La Douleur

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La rachianesthésie
1 Définition
La rachianesthésie est une ponction lombaire avec administration d'un anesthésique
local dans le liquide céphalorachidien (LCR).
Cette technique n'étant pas ou peu utilisée en médecine vétérinaire, il apparaît
indispensable de la présenter en médecine humaine, avant de d'exposer la technique chez les
animaux, notamment chez les bovins.
2 La rachianesthésie en médecine humaine
2.1 Historique
A Kiel, le 16 août 1898, le chirurgien Auguste Bier (1861-1949) injectait par voie
lombaire 3 ml de cocaïne à 0,5% dans l'espace sous arachnoïdien d'un homme de 34 ans,
tuberculeux. Il attendit 20 minutes et réséqua l'articulation de la cheville gauche de son patient
sans aucune plainte ou manifestation douloureuse de celui-ci. La moitié inférieure du corps
était totalement "insensibilisée": c'était la première anesthésie rachidienne chirurgicale.
Publiée en 1899 (Bier, 1899), cette observation complétée par sept autres anesthésies
rachidiennes, dont une pratiquée sur lui-même et une sur son assistant Hildebrandt, entraîna
un grand enthousiasme en France et aux Etats-Unis. Bier fut déclaré l'inventeur de la
technique.
Cependant, dès 1901, Léonard Corning (1855-1923), neurologue américain, contesta la
priorité du chirurgien allemand dans le domaine de l'anesthésie rachidienne. En fait, en 1885,
Corning avait publié "a spinal anesthesia and local medication of the cord" (Corning, 1885)
pratiqué sur un homme par injection locale de cocaïne après l'avoir pratiqué sur le chien. Ne
pouvant approcher la moelle sans enlever l'arc vertébral postérieur, Corning injecta la solution
de cocaïne dans l'espace inter-épineux D11-D12 en espérant que la cocaïne serait absorbée
par les petites veines qui longent le canal vertébral et transportée jusqu'à la moelle. Il obtint au
bout de vingt minutes une anesthésie des membres inférieurs, de la région lombaire et des
organes génitaux externes, sans pénétrer dans l'espace sous-arachnoïdien. Sans doute venait-il
de réaliser la première anesthésie péridurale.
La comparaison des deux observations historiques de Bier et de Corning permet
d'établir une différence fondamentale.
Tableau II : Comparaison des méthodes de Bier et Corning
BIER (1898)
CORNING (1885)
Site d’injection
Ponction lombaire
Injection inter-épineuse
Présence de LCR
+
0
Dose de cocaïne
15 mg
120 mg
Délai d’action
Entre 2 et 12 minutes
> 15 minutes
Effets secondaires
Vomissements
sévères
Céphalées
Céphalées violentes
Vertiges légers
44
Il s'agit donc d'une anesthésie rachidienne pour Bier et d'une anesthésie extra durale
pour Corning. Ceci est d'autant plus certain que la ponction lombaire, découverte
simultanément par Winter en Angleterre et Quincke en Allemagne en 1891, n'était pas connue
de Corning. La technique de Bier connaît alors un immense succès, tant en Allemagne qu'en
France et aux Etats-Unis.
En France, en mai 1899, Sicard expérimente les injections intraratéchales de nombreux
produits chez l'homme et le chien, y compris la cocaïne.
En novembre 1899, le chirurgien Tuffier publie la description magistrale de
"l'anesthésie médullaire chirurgicale par injection sous-arachnoïdienne lombaire de cocaïne"
(Tuffier, 1899) s'appuyant sur la méthode de Bier. Il décrit de façon exhaustive et illustrée
toutes les étapes de la procédure : le matériel utilisé (aiguille de platine et seringue de Pravaz),
la préparation et la stérilisation de la solution de cocaïne, la technique opératoire avec la
position du patient, les repères anatomiques et les gestes du chirurgien, la dose injectée, le
délai d'action, le niveau d'analgésie, les incidents et échecs, les accidents (surtout les
vomissements et les céphalées postopératoires), les indications (chirurgie des membres
inférieurs et du petit bassin), les contre-indications (les femmes hystériques et les enfants). Il a
déjà opéré 60 patients devant des collègues français ou étrangers qui le considèrent comme le
brillant champion de l’anesthésie rachidienne.
En décembre 1899, Matas publie la première anesthésie spinale américaine qu'il réalise
à la Nouvelle Orléans. Il fut également le premier à injecter de la morphine (en quantité
infinitésimale) associée à la cocaïne dans l'espace sous-arachnoïdien. En 1900, il précise les
indications de l'anesthésie rachidienne. Il retient les patients devant subir des interventions
pour lesquels l'anesthésie locale ou locorégionale est insuffisante, les insuffisants respiratoires
et les opérations de durée inférieure à 1h30.
Puis Goldan, également américain, se préoccupe d'avoir un matériel adéquat,
performant et spécifique à l'anesthésie rachidienne et insiste sur la nécessité d'obtenir des
observations complètes relatant le déroulement de chaque cas pour pouvoir évaluer la
méthode. Il propose des critères de surveillance toujours en vigueur de nos jours.
Enfin, les statistiques arrivent et les accidents publiés font reculer Bier lui-même qui ne
comprend plus l'enthousiasme de Tuffier. Six ou huit morts sont à déplorer sur deux mille
injections sous-arachnoïdiennes alors que l'on relève un mort sur deux mille
chloroformisations et un sur sept mille éthérisations d'après Reclus.
En conclusion, dans le tournant du siècle, la technique et les complications de la
rachianesthésie sont connues et décrites. Les auteurs s'accordent sur l'origine des céphalées
postopératoires comme étant bien la fuite du LCR et essaient de la limiter. Le mécanisme
d'action des anesthésiques locaux et la physiologie de l'anesthésie rachidienne restent à
explorer. La mise au point d'autres anesthésiques locaux sera nécessaire. La prévention et le
traitement des complications seront à inventer. Mais déjà, les perspectives d'avenir paraissent
immenses à ces chirurgiens souvent confrontés à une anesthésie générale par l'éther ou le
chloroforme qu'ils ne maîtrisent pas et leur donne de "terribles alertes".
L'anesthésie rachidienne leur apparaît comme "simple, facile, prompte et sans danger,
nécessitant des doses infinitésimales de poison et permettant une restitution ad integrum qui
se fait graduellement, métamériquement et d'une manière complète" (Cadol, 1900).
45
2.2
Anatomie humaine
(d’après Adams, 2001)
2.2.1 Structures ostéoligamentaires
La colonne vertébrale se compose de 33 vertèbres séparées par des disques
intervertébraux.
De nombreuses structures ligamentaires participent à la stabilité du rachis.
Dorsalement, on rencontre, de la superficie à la profondeur le ligament surépineux et les
ligaments jaunes qui limitent en arrière le canal rachidien.
Ligament
surépineux
Ligament
commun
antérieur
Ligament
interépineux
Trou
intervertébral
(D’après Adams, 2001)
Disque
intervertébral
Ligament commun
postérieur
Figure 5 : Structure ligamentaires de la colonne vertébrale (vue latérale)
Ligament commun
postérieur
Ligaments jaunes
Disque intervertébral
(D’après Adams, 2001)
Figure 6 : Structures ligamentaires de la colonne vertébrale (vue dorsale,
ligament surépineux retiré)
46
2.2.2 Contenu du canal rachidien
La moelle épinière s’étend de la première vertèbre cervicale à la deuxième vertèbre
lombaire. Dans le canal rachidien, la moelle et les racines sont protégées par les enveloppes
méningées.
La pie-mère est un feuillet très fin et richement vascularisé qui adhère étroitement à la
moelle et aux racines qu’elle suit jusqu’à leur émergence du trou intervertébral qu'elle suit
jusqu'à leur émergence du trou intervertébral.
Latéralement de chaque côté de la moelle, la pie-mère envoie une expansion jusqu'à la
dure-mère, sur laquelle elle se fixe de façon discontinue, pour former le ligament dentelé qui
sépare de chaque côté les racines antérieures des racines postérieures.
La dure-mère est une membrane fibreuse épaisse qui tapisse le canal rachidien jusqu'au
sacrum. Elle est séparée des vertèbres par un espace graisseux très riche en vaisseaux: l'espace
péridural. La dure-mère est traversée par les nerfs rachidiens qu'elle engaine jusqu'à la sortie
du trou intervertébral. La face interne de la dure-mère est tapissée par une fine membrane,
l'arachnoïde, dont elle est séparée par un espace virtuel. L’arachnoïde est séparée de la piemère par un large espace rempli de liquide céphalorachidien (LCR) : l'espace sousarachnoïdien.
Dure-mère et Arachnoïde
Ligament jaune
Espace péridural
Ligament interépineux
Ligament surépineux
(d’après Lee et Atkinson)
Figure 7 : Colonne vertébrale au niveau L3-L4 (coupe longitudinale, vue latérale)
Dure-mère
L’espace compris entre le cône
terminal de la moelle (L2) et l'extrémité
inférieure du sac dural est occupé par les
derniers nerfs lombaires et les nerfs
sacrococcygiens constituant la queue de
cheval.
Cône terminal de la
moelle
Queue de cheval
(D’après Adams, 2001)
Figure 8 : Vue postérieure au niveau lombo-sacro-coccygien (coupe longitudinale)
47
2.3 Indications et contre-indications
2.3.1 Indications
Les indications de la rachianesthésie dépendent du type d'intervention, de sa durée et de
l'état général du patient.
Classiquement, la rachianesthésie est indiquée pour les interventions sous ombilicales,
notamment la chirurgie portant sur le périnée.
Le sujet restant conscient pendant l'intervention, elle permet dans la chirurgie
endoscopique vésicoprostatique de déceler les symptômes de résorption du liquide d'irrigation
ou les perforations vésicales.
La chirurgie des membres inférieurs est une très bonne indication de la rachianesthésie
qui diminue le saignement per opératoire et participe à la thromboprophylaxie.
La rachianesthésie induit un bloc moteur qui peut se révéler utile dans la chirurgie
pariétale abdominale.
Les avantages de la rachianesthésie en obstétrique reposent sur la simplicité de la
technique, la rapidité d'installation, la qualité du bloc moteur associé au bloc sensitif et
l'utilisation de faibles doses d'anesthésiques locaux, ce qui minimise le risque fœtotoxique.
Pour une césarienne, le bloc doit être étendu (T4 à S5). Les manœuvres intra-utérines
sont possibles avec un bloc moins étendu (T10 à S5).
La rachianesthésie peut se révéler particulièrement utile dans certaines pathologies:
asthme, hyperthermie maligne, porphyries, myopathies, allergie, insuffisances rénale et
hépatique.
2.3.2 Contre indications
La rachianesthésie est formellement contre-indiquée dans les situations suivantes :
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
Le refus du patient,
l'exceptionnelle allergie aux anesthésiques locaux de type amino-amides,
l'état de choc,
l'hypovolémie,
l'hypertension artérielle instable,
l'insuffisance cardiaque décompensée,
le rétrécissement aortique ou mitral serré,
l'hypertension intracrânienne,
l'infection au voisinage du point de ponction,
les troubles de l'hémostase,
l'urgence obstétricale avec instabilité hémodynamique.
Un terrain migraineux, une affection neurologique évolutive ou une chirurgie
rachidienne antérieure sont des contre-indications relatives. Il faut dans ces cas évaluer le
rapport risque/bénéfice de la rachianesthésie pour chaque patient.
48
2.4
Matériel
Il existe une très grande variété
d'aiguilles
à
usage
unique
pour
rachianesthésie.
Elles
diffèrent
essentiellement par leur calibre (16 à 32
Gauge) et la forme de leur biseau.
Quincke
Sprotte
Whitacre
(D’après Adams, 2001)
Figure 9 : Différents types d'aiguilles utilisables
Avec les aiguilles de petit calibre, les céphalées postponction sont moins fréquentes,
mais elles nécessitent l'utilisation d'un introducteur (Pitkin ou aiguille intraveineuse de 18
Gauge). Les aiguilles de 25 ou 27 Gauge, qui permettent une bonne perception tactile des
différents plans anatomiques traversés, sont préférables. Leur embase doit être translucide
pour détecter l'écoulement de LCR.
Les embouts sont de deux types, à biseau court tranchant (Quincke) ou à bout conique
(Sprotte, Whitacre). Les aiguilles à pointe conique écartent les fibres longitudinales de la dure
mère et ne les sectionnent pas, minimisant la fuite de LCR, mais leur supériorité dans la
prévention des céphalées post ponction reste à établir par rapport aux aiguilles à biseau court.
Les aiguilles fines à biseau court ou à pointe conique ont permis de réduire l'incidence
des céphalées post rachianesthésie.
2.5 Réalisation
2.5.1 Réalisation de la ponction
La rachianesthésie doit être exécutée dans des conditions d'asepsie rigoureuse: port d'un
masque, lavage chirurgical des mains, port de gants stériles et désinfection large et soigneuse
du dos. Elle est habituellement réalisée en L2-L3, L3-L4 ou L4-L5, beaucoup plus rarement
en L5-S1. Deux voies d'abord sont utilisées: médiane et paramédiane.
2.5.1.1 Rachianesthésie par voie médiane
La voie médiane est la plus usitée.
Après avoir repéré le milieu de l'espace interépineux et la ligne médiane, l'introducteur
est mis en place selon une direction légèrement oblique, crânialement et dorsalement.
L’aiguille de rachianesthésie, munie de son mandrin et son biseau étant orienté
parallèlement au plan sagittal, est alors avancée progressivement jusqu'à percevoir la
résistance du ligament jaune, puis de la dure-mère.
Le mandrin est alors retiré et le reflux de liquide céphalorachidien atteste de la réussite
de la ponction.
Dure-mère et arachnoïde
Espace péridural
Ligament jaune
LCR
Figure 10 : Ponction rachidienne par voie médiane (coupe transversale)
49
Afin d’éviter de déplacer l'aiguille, il faut fermement la tenir en place entre le pouce et
l'index, le dos de la main s'appuyant sur le dos du patient.
La seringue contenant la solution anesthésique choisie est connectée à l'aiguille et la
solution est injectée après un test d'aspiration de liquide céphalorachidien pour s'assurer que
l'aiguille ne s'est pas déplacée.
Une fois l'injection terminée, l'introducteur et l'aiguille sont rapidement retirés.
Ligament commun postérieur
Nerf spinal
Dure-mère et arachnoïde
Espace péridural
Ligament jaune
Ligament interépineux
(D’après Adams, 2001)
Figure 11 : Rachianesthésie par voie médiane (coupe transversale, vue crâniale)
Ligament commun postérieur
Dure-mère et arachnoïde
Ligament jaune
Ligament interépineux
Ligament supérieur
Aiguillle de Tuohy
Queue de cheval
(D’après Adams, 2001)
Figure 12 : Rachianesthésie par voie médiane (coupe sagittale, vue latérale)
50
2.5.1.2 Rachianesthésie par voie paramédiane
Chez le patient non coopérant ou s'il existe des affections dégénératives du rachis, il est
préférable d'utiliser la voie paramédiane. Le point de ponction est situé au milieu de l'espace
interépineux, à environ 1-1,5 cm en dehors de la ligne médiane. L’introducteur est mis en
place obliquement en haut, en avant et en dedans, sous un angle de 15 à 25° avec le plan
sagittal.
Approche
paramédiane
Approche
paramédiane
Approche
médiane
Approche
médiane
Figure 14 : Ponction (vue dorsale)
Figure 13 Ponction (coupe transversale)
(D’après Adams, 2001)
(D’après Adams, 2001)
Le reste de la technique est identique à celle décrite pour la voie médiane.
Remarque : Un contact osseux avec une lame vertébrale est possible lors de la
ponction. Il faut alors retirer l'aiguille et la repositionner suivant une direction plus oblique en
haut et en avant.
(D’après Adams, 2001)
Figure 15 : Contact osseux lors de la ponction de rachianesthésie (coupe longitudinale, vue
latérale)
2.6 Etendue, durée et qualité du bloc anesthésique
Plusieurs facteurs déterminent l'extension et la durée du bloc anesthésique (Greene,
1985).
L’étendue du bloc dépend essentiellement de la dose injectée. A quantité d'anesthésique
local identique, le nombre de métamères bloqués est très peu influencé par le volume de la
solution (Van Zunert, 1996).
Le second facteur déterminant l'extension de la rachianesthésie est la baricité de la
solution. Comparée à la densité du LCR à 37 °C, une solution est dite hypobare lorsque sa
densité est inférieure à 0,999 et hyperbare lorsqu'elle est supérieure à 1,010.
Une solution de densité identique au LCR (isobare) reste au niveau du site d'injection,
alors que les solutions hypo- ou hyperbare subissent l'influence de la gravité. Avec ces
51
dernières, la position du patient détermine donc l'extension de la rachianesthésie (Mitchell,
1988). Le niveau de ponction intervient peu car, par sécurité, il se situe au-dessous de L2.
Une solution hyperbare injectée en position assise diffuse en direction caudale. Si le
patient est maintenu dans cette position (assise) pendant quelques minutes, le bloc
prédominera au niveau des racines sacrées (anesthésie en selle). S'il est installé en position
dorsale, la solution diffuse dans les deux sens.
En plaçant le patient en décubitus latéral pendant quelques minutes (côté à opérer), on
peut obtenir un bloc latéralisé prédominant du côté déclive.
Quelle que soit la position choisie, il est très important de vérifier fréquemment et
durant toute l'anesthésie l'étendue de la rachianesthésie. En effet, même si la diffusion est
rapide immédiatement après la ponction, une extension secondaire est possible, jusqu'à 1 h
après l'injection pour la bupivacaïne hyperbare (Povey, 1988).
Une solution hypobare injectée en position assise diffuse en direction céphalique, en
direction caudale chez un patient installé en position de Trendelenburg et vers le côté surélevé
chez un patient en décubitus latéral.
Le volume de LCR est un facteur déterminant dans l'extension de la rachianesthésie,
mais il est malheureusement très variable d'un patient à l'autre et non prévisible (Carpenter,
1998).
L’augmentation de la pression abdominale chez l'obèse ou la parturiente, dilate les
plexus veineux épiduraux, réduit le volume de LCR contenu dans l'espace sous-arachnoïdien
et augmente la distribution de l'anesthésique local injecté (Hogan, 1996) et il faut donc alors
diminuer les doses.
L’âge, la taille, la vitesse d'injection, l'orientation du biseau de l'aiguille ou la
température jouent un rôle mineur sur l'extension de la rachianesthésie.
La durée du bloc anesthésique se détermine pour un niveau métamérique donné. Elle
dépend de la dose administrée. À dose identique, le bloc régresse plus vite avec une solution
hyperbare qu'avec une solution isobare, même s'il est plus étendu. Ainsi, au niveau lombaire,
les blocs moteurs et sensitifs sont plus prolongés avec les solutions isobares (Alston, 1988;
Tuominen, 1991).
La qualité de la rachianesthésie s'apprécie en fonction de la réponse aux stimulations
nociceptives.
Le bloc anesthésique peut être complet ou uniquement sensitif, voire ne concerner que
certains aspects de la sensibilité.
Les anesthésiques locaux interrompent la conduction nerveuse au niveau des nœuds de
Ranvier des fibres myélinisées. Il faut bloquer au moins trois nœuds de Ranvier adjacents
pour inhiber la propagation d'un potentiel d'action. L’espacement des nœuds de Ranvier
décroît des grosses fibres motrices (Aα) aux fibres sensitives faiblement myélinisées (Aδ).
Le trajet des racines nerveuses dans le LCR, site d'action des anesthésiques locaux,
augmente de la région cervicale à la région sacrée. Au cours de la rachianesthésie, le bloc
différentiel a donc un caractère topographique mais, dans tous les cas, le bloc moteur est
moins étendu que le bloc sensitif. De plus, le bloc de la sensibilité tactile est moins étendu que
celui de la sensibilité nociceptive, lui-même l'étant moins que celui des fibres sympathiques.
Les solutions isobares sont plus efficaces que les solutions hyperbares pour prévenir ces
douleurs. L’efficacité du bloc sur ce type de douleur dépend en outre de la dose injectée et de
l'adjonction ou non d'adjuvants dans la solution anesthésique.
52
2.7 Molécules utilisées
(D’après Adams, 2001)
2.7.1 Anesthésiques locaux
La lidocaïne hyperbare 5% a été pendant plusieurs décennies l’anesthésique local de
référence dans les blocs centraux. Cependant, des effets neurotoxiques relatifs à son
utilisation ont été rapportés et on préfère aujourd’hui utiliser la bupivacaïne hyperbare.
2.7.2 Morphinomimétiques
Les morphinomimétiques injectés seuls par voie intrarachidienne n’entraînent ni bloc
moteur, ni bloc sensitif, à l’exception de la phétidine (ou mépéridine) douée de propriétés
anesthésiques locales. Associés aux anesthésiques locaux, ils prolongent la durée et la qualité
du bloc sensitif.
La morphine est une molécule hydrosoluble lentement éliminée du LCR. L’analgésie
s’installe lentement (30 minutes à 3 heures) et durablement (12 à 24 heures).
Le fentanyl et le sulfentanil sont des molécules liposolubles rapidement éliminées du
LCR. L’analgésie s’installe rapidement en quelques minutes mais elle est brève. L’association
de doses de sufentanil de 5-10µg ou de fentanyl 10-25 µg aux anesthésiques locaux procure
une analgésie de 2 à 5 heures. Des doses plus importantes augmentent l’incidence des effets
secondaires.
L’utilisation de ces molécules par voie intrarachidienne implique de détecter tout effet
indésirable durant la période périopératoire (jusqu’à 24 heures après l’injection pour la
morphine) : dépression respiratoire, prurit, rétention d’urine, nausées et vomissements.
Les surdosages répondent à la naloxone.
2.7.3 α-agonistes
L’adrénaline (1 à 5 µg/kg) et la clonidine (0,5 à 1 µg/kg) augmentent la durée et
l’intensité des blocs sensitifs et moteurs induits par les anesthésiques locaux, sans modifier
l’étendue de la rachianesthésie.
L’association de clonidine et d’anesthésiques locaux majore l’incidence des
hypotensions artérielles et des bradycardies. Cette association prolonge la durée de la
rachianesthésie. Elle provoque aussi une sédation, mais toutefois moindre que celle due aux
morphiniques.
53
2.8 Complications
(D’après Adams, 2001)
2.8.1 Modifications hémodynamiques
L’hypotension artérielle est la complication la plus fréquente des blocs centraux. Son
intensité dépend de l'étendue du bloc sympathique.
Classiquement on considère qu'une chute de 25% des chiffres tensionnels préopératoires
est acceptable. En fait tout dépend du terrain. Une baisse même minime de la pression
artérielle chez un patient présentant une maladie cardiovasculaire et/ou hypovolémique peut
être préjudiciable.
Par prudence, il faut donc prévenir et traiter précocement toute hypotension. Cette
prévention repose sur l'administration de cristalloïdes (5 à 10 ml/kg) avant la réalisation du
bloc spinal, le remplissage compensant la baisse du retour veineux.
Le traitement d'une hypotension repose sur l'utilisation de sympathomimétiques comme
l'éphédrine. L’éphédrine a un effet sympathomimétique direct et indirect, l'effet β
prédominant sur l'effet α. Elle ne modifie pas le débit sanguin placentaire, ce qui en fait le
vasopresseur de référence en obstétrique.
Une bradycardie contemporaine d'une hypotension artérielle doit être traitée en
première intention avec de l'éphédrine, qui permet d'augmenter la précharge et la fréquence
cardiaque.
L’arrêt cardiaque est rare au cours de la rachianesthésie, mais possible (Auroy, 1996). Il
est le plus souvent inopiné, mais est précédé par une bradycardie et favorisé par certaines
manœuvres (changement de position, sédatifs intraveineux).
2.8.2 Céphalées post-rachianesthésie
Les céphalées résultent de la fuite de LCR à travers la brèche duremérienne créée lors
de la ponction, ce qui abaisse la pression intrathécale avec traction sur les structures
méningées encéphaliques.
Classiquement, elles sont positionnelles, maximales en position debout et calmées par le
décubitus. Elles apparaissent de 24 à 48 h après la rachianesthésie. Elles peuvent être diffuses,
en casque ou fronto-occipitales. La nuque est souple mais douloureuse. Parfois, on peut noter
une atteinte des nerfs crâniens avec diplopie, hypoacousie, acouphènes. Ces céphalées
s'accompagnent fréquemment de nausées et de vomissements.
Les céphalées post-rachianesthésies (Spencer, 1998) sont rares chez le sujet âgé et
prédominent chez le jeune, leur incidence étant maximale chez la femme enceinte.
L’utilisation d'aiguilles de petit calibre, à pointe conique ou à biseau court orienté
parallèlement au plan sagittal, atténue leur fréquence (Halpern, 1994).
Les céphalées post-rachianesthésies sont, dans la majorité des cas, spontanément
résolutives en 4-5 jours. Leur traitement symptomatique associe repos au lit et hydratation
(3L/24 h de sérum physiologique au minimum), cette dernière étant destinée à augmenter la
production de LCR. La caféine, à la dose de 300 à 500 mg/j, est le seul traitement qui ait fait
preuve de son efficacité (Camann, 1990).
Si les céphalées sont invalidantes et persistent au-delà de la 48ème heure, un blood-patch
peut être proposé.
Il consiste en l'injection dans l'espace péridural de 10 à 20 ml de sang autologue prélevé
stérilement sur une veine périphérique du patient. Lors d'un blood-patch, le sang injecté
diffuse préférentiellement en direction céphalique (Djurhuus, 1995). Ainsi, le point de
54
ponction doit être situé un étage en dessous du niveau de la ponction initiale. Il doit être
réalisé au moins 48 heures après la rachianesthésie.
Dans la majorité des cas, il est efficace en quelques heures; en l'absence d'amélioration,
un second blood-patch peut être réalisé 24 heures après le premier.
2.8.3 Complications neurologiques
Les séquelles neurologiques de la rachianesthésie sont rares mais graves (Renck, 1995).
L’apparition de paresthésies ou de syndromes radiculaires unilatéraux lors de la
réalisation du bloc central traduit une lésion directe d'une racine nerveuse par l'aiguille,
imposant le retrait immédiat du matériel.
Le syndrome de la queue de cheval, irréversible, associe des troubles sphinctériens et
des troubles sensitifs de type paresthésies de la région périnéale.
Le syndrome d'irritation radiculaire transitoire associe des dysesthésies de type brûlure
irradiant dans les fesses et les jambes, sans signe neurologique. Il dure de 1 à 4 jours.
Ces deux syndromes sont dus à la neurotoxicité des anesthésiques locaux (lidocaïne >
mépivacaïne > bupivacaïne).
Les hématomes compressifs sont très rares. Le tableau est aigu, associant lombalgies
intenses et paraplégie. Le diagnostic est apporté par le scanner ou l'IRM qui mettent en
évidence une collection sanguine compressive dans l'espace sous-dural. Pour éviter des
séquelles irréversibles, une intervention chirurgicale de décompression doit être réalisée en
urgence. Dans la plupart des cas rapportés, il existait un trouble de l'hémostase.
L’hématome sous-dural cérébral est une complication exceptionnelle. Il faut le
suspecter devant des céphalées non positionnelles et pratiquer un scanner au moindre doute.
L’évolution est en général favorable si le diagnostic est précoce et si l'évacuation chirurgicale
de l'hématome est rapide.
Les complications infectieuses (méningites) sont devenues rares avec l'utilisation de
matériel à usage unique. La réalisation d'un bloc central impose une asepsie parfaite.
Le syndrome de l'artère spinale antérieure est dû à une ischémie médullaire et se traduit
classiquement par une paraplégie purement motrice, sans trouble sensitif. La cause la plus
probable est une hypotension artérielle sévère. L’IRM médullaire en urgence est initialement
normale et permet d'éliminer une compression médullaire. A long terme, l'évolution dépend
de l'importance de la nécrose.
2.8.4 Autres complications
Les complications respiratoires ont plusieurs origines : bloc moteur trop étendu,
sédation excessive ou utilisation de morphinomimétiques.
Les lombalgies sont favorisées par les ponctions multiples.
Les nausées et les vomissements sont le plus souvent en rapport avec une hypotension
artérielle.
Le blocage des racines sacrées provoque fréquemment une rétention urinaire nécessitant
un sondage.
La rachianesthésie représente donc une technique d’analgésie et d’anesthésie très
efficace facilement applicable dans des conditions de terrains parfois difficiles, comme dans
les pays en voie de développement.
Cette technique conviendrait certainement à l'exercice vétérinaire. Il apparaît alors
indispensable d'en exposer les principes de réalisation chez l'animal.
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3 La rachianesthésie en médecine vétérinaire
3.1 Rappels d'anatomie
On retrouve les mêmes structures anatomiques que chez les humains, aussi bien au
niveau osseux que ligamentaire. On notera cependant l'épaisseur de la peau qui est plus
importante chez les bovins.
Processus articulaire
Espace péridural
Dure-mère
Membrane arachnoïdienne
Espace sous arachnoïdien
Moelle épinière
Pie-mère
(d'après Skarda, 1986)
Figure 16 : Colonne vertébrale de bovins en région lombosacrée (coupe transversale au
niveau de L6, vue crâniale)
De la même façon, en coupe longitudinale, on retrouve une zone à partir de la région
lombosacrée, où seul subsiste le canal rachidien, sans moelle épinière à l'intérieur (queue de
cheval):
Moelle épinière
Queue de cheval
L6
S1
LCR
(d'après Bouisset, 2000)
Figure 17 : Colonne vertébrale de bovin en région lombosacrée (coupe sagittale, vue
latérale entre L5 et Cd4)
On a donc les mêmes structures anatomiques que chez l'homme, ce qui permet de
réaliser des injections rachidiennes dans les mêmes conditions.
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3.2 Réalisation
La ponction est effectuée comme lors de prélèvement de LCR en région lombosacrée
(Guatteo, 2003).
L'animal est placé en décubitus latéral. Pour limiter les réactions lors de la ponction, une
anesthésie locale du site de ponction peut être pratiquée à l'aide d'anesthésique local.
Une zone de 5 cm sur 5 est préparée
de manière chirurgicale en région
lombosacrée, centrée sur le milieu d'une
ligne rejoignant les deux pointes des
hanches, qui représente presque le site de
ponction. Le site de ponction est
précisément repéré par palpation avec
l'index d'une zone de dépression située
entre la dernière vertèbre lombaire (L6) et
la première vertèbre sacrée (S1).
Photographie 1 : Localisation du lieu de
ponction
L'aiguille est introduite jusqu'à la garde, perpendiculairement, dans l'axe sagittal du
corps de l'animal. Lors de cette étape, la peau, le tissu sous-cutané, le ligament supra-épineux
et le ligament interépineux sont traversés. Lors de la traversée du ligament interépineux, une
légère résistance est ressentie, car celui-ci est fibreux. L'animal peut alors être atteint d'un
sursaut (Scott, 1995). Une légère pression sur l'aiguille suffit alors pour traverser la graisse
péridurale et la dure-mère. L'aiguille est alors dans la citerne subarachnoïdienne.
Aiguille spinale
traversant
l'arachnoïde
L6
S1
Dure-mère et
Arachnoïde
Emergence d'un
nerf spinal
(d'après Skarda, 1986)
Figure 18 : Introduction de l'aiguille spinale (coupe sagittale, vue crânio-latérale)
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Le plus souvent, le liquide
céphalorachidien sort spontanément sous
l'effet de la pression. Des gouttes perlent
alors à l'extrémité de l'aiguille dès l'entrée
dans la citerne. Cependant, il est parfois
nécessaire de monter une seringue sèche
et d'aspirer afin de s'assurer que l'aiguille
soit bien dans l'espace sous-arachnoïdien.
Une fois que l'on est certain d'être
dans cet espace, il est nécessaire de
laisser s’écouler une quantité de LCR
environ équivalente au volume de
solution anesthésique injecté afin d'éviter
toute surpression dans l'espace sousarachnoïdien. En effet, cette surpression
peut être une source de troubles
neurologiques.
Photographie 2 : Ponction intrarachidienne
Il est conseillé de tenir l'aiguille en
prenant appui avec la tranche de la main
posée sur l'animal afin d'assurer une plus
grande stabilité. La seringue contenant la
solution anesthésique est ensuite montée
sur l'aiguille. La solution est alors
injectée lentement (1,5 ml/30 secondes).
Lors de l'utilisation d'anesthésiques
locaux, le bloc moteur apparaît le plus
souvent avant la fin de l'injection
intrarachidienne.
Photographie 3 : Injection intrarachidienne
En médecine humaine, cette technique est utilisée depuis longtemps et a largement fait
ses preuves. En médecine vétérinaire, elle n'est utilisée que dans des protocoles de recherches,
mais rarement, voire jamais sur le terrain. Pourtant, cette technique présente de nombreux
avantages. Elle procure une analgésie puissante, tout en utilisant des molécules faciles d’accès
à des doses réduites. L'analgésie per-opératoire obtenue est proche de celle procurée par les
morphiniques, sans avoir à gérer le stock de ces molécules classées comme stupéfiants. La
difficulté technique de réalisation qui peut être avancée comme inconvénient à la réalisation
de ce mode d'anesthésie est largement surmontable puisque ce geste technique est presque le
même que celui de la ponction de LCR en région lombosacrée.
Il apparaît donc important d'objectiver ces avantages afin de prouver que cette technique
a un intérêt sur le terrain, notamment lors d'intervention sur les omphalites et
omphalophlébites.
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