Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie

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Modèle cognitivocomportemental
de la schizophrénie
M. Simonet, P. Brazo
Le modèle cognitivocomportemental prend en compte le patient souffrant de schizophrénie dans la
totalité de son écologie pour lui permettre un fonctionnement adéquat dans son environnement. Il est
ancré dans le concept de vulnérabilité qui a mis en lumière le rôle des facteurs de stress et des troubles
cognitifs dans le déclenchement des symptômes, et l’importance des facteurs de protection contre les
rechutes. De nombreux travaux, depuis plus de 40 ans, ont montré que les patients sont capables
d’apprendre grâce à la thérapie comportementale des comportements sociaux utiles qui leur font défaut.
Ces modifications comportementales (entraînement des habiletés sociales) se font grâce aux techniques
du conditionnement opérant, et peuvent s’appuyer sur des modules structurés s’adressant à de petits
groupes de malades. La psychoéducation orientée vers les familles réduit les rechutes et les
réhospitalisations. Car il est nécessaire d’adapter l’environnement pour qu’il provoque moins de stress
chez le patient. Les techniques de « case management », ou « projet de soins », le mobilisent ainsi que
son entourage vers un avenir à construire, après avoir conduit une évaluation fonctionnelle précise qui
permet de s’appuyer sur ses points forts comportementaux et cognitifs. Les techniques utilisées sont
personnalisées et appliquées dans la durée. Elles sont maîtrisables par l’ensemble de l’équipe
pluridisciplinaire. Les objectifs à long terme des soins issus du modèle cognitivocomportemental se
confondent avec ceux de la réhabilitation sociale, et permettent le maintien dans la cité avec une qualité
de vie acceptable.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Schizophrénie ; Modèle cognitivocomportemental ; Modèle stress-vulnérabilité ;
Case management ; Psychoéducation ; Habiletés sociales ; Résolution de problème ; Coping
Plan
¶ Introduction
1
¶ Historique
Techniques de l’économie de jetons
Abord comportemental des symptômes
École de la réadaptation psychiatrique ou psychosociale
2
2
2
3
¶ Modèles de vulnérabilité
Origines du concept
Modèles
Marqueurs neurocognitifs de vulnérabilité
Stresseurs sociaux et environnementaux
Facteurs de protection
3
3
4
5
5
6
¶ Évaluation fonctionnelle du patient : problèmes,
besoins et compétences
Identifier les problèmes et les objectifs
Outils d’aide à l’évaluation
Mise en place du projet de soins
6
6
7
7
¶ Entraînement aux habiletés sociales et modifications
comportementales
Techniques comportementales
Modèle conceptuel des différentes variables liées aux habiletés
et aux compétences sociales
Remédier aux déficits des fonctions de bases
Améliorer la capacité à résoudre les problèmes interpersonnels
Modification des stratégies d’adaptation (coping)
¶ Entraînements aux habiletés sociales et modifications
cognitives
Psychiatrie
7
7
8
8
9
9
10
¶ Thérapie psychoéducative et programmes structurés
cognitivocomportementaux
Principes de la thérapie psychoéducative
Validation des résultats des thérapies psychoéducatives
individuelles et familiales
Modèles pour l’avenir ?
¶ Conclusion
10
10
11
11
11
■ Introduction
En préambule, les auteurs soulignent qu’ils se sont attachés à
préciser dans cet article l’intérêt des approches comportementales dans la schizophrénie au point de parler de modèle
cognitivocomportemental.
Nous n’avons donc pas volontairement développé, dans un
souci de clarté, l’aspect cognitif au sens de la psychothérapie
cognitive, même si le but ultime de chaque prise en charge reste
celui d’un accompagnement psychothérapique tant que le
patient en accepte les buts et le principe. [1]
« L’évolution d’un schizophrène est le fait non de sa schizophrénie mais de son entourage, de ses soignants et précisément de ce qui n’est pas schizophrénique chez le malade
lui-même ». [2]
Les moyens thérapeutiques se sont améliorés, et sur le plan
pharmacologique et dans les modalités de prise en charge
psychosociale. Pourtant, la proportion des patients schizophrènes souffrant d’une évolution sévère de leur maladie reste élevée
1
37-290-A-10 ¶ Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
et plus de 20 % d’entre eux subissent une altération majeure de
leur qualité de vie. Ces mauvais résultats ont stimulé d’autres
voies de recherche pour l’élaboration de programmes thérapeutiques. L’approche cognitivocomportementale en fait partie. [3]
Ancré dans le concept de vulnérabilité, ce modèle prend en
compte le patient dans la totalité de son écologie pour lui
permettre un fonctionnement adéquat dans son environnement. Son élaboration a intégré les concepts suivants :
• l’économie de jetons expérimentée dans les services de long
séjour ;
• le concept d’ « habileté sociale » ainsi que les techniques
inspirées des théories de l’apprentissage et de résolution de
problèmes, permettant de développer les capacités à vivre
dans la cité ;
• la psychothérapie cognitive des symptômes psychotiques ;
• l’aide aux familles grâce à l’approche systémique, à la
thérapie familiale comportementale ou à des groupes d’information destinés aux familles (Profamille), développée à partir
de la notion d’émotion exprimée et de ses conséquences en
termes de risque de rechutes.
Les outils fournis par ce modèle facilitent l’évaluation
objective et rationnelle du fonctionnement du patient. La prise
en charge s’adapte à ses troubles cognitifs et vise à compenser
ses handicaps les plus sévères. Les techniques du renforcement
ou de l’apprentissage peuvent être utilisées sans craindre un
accroissement de ses symptômes (psychotiques ou dépressifs). La
mise en place de soins planifiés avec sa collaboration potentialise son retour à une vie sociale satisfaisante. Au-delà de la prise
en charge comportementale, l’apprentissage de la résolution des
problèmes interpersonnels et de l’affirmation de soi facilite la
progression vers une démarche psychothérapeutique. Grâce à
l’IPT (Integrated Psychological Therapy), [4] la reconnaissance et
l’adaptation aux émotions peuvent être améliorées. La reconstruction d’un « moi » du patient s’appuie sur la psychothérapie
cognitive.
Rien de ce qui peut aider le malade (apprentissages, compensation) et renforcer la protection contre les rechutes (aides aux
familles) ne doit être négligé.
■ Historique
Techniques de l’économie de jetons
En 1968, l’ouvrage de Ayllon et Azrin [5] a fait connaître
l’économie de jetons. Ces techniques sont désormais désuètes,
car les malades et l’environnement institutionnel ont changé.
Mais cette expérience reste très instructive. Les auteurs, à partir
de la théorie du renforcement, ont imaginé un environnement
qu’ils ont tout entier impliqué dans la prise en charge du
malade, et ont ciblé les comportements utiles à développer (et
non les symptômes à réduire). Les procédures de recueil des
données comportementales étaient précises. L’évaluation
continue prenait en compte la quantité de comportements
utiles et l’engagement du malade dans ces comportements.
Aucune action punitive ou dégradante ne devait être envisagée
même dans un but d’amélioration. Pour Ayllon et Azrin, une
vision coercitive des modifications comportementales était
toujours une mise en échec. « La philosophie générale qui se
dégage de nos tentatives met l’accent sur les aspects positifs
dans le comportement du malade. Tous les efforts tendirent à
structurer chez le malade des comportements constructifs et
fonctionnels. Si les comportements complexes avaient du mal à
s’établir, on consacrait tous ses efforts à en établir de plus
simples pour servir de marchepied (…) Le problème des symptômes fut remis à une date ultérieure (…) À notre surprise, nous
vîmes que, dès que les procédures furent efficaces pour établir
des comportements fonctionnels, nombre de comportements
symptomatiques avaient disparu et ne pouvaient plus être
étudiés (…) Il semble que les comportements symptomatiques,
2
de par leur nature destructive, furent réduits par cela même
qu’ils ne pouvaient exister à côté de comportements fonctionnels ». Le personnel était volontaire mais interchangeable
defaçon à respecter un renouvellement naturel des équipes. Il
était formé à appliquer les règles simples de cet « environnement motivant » dans un « langage clair et usuel ». Le recueil
biographique de chaque patiente était réalisé. « La sélection des
malades s’est faite en acceptant les malades les plus réticentes
aux soins traditionnels, chaque pavillon proposant ses propres
cas, hospitalisées en moyenne depuis plus de 16 ans, 50 % ne
prenaient aucun traitement tranquillisant, et étaient socialement isolées ».
Les auteurs ont donc mis en lumière que les programmes de
soins comportementaux doivent être personnalisés et appliqués
sans interruption. Ils espéraient pouvoir diminuer progressivement la valeur en jetons des comportements fonctionnels
adaptés, ou transformer les gratifications en possibilité de sortir
de l’hôpital. Mais cette étape fut rarement possible. Ils reconnurent donc et soulignèrent les limites de leur méthode. La
généralisation des acquis comportementaux et cognitifs est un
problème qui perdure. C’est pourquoi il est nécessaire de les
relancer dans des programmes de révision. Puisque les déficits
cognitifs liés à la schizophrénie persistent toute la vie du
patient, il faut prendre conscience de cette dimension continue
dans tout programme de soins.
Abord comportemental des symptômes
Agathon, en 1981, rappelait que la psychiatrie pensait la
schizophrénie comme une entité englobant la structure de la
personne, et imputait l’essentiel des troubles à un noyau
psychotique sur lequel peu de psychothérapies pouvaient être
efficaces. [6, 7]
Or, la thérapie comportementale est utile si on approche la
maladie sous l’angle symptomatique (au sens du DSM). Le
thérapeute construit un programme de modification du comportement qui est appliqué par l’équipe soignante, si possible en
extrahospitalier. En fait, le terme de modification du comportement est plus adéquat que celui de thérapie comportementale,
car excluant une dimension psychothérapique à laquelle le
patient ne pourrait pas toujours formuler son consentement.
Boisvert et Trudel [8] se sont intéressés aux modifications des
comportements psychotiques obtenues en changeant le
contexte, en utilisant le milieu de vie comme facteur de
renforcement. Ces programmes s’appuient sur l’analyse des
besoins comportementaux de chaque sujet (comportements
ciblés : apathie, travail, interactions sociales, soins personnels) et
sur la diversité des moyens mobilisables. L’accroissement des
comportements verbaux adaptés avec diminution des expressions délirantes est corrélé aux renforçateurs sociaux (sourire,
expression du visage, encouragement) émis par le thérapeute.
Ullmann et Krasner [9] évoquent la nécessaire installation d’un
climat de confiance entre le thérapeute et le client. Liberman et
al. [10] ont exposé un plan de traitement comportemental en
réponse aux questions incessantes d’un malade présentant une
psychose infantile vieillie. La stratégie mise en place associait un
entraînement par façonnement à la conversation avec renforcement par des jetons et une technique de coût de la réponse si
le patient avait des verbalisations incessantes. Les auteurs
insistent sur la généralisation rapide des progrès à d’autres
domaines dès qu’il fut admis en foyer et centre de jour.
La conviction délirante, la fréquence et l’intensité des
hallucinations auditives sont diminuées grâce à la restructuration cognitive, à l’affirmation de soi et à l’autocontrôle des
symptômes. A contrario, Agathon [6] rappelle l’inefficacité de
l’autoapplication volontaire de légers chocs électriques (grâce à
un petit appareil) dès que le patient « entend des voix ».
L’entraînement aux habiletés sociales, lors des premières études,
est jugé d’efficacité réduite quand les patients sont trop
déficitaires ou sans espoir de sortie de leur institution. Dans ce
Psychiatrie
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie ¶ 37-290-A-10
cas, l’économie de jetons au long cours et la mise en place de
techniques du coût de la réponse inadéquate sont indispensables pour maintenir les modifications obtenues. Mais, malgré
ces indéniables succès, les thérapies comportementales ont buté
sur les difficultés cognitives des patients (concentration,
autocontrôle, auto-instructions pour se guider dans une tâche).
Ces difficultés, mal comprises à l’époque, ont limité leur impact.
École de la réadaptation psychiatrique
ou psychosociale
Dans les années 1980 s’est organisée une réflexion cohérente
basée sur le concept de réadaptation psychiatrique. L’approche
de la schizophrénie doit être pluridisciplinaire et non stigmatisée, la plus proche possible du monde normal, mais elle ne doit
en aucun cas être démédicalisée. Elle doit assurer une meilleure
évaluation initiale et continue du patient, le repérage précis et
objectif des problèmes d’adaptation à la vie quotidienne.
L’expérience des premiers programmes de réadaptation professionnelle a montré leur impact positif sur la santé des patients.
Legeron, [11] se référant aux travaux de Liberman, intitule ses
propos « le développement de la compétence sociale chez les
schizophrènes », et rappelle que les neuroleptiques, quoique
indispensables, ne sont pas un traitement satisfaisant car ils ne
modifient pas pleinement la vie sociale et professionnelle des
patients. Il faut leur adjoindre des actions psychosociales ou
psychothérapeutiques pour atteindre le but de la réinsertion. Il
précise que le « handicap majeur que sont les importants
déficits du fonctionnement social du patient schizophrène a
longtemps été considéré comme la conséquence de la maladie
et négligé comme cible d’interventions thérapeutiques spécifiques par des thérapeutes trop préoccupés d’agir sur un hypothétique noyau ou trouble fondamental de la schizophrénie, et
ce, sans grand résultat d’ailleurs ». Or, la désinstitutionnalisation
brutale a montré les incapacités des patients à vivre dans le
monde réel, incapacités que les praticiens ont dû évaluer pour
déterminer les priorités de la réadaptation sociale, par exemple
grâce à l’échelle Independant Living Skills Survey [ILSS] de
Wallace. [12]
Glynn [13] a analysé 20 ans d’études contrôlées concernant ce qu’il est convenu d’appeler - la réadaptation psychiatrique
qui englobe les interventions psychosociales, l’aide aux familles,
la conception d’environnements protégés et adaptés, etc… Sans
entrer dans de longues discussions sémantiques sur les mots
utilisés, disons que la prise en charge des patients s’appuie
d’abord sur la « pierre d’angle » du traitement pharmacologique
et psychiatrique, et ensuite sur un ensemble de mesures qui les
aident à récupérer un bon niveau de fonctionnement social et
la meilleure qualité de vie subjective possible. Car, au-delà des
contraintes économiques défavorables et de la stigmatisation de
la maladie, les altérations cognitives conduisent à diminuer les
comportements orientés vers un but et la participation à des
activités planifiées et organisées. Les patients préfèrent souvent
s’isoler pour diminuer leur niveau de stimulation.
Il ressort aussi de son analyse que les stratégies efficaces pour
réduire les rechutes et atténuer les symptômes sont les interventions orientées vers les familles et la psychothérapie cognitive. L’aide aux familles, surtout si elle s’étend sur plus de 2 ans,
réduit leur souffrance et leur épuisement et diminue notablement le taux de réhospitalisation des patients. La thérapie
cognitive des symptômes persistants les rend supportables dans
la vie quotidienne mais n’améliore ni le taux de réhospitalisation ni le niveau des compétences sociales. Pour les améliorer,
sont nécessaires des programmes de relance des cognitions de
base (attention, mémoire) et d’apprentissage de savoir-faire dans
un environnement aussi réaliste que possible. Le point difficile
reste la généralisation des acquis au-delà des structures thérapeutiques, bien que le retour au travail ou aux études reste un
but important pour les patients. Le respect de cet objectif est
pourtant nécessaire au maintien d’une bonne estime de soi.
Psychiatrie
La coordination de tous ces processus qui évoluent de façon
synergique nécessite de s’appuyer sur la « boîte à outils » de la
réadaptation psychiatrique. Anthony, [14] porte-parole de
« l’école de Boston », insiste sur l’utilité de la technique du
« case management ». Cette technique ne réduit pas le « case
manager » à la gestion de « cas ». Nous préférons donc parler de
« plan de soin », de « réunion de projet de soin », et de personne référente coordonnatrice, avec la personne soignée, de la
mise en œuvre des soins décidés. Anthony évoque la résistance
du corps psychiatrique américain à l’utilisation de cette
méthode pourtant validée. Pour tenter encore une fois de
convaincre son public, il rappelle qu’il n’y a pas de relation
forte entre l’intensité des symptômes et les pertes fonctionnelles
du patient. En revanche, il y a une relation significative entre
la qualité des compétences, du soutien environnemental et le
devenir de la réadaptation. Les évaluations initiales du patient
sont donc fondamentales et doivent être faites avec les proches
dans l’environnement réel, non hospitalier. Enfin, le fort désir
des patients impliqués dans la réussite de leur réadaptation est
un moteur important. Cette technique permet de réunir le
patient, ses proches, les professionnels, dans un même moment
autour d’un même projet.
Dix années plus tard, la revue de Mueser et al. [15] a montré
l’expansion de cette méthode et confirmé son caractère central
dans la prise en charge du patient schizophrène.
■ Modèles de vulnérabilité
Origines du concept
Le terme est actuellement employé comme synonyme de
susceptibilité, de prédisposition ou de fragilité. Il est fréquemment question de facteurs de vulnérabilité, au sens de facteurs
de risque pour l’apparition de la maladie ou d’une incapacité à
résister aux contraintes de l’environnement. Le concept postule
l’existence d’un risque variable à manifester un épisode schizophrénique. La vulnérabilité apparaît donc comme une
dimension. Elle repose sur le principe d’une continuité du
normal au pathologique et serait présente chez tous, certains
sujets étant très vulnérables, d’autres faiblement, voire invulnérables à la schizophrénie. Dans les modèles de vulnérabilité,
seule la décompensation épisodique est conceptualisée, et non
la maladie au sens classique du terme. Ce n’est pas la schizophrénie qui serait un trouble chronique, mais la vulnérabilité à
produire des épisodes psychotiques.
Les modèles ont pour intérêt d’intégrer les déterminismes
génétiques et biologiques des troubles et les influences environnementales identifiées dans leur évolution. Ils reposent sur
l’hypothèse que la survenue du trouble serait déterminée par
des interactions complexes entre plusieurs facteurs. Ils sont
donc multifactoriels et en rupture avec la conception traditionnelle de la maladie comme pathologie chronique d’origine
monofactorielle. Leur élaboration a tiré argument de l’hétérogénéité de la maladie mise en évidence par les études longitudinales et génétiques.
D’une part, les états terminaux sont polymorphes et non pas
sévèrement chroniques de façon inéluctable. Plusieurs enquêtes
catamnestiques ont montré que l’évolution est favorable dans
plus de la moitié des cas et qu’elle associe épisodes et périodes
de rémission dans environ 50 à 70 % des cas. [16-19] Or, la
majorité des patients inclus étaient hospitalisés avant l’ère des
neuroleptiques. Les rémissions et guérisons observées étaient
donc indépendantes des médicaments. Un récent travail a repris
les résultats de l’étude de Bleuler à la lumière des systèmes
actuels de classification diagnostique. [20] Après exclusion des
patients dont le diagnostic de schizophrénie ne fut pas confirmé
(30 %), la distribution des modes d’évolution au long terme n’a
pas changé de façon significative et est restée marquée par
3
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l’hétérogénéité. Parmi les patients ayant une schizophrénie
strictement définie, la moitié d’entre eux avait une évolution de
la maladie oscillante avec des rémissions et 12 à 15 % étaient
considérés comme rétablis.
Les études ont aussi étayé le caractère artefactuel de la
chronicité. Un changement de milieu ou l’introduction d’une
stimulation sociale adéquate, le rôle thérapeutique joué par les
attentes positives du patient ou de son entourage à l’égard de
la maladie et du traitement peuvent faire évoluer des situations
apparemment déficitaires et enkystées.
D’autre part, les données génétiques de la schizophrénie sont
contradictoires. Le risque morbide chez les collatéraux (parents,
enfants ainsi que fratrie) est supérieur à l’incidence de la
schizophrénie dans la population générale. Les enfants adoptés
avant l’âge de 1 an dont un des parents biologiques est schizophrène ont une fréquence de l’affection de 3 à 10 fois plus
élevée que les enfants de parents biologiques sains. Mais les
études gémellaires mettent en évidence que les taux de concordance chez les jumeaux monozygotes varient entre 40 et 60 %
et n’excèdent pas 20 % chez les dizygotes.
Modèles
Zubin et Spring [21] furent les premiers à proposer que la
maladie puisse résulter de l’interaction entre une vulnérabilité
permanente et des évènements « provocateurs ».
La vulnérabilité est présente à des degrés variables, déterminant un seuil de tolérance individuel qui définit le niveau
maximal de contraintes auquel un sujet peut résister en sollicitant ses compétences adaptatives. Elle est multifactorielle, soit
innée, soit acquise.
La vulnérabilité innée est génétique, conditionnant le
« terrain » organique.
La vulnérabilité acquise est d’origine environnementale.
L’environnement est ici conçu de manière élargie et recouvre à
la fois la notion de milieu interne et la notion de contexte
externe, familial ou social. Elle résulte de complications
obstétricales et périnatales, de certaines affections, de traumatismes comme les déracinements et défaut d’acculturation, des
expériences développementales comme la complexification des
interactions à l’adolescence.
Les évènements « provocateurs » sont de même multifactoriels,
soit endogènes, soit exogènes. Ils perturbent l’homéostasie de
l’individu, l’obligeant à mettre en œuvre des réponses
adaptatives.
Les évènements endogènes concernent le fonctionnement de
l’organisme et sont en lien par exemple avec l’adolescence, la
prise de toxiques. Ils fragilisent le sujet et diminuent sa
tolérance au stress.
Les évènements exogènes se réfèrent aux évènements de vie
sources de stress, qui est lié à une discordance entre la sollicitation de l’organisme et la perception que celui-ci a des
réponses possibles. Comme ils sont plus faciles à identifier que
les évènements endogènes, le modèle a fini par se résumer à
celui d’une vulnérabilité au stress. Cela revient à affirmer
qu’évaluer le rôle du stress et des stresseurs dans la schizophrénie, c’est indirectement mesurer la vulnérabilité des patients.
Plus que d’un modèle de vulnérabilité, il s’agit donc d’un
modèle stress-vulnérabilité.
Tant que le stress créé par l’évènement demeure inférieur à
son seuil de tolérance, l’individu peut répondre grâce à ses
compétences à s’adapter, à faire face (capacités de « coping »), et
il se maintient dans les limites de la normalité. Quand il excède
le seuil, les stratégies de coping deviennent insuffisantes. Il
génère alors un état de crise repérable à l’existence d’une
tension ou d’une détresse subjective, d’un retrait, d’un comportement inapproprié ou inefficient, de modifications des réactions émotionnelles et d’une perturbation des interactions
4
affectives et cognitives avec l’environnement. C’est une période
à risque qui passe sans conséquence si la vulnérabilité est faible.
Si elle est élevée, l’évolution vers un épisode psychotique est
possible.
Un patient peut développer un épisode en réaction à des
évènements mineurs, et même s’il n’est pas exposé à un niveau
élevé de stress psychosocial. Car le stress produit chez lui des
effets plus marqués en raison de la limitation de ses capacités
biologiques, psychologiques et sociales d’adaptation.
À l’opposé, un individu peu vulnérable ne déclenche un
épisode (souvent bref) que lors de certaines situations. Chacun
d’entre nous, du fait de circonstances spéciales (biologiques :
LSD ; infectieuses ou sociales : guerre) peut présenter des
symptômes psychotiques plus ou moins persistants en fonction
de la sévérité du stress qui vient déborder nos capacités de
coping.
Quand le stress diminue en dessous du seuil, par exemple
grâce à l’intervention thérapeutique, l’épisode cesse et le sujet
peut retourner à un niveau antérieur d’adaptation. Zubin
propose donc un modèle seuil-dépendant où la durée des
épisodes psychotiques est limitée dans le temps.
Zubin et al. [22] ont établi une liste a priori des marqueurs
potentiels, susceptibles d’orienter la recherche. La vulnérabilité
étant la probabilité empirique pour un individu de vivre un
épisode pathologique, elle est permanente. Un marqueur de
vulnérabilité (marqueur de trait) est donc stable : il est présent
avant, pendant, et après l’épisode. Il peut être d’origine environnementale, il est génétique le plus souvent (dit endophénotypique). Dans ce cas, il est aussi présent chez les apparentés du
1er degré apparemment sains. Le marqueur d’épisode (marqueur
d’état) est présent durant l’épisode, seulement chez le patient et
non chez les apparentés sains du 1er degré.
Les modèles ultérieurs ont gardé le même esprit, décrivant des
marqueurs de vulnérabilité et d’épisodes. Leurs hypothèses sousjacentes et les méthodes de validation les différencient. Ainsi,
on distingue des modèles : [23]
• basés sur la réflexion clinique ; [23-26]
• axés sur la recherche de marqueurs spécifiques de vulnérabilité ; [27, 28]
• proposant l’approche bio-psycho-sociale comme méthode
thérapeutique. [29, 30]
Pour Ciompi, [24] la vulnérabilité est liée au traitement altéré
des situations cognitives et affectives complexes lié au trouble
des « systèmes référentiels cognitivoaffectifs » qui le soustendent. Il distingue trois phases. [31]
La première est prémorbide, de la conception au premier
épisode. C’est le temps d’élaboration du terrain vulnérable sous
l’influence interactive et prolongée de facteurs biologiques et
psychosociaux qui fragilisent certains systèmes référentiels dans
leur constitution, compromettant leur activation ultérieure dans
le contexte approprié.
En effet, à chaque stade du développement infantile, des
affects et des émotions se sont liés à des possibilités opératoires
pour réaliser des systèmes référentiels cognitivoaffectifs,
véritables « programmes » de pensées, de sentiments et de
comportements qui se sont stabilisés sous l’effet de la répétition
et des interactions avec l’environnement. Ils constituent un
réseau hiérarchique complexe, permettant au sujet de forger son
sens de la réalité, de construire son identité par la différenciation progressive des réalités intérieure et extérieure, et d’élaborer
une représentation d’objet. La neuroplasticité (facilitation et
fixation de la transmission neuronale par le biais de stimulations répétées) serait le phénomène cellulaire clé dans la
constitution et l’activation de ces programmes. Par ce mécanisme de mémorisation et « d’inscription » neurobiologique des
effets de l’environnement, la répétition de l’exposition aux
stresseurs psychosociaux faciliterait l’utilisation de voies
neuronales privilégiées impliquées dans les symptômes psychotiques. [32] Le support des systèmes référentiels serait le système
limbique en raison de son implication dans les phénomènes de
Psychiatrie
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie ¶ 37-290-A-10
mémoire et d’apprentissage, et du rôle qu’y jouent les affects.
Cette hypothèse est étayée par la richesse de ce système en
neuromédiateurs, en particulier dopaminergique, et l’abondance
de ses projections, notamment vers le cortex préfrontal. Le rôle
des projections dopaminergiques préfrontales (mésocorticales)
serait d’augmenter l’activité métabolique dans le cortex préfrontal et de lui fournir des informations sur le niveau d’activité
des neurones mésolimbiques que ce cortex modulerait. Dans la
schizophrénie, une désafférentation du cortex préfrontal avec
une inversion de la balance cortico/sous-corticale aboutirait à
une hypoactivité mésocorticale et à une hyperactivité
mésolimbique.
Les facteurs de fragilisation d’origine biologique peuvent être
génétiques, périnataux, ou survenir à une phase ultérieure du
développement. Parmi les facteurs psychosociaux, le rôle des
séparations précoces et prolongées, de certains traumatismes
infantiles et des perturbations du milieu familial est souligné.
La seconde phase survient quand ce terrain vulnérable décompense sous l’influence de facteurs de stress additionnels alors
que les capacités de coping sont réduites. Ceux-ci peuvent être
liés aux étapes du développement (départ de la maison, entrée
dans la vie professionnelle, choix d’un partenaire, grossesse,
naissance d’un enfant), à des modifications hormonales ou à
l’usage de drogues. Le système bascule d’un état fonctionnel à
un régime psychotique aigu.
La troisième phase concerne l’évolution. Elle va de la rémission
complète et durable à la chronicité en passant par la survenue
de multiples exacerbations, conduisant à divers degrés d’états
résiduels. Ces types évolutifs variés correspondent à des modalités d’auto-organisation distinctes, propres à la dynamique des
systèmes complexes dont Ciompi s’inspire par ailleurs pour son
modèle.
Dans leur modèle, Nuechterlein et Dawson [27, 28] intègrent
quatre composantes : les caractéristiques durables de vulnérabilité, aussi appelées marqueurs ; l’effet stressant des stimulations
environnementales ; l’existence d’états intermédiaires transitoires précédant l’épisode psychotique et les comportements
résultants (les symptômes schizophréniques).
Ils distinguent trois marqueurs de trait.
Le déficit des ressources attentionnelles et des capacités de
traitement de l’information conditionne le premier marqueur,
qui est donc de nature cognitive. Le filtrage défectueux de
l’information lié au défaut d’attention sélective exposerait le
patient à un excès de stimulations extérieures.
Ce trouble s’associe au deuxième marqueur qui est l’hyperréactivité du système nerveux autonome aux stimuli aversifs
(identifiée par l’étude des réponses électrodermales) responsable
d’une hypersensibilité aux situations déstabilisantes, anxiogènes.
Un répertoire comportemental social réduit avec mauvais
contrôle émotionnel et des capacités déficitaires à s’ajuster
socialement de façon efficace (coping) entraîneraient des
perturbations des relations interpersonnelles. Ces perturbations
des interactions sociales constituent le troisième marqueur et ne
sont donc pas que la conséquence des symptômes schizophréniques.
Les évènements stressants qui interagissent avec les facteurs de
vulnérabilité sont de nature sociale (évènements de vie) et
familiale (mauvais étayage familial incapable de jouer un rôle de
tampon).
Les états intermédiaires transitoires se produisent sous l’effet de
cette interaction. Ils précèdent la décompensation. Ils se
manifestent par une surcharge des processus de traitement des
informations, l’augmentation de l’activité du système nerveux
autonome et le traitement non pertinent des stimuli sociaux.
Par un effet de feed-back, ces troubles accroissent l’effet délétère
des stresseurs environnementaux qui, à leur tour, surchargent la
capacité de traitement, aggravent l’hyperéveil et augmentent le
déficit de traitement des stimuli sociaux.
Psychiatrie
Ces états se manifestent cliniquement par des signes prodromiques tels que tension, irritabilité et difficultés de concentration. Leur devenir dépend des ultimes stratégies d’adaptation
déployées par le patient. Il peut tenter de se protéger des
stimulations par un comportement de retrait, parfois noté dans
les états prodromiques. Il peut aussi affronter ces situations
stressantes, ce qui a pour conséquence d’alimenter le cercle
vicieux. La déficience du traitement provoquerait alors une
désorganisation cognitive responsable d’une fragmentation de la
pensée et de la perception qui contribuerait à briser les liens
entre l’individu et son entourage. Le délire, les hallucinations et
les troubles formels de la pensée se manifestent lorsque le
déficit cognitif serait tel qu’il serait à l’origine d’une altération
du sens de la réalité. Ce niveau correspond aux épisodes
schizophréniques.
Dans leur modèle, Nuechterlein et Dawson évoquent l’existence de marqueurs intermédiaires appelés facteurs médiateurs
de la vulnérabilité. Présents durant et en dehors de l’épisode
psychotique, ils se distinguent des marqueurs d’épisode et de
vulnérabilité. Leurs variations joueraient un rôle dans l’apparition des états intermédiaires. Parmi les marqueurs de vulnérabilité, les marqueurs neurocognitifs font l’objet d’un grand
intérêt.
Marqueurs neurocognitifs de vulnérabilité
Les études familiales comparant les performances cognitives
des patients, celles de leurs apparentés et celles de sujets sains
appariés constituent la méthodologie la plus intéressante.
L’attention soutenue et les fonctions exécutives ont particulièrement été étudiées.
Les compétences attentionnelles (attention soutenue, empan
attentionnel) des patients et de leurs proches indemnes de la
maladie sont altérées en comparaison de celles des sujets
contrôles. [33, 34] Goldberg et al. [35, 36] ont étudié des groupes de
jumeaux monozygotes. Cela leur a permis de contrôler la
variabilité génétique et l’influence des facteurs environnementaux, et donc de comparer des patients à un groupe témoin
strictement apparié. Ils ont montré que les patients sont altérés
en comparaison de leur jumeau sain, même lorsque leurs
résultats aux tests évaluant l’attention soutenue, la formation de
concept et la mémoire auraient pu être considérés comme étant
dans les limites normales. [35] De plus, la comparaison des sujets
sains issus des couples gémellaires dont l’un des membres est
schizophrène aux couples de jumeaux tous les deux sains a
montré qu’ils sont caractérisés par de subtils déficits cognitifs
concernant les fonctions exécutives (résolution de problème et
rapidité de traitement de l’information) et la mémoire. [36]
Dollfus et al. [37] avaient pour but de déterminer si les
performances exécutives et attentionnelles peuvent être considérées comme des marqueurs de vulnérabilité. Le test de Stroop
ainsi que les fluences catégorielle et formelle étaient significativement altérés chez les patients et leurs parents en comparaison
de sujets contrôles appariés selon l’âge et le sexe, alors que les
performances au Modified card sorting test (MCST) et au Trail
making test (TMT) ne différaient pas. Ils ont conclu que les
altérations cognitives mises en évidence par les tests de Stroop
et de fluence pourraient être considérées comme des marqueurs
endophénotypiques.
Stresseurs sociaux et environnementaux
Ces évènements transitoires ou ambiants nécessitent une
adaptation que l’individu ne peut plus fournir, dépassant ses
capacités à faire face. [38] Parmi les stresseurs déjà cités, certains
méritent une attention particulière.
L’arrêt du traitement antipsychotique est le premier stress. En
supprimant la protection médicamenteuse, il abaisse le seuil de
déclenchement des symptômes.
5
37-290-A-10 ¶ Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
Les travaux de Vaughn et Leff [39] ont démontré l’importance
du contexte émotionnel familial. Le concept d’« émotion
exprimée » (EE) renvoie à la nature et à l’intensité des interactions entre un patient et les membres de sa famille. On parle de
forte EE si l’environnement manifeste de façon verbale ou non
verbale beaucoup d’hostilité, des commentaires critiques et
intrusifs à l’égard du patient. On peut aussi observer une
surimplication émotionnelle (attitude d’hyperprotection,
sacrifice personnel d’un des membres de la famille, identification au patient). Le niveau d’EE joue un grand rôle dans le
déclenchement des rechutes, [40] qui doit cependant être
tempéré par la prise en compte du temps de contact entre le
patient et sa famille, et de son observance ou non d’un traitement neuroleptique.
La pression de performance aux études ou au travail est
souvent un facteur d’angoisse et de déclenchement de symptômes psychotiques. La disparition des liens familiaux et sociaux
(marginalité, migration, défaut d’acculturation), l’isolement
conduisent à une « atrophie » des compétences sociales par
manque d’usage. [38] Enfin, la prise de toxiques (drogues et
alcool), les abus de médicaments sont des stresseurs importants.
Facteurs de protection
Selon Zubin, il existe des variables modératrices qui interviennent dans l’adaptation au stress. Il s’agit en particulier des
capacités de « coping » qui peuvent être, selon les individus,
élevées ou basses. La vulnérabilité au stress se manifeste lors
d’évènements hautement stressants chez les premiers, lors
d’évènements moins importants et plus souvent chez les
seconds. La notion de stress est donc étroitement liée aux
possibilités d’adaptation et d’ajustement du sujet. La potentialité
stressante d’un évènement pour un individu donné dépend de
la nature et de sa perception de l’évènement ; de sa perception
de ses capacités ou « compétences à faire face au stresseur » et
de leur niveau ; de ses efforts d’ajustement ; de sa vulnérabilité.
Nuechterlein identifie des facteurs de protection personnels
(coping, traitement antipsychotique) et environnementaux
(stratégies familiales de résolution de problèmes, qualité du
réseau psychosocial).
Anthony et Liberman [41] insistent sur l’importance des
facteurs qui influencent le résultat de la réadaptation sociale et
donc le devenir psychologique du sujet. Leur schéma est basé
sur les trois niveaux du fonctionnement psychique humain
(biologique, psychologique et social) indissociables et en
interaction constante (Fig. 1). En fonction de la capacité du
patient et de son équipe de soins à gérer tous ces éléments, le
Vulnérabilité
biopsychologique
Stresseurs socioenvironnementaux
Facteurs de protection
- Soutien social continu
- Développement des compétences sociales
- Médicament
- Programme de soins et de réinsertion dans la communauté
- Diminution plus rapide des altérations fonctionnelles liées
aux symptômes schizophréniques
- Moins d'incapacité sociale, meilleur respect de son potentiel
de développement humain
- Handicap moins important (moins de vagabondage, plus
d'insertion, plus de vie amicale ou amoureuse, assume
mieux ses responsabilités)
Figure 1
.
6
résultat de la réadaptation est plus ou moins satisfaisant. Une
bonne évolution aura un feed-back positif et sera en elle-même
un facteur diminuant la vulnérabilité et augmentant la résistance au stress.
■ Évaluation fonctionnelle
du patient : problèmes, besoins
et compétences
Cette étape va confirmer la motivation et l’implication de
chacun. Elle ne peut vraiment commencer qu’après l’amendement des symptômes aigus. Elle fournit des renseignements
utiles sur trois points : [38]
• identifier les stresseurs qui peuvent déborder les compétences
adaptatives du patient dans ses rôles sociaux ;
• mieux connaître les compétences susceptibles d’atténuer les
effets des stresseurs ;
• déterminer si les déficits des compétences d’adaptation ou de
résolution de problèmes sont liés à la maladie, à la perte
d’usage ou à un environnement qui renforce le malade dans
ce rôle.
Il est important que le patient, ses soignants et son entourage
participent à l’évaluation. Le répertoire comportemental, les
points forts et les déficits, ce que l’individu peut faire dans la
vie quotidienne sont identifiés. L’aide des proches est utilisée
pour vérifier la qualité des informations recueillies et hiérarchiser les objectifs de la réadaptation. L’objectif d’une guérison
sociale possible est mis en avant, à condition de fournir une
aide suffisante en quantité, qualité et durée.
Identifier les problèmes et les objectifs
L’inventaire des problèmes est multiaxial et concerne les savoirfaire sociaux, les cognitions et émotions, les activités de la vie
quotidienne. Ils sont définis en termes concrets, descriptifs et
précis. Dans quelle circonstance, où, quand, avec qui ? Le
patient reconnaît-il le problème, souhaite-t-il le voir disparaître ?
Quels évènements de vie stressants peuvent avoir de l’influence
sur ces comportements ? Ont-ils une origine neurocognitive ?
Leurs conséquences sont-elles dramatiques ? Qu’arriverait-il si
on ignorait ces problèmes ? Questionner les effets de la sympathie, de l’attention ou de la coercition qu’apporte l’entourage
lorsqu’ils se manifestent. Ces effets constituent-ils un renforcement qui en favorise le maintien : quels sont les bénéfices
secondaires potentiels ?
Les déficits comportementaux sont décrits dans des termes
acceptables pour le patient et ses proches. Ce sont des comportements adaptés se produisant trop rarement ou sous une forme
inappropriée. Ils sont souvent considérés comme des symptômes négatifs de la maladie (par exemple : mutisme, diminution
de l’hygiène personnelle, difficultés à terminer une tâche, à
maintenir une relation amicale).
Les excès comportementaux qui auraient besoin d’être réduits
ou supprimés sont identifiés. Ils posent problème parce qu’ils
sont intrinsèquement inadaptés, ou parce qu’ils surviennent
avec excès en fréquence ou en durée (par exemple : parler avec
ses voix, boire du café, déambuler).
Les points forts comportementaux comprennent les compétences sociales du patient, ses efforts d’adaptation et le soutien
social apporté par l’entourage. Ils servent d’étayage à l’acquisition de comportements nouveaux et souhaitables. Les patients
ayant un niveau d’adaptation prémorbide faible ont en général
peu de points forts.
Les objectifs d’amélioration sont établis de façon planifiée. Ils
sont progressifs et réalistes, approuvés par le patient et ses
proches. La participation du patient est encouragée car nous lui
donnons des explications, lui demandons son avis, en vérifiant
Psychiatrie
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie ¶ 37-290-A-10
toujours ce qu’il comprend et accepte. Le projet ne doit pas se
construire « contre » le délire ou les symptômes. D’une part, des
idées délirantes paranoïdes peuvent être inaccessibles à la
discussion. D’autre part, nombre de ces symptômes génèrent des
attitudes de réassurance de la part de la famille et des soignants,
ce qui les renforce indirectement. Par exemple, l’attention
portée par ses proches à ses idées délirantes hypocondriaques
renforce l’inquiétude du patient. [38] Les proches et l’équipe
soignante peuvent au contraire améliorer la symptomatologie
en réduisant l’attention accordée aux symptômes et en se
focalisant sur les points forts. En effet, proposer au patient des
activités constructives l’aide à s’investir et réduit indirectement
les symptômes gênants. De plus, si on renforce ses compétences
sociales, les symptômes seront moins invalidants. En ce sens, il
est important d’évaluer à quel point les incapacités actuelles
sont mal supportées par le patient et sa famille. Cette évaluation
permet d’avoir une idée de la motivation à changer.
Outils d’aide à l’évaluation
Elle est faite par l’équipe pluridisciplinaire, avec l’aide du
patient et de son entourage.
Le premier questionnaire explore les conditions de vie. Le
questionnaire de qualité de vie objective de Lehman (ou sa
version subjective) en est un modèle. [42] Il permet un recueil
exhaustif concernant logement, argent, travail, activités quotidiennes, relations aux autres, à la famille.
Le deuxième questionnaire est le Social Adjustement Scale SelfReport (SAS-SR). [43] Il dérive de l’échelle d’adaptation sociale [44]
dont il est une version par autoévaluation traduite par Waintraub. [45] Il explore tous les secteurs de la vie sociale et évalue
les degrés d’implication et de satisfaction sur la façon dont le
patient a rempli ses différents rôles sociaux.
La Morning Side Rehabilitation Schedule Scale [46] retenue par
Cottraux [47] permet de suivre l’évolution de la réadaptation du
patient. Elle est remplie avec le sujet ou par un professionnel le
connaissant bien. Elle constitue une mesure globale du degré
d’adaptation/réadaptation et explore ce que fait, vraiment, le
patient dans quatre domaines de son comportement :
indépendance/dépendance (peut-il vivre de façon autonome ?),
activité/inactivité, intégration sociale/isolement (recherche-t-il
des amis, ou protège-t-il son isolement ?) et effet des symptômes
psychotiques présents.
Le quatrième outil est aussi utilisé pour l’entraînement aux
habiletés sociales. L’AIPSS (Assessment of Interpersonal Solving
Skills) [48] a été traduit en français sous l’impulsion de Favrod et
Lebigre. [49] Ce test évalue les capacités de compréhension d’une
interaction sociale et débouche sur un jeu de rôle où le patient
met en œuvre la stratégie de communication et de résolution de
problème qu’il a choisie. Son utilisation permet de se faire une
idée vivante et dynamique de ses compétences et de ses besoins,
et d’apprécier les savoir-faire qu’il aura à acquérir. Ainsi, avoir
du mal à parler à quelqu’un est peu handicapant s’il s’agit
d’aller faire une course dans un supermarché, mais se révèle
déstabilisant pour faire appel à un dépanneur pour son réfrigérateur. Les cotations ont mis en évidence le caractère très
discriminant des notes obtenues entre les patients souffrant de
psychose et les autres.
Mise en place du projet de soins
L’équipe pluridisciplinaire met en œuvre un projet global et
cohérent avec l’aide du patient et de sa famille. De façon
régulière, à des dates programmées, l’animateur du projet de
soins et le patient font donc le point avec l’ensemble des
soignants impliqués chacun dans son domaine. Un tiers extérieur est toujours présent même s’il ne s’agit que d’un curateur.
Le patient, avec l’aide de l’animateur, fixe l’ordre du jour.
Nous essayons qu’il puisse tenir le rôle du président de séance.
Les buts des soins à court et long terme sont rappelés. Pour les
buts à court terme, une date est fixée. Les moyens mis à la
Psychiatrie
disposition du patient pour l’aider à parvenir à ce but sont
précisés (qui fait quoi, où, quand, comment). Les objectifs et les
étapes sont modestes, et les marches très progressives entre
chaque étape. Ainsi, le patient accomplit des progrès sans se
sentir mis en difficulté. Les progrès décidés sont facilement
évaluables par tous (patient et soignants). Dans la liste des
compétences, certaines sont prioritaires. Ainsi, l’hygiène, la
présentation doivent être acquises pour la participation à des
activités de groupe. Les différentes étapes d’évaluation ne sont
pas mises en œuvre de façon séquentielle, l’une après l’autre.
Souvent, elles se chevauchent et se renforcent mutuellement.
Car, si des cadres temporels sont fixés pour le patient et l’équipe
de soins, souvent il y a des arrêts et des reprises dans
l’évolution.
Les étapes du projet de soins sont arrêtées jusqu’à la réunion
suivante. Cette planification nécessite beaucoup de coordination
entre les différents intervenants. Un résumé écrit de la rencontre est remis à chacun. Cela aide la famille à se défaire des
mécanismes d’emprise, de surprotection ou de déni (du sujet et
de sa maladie).
La structure extrahospitalière est donc liée contractuellement
avec le patient et avec ses proches. Elle devient l’institution
garante de son plan de soins, révélatrice de ses compétences en
étant un terrain d’expérimentation ou d’apprentissage social (au
sens de Bandura).
■ Entraînement aux habiletés
sociales et modifications
comportementales
Elles sont définies comme l’ensemble des capacités cognitives
et comportementales grâce auxquelles nous pouvons clairement
communiquer et réaliser nos aspirations dans le cadre de nos
relations interpersonnelles. [50]
De nombreux patients sont gênés aussi bien par des symptômes que par la diminution de leurs capacités à vivre en société.
Même si de bonnes capacités existaient avant la maladie, celle-ci
peut rendre les personnes incapables d’utiliser leur répertoire de
compétences sociales. De plus, quand elle s’installe insidieusement à l’adolescence, beaucoup de compétences n’ont pas eu le
temps d’être acquises. Or, des patients même très régressés
peuvent apprendre des savoir-être qui leur permettront une
certaine autonomie sociale. En effet, Anthony et Liberman [41]
ont démontré que des compétences nouvelles peuvent être
apprises et qu’un environnement social favorable facilite le
succès de la réadaptation. Pour ces auteurs, l’analogie de la clé
et de la serrure est une métaphore utile pour conceptualiser la
réadaptation psychiatrique. Les efforts pour faire passer le
patient à un niveau supérieur de son répertoire comportemental
modifient la clé. Mais il est souvent nécessaire de modifier
l’entourage du patient, i.e. la serrure. Des interventions auprès
de la famille conduisent à de spectaculaires améliorations, car
certains modèles relationnels familiaux sont facteurs de rechute
dans la schizophrénie. [39, 40] Leur modification a un effet
bénéfique sur le taux de rechute, le fardeau familial et l’adaptation sociale. Les ateliers protégés, les emplois de transition, les
clubs psychosociaux sont d’autres exemples d’environnement
modifié.
Techniques comportementales
Les grandes lignes de ces techniques sont l’anticipation
positive (optimisme) : des changements attendus sont possibles
si l’entraînement aux habiletés sociales est modulé, adapté à
chacun ; croire que la motivation au changement peut être
créée aussi bien par le patient lui-même (motivation interne)
que par la mise en place du processus thérapeutique
7
37-290-A-10 ¶ Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
(motivation externe) ; la confiance dans les plus petits progrès
qui vont servir de catalyseurs pour modifier les comportements
ciblés. Car les acquisitions réduisent spontanément les comportements inadaptés. Elles sont basées sur trois approches complémentaires : le conditionnement opérant et le renforcement, les
techniques de contrôle de l’anxiété et le modèle d’apprentissage
social.
Dans le conditionnement classique (décrit par Pavlov), le
sujet réagit involontairement : son comportement est contrôlé
par le stimulus qui le précède. Il subit les circonstances. À
l’inverse, dans le conditionnement opérant tel qu’il est défini
par Skinner, [51] le sujet accomplit volontairement un comportement en rapport avec un stimulus qui le suit. Ce conditionnement opérant permet le renforcement, opération qui
augmente la fréquence d’apparition du comportement cible. Le
renforcement est positif quand la manifestation du stimulus
peut être majorée par la réalisation du comportement cible. Au
contraire, le renforcement est négatif quand le stimulus peut
être évité ou interrompu par la réalisation du comportement.
Les techniques de contrôle de l’anxiété sociale sont utilisées
dans les groupes psychoéducatifs grâce à l’effet d’exposition à la
situation anxiogène. Les patients tirent ainsi bénéfice de toutes
les techniques habituelles d’affirmation de soi.
L’apprentissage social normal décrit par Bandura [52] se
décompose en trois phases. La première est une phase d’acquisition par observation. Elle est renforcée par le plaisir que
suscite l’identification sociale. La deuxième étape est la phase de
reproduction. Elle est facilitée par la maîtrise de soi et le
sentiment d’efficacité personnelle que le sujet ressent à chaque
réalisation. Troisièmement, le fait d’adopter un comportement
nouveau est renforcé par l’anticipation de ses conséquences
positives. Pour nos patients, ces trois étapes ne sont pas simples
et nécessitent la mise en œuvre d’un entraînement spécifique.
En effet, les déficits neurocognitifs entravent leurs capacités à
percevoir et reproduire. Le sentiment d’efficacité personnelle
décroît s’il est associé à une baisse de la motivation interne, ou
si le repli est favorisé par une baisse de la stimulation éducative
(motivation externe).
Les objectifs à long terme de ces soins se confondent avec
ceux de la réhabilitation sociale : permettre le maintien dans la
cité avec une qualité de vie acceptable. [11]
Modèle conceptuel des différentes variables
liées aux habiletés et aux compétences
sociales
Liberman et al. [53] ont proposé le modèle suivant de façon à
asseoir leurs observations pratiques sur une construction
théorique claire (Fig. 2).
Les capacités à engrammer un bon répertoire comportemental
sont sous la dépendance des fonctions neurocognitives de base
comme la perception, l’attention, la mémoire, des émotions,
mais aussi d’éléments plus psychologiques comme les biais de
perception des évènements. Le répertoire ainsi constitué est
d’autant plus accessible et disponible que le patient, dans ses
efforts d’adaptation, a un sentiment d’efficacité personnelle et
de bonnes capacités à résoudre les problèmes interpersonnels. Le
sentiment d’efficacité repose sur la motivation interne pour agir,
la mise en place de stratégies adaptées et le sentiment de bien
comprendre la situation et les acteurs. La compétence à la
résolution de problèmes interpersonnels repose sur de bonnes
capacités à percevoir ses propres buts et ceux des autres dans
cette situation, à traiter (générer) des solutions adaptées à la
situation et à émettre (exprimer) la solution choisie avec la
meilleure communication possible.
Pour accroître l’efficacité du comportement social, on peut
soit :
• améliorer l’attention et la mémoire (entraînement des
fonctions de base) ;
8
ÉVÈNEMENTS SOCIOENVIRONNEMENTAUX
Difficultés
neurocognitives
Concepts
Émotions
Répertoire
comportemental
Schémas sociaux
Cognitions sociales
Coping (capacité
à s'adapter)
Efforts d'adaptation
Sentiments
d'efficacité
personnelle
Biais cognitifs et
psychologiques
Habitudes sociales
Habiletés sociales
Capacité à
résoudre les
problèmes
interpersonnels
Percevoir - Traiter
- Émettre
Compétence sociale
Figure 2
.
• enrichir le répertoire comportemental (apprentissage de
nouvelles compétences) ;
• accroître l’apprentissage à la résolution de problèmes interpersonnels ;
• améliorer le sentiment d’efficacité personnelle (feed-back,
félicitations) ;
• diminuer les biais cognitifs (psychothérapie) ;
• modifier les évènements en modifiant l’entourage.
Pour chaque patient, il faut déterminer les compétences déjà
existantes et quelles seront les actions prioritaires.
Remédier aux déficits des fonctions
de bases
Lors d’une hospitalisation, on peut réentraîner des comportements de base comme les échanges conversationnels courts,
l’hygiène ou une présentation adaptée. Les interactions sont
courtes, répétées de nombreuses fois chaque jour. Dès qu’un
degré est atteint, on passe à la difficulté juste supérieure. Dans
un exercice typique, l’entraîneur peut dire « je suis allé faire des
courses hier soir ». Si la personne répond par exemple :
« Qu’avez-vous acheté ? », cette question ouverte correcte est
immédiatement félicitée. Sinon, on lui souffle : « Posez-lui une
question ». Si le patient ne sait pas, on lui souffle : « Qu’avezvous acheté ? » Dès que la question est répétée par le patient,
on le félicite. L’essai se termine dès qu’il a réussi ou au bout de
trois tentatives. Cette procédure peut être utilisée pour poser des
questions, faire un compliment, puis faire des propositions
d’activités avec d’autres.
On peut aussi faire participer les patients de façon progressive
à des ateliers basés sur le programme IPT de Brenner (45 minutes, 3 à 4 fois par semaine pendant 1 an) dans les trois domaines suivants : différenciation cognitive, perception sociale,
communication verbale. [4] Le troisième domaine est un véritable atelier d’entraînement à converser (écouter, répéter, comprendre des phrases de plus en plus longues et difficiles), puis à
répondre, à organiser une discussion sur un thème précis. La
brièveté des exercices favorise le maintien de l’attention. Ces
exercices se font en groupe. Le patient d’un meilleur niveau
peut participer comme partenaire qui pose des questions
ouvertes et écoute l’autre.
Psychiatrie
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie ¶ 37-290-A-10
Selon Liberman, [38] il est important d’utiliser régulièrement
avec le patient les tactiques comportementales suivantes :
• établir une relation thérapeutique confiante, chaleureuse et
respectueuse ;
• fixer à l’avance la durée du programme de soins mis en
œuvre ;
• utiliser le jeu de rôle et la répétition comportementale pour
simuler les situations rencontrées dans son environnement
naturel ;
• lui prescrire des tâches comportementales à domicile et créer
des attentes optimistes ;
• lui donner des informations sur les changements observés
dans son comportement et réévaluer périodiquement ses
progrès en établissant de nouveaux objectifs ;
• renforcer ses progrès, ne pas insister sur ses échecs ;
• provoquer la généralisation de ses succès en impliquant les
membres de sa famille ou de son environnement naturel.
Améliorer la capacité à résoudre
les problèmes interpersonnels
Le thérapeute identifie avec le patient les situations qui lui
posent un problème interpersonnel. Quelle émotion, quelle
ressource, quel comportement sont manquants ou ne sont pas
exprimés de façon appropriée ? Les aptitudes verbales et non
verbales à la communication sont vérifiées.
Le patient apprend à reconnaître ses émotions et à les
exprimer. Le chapitre concernant la gestion des émotions de
l’IPT est un guide utile pour le thérapeute. [4] La qualité des
expressions et des comportements sociaux est évaluée puis
renforcée grâce à la technique du jeu de rôle. L’une des saynètes
vidéo fournies par l’AIPSS [48, 49] où un problème interpersonnel
est mis en scène peut servir de base. La scène est passée une
fois. Le patient se met à la place de la personne désignée. On
lui demande s’il y a un problème dans cette scène et de le
définir en termes de but et d’obstacle, puis d’imaginer une
solution et de nous la décrire. Est-elle réaliste, socialement
adaptée ? Puis on fait un jeu de rôle bref (pas plus de 1 minute),
l’évaluateur donnant la réplique. Le patient joue sa solution,
l’évaluateur ne mettant pas d’obstacle à son déroulement. Si
possible, le jeu de rôle est filmé, puis évalué selon une grille de
cotation, en tenant compte des capacités verbales et non
verbales de communication. On vérifie le degré d’efficacité de
la chaîne perception-compréhension-génération d’un ou plusieurs plans d’action, manifestations d’un comportement
présélectionné par le patient. Les jeux de rôle filmés en vidéo
sont enrichis grâce à l’apprentissage par observation (modelage)
ou façonnés par petites touches dans le cadre d’un travail en
groupe. Le thérapeute donne du feed-back dès que le jeu de rôle
est revu. Ses compliments et encouragements (ainsi que ceux du
groupe) sont des renforcements positifs puissants.
Modification des stratégies d’adaptation
(coping)
Le terme de coping (to cope with) n’a pas d’équivalent francophone hormis des périphrases comme : s’adapter à, faire face à,
être à la hauteur de… Selon Folkman et Lazarus, cités par
Lalonde et al., [54] il désigne l’ensemble des efforts cognitifs et
comportementaux qu’une personne fait pour s’adapter aux
exigences de son milieu interne ou pour répondre aux demandes de l’extérieur quand elles débordent ses capacités immédiates. Il s’appuie sur les ressources du sujet ainsi que sur les
ressources disponibles dans son environnement social et a pour
but de rétablir son équilibre. Il comprend à la fois un versant
cognitif, émotionnel et comportemental. L’état émotionnel vécu
lors de la situation de stress peut influencer de façon positive ou
négative la résolution du problème. La tendance à éviter ou à
se confronter au conflit, i.e. le style du sujet face à une
situation-problème, s’exprime dans la composante comportementale. [55] Le coping pourrait donc aussi être étudié, d’un
point de vue psychodynamique, comme une façon habituelle
de réagir face à un stress. Ce pourrait presque être une défense
ou un trait de personnalité.
Psychiatrie
Lazarus a émis l’hypothèse que la manière qu’a un sujet
d’évaluer et de faire face aux situations stressantes serait plus
importante pour sa santé psychique que la situation-problème
elle-même. Car son appréciation du problème est un élément
clé dans les stratégies de coping qu’il peut élaborer. Son modèle
postule qu’il existe une relation continue entre l’individu et son
environnement. Elle est modulée par deux processus en interaction constante : l’évaluation cognitive de la situation et le style
du coping.
L’évaluation cognitive de la situation peut être perturbée par
des biais cognitifs, la désorganisation cognitive du patient, ses
croyances irrationnelles, son incapacité à évaluer ses propres
ressources adaptatives.
Le coping peut être classé selon deux types de stratégie. D’une
part, il peut être centré sur le problème et avoir pour but de
résoudre la situation stressante de façon constructive. L’approche dirigée vers la résolution du problème sélectionne l’aspect
conscient et stratégique de la façon de réagir face à telle
situation chez un sujet actif.
D’autre part, il peut être centré sur l’émotion. Le sujet
contrôle ses émotions douloureuses réveillées par la situation
stressante. Ce type de coping est plus évitant et moins adapté,
sauf si la situation est réellement incontrôlable.
Vitaliano, en 1985, a validé une version abrégée de l’échelle
créée en 1984 par Lazarus et Folkman. [56] Elle a été traduite
et validée en français par Paulhan et al. [57] Cet instrument comporte 29 items évaluant les différents types de
stratégies qu’un sujet peut utiliser quand il est confronté à
une situation menaçante. Les items peuvent être regroupés en
cinq facteurs :
“
Items des différents types
de stratégie
• Facteur 1 : résolution de problèmes.
C J’ai établi un plan d’action et je l’ai suivi.
C Je me suis battu pour ce que je voulais.
C J’ai changé les choses pour que tout puisse bien finir.
C J’ai négocié pour obtenir quelque chose de positif.
• Facteur 2 : évitement avec pensée positive.
C J’ai souhaité pouvoir changer ce qui est arrivé.
C Je me suis senti mal de ne pas pouvoir éviter le
problème.
C J’ai espéré qu’un miracle se produise.
C J’ai rêvé ou imaginé un endroit meilleur que celui où
j’étais.
C J’ai essayé de tout oublier.
• Facteur 3 : recherche de soutien social.
C J’ai parlé à quelqu’un de ce que je ressentais, pour
mieux comprendre la situation. J’ai essayé de ne pas
m’isoler.
C J’ai accepté la sympathie et la compréhension de
quelqu’un.
• Facteur 4 : réévaluation positive.
C J’ai souhaité être le plus fort, plus optimiste.
C J’ai changé positivement.
C J’ai modifié quelque chose en moi afin de mieux
supporter la situation.
C Je me suis concentré sur un aspect positif qui
pourrait apparaître après.
• Facteur 5 : auto-accusation.
C Je me suis culpabilisé.
C J’ai pris conscience que j’avais moi-même créé le
problème.
C Je me suis critiqué ou sermonné.
9
37-290-A-10 ¶ Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
Les stratégies actives regroupent les facteurs 1 et 3 et sont
centrées sur le problème en l’affrontant ou en demandant de
l’aide. Elles cherchent à modifier ou à éliminer la source de
stress en s’attaquant à la réalité de la situation.
Les stratégies passives sont centrées sur les émotions (contrôler l’émotion liée au stresseur et tenter de maintenir un
équilibre affectif) ou l’évaluation cognitive (efforts faits pour
définir la signification personnelle attachée à une situation).
Le concept de coping est central dans le modèle de Liberman :
il insiste sur les interrelations constantes entre le sentiment
d’efficacité personnelle, les compétences sociales et le coping
(Fig.2). Apprendre ou relancer l’utilisation de copings adaptés
aux difficultés du quotidien est donc nécessaire dans le cadre
d’un programme de réadaptation individualisée. Des stratégies
de coping mal adaptées vont aggraver la vulnérabilité au stress
et favoriser l’aggravation ou la réapparition de symptômes.
La question de la motivation à s’adapter ou faire face est bien
sûr centrale dans la vie quotidienne des personnes souffrant de
schizophrénie.
Lalonde et al. [54] ont étudié les problèmes quotidiens
rapportés par 47 patients schizophrènes. Leurs réponses ont été
regroupées en quatre catégories (symptômes de la maladie,
organisation quotidienne, contacts avec les autres, attitude de la
personne face à sa maladie) et étudiées en fonction du mode de
coping utilisé. Dans un tiers des cas, le coping actif (affrontement) est utilisé, surtout pour des problèmes matériels concrets
(prendre un traitement pour dormir, pour atténuer les voix). Les
deux tiers restant utilisent un coping centré sur l’émotion
(j’attends, je ne fais rien, je ne parle plus, je suis découragé,
j’essaye de me changer les idées). Les patients s’appuient sur
l’évitement passif du problème et l’acceptation d’une émotion
triste liée à ce comportement, même s’ils ont correctement
défini le problème (par exemple : la solitude, l’apragmatisme).
Dans la discussion de leurs résultats, les auteurs recommandent d’établir des programmes de réadaptation adaptés aux
besoins et demandes des patients. Ces programmes ont pour
objectif d’enrichir leur répertoire de stratégies visant à affronter
des situations problèmes tirées de leur vie réelle. Il faut aussi
tenir compte du poids majeur de l’émotion dans leurs comportements. [58] Tout enrichissement cognitif sera inopérant si les
patients n’ont pas d’abord réappris à reconnaître chez eux la
colère, la tristesse et des techniques pour dépasser ces émotions.
■ Entraînements aux habiletés
sociales et modifications cognitives
Comme le précisent Chambon et al., [59] il semble illusoire de
« tirer une ligne de démarcation absolue entre psychothérapie et
réadaptation sociale dans la schizophrénie ». Selon les auteurs,
les possibilités d’adaptation du patient dépendent tout autant
de ses compétences sociales objectives que de l’emprise de ses
croyances et de certaines règles idiosyncrasiques qui empoisonnent ses relations à lui-même et aux autres.
Le développement des techniques de psychothérapie cognitive des psychoses a rendu possible l’abord de ces perturbations
psychiques. [1]
Cependant, ces techniques ne se déploient utilement qu’après
les « techniques de dégagement du terrain » comme l’entraînement aux habiletés sociales qui fixe des buts simples, faciles à
atteindre et conduit avec un maximum de probabilités au
succès, de façon à renforcer l’espoir et la confiance du patient.
Une fois recréée cette « base de sécurité », il est possible de
l’amener, dans le cadre des situations expérimentales que sont
les jeux de rôle ou les techniques de résolution de problèmes, à
reconnaître ses biais cognitifs et ses schémas dysfonctionnels.
Car les soignants animant ces groupes d’entraînements aux
habiletés sociales doivent être capables d’effectuer un recadrage
cognitif, d’amener le patient à se décentrer et à prendre en
compte les émotions des autres. Ainsi, aboutir à une décentration cognitive pourrait être un des effets positifs essentiels du
10
module cognitivocomportemental « Conversation ». Lors d’une
conversation, le fait de prendre le point de vue de l’autre
devient possible lorsque le patient apprend à recourir à des
attitudes d’écoute active, comme les questions ouvertes, et à
reconnaître les émotions de son interlocuteur. Cette décentration permet de lutter contre sa tendance à tirer des conclusions
prématurées sur l’autre, sans avoir essayé de comprendre son
point de vue. [59]
De même, nous savons bien que beaucoup de patients
n’utilisent pas les solutions mises en évidence grâce aux
techniques de résolution de problème à cause d’obstacles
cognitivoémotionnels qu’il nous faut prendre en compte
(sentiment d’impuissance, crainte des autres, sentiment que
c’est d’abord aux autres de résoudre son problème). Le module
cognitivocomportemental « Entraînement à la résolution de
problèmes interpersonnels » a une place privilégiée dans la prise
de conscience des schémas cognitivoaffectifs dysfonctionnels
qui sont liés aux désordres psychotiques et générateurs de
croyances erronées. Le groupe (à partir des saynètes de l’AIPSS)
est basé sur les principes de l’affirmation de soi (position
affirmée, passive, agressive). Les patients sont souvent convaincus que la seule façon de faire face aux difficultés interpersonnelles consiste soit à ne rien faire, se retirer et fuir (position
passive), soit à impressionner l’autre par des manifestations de
violence (position agressive). Il leur est difficile d’imaginer qu’ils
peuvent être respectés tout en respectant l’autre. Le module leur
permet d’expérimenter cette position affirmée. [59]
■ Thérapie psychoéducative
et programmes structurés
cognitivocomportementaux
Principes de la thérapie psychoéducative
Elle s’est inspirée du savoir-faire accumulé dans l’entraînement aux habiletés sociales des patients, dans le but de leur
faciliter l’interprétation des informations et l’apprentissage.
Deleu et Lalonde [50] la différencient de l’éducation seule qui est
l’information donnée. En effet, elle englobe l’éducation (pôle
pédagogique), l’accompagnement et le soutien émotionnel (pôle
psychologique), l’apprentissage d’habiletés pour gérer la maladie
et la vie personnelle (pôle comportemental).
Elle débute au décours de la période aiguë. Elle permet
d’installer une alliance avec le patient et sa famille. Le thérapeute fait verbaliser ses symptômes par le patient, en respectant
ses mots et ses difficultés. Il l’aide ensuite à reconnaître que sa
souffrance porte un nom (délire, hallucinations) tout en
respectant le fait que le patient ne puisse peut-être pas remettre
en cause ses croyances. C’est progressivement qu’il amène le
doute, la reconnaissance des symptômes et le diagnostic de la
maladie. Ce diagnostic permet au patient, et à ses proches, de
reprendre confiance. L’espoir d’une amélioration, et personne
ne peut en prédire l’ampleur, doit accompagner le patient tout
au long de son évolution. Cette première étape a un rôle
pédagogique pour le patient et ses proches. L’information leur
est délivrée de façon structurée et répétée si besoin.
À la suite de la révélation du diagnostic, l’approche psychologique permet l’écoute et le soutien facilitant le travail de
deuil, la diminution du fardeau émotionnel lié à la maladie et
l’apparition de nouvelles attentes réalistes.
Enfin, le rôle comportemental de la psychoéducation est de
diminuer les rechutes en amenant le patient et sa famille à
adapter leurs échanges affectifs en fonction de la notion
d’émotion exprimée et à pratiquer la résolution de problèmes
pour éviter des désaccords stressants. La psychoéducation n’a
pas pour objet de transférer aux familles la responsabilité du
projet de soins. Mais si le patient et sa famille se sentent aidés,
il est possible de limiter les rechutes. Le caractère planifié des
soins et des progrès attendus facilite l’accompagnement psychologique.
Psychiatrie
Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie ¶ 37-290-A-10
Tableau 1.
Pourcentage de rechutes
1 an
2 ans
Neuroleptiques + thérapie de soutien
38 %
62 %
Neuroleptiques + entraînement aux
habiletés sociales
20 %
50 %
Neuroleptiques + éducation familiale
19 %
29 %
Neuroleptiques + éducation familiale +
entraînement aux habiletés sociales
0%
25 %
Ce cheminement est facilité par la participation du patient à
des groupes psychoéducatifs dont les programmes structurés et
standardisés sont disponibles en français. [49] Par exemple, dans
le module cognitivocomportemental « Gestion des Symptômes », il va pouvoir percevoir le caractère irrationnel de son
vécu hallucinatoire en écoutant un autre patient décrire ses
symptômes. Cette prise de conscience qu’ « on est un peu
pareil, même si on est différent » dé-subjective le vécu de la
maladie, en fait un vécu objectivable, connaissable, aux frontières plus claires. À l’inverse, le patient, reprenant contrôle de son
vécu psychique, redevient sujet : il cesse d’être l’objet de sa
maladie, agi et agité par ses délires et hallucinations.
En résumé, le but de la psychoéducation est de rendre la
maladie égodystone pour que, d’une part, le patient se rende
compte que les symptômes interfèrent avec son fonctionnement
et que cette partie malade de lui-même ne le définit pas
entièrement. Sa partie saine va l’aider à prendre de la distance
par rapport aux symptômes, à construire et poursuivre l’achèvement de sa personnalité. D’autre part, nous, soignants,
collaborons avec une personne souffrant de schizophrénie (et
pas avec un schizophrène) dans un esprit de responsabilité
partagée vers l’avenir. La prise en charge de la famille complète
celle du patient. Elle peut se baser sur sa participation à des
modules structurés pour des groupes de parents, comme le
module Profamille. [60] Cela leur permet de mieux comprendre
et accompagner leur proche. Il peut aussi être nécessaire pour
une famille de participer à une thérapie familiale comportementale, en suivant le modèle de Falloon [61] ou de Liberman, [62] si le travail de deuil, le fardeau émotionnel ou
l’apprentissage d’habiletés de communication l’imposent.
Validation des résultats des thérapies
psychoéducatives individuelles et familiales
Falloon a montré l’avantage sur 2 ans de suivi d’une psychoéducation familiale en termes de réduction des rechutes face
à une thérapie individuelle de soutien. [63]
En 1991, Hogarty a confirmé cette étude et l’a précisée
(Tableau 1). [64] Puis il a complété l’entraînement aux habiletés
sociales par « la thérapie individuelle personnalisée ». [65] Elle a
pour but de modifier la perception que le patient a de luimême en l’amenant à identifier et contrôler ses émotions
dysfonctionnelles. Une prévention des rechutes est obtenue
grâce à la reconnaissance des stresseurs dangereux. Elle est
facilitée par la pratique de la relaxation et du recadrage cognitif
qui diminue l’impact des stresseurs.
Dans leur revue de la littérature (essais contrôlés et randomisés), Bustillo et al. [66] ont confirmé l’apport de ces thérapies,
notamment familiales, dans la prévention des rechutes psychotiques et des réhospitalisations.
Modèles pour l’avenir ?
Hogarty et Flescher [67] ont présenté la thérapie d’amélioration cognitive de la schizophrénie. Cette approche est une
synthèse de l’entraînement comportemental classique aux
habiletés sociales et de l’approche de Brenner. [4] Les auteurs, à
Psychiatrie
partir d’une meilleure connaissance des troubles neurocognitifs
persistants chez les patients, établissent une progression
graduelle dans la relance des cognitions non sociales (mémoire
verbale, attention, logique), puis des cognitions sociales en
essayant d’adapter les exercices proposés aux profils cognitifs
des patients (désorganisé, appauvri, ou rigidifié). Ils copient des
situations réalistes, Hogarty insistant sur le fait que la réalité est
changeante, ambiguë. Ils favorisent la production d’hypothèses
(savoir décider rapidement et se mettre à la place des autres
pour comprendre ce qu’ils pensent). Pour favoriser la prise en
compte de l’autre, ils mettent les patients en binôme. Chacun
est le « coach » de l’autre, ce qui constitue un apprentissage
cognitif masqué. Ces exercices pendant la période d’apprentissage non social s’appuient sur des logiciels adaptés. C’est
seulement 6 à 9 mois plus tard que commence l’apprentissage
social, en continuant à s’appuyer sur les interactions entre des
petits groupes de patients.
Velligan [68] a démontré l’utilité, pour des patients ayant des
difficultés à leur domicile, des techniques de compensation
cognitive par le biais d’affichettes, de simplification des tâches,
de suppression des stimuli inutiles. Une évaluation neurocognitive soigneuse est nécessaire au préalable. La mémoire visuelle,
préservée chez un patient désorganisé verbalement, sera le canal
utilisé pour l’aider à repérer les informations pertinentes.
Dans le même temps sont parus des articles concernant, par
exemple, un programme de retour aux études utilisant toutes les
techniques cognitivocomportementales classiques. [69]
L’étape ultime de la réadaptation reste bien sûr l’accès au
travail. Car, comme le souligne Petitjean, [70] il signifie pour le
malade réintégration dans une position de sujet autonome et
assimilé au corps social. Dans leur revue de la littérature
concernant l’accession à l’emploi en milieu normal de personnes atteintes par une maladie mentale sévère (dont des patients
schizophrènes), Crowther et al. [71] ont conclu que la technique
de l’emploi avec soutien d’un professionnel du travail (« supported employment ») est plus efficace pour obtenir et garder un
emploi qu’un programme d’entraînement avec retour progressif
au travail.
Cependant, pour la majorité des patients, ce retour au travail
impose le recours à des techniques spécialisées. Car, si Lehman
et al., [72] dans leur étude randomisée, ont démontré la supériorité d’un programme personnalisé d’embauche et de soutien par
rapport à des programmes psychoéducatifs standards, les
patients avaient beaucoup de mal à conserver leur emploi dans
les deux groupes. Pour Gold et al., [73] il existe une relation
significative entre les performances cognitives (quotient intellectuel, attention, mémoire de travail, résolution de problème)
et la capacité à conserver l’emploi. De même, la mauvaise
reconnaissance des émotions exprimées par la voix ou la
mimique est associée à un moins bon fonctionnement psychosocial et professionnel. [74] La réinsertion professionnelle impose
donc le plus souvent l’adaptation de l’environnement aux
troubles cognitifs des patients et à leur sensibilité extrême aux
stresseurs. En France, beaucoup de régions ne bénéficient pas
d’un accès facile à des centres de réadaptation professionnelle
qui vont progressivement replacer le sujet en situation de
travail. Les rares centres d’aide par le travail (CAT) spécialisés
dans l’accueil de patients schizophrènes permettent un accueil
modulable pour accomplir des tâches précises.
Tout l’art de l’encadrement consiste à renforcer la motivation
et l’estime de soi des personnes au travail.
■ Conclusion
L’adaptation du modèle du « case management » se généralise
et les palettes de soins d’inspiration cognitivocomportementale
sont de plus en plus larges.
Par un dramatique retour de l’histoire, de nombreux patients
(aux États-Unis), bien que traités à 45 % par de nouveaux
antipsychotiques, se retrouvent hospitalisés pour de très longues
durées (5 ans). Ils n’ont plus accès aux soins les plus avancés en
ambulatoire pour des raisons de prise en charge. Les effets
nocifs de ces séjours sont tels que, de nouveau, des équipes du
11
37-290-A-10 ¶ Modèle cognitivocomportemental de la schizophrénie
Massachusetts [75] reconstruisent des programmes intrahospitaliers de réadaptation centrés sur le case management et les
besoins du sujet, et en démontrent de nouveau l’efficacité,
50 ans après Ayllon et Azrin.
Le respect des personnes malades et l’organisation des soins
grâce au modèle cognitivocomportemental permettent que les
personnes souffrant de schizophrénie bénéficient d’une réadaptation psychosociale indispensable à l’amélioration de leur état.
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M. Simonet, Praticien hospitalier ([email protected]).
Centre Esquirol, CHU Côte de Nacre, 14031 Caen cedex, France.
P. Brazo, Praticien hospitalier.
Centre Esquirol, CHU Côte de Nacre, 14031 Caen cedex, France.
Groupe d’imagerie neurofonctionnelle, UMR, 6194 CNRS/CEA/Université de Caen/Université de Paris V, France.
Disponibles sur www.emc-consulte.com
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