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Quadrimed 2014
F. Luthi
M. Konzelmann
Drs François Luthi et Michel Konzelmann
Service de réadaptation de l’appareil
locomoteur
Clinique romande de réadaptation
Suvacare
Av. Grand-Champsec 90, 1950 Sion
[email protected]
[email protected]
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 271-2
présentation clinique
Un homme de 45 ans fait une chute
d’une échelle. Il en résulte une fracture
du calcanéum droit traitée par réduction
ouverte, ostéosynthèse, immobilisation,
puis physiothérapie. Après une évolution
décrite comme favorable, il consulte au
quatrième mois pour une douleur qui
persiste, particulièrement présente le soir
et la nuit. La couette est difficilement
supportée sur le pied. Il note aussi une
tuméfaction, toujours présente, accompagnée d’une sensation de chaleur. A
l’examen clinique, le patient utilise deux
cannes. Les cicatrices sont calmes. La
cheville et le pied sont enflés, chauds,
assez raides. Le rebord externe et le
dos du pied sont diffusément sensibles
avec des sensations désagréables au
toucher. A la prise de sang, les paramètres inflammatoires sont normaux. Le
contrôle récent chez le chirurgien est
rassurant, la fracture considérée comme
consolidée.
Vous suspectez une algodystrophie et
prescrivez un traitement de calcitonine
avec poursuite de la physiothérapie.
Après six semaines, l’évolution est mitigée. Le patient dit que ça va un petit peu
mieux. L’examen clinique est superposable.
Confirmez-vous le diagnostic d’algodystrophie ? Proposez-vous des examens
complémentaires et/ou d’autres traitements, médicamenteux ou non ?
Le syndrome douloureux
régional complexe
(algodystrophie) sous toutes
ses formes
la maison», l’International Association for
the Study of Pain (IASP) a proposé une
nouvelle terminologie, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), qui évite
toute spéculation physiopathologique. Elle
a aussi réalisé un consensus diagnostique
aussi complet que possible. Cela a permis
la récente validation des critères dits de Budapest (tableau 1), qui devraient dorénavant
faire foi.1 La vignette ci-dessus remplit ces
critères. Ils sont exclusivement cliniques, ne
laissant aucune place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM).
Néanmoins, même si elle est toujours l’objet
d’une controverse,2,3 l’imagerie, en particulier la scintigraphie et l’IRM, garde un
rôle à notre sens, à condition d’en faire bon
usage.
Sur le plan diagnostique, l’imagerie devrait être réservée aux formes douteuses
(celles qui ne remplissent pas les critères
de Budapest), aux localisations pour lesquelles les signes cliniques sont souvent
discrets et incomplets (par exemple, le ge-
nou), aux formes atypiques rares, telles que
les SDRC partiels de la main (figure 1).4 Elle
devrait de plus être réalisée précocement,
Figure 1. Image scintigraphique
d’un syndrome douloureux régional
complexe (SDRC) partiel de la
main droite (trois derniers rayons)
Tableau 1. Critères de Budapest (2010)1
1. Douleur qui persiste et apparaît disproportionnée avec l’événement initial
2. Au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes
a. Sensoriel : le patient décrit une douleur qui b. Vasomoteur : le patient décrit une asymétrie de température
évoque une hyperpathie et/ou une allodynie et/ou un changement de couleur et/ou une asymétrie de
couleur
c. Sudomoteur/œdème : le patient décrit un œdème et/ou une asymétrie de sudation
d. Moteur/trophique : le patient décrit une raideur et/ou une
dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou un
changement trophique (pilosité, ongles, peau)
3. Au moins un signe dans M 2 des catégories suivantes
a. Sensoriel : confirmation d’une hyperpathie et/ou allodynie
b. Vasomoteur : confirmation d’une asymétrie de température
et/ou changement de couleur et/ou asymétrie de couleur
c. Sudomoteur/œdème : confirmation d’un œdème et/ou asymétrie de sudation
d. Moteur/trophique : confirmation d’une raideur et/ou
dysfonction motrice (faiblesse, trémor, dystonie) et/ou
changement trophique (pilosité, ongles, peau)
4. Il n’existe pas d’autre diagnostic qui explique de manière plus convaincante
les symptômes et les signes cliniques
commentaire
En l’absence de test objectif, le syndrome algodystrophique a longtemps ressemblé à un chaos diagnostique, entraînant
confusion thérapeutique et controverse
scientifique. Pour «remettre de l’ordre dans
0
Commentaires :
• les critères 1 et 4 doivent toujours être remplis. Le respect du quatrième critère explique pourquoi
l’imagerie garde une place dans le processus diagnostique.
• les critères cliniques font la part belle à la sensibilité (sensibilité : 0,85/spécificité : 0,69).
• il existe également une application «recherche» de ces critères. Au moins un symptôme doit être présent
dans les quatre catégories a-d. Pas de critère supplémentaire nécessaire pour les signes cliniques
(sensibilité : 0,70/spécificité : 0,96).
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moins de six mois après le début des symptômes. Sur le plan thérapeutique, l’ima­gerie
peut probablement contribuer à orien­ter la
stratégie médicamenteuse. Une équipe italienne a récemment publié un essai randomisé, contrôlé, de bonne qualité, qui tend à
démontrer l’intérêt des bisphosphonates
utilisés précocement si la scintigraphie osseuse est positive aux trois phases.5 Dans
le cas clinique présenté, la scintigraphie
était positive et la diminution des douleurs
était marquée après des perfusions de pamidronate (4 x 90 mg en huit jours). Dans les
formes «précoces» (moins de six à douze
mois), en parallèle avec le traitement antalgique, les médicaments les plus intéressants sont les corticoïdes, les bisphosphonates et les médicaments de la douleur
neuropathique. Le niveau de preuves reste
cependant modeste et l’approche thérapeutique est pragmatique.6 La calcitonine
perd progressivement son crédit et ne doit
pas être utilisée plus de quatre à six semaines. Dans les formes «tardives», les traitements médicamenteux sont ceux des
syndromes douloureux chroniques en général, sans spécificité véritable du SDRC.
Le diagnostic peut être difficile à confirmer,
rendant les choix thérapeutiques encore
plus complexes.6
Mais le socle thérapeutique demeure la
restauration fonctionnelle précoce, avec la
physiothérapie et l’ergothérapie.6 En plus
des techniques antalgiques, du drainage,
des mobilisations progressives, la réactivation précoce de l’ensemble de la personne
souffrant d’un SDRC est primordiale. Il faut
éviter d’appliquer une «règle de la non-douleur», rigide et mal comprise, et la remplacer par la «règle du bon rapport d’activité»,
qui permet au patient de retrouver son autonomie. Des essais cliniques récents ont en
effet confirmé qu’une exposition progressive des patients était possible et efficace.7
En cela aussi le SDRC se rapproche des
autres syndromes douloureux. Les facteurs
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de mauvais pronostics, personnels et environnementaux, sont les mêmes, sans place
pour une typologie propre au SDRC. Le rôle
des messages délivrés par les soignants,
et en particulier par le corps médical, est
donc capital pour une prise en charge globale, bio-psychosociale, des malades souf­
frant de SDRC.
conclusion
Le travail réalisé au cours des dix dernières années, notamment sous l’égide de
Implications pratiques
E Les critères de Budapest1 sont applicables en clinique. Ils permettent de retenir le diag­
nostic de syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) dans la majorité des cas
E L’imagerie garde sa place dans la stratégie diagnostique, mais elle doit être demandée de
manière raisonnée (cas douteux, localisation ou forme «atypiques») et si possible dans
les six premiers mois d’évolution
E A côté du traitement antalgique, notre «arbre médicamenteux précoce» comprend principalement les corticoïdes (forme «inflammatoire» prédominante), les bisphosphonates
(forme avec imagerie osseuse positive : scintigraphie trois phases, œdème médullaire à
l’IRM) et les médicaments de la douleur neuropathique (forme avec douleur «neuropathique» prédominante)
E La restauration fonctionnelle (physiothérapie, ergothérapie) demeure le socle thérapeutique. Une approche biopsychosociale orientée vers l’autonomie du patient est primordiale6
E La prise en charge doit être précoce, dynamique et pragmatique en évitant de conserver
pendant des semaines des traitements inefficaces
Bibliographie
1 Harden RN, et al. Validation of proposed diagnostic
criteria (the «Budapest Criteria») for complex regional
pain syndrome. Pain 2010;150:268-74.
2 Ringer R, et al. Concordance of qualitative bone scin­
tigraphy results with presence of clinical complex regional
pain syndrome 1 : Meta-analysis of test accuracy studies.
Eur J Pain 2012;16:1347-56.
3 Wüppenhorst N, et al. Sensitivity and specificity of
3-phase bone scintigraphy in the diagnosis of complex
regional pain syndrome of the upper extremity. Clin J
Pain 2010;26:182-9.
4 Konzelmann M, et al. Diagnosis of partial complex
regional pain syndrome type 1 of the hand : Retrospective
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l’IASP, a permis d’obtenir un consensus acceptable et praticable pour poser le diag­
nostic de SDRC (algodystrophie). La diffusion de ces critères devrait permettre la
réa­lisation d’essais cliniques de qualité.
Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques et des traitements, toujours sujets de controverses, est
donc probable à l’avenir.
study of 16 cases and literature review. BMC Neurol
2013;13:28.
5 Varenna M, et al. Treatment of complex regional pain
syndrome type 1 with neridronate : A randomized, double
blind, placebo-controlled study. Rheumatology 2013;52:
534-42.
6 Harden RN, et al. Complex regional pain syndrome :
Practical diagnostic and treatment guidelines, 4th edition.
Pain Med 2013;14:180-229.
7 Van de Meent H, et al. Safety of «pain exposure»
physical therapy in patients with complex regional pain
syndrome type 1. Pain 2011;152:1431-8.
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