui du médecin, il ne s’agit donc pas
d’un examen ‹low-cost›, ni d’une redondance superflue.»
Collaboration médico-soignante
indispensable
A ce jour, il a été décidé d’élargir ce projet à plusieurs départements de l’institution. L’examen clinique infirmier sera
adapté en fonction des lieux de pratique
(hospitalier, ambulatoire, soins aigus
ou longs séjours). Cette démarche est
soutenue par les directions des soins et
médicale, en effet la collaboration médico-soignante aussi bien au niveau des
directions que dans les unités de soins
est indispensable pour faciliter un déploiement harmonieux de cette pratique. Il est envisagé de développer un
support de documentation commun
pour les médecins et les infirmières, afin
d’éviter toute redondance médico-soignante et ainsi privilégier la présence
auprès du patient.
Un programme de formation continue a
été mis sur pied et offre déjà des journées de formation à l’examen physique
autour de plusieurs thèmes: l’examen
respiratoire, cardiaque ou neurologique,
l’évaluation de l’état mental. Néanmoins, notre expérience montre que
pour certaines infirmières, une réactualisation de leurs connaissances en anatomie et pathologie est nécessaire avant
de pouvoir suivre pleinement ces formations. Finalement, un mentorat et le soutien des cadres infirmiers de proximité
sont indispensables pour permettre un
réel transfert de l’examen clinique dans
la pratique.
Pour conclure, ce projet montre qu’il
est possible de former les infirmières
expérimentées à l’examen physique et
qu’elles perçoivent positivement cette
nouvelle pratique. Ceci permet de penser que les jeunes diplômées trouveront un milieu favorable au développement de cette pratique et pourront ainsi
l’exercer pour le bénéfice des personnes
hospitalisées.
Références
[1]
Haute Ecole de Suisse Occidentale. Plan
d’études cadre Bachelor Filière formation
en soins infirmiers. 2012. Consulté le 23 dec
2015. Disponible sur: www.heds-fr.ch/FR/
bachelor/BachelorSI/formation-bachelor/
Documents/PEC_Soins_infirmiers.pdf.
[2]
Eckhardt A. Evaluation et jugement clinique.
Dans: Jarvis C, éditeur. L’examen clinique
et l’évaluation de la santé. 2 ed. Montréal:
Chenelière Education; 2015. p. 3 –15.
[3]
Lesa R., Dixon A. Physical assessment:
implication for nurse educators and nursing
practice. International Nursing Review.
2007;54(2):166 –72.
[4]
Birks M., Cant R., James A., Chung C.,
Davis J. The use of physical assessment skills
by registered nurses in Australia: Issues for
nursing education. Collegian. 2013;20:27–33.
[5]
Aiken LH., Slorane DM., Bruyneel L., Van
den Heed K., Griffiths P., Busse R., et al.
Nurse staffing and education and hospital
moratlity in nine European coutries: a
retrospective observational study. Lancet.
2014;383(9931):1824 – 30.
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