Thrombose de prothèse valvulaire mécanique

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Revue
mt cardio 2006 ; 2 (3) : 372-9
Thrombose de prothèse valvulaire
mécanique : modalités diagnostiques
et thérapeutiques
Raymond Roudaut , Marie-Françoise Roudaut, Stéphane Lafitte, Valérie Le Bouffos, Marianne Berhouet
Hôpital cardiologique, CHU, Université Victor-Segalen, Bordeaux 2, avenue de Magellan, 33604 Pessac
<[email protected]>
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Résumé. Les thromboses de prothèses valvulaires cardiaques représentent une complication rare mais grave du remplacement valvulaire par
prothèse mécanique. Le diagnostic de thrombose est loin d’être toujours aisé car les présentations cliniques sont variées. L’échocardiographie
transthoracique est l’examen de première intention qui doit être complété au moindre doute par le radiocinéma de valve et l’échocardiographie
transœsophagienne. Quant à l’attitude thérapeutique (héparine, fibrinolyse, chirurgie), elle doit être discutée au cas par cas selon la localisation
de la prothèse et le contexte clinique. Une thrombose obstructive de prothèse en position tricuspide relève classiquement de la fibrinolyse. Une
thrombose massive d’une valve du cœur gauche est avant tout une indication à la chirurgie. Cependant, la fibrinolyse peut être envisagée
comme geste de sauvetage en cas de défaillance cardiocirculatoire grave et d’éloignement d’un centre de chirurgie cardiaque, de contreindication à la chirurgie, ou en cas d’obstruction avec petit thrombus.
Mots clés : prothèse valvulaire, thrombose prothèse valvulaire, échocardiographie transthoracique, échocardiographie transœsophagienne,
radiocinéma de valve, fibrinolyse, chirurgie
Abstract. Prosthetic valve obstructive thrombosis: diagnosis and management. Prosthetic cardiac valve thrombosis is a rare but serious
complication of valve replacement with mechanical prostheses. The diagnosis is far from being easy because the clinical presentations are
variable. Cinefluoroscopy of the prothesis and Doppler echocardiography (transthoracic and transoesophageal) are essential diagnostic
investigations. The management (heparin therapy, thrombolysis, surgery) is based on individual assessment depending on the severity of
prothesis obstruction and involvement of a right or left heart valve. Thrombosis of a tricuspid valve prosthesis is usually an indication for
thrombolytic therapy. Massive thrombosis of a left heart prosthesis is usually an indication for surgery but thrombolysis may be considered as
a salvage procedure in cases of cardiac surgery.
Key words: prosthetic heart valve, prosthetic valve thrombosis, transthoracic echocardiography, transesophageal echocardiography,
cinefluoroscopy, fibrinolysis, surgery
L
Revue
mtc
Tirés à part : R. Roudaut
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a thrombose obstructive de prothèse valvulaire cardiaque représente une complication heureusement
rare mais toujours grave, véritable urgence médicochirurgicale. Elle survient avant tout sur prothèse mécanique et est exceptionnelle sur
bioprothèse. La thrombose de prothèse mécanique en position tricuspide est 20 fois plus fréquente que
celle des prothèses valvulaires du
cœur gauche [1]. Le diagnostic de
thrombose de prothèse a largement
bénéficié des techniques modernes
d’imagerie ; trois examens sont considérés comme fondamentaux : le radiocinéma de valve, l’échocardiographie
transthoracique
(ETT)
et
mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
l’échocardiographie
transœsophagienne (ETO). Le traitement d’une
thrombose obstructive est avant tout
chirurgical, cependant la fibrinolyse
représente au cas par cas, une alternative à considérer.
Thrombogénicité
des prothèses valvulaires
mécaniques
Les phénomènes de thromboses
de valves concernent avant tout les
prothèses mécaniques, et ce malgré
les progrès réalisés dans la biocompatibilité des matériaux (carbone pyrolytique) et le profil hémodynamique des
prothèses de 2e génération (prothèses à double ailette de
type Saint Jude Medical ou prothèses à disque basculant
type Medtronic Hall).
Diagnostic de thrombose obstructive
de prothèse
La thrombose peut être aiguë et constituée d’un thrombus frais (dans ces cas la cause est en règle l’arrêt du
traitement anticoagulant) ou subaiguë, chronique. Elle est
alors constituée de plusieurs couches de caillots plus ou
moins organisées.
Plusieurs séries chirurgicales [4-7] ont souligné la fréquence des pannus fibreux après remplacement valvulaire
(45 à 70 % des cas), véritable cicatrice fibreuse périannulaire exubérante qui favorise la formation de la
thrombose secondaire à la stase sanguine.
La fréquence des thromboses obstructives de prothèses
valvulaires mécaniques varie entre 0,3 et 1,3 pour 100
années-patients [8]. Soulignons cependant que les prothèses récentes à double ailette ont un profil hémodynamique
meilleur, expliquant la moindre survenue de thromboses.
De plus, il est plus rare que la thrombose bloque simultanément les deux ailettes, si bien que la présentation clinique est souvent moins grave avec ce type de prothèse.
La première année postopératoire est une année à
risque. Ainsi, dans la série de Deviri et al. [4] concernant
100 interventions chirurgicales pour thrombose de prothèses, 24 % surviennent pendant la première année,
13 % pendant la deuxième, 15 % pendant la troisième,
16 % pendant la quatrième. Au-delà, la fréquence des
thromboses de prothèse décroît [4].
Dans le contexte de l’urgence, le diagnostic de thrombose de prothèse valvulaire cardiaque est avant tout évoqué devant une défaillance cardiaque aiguë, droite ou
gauche (OAP) selon le site de la prothèse, ou une dyspnée
anormale, un fébricule, voire une embolie systémique
d’évolution moins aiguë. Dans ce contexte, la constatation à l’auscultation d’une diminution des clicks de prothèse valvulaire ou de l’apparition d’un souffle cardiaque
est un signe clinique d’importance.
Examens complémentaires
Face à une suspicion clinique de thrombose de valve,
trois examens complémentaires ont un rôle essentiel dans
la confirmation du diagnostic et la prise en charge des
patients : l’ETT, le radiocinéma de valve et l’ETO.
Échocardiographie transthoracique
L’ETT est l’examen clé de surveillance des prothèses
[9-18]. En échocardiographie bidimensionnelle, il existe
deux signes directs de thrombose de prothèse valvulaire :
une anomalie de la cinétique des éléments mobiles et la
présence d’un thrombus autour de la prothèse. Soulignons
l’importance de multiplier les incidences d’exploration de
la prothèse (incidences parasternales, apicales, sous costales) (tableau 1).
Il faut rechercher une ouverture incomplète ou retardée du ou des éléments mobiles de la prothèse valvulaire,
voire l’immobilité d’une des ailettes.
Le thrombus paraprothétique peut siéger sur l’une ou
l’autre face de la prothèse, le plus souvent dans la cavité
où règnent les pressions les plus basses. Il s’agit d’une
masse plus ou moins arrondie d’échogénicité plus faible
que l’anneau prothétique souvent légèrement mobile qu’il
faut rechercher avec attention en utilisant le zoom.
Cependant, ces seuls signes échocardiographiques
sont souvent insuffisants car peu sensibles. En effet, les
prothèses récentes dites à « bas profil » ont des clapets de
petite taille qui dépassent à peine le plan de l’anneau lors
de l’ouverture et sont donc difficilement analysables. Par
ailleurs, la prothèse génère des artefacts et des cônesd’ombre qui peuvent gêner considérablement l’interprétation des images échocardiographiques. Le Doppler
Tableau 1. Eléments de distinction pannus/thrombus
INR
Aspect écho
Mobilité des ailettes
Pannus
Thrombus frais
Thrombus organisé
> 2.5
Dense, épais
Immobile, en anneau
Normale ou blocage complet
< 2.5
Hypoéchogène
± pédiculé mobile
Hypomobile
< 2.5
Dense, épais
Immobile
Blocage complet
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Clinique
Parmi les nombreux facteurs qui interviennent dans les
phénomènes de thrombose, les facteurs hémostatiques
jouent un rôle prépondérant [2, 3]. La qualité du traitement anticoagulant est souvent défectueuse en cas de
thrombose de prothèse. La phase postopératoire précoce
est à ce titre délicate, car l’équilibre peut être difficile à
trouver entre une hypocoagulation trop forte et son risque
hémorragique (hémopéricarde), et trop faible avec son
risque de thrombose. Par ailleurs, au cours de la vie d’un
patient, toute modification du schéma thérapeutique, en
particulier lors des relais nécessaires pour une intervention intercurrente ou une grossesse, constitue des situations à risque.
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Thrombose de prothèse valvulaire mécanique
Figure 1. Thrombose de prothèse Saint Jude mitrale. Doppler transmitral, gradient moyen élevé à 25 mmHg.
cardiaque couplé à l’ETT est donc d’un apport essentiel
(figures 1 et 2).
Le Doppler couleur peut mettre en évidence des anomalies de flux : jet antérograde turbulent (aliasing), plus ou
moins étroit et désaxé, voire jet rétrograde pathologique
témoignant de l’absence d’étanchéité des clapets. Le Doppler pulsé et, surtout, le Doppler continu évaluent le
caractère anormalement sténosant de la prothèse en termes de gradient moyen, de surface fonctionnelle et le
retentissement hémodynamique en amont (hypertension
artérielle pulmonaire), en se référant aux paramètres de
référence obtenus en postopératoire.
En faveur d’une thrombose obstructive de prothèse
mitrale (figure 1), on retient classiquement un gradient
moyen supérieur ou égal à 8 mmHg et une surface fonctionnelle inférieure ou égale à 1,3 cm2. L’interprétation
d’un gradient transprothétique doit toujours tenir compte
du débit cardiaque : un gradient anormalement élevé peut
être observé en l’absence de thrombose obstructive (par
exemple en cas d’hyperthyroïdie, d’insuffisance mitrale
paraprothétique). Mais, dans ce cas, la surface fonctionnelle de la prothèse reste normale.
En faveur d’une thrombose de prothèse aortique (figures 1 et 2), on retient classiquement un gradient transprothétique moyen d’au moins 45 mmHg, une surface valvulaire inférieure à 0,7 cm2, un indice de perméabilité
(rapport vitesse ou ITV de la chambre de chasse/vitesse ou
ITV transprothétique) de 0,25 au maximum. L’interprétation des gradients doit tenir compte du débit transprothétique et du diamètre de la prothèse. En effet, les prothèses
aortiques de petit calibre (par exemple Saint Jude n° 19 ou
n° 21) présentent spontanément des gradients transprothétiques relativement élevés liés à la disproportion
patient/prothèse (mismatch). Chez ces patients les arguments suivants plaideront contre le diagnostic de
thrombose obstructive : présence de gradients élevés dès
l’examen de référence en période postopératoire, indice
de perméabilité supérieur à 0,25 et jeu normal des ailettes
au radiocinéma.
L’interprétation des valeurs de gradients et de surfaces
obtenues nécessite le recours à des tableaux de normalité.
Il faut également comparer ces valeurs à celles utilisées
comme référence qui sont propres au patient. Les valeurs
de références pour chaque paramètre Doppler sont idéalement obtenues au terme de la réadaptation qui suit
l’intervention chirurgicale, en période de stabilité hémodynamique (premier mois postopératoire).
À noter qu’il existe des thromboses de prothèse « silencieuses au Doppler », en particulier avec les prothèses à
double ailettes, a fortiori s’il existe un bas débit cardiaque,
d’où l’importance au moindre doute de réaliser un radiocinéma de valve qui analyse parfaitement les ailettes,
voire une ETO.
Soulignons que l’échocardiographie Doppler transthoracique est en règle négative en cas de thrombose non
obstructive. Il existe des obstructions paroxystiques par
enclavement transitoire d’un caillot mobile.
Revue
Figure 2. Thrombose de prothèse Saint Jude aortique, gradient moyen 65 mmHg, indice de perméabilité 0,20.
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Radiocinéma de valve
L’examen de la prothèse sous amplificateur de
brillance est une étape capitale et simple à mettre en
œuvre (figure 3) [19, 10]. Lorsqu’il est réalisable chez un
malade ambulatoire, il peut très rapidement confirmer le
diagnostic de dysfonction de prothèse. Celui-ci repose sur
l’immobilité d’un des deux éléments mobiles de la prothèse valvulaire en position de fermeture complète ou
incomplète, ou encore sur la mise en évidence d’une
diminution du jeu des clapets. Le radiocinéma peut être
pris en défaut en cas de thrombose non obstructive ou de
pannus fibreux développé à la périphérie de l’anneau
prothétique sans entrave au jeu des éléments mobiles.
Dans un travail récent, Montorsi et al. [10] insistent sur
l’importance, thérapeutique, du caractère immobile ou
non de l’ailette bloquée. Une immobilité complète chez
un patient dont les symptômes évoluent depuis plus de
21 jours laisse présager un échec de la fibrinolyse du fait
de lésions organisées (thrombus organisé ou pannus).
– la disparition des fuites intraprothétiques dites « physiologiques » situées au pourtour des clapets et qui normalement apparaissent comme de petits jets localisés ;
– la découverte d’une fuite centroprothétique, substantielle, qui témoigne d’un défaut d’occlusion d’un clapet (figure 5) ;
– la découverte d’un pannus fibreux plus ou moins
obstructif qui sera d’autant plus facile à affirmer qu’il
constitue un anneau réduisant la surface fonctionnelle de
la prothèse. Les pannus sont plus fréquents en position
aortique qu’en position mitrale. Ils sont caractérisés par
des échos très denses, constatés habituellement en dehors
de toute anomalie significative de la coagulation chez des
Échocardiographie transœsophagienne
Chez les patients en état hémodynamique très instable,
l’ETO n’est pas indispensable en présence d’une thrombose massive diagnostiquée par l’ETT et le radiocinéma de
valve. Il s’agit en effet d’une urgence thérapeutique. Si
l’état hémodynamique du patient est stable, l’ETO est un
examen précieux par la qualité de l’imagerie obtenue avec
les sondes de haute fréquence (5 à 7 MHz) et les sondes
multiplan qui visualisent la prothèse valvulaire sous différents angles [18-26].
Les principaux signes en faveur d’une thrombose obstructive de prothèses valvulaires sont :
– l’immobilité ou la diminution du jeu des ailettes ;
– la mise en évidence d’un thrombus obstructif sur
l’une ou l’autre des faces de la prothèse (figure 4) ;
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Figure 3. Radiocinéma de valve : prothèse mitrale à double ailette en position mitrale : blocage de l’ailette inférieure.
Figure 4. ETO : volumineux thrombus obstructif sur la face auriculaire d’une prothèse Saint Jude mitrale.
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Thrombose de prothèse valvulaire mécanique
Les limites de l’ETO sont à bien connaître. La face
ventriculaire d’une prothèse mitrale reste plus difficile à
analyser que la face auriculaire. De plus, du fait du faible
encombrement des ailettes, le jeu des éléments mobiles
des prothèses aortiques reste difficilement analysable,
même avec les sondes œsophagiennes multiplan. Les
thrombi doivent être distingués des strands ou « filaments
de fibrine » qui apparaissent comme des échos fins (de
l’ordre de 1 mm) filamenteux, mobiles, plus ou moins long
(de l’ordre de 10 mm), qui sont très fréquemment observés
sur la face auriculaire des prothèses mitrales. La nature
exacte de ces strands reste hypokinétique. Les études
récentes ne semblent pas plaider en faveur d’un risque
embolique accru.
Soulignons la place grandissante de l’ETO dans la
stratégie thérapeutique : ainsi en présence d’une thrombose obstructive d’une valve du cœur gauche avec volumineux thrombus, la fibrinolyse est considérée comme
dangereuse, la chirurgie est donc préférée. L’étude coopérative internationale de Tong et al. [25] a montré que le
risque de complication de la fibrinolyse est lié aux antécédents d’AVC et à la présence d’un caillot supérieur
à 0,8 cm2.
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A
B
Aspects thérapeutiques
C
Revue
Figure 5. ETO : thrombose de prothèse à double ailettes : A) blocage
des ailettes en position semi ouverte, sans masse thrombotique
nettement individualisable, B) gradient transvalvulaire très élevé, C)
IM centrale.
patients dont la symptomatologie clinique évolue depuis
plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
376
Une thrombose obstructive de prothèse mécanique
relève en règle d’un traitement « agressif » (chirurgie ou
fibrinolyse) car le traitement anticoagulant est insuffisant.
Il existe peu de recommandations officielles concernant la
prise en charge des thromboses de prothèses valvulaires,
celles-ci sont de niveau 2, dans la mesure où nous ne
disposons pas d’études randomisées. Selon les recommandations de l’ACC-AHA. [29], la chirurgie est habituellement proposée en première intention pour les thromboses de prothèses du cœur gauche, la fibrinolyse devant
être réservée aux patients en stade III-IV de la NYHA. à
haut risque chirurgical ou pour qui la chirurgie est contreindiquée ou encore aux patients de stade I-II de la NYHA.
avec petit caillot après échec de l’héparine. En fait, le
choix thérapeutique face à une thrombose obstructive de
prothèse valvulaire dépend de plusieurs paramètres : localisation de la prothèse (cœur droit ou gauche), terrain, le
tableau clinique (stade NYHA et caractère aigu et subaigu
de la thrombose), distance par rapport au bloc opératoire,
contre-indication opératoire, présence éventuelle d’un
thrombus et sa taille, conditions socio-économiques du
pays [26-41].
Thrombose obstructive de prothèses
du cœur droit
Les prothèses mécaniques sont de plus en plus rarement implantées dans le cœur droit du fait de leur potentiel thrombogène élevé. L’obstruction d’une prothèse du
mt cardio, vol. 2, n° 3, mai-juin 2006
État stable
État critique
ETT
pannus
± thrombus
gros thrombus
+ blocage
chirurgie
ETO +++
petit thrombus
+ blocage
blocage isolé
ailette
fibrinolyse
Figure 6. Algorithme décisionnel en fonction de l’état clinique du patient et des données des examens complémentaires.
cœur droit (tricuspide ou pulmonaire) relève avant tout de
la fibrinolyse. En cas d’échec, la chirurgie est proposée.
Plusieurs publications ont en effet montré l’intérêt de la
fibrinolyse qui peut permettre de lever l’obstacle sans
recours à la chirurgie avec un risque de complications
hémorragiques et emboliques acceptable [28].
Thrombose obstructive de prothèses
du cœur gauche
Une thrombose obstructive du cœur gauche relève
avant tout de la chirurgie. Dans certaines situations, la
fibrinolyse peut néanmoins être discutée (figure 6). Classiquement, la chirurgie d’une thrombose aiguë de prothèse est grevée d’une mortalité qui peut atteindre 54 %
chez des patients en stade IV de la NYHA. Cependant, les
progrès récents de la chirurgie, de l’anesthésie et de la
réanimation péri-opératoire ont considérablement amélioré le pronostic. Ainsi, selon Deviri et al. [4], la mortalité
n’excède plus 4 % chez les patients opérés en stade I, II ou
III de la classification fonctionnelle NYHA et atteint
17,5 % chez les patients en stade IV. Le geste chirurgical
peut être un remplacement valvulaire (en cas de thromboses itératives, l’implantation d’une bioprothèse doit être
envisagée) ou plus rarement une thrombectomie.
La fibrinolyse [26-38] représente une alternative à la
chirurgie, en particulier lorsque cette dernière est contreindiquée (patient âgé, dysfonction ventriculaire gauche,
reprises chirurgicales multiples...). La compilation des séries de la littérature publiée en 1997 par Lengyel et al. [30]
a montré que la fibrinolyse est efficace dans 82 % des cas,
mais qu’elle est grevée d’une mortalité de l’ordre de 10 %
et d’un risque d’embolie systémique de l’ordre de 12,5 %.
Ces risques de complications iatrogènes font que, de nos
jours, la fibrinolyse ne trouve sa place qu’en cas de
contre-indication de la chirurgie. Certains pays en voie de
développement proposent volontiers ce traitement en première intention, en raison d’impératifs financiers [37].
Soulignons la complémentarité des techniques d’exploration pour préciser le type des lésions :
– une ailette complètement immobile au radiocinéma,
chez un patient dont la symptomatologie évolue depuis
plus de 21 jours correspond, selon Montorsi et al. [10], à
des lésions organisées qui vont nécessiter une chirurgie ;
– l’ETO est d’un apport certain, pour éliminer un pannus et un volumineux thrombus qui orientent tous deux
vers la chirurgie [25].
Dans notre expérience [26], l’ETO a un rôle capital
pour décider d’une éventuelle fibrinolyse : la présence
d’un volumineux thrombus fait courir un risque d’embolie
plus important. En revanche, certaines occlusions valvulaires sont liées à un blocage localisé et isolé d’ailette sans
thrombus exubérant et, dans ces cas, la fibrinolyse donne
d’excellents résultats s’il s’agit d’un phénomène récent
non organisé. Il n’existe pas de consensus dans la littérature concernant les protocoles de fibrinolyse. Cependant,
à la lumière de notre expérience, nous pouvons proposer
deux attitudes :
– fibrinolyse « de sauvetage » chez les patients en état
hémodynamique instable, selon un protocole « court » :
soit rtPA 10 mg + 90 mg en 90 minutes, soit streptokinase
1 500 000 U en 60 minutes ;
– chez les patients dont l’état hémodynamique est
stable, un protocole « long » est le plus souvent préféré :
soit urokinase 4 500 U/kg/h sur 12 heures ou 2 000
l/kg/h + héparine sur 24 heures, soit rtPA bolus 10 mg, 1re
heure (50 mg), 2e heure (20 mg), 3e heure (20 mg).
Il peut être utile d’associer les agents fibrinolytiques
(protocole combiné) en cas de réponse insuffisante au
premier agent. Dans notre expérience [32, 34], la mortalité globale est de l’ordre de 10 %, aussi bien dans les
séries chirurgicales que dans les cas de fibrinolyse.
La fibrinolyse comporte un risque propre d’accident embolique souvent sans séquelle (AIT ou embolie d’un membre) mais potentiellement grave en cas d’AVC.
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Fibrinolyse sauvetage
radiocinéma
Thrombose de prothèse valvulaire mécanique
Conclusion
La thrombose obstructive de prothèse valvulaire est
une urgence médicochirurgicale qui a largement bénéficié des méthodes modernes d’imagerie médicale. Le
choix thérapeutique doit être discuté au cas par cas avec
l’équipe cardiologique médicochirurgicale (figure 6).
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