CHRONIQUE ÉTATS-UNIS 31 mars 2009 AVRIL 2009 : LES PREMIERS PAS DE BARACK OBAMA SUR LA SCENE INTERNATIONALE JULIEN TOURREILLE Chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand ([email protected]) Après deux premiers mois à la Maison-Blanche essentiellement consacrés à la recherche de solutions pour sortir l’économie américaine de la crise, le mois d’avril constituera un premier test de la capacité du président Obama à exprimer le leadership des États-Unis sur la scène internationale. Trois rendez-vous traitant de trois enjeux internationaux majeurs sont en effet à l’ordre du jour : le sommet du G20 le 2 avril à Londres pour relancer l’économie et la finance mondiales ; le 60e anniversaire de l’OTAN pour redéfinir les objectifs de l’Alliance atlantique ; et le Forum sur l’énergie et le climat les 27 et 28 avril à Washington pour faire avancer les négociations sur l’après-Kyoto. 1. Un G20 incertain Les membres du G20 représentent entre 80 et 85 % de l’économie mondiale, faisant de ce groupe un acteur potentiellement déterminant pour faire mettre en œuvre (ou bloquer) un ensemble de réformes à l’échelle mondiale. Après une première réunion tenue à Washington le 15 novembre dernier, la rencontre de jeudi à Londres a pour objectif de faire avancer les discussions et les négociations sur l’architecture du système financier international, dont la défaillance est à l’origine de la crise économique actuelle. Ne durant qu’une journée, cette rencontre ne permettra pas de dégager de solutions immédiates. Les principaux participants, notamment anglais et américains, ont donc pris soin d’en diminuer les attentes afin d’éviter qu’elle ne soit trop rapidement qualifiée « d’échec ». Il est donc peu probable que le sommet de Londres soit aussi historique que la réunion de Bretton Woods de juillet 1944 qui mit en place les institutions du système économique et financier international contemporain. L’enjeu de ce sommet est cependant de ne pas reproduire la réunion déjà tenue à Londres en 1933 et qui avait prolongé la Grande Dépression au lieu d’y mettre un terme. Pour éviter que la rencontre du 2 avril ne soit un échec, les participants devraient se limiter à un objectif de court terme : générer un « choc de confiance » permettant essentiellement une relance du crédit indispensable à l’activité économique. Pour cela, ils devraient annoncer des mesures les plus précises et concrètes possibles dans trois domainesi. Premièrement, les membres du G20 pourraient annoncer la mise en place coordonnée de plans de relance basés sur la hausse des dépenses publiques afin de stimuler l’activité économique. L’administration Obama a consacré les premières semaines de son mandat à obtenir du Congrès un tel plan. D’un montant de 787 milliards de dollars, il fut signé par le président le 17 février dernier. Deuxièmement, le G20 pourrait mettre en œuvre des politiques concertées de sauvetage de leurs secteurs bancaire et 1 financier. De telles mesures ont déjà été annoncées et réalisées dans un grand nombre de pays, mais leur coordination au niveau international permettrait éventuellement de rassurer les marchés et de faciliter le crédit. Troisièmement, les participants à la rencontre de Londres doivent concrètement s’engager dans la protection et la promotion du libre-échange. Malgré les discours en ce sens, l’OMC constate que depuis la réunion du 15 novembre 2008, 17 des 20 pays membres du G20 ont adopté des mesures restreignant le commerce, que ce soit des licences d’importations, des augmentations de tarifs douaniers ou la multiplication d’enquêtes anti-dumping. Dès lors, le commerce mondial devrait reculer de 9 % en 2009ii. Il est cependant loin d’être acquis que la rencontre de Londres remplisse cet objectif. Tout d’abord, les participants n’ont pas tous la même ambition. Si les États-Unis souhaitent voir les autres pays s’engager dans des mesures de relance de leurs économies et de soutien aux secteurs bancaire et financier semblables aux leurs, d’autres considèrent, France et Allemagne en tête, que cette rencontre doit avant tout servir à jeter les bases d’un système financier international rénové. Les pays européens n’ont par ailleurs pas tous les moyens d’accroître leurs dépenses publiques, comme c’est le cas pour le Royaume-Uni, et considèrent que leurs systèmes de protection sociale assurent un filet protecteur suffisant face à la crise. Mais au-delà des divergences d’agenda et des débats sur le type de solutions à apporter à la crise actuelle, le principal obstacle au succès de la réunion de Londres réside dans l’état d’esprit général qui semble prévaloir sur la scène internationale. Trois éléments sont particulièrement préoccupants. Premièrement, la grande majorité des membres du G20 considèrent que les dérives du système financier américain sont à l’origine de la crise actuelle. Ils ne sont donc guère disposés à suivre les recommandations que pourrait formuler les États-Unis pour y apporter des solutions. La rencontre de Londres pourrait alors dégénérer en procès du capitalisme à « l’anglo-saxonne ». Deuxièmement, une récente étude du Pew Global Attitudes Project a mis en évidence que la morosité économique actuelle alimente un scepticisme accru vis-à-vis de la mondialisation dans une grande majorité de paysiii. C’est aux États-Unis que ce scepticisme est aujourd’hui le plus fort. Les Américains, dans une proportion de 67 et 60 %, jugent la mondialisation comme respectivement néfaste à la sécurité et à la création d’emploisiv. De plus, seuls 53 % des Américains se disent favorables au commerce international, composante majeure de la mondialisation contemporainev. Dans un tel contexte, les tendances protectionnistes devraient plutôt croître que diminuer. Troisièmement, la présence à Londres de groupes contestataires divers et variés mais bien organisés fait courir le risque d’une répétition du scénario de 1999 à Seattle. En effet, si les différentes manifestations de contestation devaient être marquées par la violence, les négociations entre membres du G20 pour trouver des solutions à la crise passeraient au second plan derrière la nécessité de calmer cette violence éventuelle. La rencontre serait alors un échec et ne ferait qu’amplifier l’incertitude et paralyser le système économique et financier international. 2 L’effet de l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche sur la relation des États-Unis avec le reste du mondevi 48 Japon 37 Inde 63 Indonésie 64 Chine 68 8 13 12 23 1 15 10 74 Nigéria 14 1 87 Ghana Turquie 3 1 51 30 58 Egypte 27 47 Russie 6 26 70 Royaume-Uni Espagne Italie 78 19 79 17 États-Unis 13 65 0% 20% 30 40% 3 1 2 17 74 Mexique 4 15 68 Chili 4 17 78 Allemagne 60% Amélioration Sans effet majeur Détérioration 5 22 76 France 8 4 7 12 80% 100% 2. L’avenir de l’OTAN. Après Londres, Barack Obama se rendra à Strasbourg pour le sommet de l’OTAN. Le soixantième anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord marque le retour plein et entier de la France en son sein. Malgré le retrait du commandement intégré décidé par le Général de Gaulle en 1966, la France était restée membre de l’Alliance. Surtout, à partir du début des années 1990, elle a participé à l’ensemble des opérations militaires menées par l’Alliance, d’abord dans les Balkans puis en Afghanistan. Depuis 2004, des officiers français sont même présents au sein des commandements suprêmes de l’OTAN, en Belgique et aux États-Unis. Le retour annoncé par Nicolas Sarkozy n’était alors qu’un dernier petit pas à franchir, en contrepartie duquel la France espère obtenir plus de poids dans les décisions militaires et surtout rassurer les Européens et les Américains afin de faire avancer l’Europe de la défense. Plus fondamentalement, depuis la fin de la Guerre Froide, l’OTAN est en quête d’identité. Alliance défensive contre l’URSS créée en 1949, elle s’est ouverte après 1989 aux anciens pays d’Europe de l’Est qui en sont devenus membres et qui la considèrent comme une garantie de sécurité face à la Russie. Des pays comme la République Tchèque et la Pologne ont accepté le déploiement sur leurs sols d’éléments du bouclier antimissile américain. Le président Obama s’est montré réservé vis-à-vis de ce projet, décidé par l’administration Bush et alors présenté comme n’étant pas dirigé contre Moscou. La défense antimissile devrait ainsi être discutée lors 3 du sommet de Strasbourg. Jamais engagée militairement pendant la Guerre Froide, l’Alliance est aujourd’hui présente en Afghanistan et son élargissement à l’Est suscite un malaise à Moscou. Au-delà de la réjouissance avant tout symbolique de la réintégration de la France et de la question épineuse de la relation de l’Alliance avec la Russie, ce sont donc l’avenir et l’essence même de l’organisation qui se jouent actuellement. Dans cette perspective, la mission en Afghanistan apparaît comme un test pour le futur opérationnel de l’organisation. Barack Obama a annoncé le 27 mars 2009 une nouvelle stratégie américaine pour l’Afghanistan et le Pakistan. Mettant en avant un objectif précis et limité (empêcher qu’Al-Qaïda ne se réimplante dans le pays), cette approche met cependant en œuvre une stratégie plus globale et générale de contre-insurrection qui n’est pas sans rappeler la stratégie de sursaut décidée pour l’Irak par George W. Bush en décembre 2009. 21 000 soldats américains supplémentaires devraient ainsi être déployés en sol afghan et l’effort civil (tant en personnels qu’en moyens financiers) devrait être significativement accru. Le plus significatif quant à l’avenir opérationnel, militaire, de l’OTAN est cependant que la stratégie annoncée par l’administration Obama ouvre la voie à un détournement américain de l’effort multilatéral que représente la présence de l’OTAN en Afghanistan. Certes, pour des raisons politiques et de capacités limitées, il apparaît acquis que les partenaires de l’OTAN déjà présents dans ce pays n’augmenteront pas les moyens engagés. Mais surtout, en augmentant significativement les moyens américains sur place, Barack Obama signale une reprise en main des opérations par les États-Unis et par conséquent un échec patent de l’approche multilatérale de la contre-insurrection. Malgré les sacrifices consentis, la dégradation de la situation sécuritaire en Afghanistan démontre que la performance des membres non-américains de l’OTAN est pour le moins mitigée. À l’inverse, le succès certain de la stratégie de sursaut en Irak, exclusivement mise en œuvre par les États-Unis, tend à mettre en évidence qu’une approche unilatérale permet d’éviter les écueils des discussions interminables entre Alliés ainsi que les divergences dans les capacités opérationnelles des armées des pays membres de l’OTAN. Par exemple, l’armée américaine a appris de ses erreurs en Irak pour développer un manuel de contre-insurrection. Après sept ans de présence en Afghanistan, l’OTAN n’a pas encore commencé à en développer un. Même si Barack Obama se gardera de souligner l’échec de l’OTAN en Afghanistan, la stratégie qu’il a annoncé laisse clairement penser qu’il est arrivé à cette conclusion. 3. Le Forum sur l’énergie et le climat Si le dossier afghan risque de susciter quelques tensions et polémiques entre les États-Unis et leurs alliés traditionnels, l’annonce d’une rencontre à Washington le 27 et le 28 avril 2009 portant sur le climat devrait les réjouir. Après le scepticisme, voire la défiance de l’administration Bush sur les questions environnementales, Barack Obama entend en effet faire preuve de détermination et de volontarisme sur ces enjeux. Regroupant 17 participants (Australie, Brésil, Canada, Chine, Union Européenne, France, Allemagne, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Corée du Sud, Mexique, Russie, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis), cette réunion a pour objectif de faire avancer les négociations entre les principaux acteurs sur le dossier des changements climatiques. Ceux-ci se réunissent en effet en décembre prochain à Copenhague pour élaborer le successeur du Protocole de Kyoto qui 4 arrive à échéance en 2012. Cette réunion servira également à mettre en évidence l’activisme et la volonté de leadership du président Obama sur les dossiers environnementaux. Or, la crise économique pourrait faire obstacle à des avancées significatives sur ces enjeux. Barack Obama a certes fait valoir, notamment dans son projet de budget pour 2010, que les énergies vertes constitueront un socle majeur de la croissance et de la prospérité américaines futures. Mais la crise, avec la baisse des prix du pétrole, diminue les incitatifs et la rentabilité des projets d’énergies alternatives. Elle restreint également le capital disponible pour financer les investissements dans ces secteurs. Par ailleurs, lors de sa conférence de presse du 25 mars 2009, Barack Obama semble avoir concédé que la mise en place du mécanisme de plafond et d’échanges (cap and trade) pour lutter contre l’émission de gaz à effet de serre aux États-Unis pourrait être retardée. Saviez-vous que… Dans un rapport effectué à la demande du gouvernement britannique en 2007, Nicholas Stern, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, affirmait que l’inaction contre les changements climatiques ferait plonger le PIB mondial de 5 % par an à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, voire même de 20 % dans le scénario le plus catastrophiquevii. Agir pour éviter une telle situation ne coûterait en revanche que 1 % du PIB mondial. Stern propose quatre types d’actions pour lutter contre les changements climatiques. Le premier est explicitement appuyé par l’administration Obama et commence à être mis en place en Europe. a) Mettre en place un mécanisme de plafond et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre ; b) Développer la coopération internationale sur les technologies et les normes ; c) Lutter contre la déforestation ; d) Éviter que les pays en développement ne deviennent de grands pollueurs par le biais de l’aide au développement. Au-delà des ralentissements dans la création d’une économie « verte » aux États-Unis, leur position sur les dossiers environnementaux sur la scène internationale ne doit pas être mal interprétée. Si, sous l’égide du président Obama, les États-Unis seront des participants plus constructifs aux négociations de l’après-Kyoto, la prise en considération de l’impact environnemental du développement de pays comme la Chine et l’Inde restera toutefois une condition majeure à cette participation constructive. De plus, Barack Obama adhère, comme George W. Bush et Bill Clinton avant lui, à une conception exceptionnelle et messianique du rôle des États-Unis sur la scène internationale. Dès lors, il préférera toujours que les États-Unis soient des leaders ou des modèles plutôt que de voir leur puissance souveraine contrainte par des normes internationales. Barack Obama dispose d’une côte de popularité significative sur la scène internationaleviii. Ce capital politique se traduira par des discussions cordiales avec les partenaires des États-Unis alors qu’il fera ses premiers véritables pas sur la scène internationale en ce mois d’avril. Les divergences de point de vue et d’intérêts entre les États-Unis et le reste du monde demeurent toutefois marquées. Le G20, le sommet de l’OTAN, et la réunion de Washington sur le climat constituent des tests majeurs de la capacité de Barack Obama à, à la fois, entretenir des relations constructives et imposer le leadership ou la puissance américaine sur la scène internationale. 5 i Stewart Patrick, Fight the Fire, then Redesign the Firehouse, CFR.org, 13 mars 2009. Alain Faujas, « L’OMC constate un dérapage significatif’ vers le protectionnisme », Le Monde. 27 mars 2009. iii The Pew Global Attitudes Project, « Some Positive Signs for U.S. Image. Global Economic Gloom – China and India Notable Exceptions. 24-Nation Pew Global Attitudes Survey », 12 juin 2008, p. 15 et 17. iv Données du site The Chicago Council on Global Affairs et WorldPublicOpinion.org, « World Public Favors Globalization and Trade but Wants to Protect Environment and Jobs », 25 avril 2007, http://www.worldpublicopinion.org/pipa/articles/btglobalizationtradera/349.php?nid=&id=&pnt=349&lb=btgl. v The Pew Global Attitudes Project, ibid., p. 18. vi Source : «Growing Optimism That Obama Will Improve US Relations: Global Poll», BBC World Service Poll, 20 janvier 2009. vii Nicholas Stern, The Economics of Climate Change, 2007. Disponible à l’adresse : http://www.hmtreasury.gov.uk/stern_review_report.htm viii «Growing Optimism That Obama Will Improve US Relations: Global Poll», BBC World Service Poll, 20 janvier 2009. ii 6