Zibeline n°25 en PDF

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du 17/12/09 au 21/01/10 | un gratuit qui se lit
Marion
Rampal :
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Virago
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Politique culturelle
Rencontres culturelles du Var
Musée Borély, Musée de la faïence
5
6
Théâtre
La Friche, Le Massalia, Théâtre Nono
La Criée
Les Bernardines, le Toursky, les Salins
Avignon, Aix, Martigues, Arles, Nîmes
Les Bernardines, le Gyptis, le Merlan, la Criée
Le Lenche, la Criée, la Minoterie, le Massalia
Cavaillon, Rousset, Simiane, Salon, Martigues
Au programme
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10,11
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15
Danse
La Minoterie, MOD, Dansem, les Bernardines
Istres, Pavillon noir, Gymnase, BNM, Toulon
Au programme
16,17
18, 19
20, 21
Cirque/Arts de la rue
Sirènes et midi net, Toursky, Istres, Grasse, GTP
22
Arts visuels
Musée d’art contemporain, Passage de l’art
Paradigme, la Fabrique sensible, Où sont les enfants ?
Galerie Vincent Bercker, la Non-Maison
Saint-Cyr-sur-Mer, Apt
Au programme
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28, 29
Cinéma
AFLAM, Festival Tous Courts
Les Rendez-vous d’Annie
Stella, ICI, Portrait de Laurent Lafran
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Musique
Concerts
Disques
33 à 43
44 à 46
Livres
Arts, Littérature
Toulon, la Destrousse
Cité du Livre, au programme
Ecrimed, Héropolis, Rencontres littéraires
47 à 51
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54,55
Philosophie
Les Rencontres d’Averroès
Entretien avec Raphaël Granvaud
Entretien avec Alain Guyard
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58, 59
Histoire
Echange et diffusion des savoirs, ABD, les Hébreux
60, 61
Sciences
Forum régional de culture scientifique et technique
ZIBELINE JEUNESSE
Événements Amarelles, Drôles de noëls
Activités Le Merlan, la Cité du Livre
Le musée des Alpilles, Laterna Magica
Spectacles Au programme
Mômaix, le Merlan, Fos-sur-Mer
Le Lenche, le Gyptis, GTP
Le Massalia, le Merlan, Ste-Maxime, Le Revest
Aix-en-Provence, Cavaillon
Livres
62
III
IV
V
VI VII
VIII
IX
X
XI
XII à XV
Emballages et
correspondances
Emballant ! Cette fin d’année culturelle s’est révélée, après une
rentrée sacrément triste, pleine de très bonnes surprises ! Des
créations passionnantes, des spectacles et des concerts bouleversants, des rencontres émoustillantes pour tous les esprits
curieux, et rêveurs… Certains sont encore sur nos scènes, et les
auteurs, artistes et musiciens croisés nous ont laissé leurs livres,
leurs œuvres, leur voix, enregistrés.
Et si vous offriez pour Noël à vos proches de partager avec vous
ces plaisirs ?
Car la fête se profile toujours identique, avec ses emballages
étalés. Dans les boutiques enluminées de guirlandes on vend
des vêtements pour empaqueter les corps, des bijoux pour les
orner, des appareils pour communiquer des mess@ges, et d’autres
pour lire les ℮-textes, les images et les sons™ numé®iques.
Dans une ténébreuse et profonde unité, les parfums, les ©ouleurs
et les sons se répondent, dirait l’autre. Et s’enclosent sous des
papiers pré-pliés pour emballer plus vite, et des étiquettes
préencollées, des vœux pré-écrits, pour ajouter encore autour
en une couche ultime.
Les ©adeaux que l’on déballe comme des oignons se réduisent
souvent à leur pelure. Une fois effeuillés il n’en reste que le
souvenir, et cette effervescence un peu écœurante d’ouvrir, de
consommer l’inutile. Ce qui ne définit pas le luxe, mais le vain.
Pour sortir de la vacuité ambiante offrez des livres. De la
musique, des instruments, des tableaux. Des plaisirs immédiats
même, des chocolats. Des places de spectacles, des moments de
cinéma que vous partagerez avec vos proches, des classiques
que vous aimez et qu’ils ne savent pas. Des voyages qui raviront
leur esprit vers des horizons nouveaux. Des objets inattendus
qu’ils devront apprivoiser. Du temps avec eux, pour les y aider.
Peut-être certains feront-ils la moue ? Qu’importe, vous leur
aurez offert un peu de vous-mêmes, et non la satisfaction
immédiate d’un ℮-désir commun. Pas des emballages mais la
solidité d’un lien.
AGNÈS FRESCHEL
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RENCONTRES MÉDITERRANÉENNES DU VAR
POLITIQUE CULTURELLE
Déferlante varoise
La Fête du livre, les Rencontres artistiques méditerranéenne du Var,
Constellations : du 20 novembre au 12
décembre, le Conseil général du Var a
mené un train d’enfer aux associations varoises et à ses partenaires. De
quoi faire mentir ceux qui pensaient
qu’il ne se passait jamais rien dans le
83 ! Et le public, dans tout ça ? On le
sait, la palme d’or revient à la Fête du
livre avec 52 000 visiteurs le temps
d’un week-end quand le public des
Rencontres, du fait de leur thématique
(Les nouvelles écritures du spectacle
vivant, de l’identité à la modernité)
et de leur durée (7 jours), est moins
quantifiable, de nombreux spectacles
se déroulant dans l’espace public.
Pour la petite dernière, Constellations,
la communication ayant du retard à
l’allumage, Kubilai Khan Investigations a dû compter sur ses seules
forces d’attraction.
De cette grande déferlante, on retiendra des images fortes, des sensations
de plaisir et des échanges nourriciers.
D’abord et par deux fois, l’incomparable Transports exceptionnels offert
par le chorégraphe Dominique Boivin
aux passants du quai du Port, saisis
de vertige par la performance d’un
danseur (P. Priasso) et d’un conducteur d’engin (E. Lamy) en prise avec
les forces animales d’une pelleteuse.
Dans un registre plus intime, l’Ensemble des Équilibres (Agnès Pyka,
Maire Laurence Rocca) a fait entendre
à une foule intergénérationnelle des
œuvres de Luciano Berio : un pari audacieux -et réussi- sous le regard des
05
chronies ; d’autre part le langage
universel de Léonard Bernstein chanté
avec bonheur par le Chœur de l’Opéra. Il y eut aussi la journée «jeune
public» du mercredi et les spectacles
de rue en familles le dimanche…
Entre ces rendez-vous festifs, les
Rencontres ont été émaillées de débats
entre les nombreux acteurs culturels
associés, du Var et des Bouches-duRhône, qui ont mis en partage leurs
expériences, croisé leurs projets et
pointé leurs interrogations. Pour la
seule journée consacrée aux «Aspects
du théâtre contemporain», les participants ont pu expérimenter la méthode
dite de «l’exercice des vagues» de la
metteur en scène Catherine Marnas
en l’intégrant dans leurs pratiques
personnelles ; se nourrir à la source
de l’histoire du théâtre contemporain
en écoutant Michel Corvin «tutoyer»
Beckett, Handke, Régy, Adamov dont
il connaît la moindre tirade. Et encore
Joseph Danan, dramaturge et auteur,
qui s’interrogeait à voix haute : «Peutêtre que le théâtre peut nous redonner
foi en ce monde», paraphrasant Gilles
Deleuze à propos du cinéma…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Les Rencontres artistiques
méditerranéennes du Var
se sont déroulées du 26 novembre
au 2 décembre
dans 6 lieux de Toulon
Transports exceptionnels © Jean-Louis Fernandez
photographies de Jeanloup Sieff accrochées à la Maison de la photographie.
Musical toujours, le programme proposé au foyer Campra à l’Opéra de TPM
a permis non seulement de (re)découvrir l’une des plus belles salles
d’opéra de la région, mais de se frotter
à deux univers mélodiques diamétralement opposés. D’une part la musique
de tables de Thierry de Mey (que
les amateurs d’Anne Teresa de
Keersmaeker connaissent bien) et la
trichromie de Yoshihisa Taïra servis
admirablement par l’Ensemble Poly-
La chambre des Aïta
Madame Plaza est une salle de cabaret, le plus vieux de
Marrakech. Une chambre sans âge à laquelle la chorégraphe
Bouchra Ouizguen ne donne formes ni couleurs. Une
réalité nue, sans fard ni voiles, sans parures ni parfum.
Seulement trois sofas sur lesquels se reposent quatre
femmes échouées là, presque par hasard. On ne connaîtra
rien de plus de leur histoire, on sait seulement que la
compagnie Anania rend ici hommage aux Aïta, «ces
chanteuses de cabaret, dépositaires à la fois d’un art venu du
fond des temps et de l’histoire récente du Maroc».
Dans un silence pesant, les corps se meuvent à la vitesse
d’une infusion de menthe, poses alanguies, têtes renversées,
pieds en l’air, ondulations imperceptibles… Quand soudain
l’une d’entre elles danse à la vitesse d’un éclair : les corps
cabossés lâchent leur énergie contenue, dos-à-dos, en
équilibre, au sol. Les chants s’élèvent, rauques, les rires se
déploient. Une vague profonde les soulève dans un cri
collectif, une secousse tellurique ; d’un corps à l’autre la
danse, le chant se répandent. Le quartet parfois se disjoint
tantôt fait bloc, chacune cherchant à s’échapper de ce
cabaret clos que seule l’intrusion d’un homme (subterfuge
du déguisement) pourrait entrouvrir : désirs, domination
masculine, sensualité à fleur de peau… Il suffit qu’un
complet veston blanc pointe le bout de sa braguette pour
semer le chaos, la discorde, bousculer l’ordre établi.
Jusqu’à ce que les tensions s’apaisent à nouveau et que les
corps, adoucis, se rencontrent une fois encore.
Depuis sa création au festival Montpellier Danse 2009 et son
passage au théâtre d’Arles, Madame Plaza divise le public
entre inconditionnels heureux et détracteurs interloqués
qui se demandent après-coup ce qu’ils sont venus faire
dans ce cabaret…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Madame Plaza a été présenté par le CNCDC Châteauvallon
aux Rencontres artistiques méditerranéennes du Var le 1er
décembre
Correction
Lors notre enquête du mois
dernier, les chiffres communiqués par la Criée quant à
leur subvention de la Ville
dépassaient de 200 000 euros
ceux que nous avions relevés
dans les délibérations (1 million
d’euros au lieu des 800 000). En
fait, la Criée, fort honnête, y
ajoutait la mise à disposition
des lieux par la Ville (c’est-àdire une somme estimée qu’elle
ne touche pas), ce que les autres
théâtres ne faisaient pas
(honnêtement aussi d’ailleurs).
Elle ne reçoit donc pas 4
millions de subventions, mais
3,8 millions.
A.F.
06
POLITIQUE CULTURELLE
MUSÉE BORÉLY | MUSÉE DE LA FAÏENCE
Le projet Borély
Château Borély © Ville de Marseille
Le constat est fait depuis des années : les musées
de Marseille, qui possèdent des fonds riches, divers
et étonnants, manquent cruellement de grands
lieux d’exposition susceptibles de les mettre en
valeur pour le public… Cela est particulièrement
vrai pour les collections muséales relevant des arts
décoratifs : depuis la fermeture il y a plus de 20
ans du musée Borély, elles végètent dans des
caisses ou sont disséminées qui au Musée de la
faïence, qui au Musée de la mode…
Restaurer enfin le magnifique Château Borély, écrin
XVIIIe au cœur du plus beau parc de Marseille,
tourné vers la mer, pas trop excentré, paraît donc
une évidente bonne idée ! D’autant que le projet est
cohérent : s’appuyant sur le potentiel naturel du Parc,
son légendaire Pavillon du Lac qui devra rouvrir,
son musée botanique avec lequel des passerelles
seront établies, l’ensemble muséal de Borély obéira
aux impératifs des grands projets. Les collections
des musées de la faïence, de la mode et des arts
décoratifs y seront réunies en un parcours historique éclairant sur la culture provençale, l’histoire
artisanale et industrielle de Marseille, et l’histoire
du goût et de l’art de vivre. Du XVIIe au XXe siècle
les objets, meubles, tissus, vaisselle, vêtements
Château Borély © Ville de Marseille
trouveront un cadre qui leur répond, puisque les salles
du rez-de-chaussée et du premier étage sont en
cours de restauration, et que celles du dernier
étage, très abimées par la pluie, accueilleront dans
un décor plus neutre les collections contemporaines.
La Ville de Marseille veut concrétiser ce grand projet
en 2012, et répondre par ces collections essentiellement provençales à celles du MuCEM, à vocation
plus universelle. Le château est d’ores en déjà en
restauration, et les vêtements et tissus du musée
de la mode prêts à se déplier enfin -les expositions
temporaires sur la Canebière ne donnent qu’une
toute petite idée de la richesse de ce fonds. Le
musée sera animé par des ateliers pour enfants et
pour adultes, autour des savoir-faire et des techniques artisanales, mais aussi d’un apprentissage du
regard. Et les collections s’enrichiront de commandes à des artistes, confirmant ainsi que la
culture provençale n’est pas figée sur un glorieux
passé et un folklorisme.
Un projet essentiel pour Marseille qui a toujours
peiné à affirmer son statut de capitale provençale
dans une région qui, depuis l’antiquité, lui a toujours préféré des villes plus bourgeoises. Mais il est
impératif que ce musée de civilisation, essentiel,
soit complété par un grand projet de musée artistique : s’il est bon que la culture provençale soit
assumée par les Marseillais ils ne sauraient s’y
réduire. Marseille est aujourd’hui à la mode et
redevient une destination touristique : elle mérite
enfin un musée d’art qui présente dignement les
collections contemporaines, modernes, romantiques
et classiques qui dorment actuellement dans les
réserves !
AGNES FRESCHEL
Ce que nous dit la vaisselle !
Faites-vous partie de ces visiteurs de musées qui,
lorsqu’ils arrivent dans les salles aux vitrines pleines
d’ustensiles d’usage courant, passent rapidement
pour aller s’attarder devant les statues et tableaux
de maîtres ? La conception moderne et occidentale
de l’art nous a appris à admirer les œuvres signées
qui nous ouvrent à un sentiment esthétique… mais
ne sont pas la seule voie pour appréhender une
culture.
Le musée de la faïence est relativement peu fréquenté des Marseillais. Situé au cœur d’un parc
davantage connu pour ses écureuils et ses poneys
que pour ses collections, il recèle pourtant des trésors
que 15000 visiteurs annuels découvrent chaque
année sur les trois niveaux du château Pastré : 1500
pièces, remarquables pour certaines, nous racontent une histoire. Celle des faïenciers marseillais
qui, dès la fin du XVIIe siècle, ont parfait une technique spécifique: le petit feu, qui permet en cuisant
l’émail à diverses basses températures de varier les
couleurs obtenues, et de sortir des décors bleu cobalt
qui ornent la plupart des faïences grand feu.
La faïence marseillaise, puis celle de Moustier et
d’Apt, est donc particulière : on y trouve de grandes
pièces, des décors historiés, de véritables tableaux,
et des motifs extrêmement variés, depuis les décors
floraux, les poissons et guirlandes, jusqu’à des scènes
de genre, champêtres ou mythologiques…
Musée de la faïence © Ville de Marseille
Mais le musée ne se réduit pas à ces objets emblématiques de la richesse d’un art de vivre bourgeois : des
pièces de Théodore Deck réunies en une magnifique
vitrine témoignent de l’art de la couleur et du motif
du plus grand des céramistes ; au dernier étage des
pièces art nouveau côtoient des créations contemporaines en verre, en grès, des animaux fantastiques,
grotesques, des bibelots d’inanité lumineuse…
Une collection d’arts du feu à visiter, avant ou après
le pique-nique, et en attendant son emménagement à Borély !
A.F.
Musée de la Faïence
04 91 72 43 47
Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 17h
LA FRICHE | LE MASSALIA | THÉÂTRE NONO THÉÂTRE 07
Les étudiants du BTS Design de Communication du Lycée
Marie Curie (Marseille) rendent compte de leur soirée
avec la Compagnie Parnas…
Quand l’imagination
s’invite à table
© Agnès Mellon
Accueil aussi chaleureux que surprenant, lustres de cristal,
accessoires à vue, hop, nous voici embarqués pour la traversée (trop courte, hélas, on en aurait bien goûté un peu plus
encore !) de quelques délires de notre Espèce fabulatrice.
C’est le texte éponyme de Nancy Huston qui a donné à la
Cie Parnas l’idée de ce banquet fabulateur auquel cinq
comédiens nous convient avec élégance et fantaisie. Un florilège de grands noms du théâtre (Shakespeare, Tchekhov,
Sophocle, Rostand, Racine…) se tisse avec fluidité et en musique. On se réjouit d’écouter se répondre tragédies et
comédies dans un festival de répliques célèbres. Le tout
servi par une mise en scène atypique qui met en contact le
spectateur et l’acteur. Pour ce voyage inspiré du banquet
platonicien, nous sommes installés à la même table que les
comédiens et partageons avec eux vin, fruits et discours.
Ils sont tous fabuleux aux deux sens du terme ! Leurs mots,
leurs gestes et leur jeu, excellent, nous ouvrent les portes
d’une fantastique épopée à travers l’imagination car comme
Entre adultes consentis
le disait Romain Gary, et c’est une
phrase qu’ils répètent, «rien n’est humain qui n’aspire à l’imaginaire.» Puisque
l’homme passe sa vie à la jouer, puisqu’il est un animal fabulateur, autant lui
laisser la parole. C’est ce qu’ils ont fait
l’autre soir à La Friche, avec talent, et
nous les remercions du beau moment
de théâtre qu’ils nous ont offert.
MANDY COLLURAT, MARION BERTHIER
ET D’AUTRES ÉTUDIANTES
Le Banquet fabulateur, création
collective de la Cie Parnas,
mes Catherine Marnas,
est représenté à la Friche Belle
de Mai jusqu’au 18 décembre
04 91 64 41 90
www.parnas.fr
Tableaux de genre
L’idée est excellente : le cabaret des NoNos réunit des spectateurs dans une ambiance conviviale autour
de chants de Noël dévoyés, entrecoupés de textes érotiques contemporains. Il repose sur des commandes à des auteurs, et sur une théâtralisation minimale : voix, micros, chaises, sapins… et talent. On peut
regretter que les comédiens chantent si faux -les trois musiciens n’en peuvent mais, et Gregori Miege
au milieu cherche à rattraper sans cesse Marion Coutris qui démarre à n’importe quelle hauteur, Serge
Noyelle qui se bat contre le rythme, et tous qui détonnent… Cela gâche vraiment les passages musicaux,
par ailleurs remarquablement choisis, et arrangés. Mais les textes sont un régal : L’ascenseur de Marion
Coutris, narré par un homme (Patrice Pujol) mais visiblement écrit par une femme observatrice, et séductrice, est un régal de drôlerie, coquin à souhait. Le récit d’Eugène Durif sonne dur, pas érotique
pour un brin même si débordant de sexe, scandé par une voix intérieure animée d’un élan morbide,
remarquablement écrit, et dit comme on se noie, sans autre effet qu’un halètement, par un Gregori Miege
impressionnant. Le roman d’un travesti écrit et dit par Serge Noyelle est plus banal, mais son invitée
québécoise, France Arbour, offre un moment de théâtre exceptionnel : le texte de Yann Bienvenue,
qui exhibe avec fracas la sexualité d’une vieille femme dans sa maison de retraite, est un monument
de drôlerie féroce et la comédienne, la seule qui joue vraiment, sans texte et debout, soulève un tonnerre fracassant d’applaudissements.
Ne serait-ce que pour ce moment ce cabaret érotique vaut le voyage jusqu’au Nono théâtre !
AGNES FRESCHEL
Les contes érotiques de Noël ont lieu tous les soirs jusqu’au 18 déc.
04 91 75 64 59
www.theatre-nono.com
© Cordula Treml
© Christophe Raynaud de Lage
Côte d’Azur est un spectacle à la scénographie étonnante :
enfermés dehors, les spectateurs tournent autour pour
apercevoir, par des meurtrières que les comédiens ouvrent
ou ferment, les actions qui se passent sur l’îlot peuplé d’une
humanité marginale, comme figée dans des années 70 qui
auraient été ravagées par la guerre. Humiliations, violences
et exactions se succèdent, saupoudrés d’un certain burlesque, d’un rire saugrenu et de beaucoup de désespoir. C’est
très beau par moments, par tableaux, même si cela manque
un peu de rythme, surtout quand les (mauvaises) plages
musicales s’éternisent. Quant à la fin les murs s’ouvrent
laissant passer les affreux habitants de l’îlot vers la lumière,
l’extérieur, notre espace, on comprend la raison du malaise:
le dispositif, qui fait penser à Disneyland, nous a placés en
position de voyeurs avides, et de consommateurs de violence ordinaire. Cette ouverture crève l’écran.
A.F.
Côte d’Azur, du Théâtre de la Mezzanine,
a été créé au Massalia du 19 au 28 nov
08
THÉÂTRE
LA CRIÉE
Usurpateur, faux-semblants et aliénés
Macbeth © Christiane Robin
La Nuit des rois © Agnès Mellon
La saison de la Criée a (enfin !) commencé, dans la petite
salle, par une énorme frustration : sur les 6000 spectateurs qui avaient réservé leurs places seuls 800 ont
pu voir la création de Jean-Louis Benoit ! Report
d’autant plus regrettable que cette Nuit des Rois,
conçue comme un grand spectacle, allait mal à cette
salle exigüe qui nous plongeait le nez dans un décor fait
pour être vu à distance. Les comédiens, en revanche,
avaient remarquablement adapté leur jeu à une
intimité fort peu naturelle à cette grande comédie Shakespearienne : les jeux de doubles, de faux-semblants,
de dévoilement et de travestissements s’étaient adaptés à l’échelle… En revanche lorsqu’ils faisaient
semblant de jouer du piano les spectateurs, le nez
sur le clavier, trouvaient la simulation assez ridicule…
et le parlé chanté des comédiens n’était pas très juste:
on a vu Jean-Louis Benoit avoir l’oreille plus musicale.
Mais il avait la tête ailleurs sans doute, ce que l’on
comprend ; de ce naufrage en ses murs il a réussi à
sauver, avec les personnages revenus de leur tempête, quelques beaux moments de théâtre : les nobles
sont subtils, habités, gracieux, et les valets et ivrognes
sont extraordinaires. Jean-Pol Dubois en bas jaune
est d’une merveilleuse grandiloquence tremblotante.
Quant à Dominique Valadié elle invente un fou patenté, philosophe sophiste du renversement et du
syllogisme, absolument inédit… lent et sans malice…
étonnant !
Il ne reste plus qu’à exiger TRÈS HAUT que cette Nuit revienne dans la grande salle pour laquelle elle a été
conçue… On ne peut envisager sérieusement une vie
culturelle régionale sans notre Centre Dramatique
National !
fait la preuve, une fois de plus, que nos (relativement)
jeunes metteurs en scène ont du talent, même s’ils
n’ont ni lieu ni conventionnement.
Macbeth n’échappe pas à l’académisme contemporain des metteurs en scène branchés (la définition
serait longue, mais en gros cet académisme repose
sur quatre piliers cardinaux dont tous les metteurs
en scène de moins de quarante ans usent avec l’illusion d’être ainsi d’avant-garde : du rock très fort en
guise de rythme, des micros sur pied, une mise à poil
partielle vers les deux tiers du spectacle et de la
vidéo, sur écrans multiples). Mais si Angela Konrad
use de tous ces moyens ils sont loin de faire l’essentiel de son discours : celui-ci repose sur une vision
fine et approfondie des personnages, une très belle
approche de la langue de Shakespeare, une compréhension très intime de la dramaturgie de Müller
(son Macbeth a du Himmler en lui et son roi Duncan,
sanguinaire, est plus proche de la vérité historique).
Elle pose, sans appuyer ses effets, son Macbeth dans
un contexte de monde dévoyé, qui extermine le
peuple, aime la chair et le meurtre. Elle souligne la
difficulté d’incarner ces monstres en inventant une
belle rupture, drôle, saine, douloureuse, empruntée à
Vilar. Elle dynamite le lyrisme de la langue shakespearienne -fondé dans Macbeth sur une fascination
du meurtre- non en s’en débarrassant à contretemps,
mais en le doublant d’une scansion rythmique à la
batterie. Frédéric Poinceau, en Macbeth/Hamlet
dépassé par les gestes qu’il commet mais n’assume
pas, est très convaincant. Fabrice Michel, en Duncan,
puis en Macduff et en psychanalyste, est épatant.
Un vrai grand plaisir de théâtre donc, malgré les
tics !
Hystérique
Le roi de Racine est tout aussi inquiétant, même si la
mise en scène de Renaud Marie Leblanc désigne
l’hystérique fille de Minos comme mère de tous les
maux. On a déjà dit dans Zib’ 24 tout le bien qu’on
pense de cette Phèdre, intelligente, épurée comme
son classicisme, reposant sur une vraie lecture du
texte, et des comédiens inspirés. Enfermant ses
personnages dans un univers blanc, capitonné, psychiatrique, il laisse le spectateur goûter à la sublime
rigidité de la langue racinienne, et à la profondeur de
la psyché tragique. Des forces obscures, mauvaises
comme l’inconscient, rigides comme son surmoi,
s’attachent à détruire la femme hystérique possédée
par son désir, jouet de sa jouissance, nue et comme
violée par son propre meurtre. Le Roi quant à lui
revient des enfers, maudit, détruit, s’acharne, refuse
de croire son fils éploré, tandis que le jeune Prince
s’enorgueillit d’être sans affect, et avoue son amour
comme on confesse un crime (tiens un alexandrin).
Tous sont pervers, jusqu’à Aricie amoureuse du fils
de son tortionnaire, jusqu’aux serviteurs qui les
poussent au parjure. Car les humains n’y sont que
les jouets de dieux injustes, que Renaud Marie
Leblanc traduit en forces intérieures agissantes,
manipulateurs furi-ieux de leurs psychés malades.
Décidément les metteurs en scène de la région ont
du talent !
AGNES FRESCHEL
La Nuit des Rois a été créé à la Criée
du 20 au 29 nov.,
Macbeth a été joué du 2 au 6 déc.,
Phèdre est jouée jusqu’au 19 déc.
04 91 54 70 54
www.theatre-lacriee.com
Tyrans
Une autre manière de Shakespeare, dans la petite
salle toujours… mais conçu pour cela! Le Macbeth de
Heiner Müller mis en scène par Angela Konrad
Phèdre
© Marc Ginot
TOURSKY | BERNARDINES | MARTIGUES
Contre la Tyrannie
La version de Lorenzaccio d’Antoine
Bourseiller, réduite à 1h40, garde
toute la puissance de la pièce : l’intrigue,
certes resserrée, s’articule essentiellement sur l’idéal républicain de Lorenzo
de Médicis, et la vanité de son crime,
puisque le nouveau Duc ne vaudra pas
mieux qu’Alexandre. Manque sans doute
à ce choix la dimension du caractère
sourdement passionné et désespéré à
la fois, romantique de fait, du personnage principal. La comédie qu’il joue
est en revanche bien orchestrée : dans
ce décor minimal toute la mise en scène
repose sur le pari de l’illusion théâtrale,
ombre et lumière permettent entrées
et sorties, danse dynamique où chaque
nouvelle scène prend son élan aux
sources de ce qui précède.
La troupe rassemblée ici est jeune et
talentueuse. Invention, rapidité, sens
des ressorts comiques aussi, le texte
est joué avec intelligence, jusque dans
les nuances. Ces jeunes comédiens
savent faire partager leur fraîcheur et
leur plaisir du texte au public venu nombreux (la salle est toujours comble).
Quelques moments mimés, la mort de
Lorenzaccio et le rire diabolique de
Côme de Médicis qui sous un discours
THÉÂTRE
09
Compassion
lénifiant cache un caractère aussi fourbe
que son prédécesseur, permettent de
rendre sensible le pessimisme de la
pièce. Les choix musicaux sont judicieux, ainsi l’Ave Verum sur le meurtre
de Lorenzo, victime expiatoire.
Les 11 et 12 déc étaient données au
Toursky les 43 et 44e représentations
de cette mise en scène : le Toursky, en
accueillant dans une salle pleine ce
spectacle qui a tourné sur les plus
grandes scènes belges, et récemment
au Théâtre National de Nice, fait une
fois de plus la démonstration que sa
programmation n’a rien de piteux…
MARYVONNE COLOMBANI
Lorenzaccio a été joué
les 11 et 12 déc
au Toursky
© Pan Sok
Tant que ce texte tourne sur les scènes
il faut aller le voir, et le programmer encore. On sait que Guy Cassiers a du
talent : ses mises en scènes programmées aux Salins ou à Avignon opèrent
une synthèse remarquable entre un
théâtre visuel et technologique très
contemporain, et un amour du texte et
du jeu qui se perd souvent chez les
adeptes de la vidéo et des voix amplifiées. Chez Cassiers pas de déperdition,
l’adoption des processus d’enregistrements n’entraîne pas l’abandon du
verbe.
© Nancy Touranche
Si six sœurs
Il y a (oui, c’est comme ça) Olga, Macha et Irina ; tous les autres aussi, oui ils y sont tous et c’est très beau,
osons le mot. On pourrait s’arrêter là sans trahir l’esprit ou la manière de Iouri Pogrebnitchko maître de jeu
du théâtre Okolo de Moscou, fermement posé dans la chapelle des Bernardines : parois métalliques, table et
chaises nues, mais rideaux de dentelles et piano droit obligé, poutre de bois que l’on déplace avec respect
(survivante d’autres spectacles, pilier d’un temple shinto ou simple Vanité qui nous rappelle à l’ordre de la
mort ?) ; un filin tendu sur le devant de la scène scinde le regard en haut et bas, quelques galets blancs limitent
l’espace et là-dedans, loin dedans et loin de Moscou, tout est théâtre. Nous sommes dans la remise à calèches
© Viktor Pouchkin
de Stanislavsky (humilité du sanctuaire) et des fantômes bien vifs jouent les Trois sœurs en connaisseurs!
D’ailleurs des sœurs il y en a six pour cause de retour
(voir la poutre), mais cela ne trouble en rien la
sérénité du déroulement : acteurs lumineux, rayonnants de jeunesse ou d’intériorité, gestes élégants,
d’une précision saisissante, les pieds, les mains, les
yeux on ne sait plus où regarder, pourtant ils bougent
à peine, juste ce qu’il faut pour que tout soit dit ; sous
la raideur des redingotes militaires frémit la blancheur
des robes ou la fluidité d’un costume qui se prêtera
volontiers à la danse ; musicalité de la langue (on ne
s’en lasse pas) et musiques éternelles (on pourrait
s’en lasser mais la vie est si courte..) accompagnent
des surtitres qu’on lâche assez vite ; on connaît la
fin... mais non, au milieu des saluts éclate l’âme russe
de Charles Aznavour qui met définitivement tout ça
en haut -très haut- de l’affiche !
MARIE-JO DHO
Les Trois Sœurs a été donné aux Bernardines
du 10 au 13 déc
Il y a cependant dans Rouge Décanté
quelque chose de plus grand encore
que dans ses autres mises en scène :
le texte de Jeroen Brouwers remue
en nous les sentiments les plus profonds d’empathie, de douleur pour la
plaie de l’autre, de réelle compassion.
Sentiment rare, et qui vient peu à peu :
Dirk Roof-thooft, acteur prodigieux,
le maintient longtemps à distance en
effaçant sa voix, et en se blottissant
derrière des écrans, des dégoûts, des
pilules. Sans qu’il devienne sympathique donc, la douleur de l’enfant qu’il
fut, confronté à l’inhumanité des ennemis, puis à la déshumanisation de sa
mère, devient palpable. Dans la salle,
chez le spectateur assis juste à côté de
vous et qui comme vous retient ses
larmes parce qu’il a mal pour cet enfant, et pour toutes les victimes des
génocides du monde.
A.F.
Rouge Décanté a été joué
aux Salins le 27 nov
10
THÉÂTRE
AVIGNON | AIX | MARTIGUES | ARLES
Che Guevara,
icône romantique
et canon
«On va déballer les incertitudes et imprécisions sur le
Che», entend-on en ouverture de la dernière création
de Gérard Gélas. Pousser l’icône de tee-shirt dans
ses contradictions à partir du texte de José Pablo
Feinmann, qui met en perspective le monde actuel
et l’œuvre du révolutionnaire marxiste. Humaniste ou
monstre sanguinaire ? Icône de papier ou mythe historique ? On se retrouve lors de cette dernière nuit
du 9 octobre 1967, dans une école perdue en Bolivie
où fut exécuté le symbole de l’anticapitalisme, pour
écouter ce face à face entre le guérillero interprété
par Olivier Sitruk, impeccable (et canon, avouons-le),
et un journaliste, Andrès Cabreira, admirablement
densifié par Jacques Frantz. S’entame un huis clos
historique, en accéléré, opposant la violence des
armes et celle des idées. «Il n’y a pas de juste milieu
dans la vie d’un révolutionnaire», se défend l’Argentin,
ventoline au poing, qui s’humanise petit à petit devant le constat d’échec annoncé.
Le spectacle soulève la question de la violence politique, et malgré le postulat de déboulonner la starification du Che, les clichés demeurent : cigare, béret,
mitraillettes, croix de lumière… Les seconds rôles restent anecdotiques face au duo d’acteurs qui s’affronte. Le Che apparaît comme un humain entêté qui
a perdu son idéal, une figure christique pétrie de philosophie et sacrifiée pour construire une société
d’hommes libres. Son statut d’icône perdure, absolument. Évidemment.
DELPHINE MICHELANGELI
Ernesto Che Guevara, la dernière nuit s’est joué au
Théâtre du Chêne Noir (Avignon) du 20 au 29 nov
© Manuel Pascual
Le regard de l’autre
Tout enfant cherche à être aimé, aimé par ses parents
d’abord. Pour cela il peut se transformer en singe
savant, guetter l’approbation qui signifie qu’on l’aime…
Pour plaire à sa mère le petit Guillaume s’efforce de ressembler à une fille, celle que sa mère n’a pas eue mais
souhaite si fort, du moins le croit-il… L’enfant se fait
acteur, à tel point que sa famille se persuade de son
homosexualité, l’enferme dans ce rôle sans se soucier
de sa réalité. Guillaume et les garçons à table ! est une
phrase-titre programmatique... Le spectacle rend
compte d’une quête de soi, d’une essence profonde
qui permette de se démarquer du regard d’autrui, pour
devenir adulte et susciter un nouveau regard…
Guillaume Gallienne nous livre cette tranche de vie
dans un spectacle où il évoque sur scène tous ses personnages intérieurs, avec un remarquable art du détail.
Une attitude, une intonation particulière, suffisent à
marquer un caractère : un roulement de r et voici la
grand-mère russe ; épaules dédaigneuses, dos un
peu raide, c’est la mère qui apparaît ; la moue ironique,
le psychiatre militaire qui réforme, résigné, le jeune
bègue ; quelques pas de Sévillane et Paqui, l’hôtesse
© Pacôme Poirier
espagnole si drôle, apparaît... Car si le sujet abordé est
délicat, le traitement théâtral en est magistralement enlevé.
Pas un seul temps mort dans ce spectacle réjouissant.
Même le Misanthrope de Molière s’y slame, en une
confession à la fois intime et comique. Très réussie.
MARYVONNE COLOMBANI
Guillaume et les garçons, à table ! a été joué
au Jeu de Paume (Aix) du 1er au 5 déc
et aux Salins (Martigues) le 8 déc.
Oui à la vie-chair !
Des ogres et des lutins, probablement une princesse,
vous et moi, tous à la table du banquet volubile où le
coup de langue fait mouche et métaphysique à la fois...
C’est de La Chair de L’Homme que Valère Novarina a
tiré son Repas, adaptation pour la scène des premières
pages de cette œuvre gigantesque, épique et diaboliquement lyrique. Le jeune metteur en scène Thomas
Quillardet s’y attaque par la voie du burlesque et d’une
gentille tradition de l’action partagée : deux rangées de
spectateurs sur scène amenés à se démener, les autres
en face assis bien sages mais tous adoubés dès l’entrée,
nommés, intronisés convives du grand festin, vous et
moi donc, Jean Gobe Tout ou Mastiqueuse d’Ombre.
Autour de la grande de table de verre (art de la cène,
ne pas oublier le poisson rouge au centre inlassablement muet), les tableaux, vignettes, chansons et folies
douces se succèdent ou s’entrecroisent dans un désordre maîtrisé, au gré de la profération jubilatoire des
acteurs au travail.
Si le rythme est impeccable jusqu’à la trop étirée et
fragmentée scène de bal qui suspend inutilement le
temps, si la gestuelle frénétise ou poétise à bon escient,
la diction (terme bien raide dans cet univers de totale
liberté), moins généreuse, rogne un peu sur l’audible.
Pas bien grave sans doute car on entend fort bien par
les yeux le Défécateur en majesté qui traverse la scène
sur son trône à roulettes ou les Gesticulateurs dégommés comme dans un jeu vidéo dès la sortie de l’abri ; la
rime en -eur agit comme un ressort dramaturgique et
fait bondir dans l’au-delà du portique tout détenteur du
suffixe ! Bravo à vous qui avez compris, avec Montaigne
et Rabelais, que banqueter c’est apprendre à mourir!
MARIE-JO DHO
Le Repas a été donné (pris ?) au Théâtre Vitez (Aix)
le 2 déc et au Théâtre d’Arles le 10 déc
Richard II, un non roi mortel !
Le Festival d’Avignon reprend le fil de ses rencontres
publiques pour dévoiler, goutte à goutte, la programmation de la 64e édition, dont Christoph Marthaler et
Olivier Cadiot sont les artistes associés. Le metteur
en scène Jean-Baptiste Sastre se frottera pour la 1re
fois à Shakespeare avec la Tragédie du roi Richard II,
créée 63 ans plus tôt par Vilar. L’écrivain Frédéric
Boyer signe une nouvelle traduction. «Je veux faire
entendre cette œuvre de langage moderne de façon plus
rapide, directe, brutale en interprétant différemment la
traduction habituelle, trop académique et romantique».
La scénographie est confiée au plasticien Sarkis, «un
chaman» pour Sastre, qui s’imprègne totalement des
1001 œuvres de son atelier/cerveau. Nourrie de toute
cette matière, de poésie, de peinture, la distribution
réunira des corps hauts en voix et en talents. Denis
Podalydès, dans le rôle du souverain déchu pour actes
de tyrannie, incarnera ce non roi devenu mortel, à
l’instar du roi Lear, entraîné dans la folie. Pascal Bongard
(Bullingbrook), Nathalie Richard (la reine) et l’écrivain
Pierre Michon (Jean de Gaunt) complèteront
le tableau. Sastre, émancipé de Claude Régy, éprouve une vraie nécessité de mettre en scène cette pièce
à la Cour d’Honneur. «Sans faire le malin, je veux rendre
hommage au théâtre, avec un angle différent sur ce
poème. Nous n’en ferons pas un roi faible qui abdique.
Le roi comédien du Christ, c’est fini avec Richard II». Un
poème revisité par une famille «d’affinités électives»
pour sortir des clichés sur l’incarnation du pouvoir.
DE.M
La rencontre publique du Festival In
a eu lieu le 25 novembre à la salle Benoit XII
ARLES | NÎMES
THÉÂTRE
11
Gros mots
La Menace © X-D.R
La menace est partout présente dans notre société,
distillée quotidiennement dans les média, dans les
émissions de télé… Partant de cette constatation, la
chorégraphe montpelliéraine Anne Lopez et sa
compagnie Les Gens du quai créent une joyeuse et
extravagante parodie de journal télévisé et d’émission
trash dans lesquels les danseurs sont tour à tour
journalistes d’investigations, invitée vedette, techniciens et citoyens victimes potentielles des dérives de
l’information. Dansés et joués, les tableaux alternent
avec une rapidité folle, montent et démontent les
mécanismes de la manipulation médiatique quitte à
installer une confusion qui brouille légèrement le propos. Heureusement le rire salvateur n’est pas loin qui
éloigne les peurs et permet l’oxygénation des esprits
prisonniers d’images et propos anxiogènes…
Après la menace, la Paranoïa, autre délire dû cette
fois au texte du dramaturge Argentin Rafael Spregelburd mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo et
Elise Vigier.
Dans un futur indéterminé qui reprend les codes et
les images d’une science fiction clichée (vêtements
blancs, immaculés), un groupe de terriens hétéroclite
«invité» à Piriapolis, en Uruguay, est sommé de créer
une fiction originale que les Intelligences -entité
extraterrestre invisible mais très présente qui régit
l’univers- n’aurait pas déjà ingéré. Pour sauver le
monde. Autant dire que l’écrivaine à succès Julia Gay
Morrison, Claus, astronaute, Hagen, mathématicien,
et Béatrice, robot ancienne génération à la mémoire
corrompue (Pierre Maillet est simplement désopilant)
ont fort à faire. Tout se joue alors entre création et
fantasme, tout s’entrecroise entre une vraie-fausse
réalité qui se déroule sur scène, et la fiction projetée
sur écran, délire hystérique de nos créateurs improbables. L’image n’est pas ici décorative, loin s’en faut,
ni simplement illustrative : les deux langages se complètent et créent une forme hybride, à l’image du
personnage principal de la fiction, Brenda, mi-miss
Venezuela, mi-monstre. La déconstruction des mécanismes de fiction fonctionne, mais prend le risque de
perdre en route les spectateurs immergés dans une
machinerie qui laisse finalement peu de place à
l’imaginaire et au délire tant attendu. Dommage…
DOMINIQUE MARÇON
La Menace était programmé à l’Odéon
les 19 et 20 nov
La Paranoïa a été joué les 26 et 27 nov
au Théâtre de Nîmes
La Paranoïa
© X-D.R
Humour cinglant
Sacrifices © Herve Kielwasser
Dès les premiers mots, prononcés dos au public, la
verve de Nouara Naghouche fait mouche. Le ton est
cinglant : un frère invective sa sœur qui a voulu échapper à son mari lors de la nuit de noce, suite à un mariage
forcé. Autant dire que le rire ne vient pas tout de suite,
et il ne sera pas systématique, loin s’en faut. C’est
que le propos n’est pas humoristique, et c’est là tout
le sel de ce spectacle surprenant: la révolte qui habite
Nouara Naghouche, Alsacienne d’origine Algérienne,
a pour nom injustice, de celle qui touche les femmes
et les enfants et qu’elle met en scène, forçant si peu
le trait lors de situations pourtant violentes. Sa force
est son humour, mordant, noir, désespéré parfois, qui
sauve in extremis le récit. Et puis parfois la parole se
fait intime, confidente, désarçonnante, lors de récits
courts et percutants qui enfoncent encore un peu
plus le clou. Par petites touches Nouara Naghouche
distille ses (propres ?) histoires avec beaucoup d’amour
et de tendresse, avec pudeur aussi.
DO.M.
Sacrifices a été joué au Théâtre d’Arles
le 27 nov
12
THÉÂTRE
BERNARDINES | GYPTIS | MERLAN | CRIÉE
Pippo est là
Mo © Mathieu Lorry-Dupuy
Après un automne de festivals, voici venue la 2e
saison des Bernardines, Un hiver de fidélités.
Jolie formule pour englober les 5 spectacles que le
théâtre propose de décembre à mars. Dans ou hors
les murs, produits ou coproduits, ils ont en commun
de laisser l’espace et la parole à des créateurs et à
des compagnies que l’équipe des Bernardines aime
et soutient depuis longtemps.
Après Youri Pogrebnitchko et sa troupe moscovite
du théâtre Okolo, place à Alain Béhar et à la Cie
Quasi, pour Mô, un spectacle qui vient d’être créé à
Sète et sera donné à Marseille du 16 au 19 décembre. Une fiction sur la pensée, une tentative de rendre
perceptible «la vapeur dans la tête de cet homme», de
ce Mô (Moi sans i ?) dans le cerveau duquel le spec-
tateur est convié à entrer, grâce à un dispositif sonore
et visuel sophistiqué, afin de parvenir à ce que Béhar
nomme «une sorte de lâcher prise», une «vibration
entre sensible et intelligible», une «chose poétique».
Un OTNI (Objet Théâtral Non Identifié) sans aucun
doute…
En janvier, place aux dames. Du 14 au 24, Marie
Vayssière présentera son Tartarin raconté aux
Pieds Nickelés ou la réunion d’un bavard et d’un trio
de malfaiteurs. Au héros de Daudet, avec son Orient
de pacotille, ses rêves de chasse au lion et son
discours colonialiste, la metteuse en scène a eu envie
de renvoyer le trio cocasse et dérangeant, dans une
création-bricolage qu’elle espère aussi extravagante
que cette rencontre improbable. Puis, on pourra aller
au Merlan voir France do Brazil d’Eva Doumbia
avant d’assister au «spectacle de foire gastronomique»
de la Cie L’Art de Vivre, mis en scène par Yves
Favrega. La grande comestible, une revue loufoque pour partager l’idée de l’excès et faire l’éloge de
la liberté de penser.
On le voit, aux Bernardines, même en hiver, il y a de
quoi faire.
FRED ROBERT
Un hiver de fidélités, aux Bernardines,
de décembre à mars
04 91 24 30 40
www.theatre-bernardines.org
Tartarin raconté aux Pieds Nickelés sera aussi joué
au Théâtre Vitez le 27 janv.
Tragédie vraiment grecque
Trois Grecs s’allient pour créer à Marseille une
nouvelle tragédie… sur un sujet antique bien sûr, mais
d’une actualité évidente. Hypatie d’Alexandrie est un
magnifique personnage historique. Mathématicienne,
érudite et philosophe, elle était surtout une femme
libre qui enseignait à ses disciples (masculins) et fut
massacrée, véritablement lacérée, par les chrétiens
au IVe siècle, pour s’être opposée à la destruction des
livres païens. Figure volontairement rejetée de
l’histoire occidentale (Nicée parle de ses «dons sataniques» qui «ensorcèlent»), elle réapparaît pourtant
récemment chez Umberto Eco ou Hugo Pratt… Pan
Vouyoucas, auteur grec québécois, a écrit une tra-
gédie qu’Andonis Vouyoucas a voulu mettre en
scène. Il a demandé au compositeur contemporain
Alexandros Markeas d’en faire la musique. Une
grande production, avec danseurs, musiciens et
comédiens, pour une approche contemporaine héritée de la tragédie antique.
A.F.
Hypatie ou la Mémoire des hommes
Théâtre Gyptis
Du 19 janv au 6 fev
04 91 11 00 91
www.theatregyptis.com
La Menzogna © Jean-Louis-Fernandez
1 temps, 3 mouvements
Vous l’attendez ? il sera là. L’histoire de Pippo Delbono
à Marseille est fondée sur une frustration. Pendant
des années personne ne l’a programmé, puis le Merlan en vagabondages (trop peu de places !) et dans
ses murs (un seul spectacle !). Il fallait pour les Marseillais aller le voir aux Salins, à Istres, ou à Avignon
lors du festival. Aussi chacun se réjouissait de l’accueil conjoint de la Criée et du Merlan, qui allait
permettre grâce à un véritable cycle de quatre spectacles de connaître vraiment l’œuvre de ce metteur
en scène dont chacun parle avec émotion…
Bon, nouvel aléa : la grande salle de la Criée reste
close en janvier. Heureusement les portes du Gymnase s’ouvrent pour accueillir les représentations des
trois spectacles qui devaient avoir lieu dans la grande
salle, tandis que Enrico V sera joué comme prévu au
Merlan (du 9 au 11 janvier). Ce cycle programmé
conjointement permettra de connaître réellement
l’œuvre variée et atypique de Pippo Delbono, qui sera
présent pour plusieurs rencontres, projections et
conférences autour de son travail. En effet, si Enrico
V est sa seule œuvre écrite à partir d’une pièce (Henri
V de Shakespeare), La Menzogna, sa dernière création (du 14 au 16 janv), pourrait s’apparenter à du
théâtre documentaire, quoique très émotionnel (le
mensonge est celui des industriels de Thyssen Krupp
après l’incendie de l’usine de Turin). Son solo Récits
de juin (le 5 janv) montre avec éclat ses talents de
tribun, et son art de la diatribe, tandis que Questo
Buio Feroce, où il met en scène ses comédiens particuliers, est un immense chant lyrique de douleur et
de confiance dans l’humanité (6 et 7 janv). Quatre
dramaturgies particulières, pour un théâtre singulier,
fondé sur une féroce volonté d’atteindre les affects du
public en d’immenses catharsis larmoyantes communes…
AGNES FRESCHEL
Salle de répétition :
à la table : Andonis Vouyoucas,
metteur en scène,
et Marine Chastenet, son assistante
sur la scène : Philippe Séjourné
(rôle de Cyrille) et Martin Kamoun
(rôle de Jean)
© A. Grisoni
Pippo Delbono
Du 5 au 16 janvier
04 91 54 70 54
www.theatre-lacriee.com
04 91 11 19 20
www.merlan.org
Attention : les représentations prévues à la Criée
se dérouleront aux mêmes dates et aux mêmes
horaires au Théâtre du Gymnase
Fabuler
À la Minoterie on continue d’accueillir des spectacles en création des compagnies
de notre région : c’est l’inénarrable Mazzuchini qui revient galéjer du Valletti, et
cette fois ci il parait que c’est drôlement drôle, ses mensonges qu’il fait semblant de
prendre pour du vrai. Même si vous avez été déçu par le précédent, allez-y voir,
le bonhomme a du talent : cela s’appelle Mythomane, et c’est du 19 au 23 janv…
Avant cela il y aura Massimo Schuster et ses marionnettes africaines en bois
peint, pour une adaptation de Shakespeare, Othello et Iago (du 7 au 10 janv).
La Minoterie
04 91 90 07 94
www.minoterie.org
Raconter
À la Criée aussi, du Valletti. Dans la
petite salle forcément, l’autre restant
close pour l’heure. Gilbert Rouvière
y monte un texte génial qu’on y a vu
déjà il y a quelques années, avec Marc
Betton. Là c’est Lionnel Astier qui s’y
colle, à cette parole de Valletti qui,
© X-D.R
peut-être parce qu’il s’agit d’un récit et
non de théâtre, n’a jamais été aussi
labile. Les anecdotes s’enchaînent, s’enchaînent, nous perdent, se retrouvent.
Et l’on comprend physiologiquement,
avant de ressortir sur ses quais, pourquoi cet homme a jeté (les cendres de)
sa grand-mère dans le Vieux Port. Je
vous en dis trop ? Ne vous inquiétez pas,
le texte ne manque pas de surprises…
Pourquoi j’ai jeté
ma grand-mère
dans le Vieux Port
La Criée
Du 13 janv au 20 fév
04 91 54 70 54
www.theatre-lacriee.com
Illustrer
Dans la petite salle de la Friche du Panier Edouard Exerjean reprend son récital
dédié à Cocteau : un montage de textes et de musiques, qu’il interprète au piano.
De la musique française bien sûr, du groupe des Six et de quelques autres (Satie,
Sauguet, Wiener), contemporains du poète. Une façon de compléter l’exposition
monographique au Palais des Arts (voir Zib 23).
Du visible à l’invisible
du 12 au 30 janv
Théâtre de Lenche
04 91 91 52 22
www.theatredelenche.info
Réinventer
Enfin le troisième volet des Suppliantes
arrive au Massalia ! La cie Du zieu dans
les Bleus y a proposé l’an dernier, et
l’année d’avant, deux spectacles bouleversants : Ismène travaillait sur la sœur
délaissée d’Antigone, à partir des Sept
contre Thèbes, et de la tragédie antique;
Ursule, tragédie d’Howard Baker, s’attachait à une communauté de religieuses
Victoria, photo de repetition © X-D.R.
chrétiennes ; Victoria, troisième volet
féminin lui, aussi, se déroule dans un
pays des contes très contemporain, où
les fées possèdent l’arme nucléaire…
L’écriture en a été confiée à Félix Jousserand, un jeune auteur qui s’attache
avec la cie à sortir la tragédie de ses
ornières contemporaines, en allant
chercher ses racines historiques, pour
mieux la réinventer. Une trilogie féminine dont on a hâte, et peur, de voir le
terme.
Victoria
Théâtre Massalia
du 19 au 30 janv
04 95 04 95 70
www.theatremassalia.com
14
THÉÂTRE
ROUSSET | SIMIANE | SALON | CAVAILLON | MARTIGUES
Collèges et forêts
La saison de la Scène Nationale de
Cavaillon reprend en 2010 sur un rythme
plus soutenu, et on s’en réjouit tant la
programmation de ce théâtre nous a
habitués à une (quasi) perfection. En
Nomades tout d’abord, en tournée
dans les collèges cette fois (mais pas
uniquement pour des séances scolaires !), l’excellent diptyque de François
Cervantes : La Table du fond et Silence
sont deux pièces qui s’installent naturellement dans les salles de classe,
parce qu’elles y prennent leur source.
L’histoire est celle d’un écolier disparu,
de sa mère qui le connaît mal, de ses
maîtres et du personnel. Tout se noue
entre eux avec subtilité, et les spectateurs plongent dans la vie de cet absent
qui aime lire, une histoire dont les collégiens devinent vite qu’elle ne singe pas
la leur, mais raconte celle de l’auteur
en une sorte de confession rêvée. Un
retour aux sources qui les concerne
bien mieux, dans son intimité, que toutes les images d’Epinal dans lesquelles
les adolescents d’aujourd’hui s’enferrent.
Après cette tournée le Théâtre de
Cavaillon retrouvera ses murs pour une
création très attendue : Jean Lambert
Wild et Michel Onfray ont travaillé
ensemble sur la figure du proscrit (ou
du rebelle) qui part vivre dans les bois…
Le philosophe a écrit un texte, qui sera
dit à quatre voix, tandis que Juha-Pekka
Marsalo dirigé par Carolyn Carlson
évoluera sur la musique électroacoustique de Jean-Luc Therminarias, dans
les images, les couleurs et les brumes
(forcément, la forêt) de François Royet.
Une création interdisciplinaire et rebelle
donc, très masculine aussi : le Recours
aux forêts comme acte antisocial ultime relèverait-il aussi d’une fuite des
femmes ?
AGNES FRESCHEL
La Table du fond. Silence
du 9 au 20 janv
Le recours aux forêts
les 20 et 21 janv
04 90 78 64 64
www.theatredecavaillon.com
Koltès ou Molière ?
Les Salins accueillent les 7 et 8 janv Le
Retour au désert, pièce de Koltès mise
en scène par Catherine Marnas, qui
fait preuve une fois de plus de sa
remarquable direction d’acteurs, et de
sa compréhension profonde d’un auteur sur lequel elle travaille depuis 15
ans. Créée au Brésil en portugais puis
à Gap et au Théâtre de la Ville en
français, cette mise en scène pousse
à son paroxysme le dédoublement souvent à l’œuvre chez Catherine Marnas:
chaque personnage est représenté par
deux corps et en deux langues, ce qui
donne une impression permanente de
Retour au desert © Pierre Grosbois
flouté, de strabisme, et renvoie comme
en écho à l’étrange matière de la pièce, réaliste comme du boulevard puis décrochant vers la lune, extrêmement bavarde sans que rien ne soit dit, et toujours
entre deux mondes colonisés et bourgeois… Le décor est lui aussi mouvant et
comme ému, support des mots qui s’inscrivent sur lui comme des sous-titres qui
se prendraient pour des tags, ou des graffitis. Et étrangement toutes ces superpositions de signifiants rendent le texte limpide…
La Scène nationale accueille également le Médecin malgré lui (du 20 au 22 janv)
mis en scène par Jean-Claude Berutti. Un changement de distribution : Bruno
Putzulu n’y jouera pas Sganarelle, mais la mise en scène du directeur de la
comédie de Saint Etienne ne reposait pas que sur son seul talent…
A.F.
La Table du fond © Christophe Raynaud de Lage
Théâtre des Salins, Martigues
04 42 49 02 00
www.theatre-des-salins.fr
Mémorable
Modernes
Adaptée du livre de Roy Lewis, et mise en scène par Patrick Laval, Pourquoi j’ai
mangé mon père est une fable réjouissante qui plonge au cœur de la préhistoire et
conte les péripéties d’Ernest Grassentroope, vaillant pithécanthrope qui évolue au
sein d’une famille «moderne» dont une partie est consciente de sa condition et
veut évoluer, et l’autre qui pense que «c’était mieux avant»… C’est un texte savoureux
et plein d’anachronismes dont s’empare Damien Ricour, seul sur scène, avec une
belle énergie, se glissant dans la peau de tous les personnages, du mammouth à
la jeune fille!
Pourquoi j’ai mangé mon père
le 14 janv à 20h30
Salle Emilien Ventre, Rousset
04 42 29 82 53
www.rousset-fr.com
Issu d’un travail de recherche de deux
ans sur les ouvrières des manufactures
de tabac de la Belle de Mai, Carmenseitas, d’Edmonde Franchi, donne à voir
et à entendre la vie quotidienne de ces
femmes au gré d’une fresque qui
traverse les époques ; c’est aussi un
formidable témoignage sur la mémoire
ouvrière féminine, une enquête qui entend bien réhabiliter cette histoire oubliée.
Le jeu des quatre comédiennes (Edmonde Franchi, Hélène Force, Catherine
Lecoq et Tania Sourseva) dirigées par
Agnès Régolo est ponctué par le chœur
de l’Académie de Chant Populaire dirigé
par Alain Aubin qui complète le spectacle
avec des airs populaires et révolutionnaires.
Carmenseitas
le 17 janv à 17h
Salle Emilien Ventre, Rousset
04 42 29 82 53
www.rousset-fr.com
le 23 janv à 20h30
OMC Simiane
04 42 22 62 34
www.simiane-collongue.fr
le 29 janv à 20h45
Théâtre Armand (Salon)
04 90 56 00 82
www.salondeprovence.fr
Oriental
Seul en scène, Kader Taibaoui interprète une quinzaine de personnages issus de
quatre contes, parmi les moins connus, des Mille et une nuits. Co-écrit et mis en
scène par Anne Roumanoff, le spectacle convie le petit Yoseni, le brave Ali Cogia,
Shéhérazade, mais aussi le juif, le chrétien et le musulman, sans un décor somptueux, sur des musiques d’Abdeli Abderamen et Sœur Marie Kheirouz.
Les contes des Mille et une nuit
le 20 janv à 15h
Salle Emilien Ventre à Rousset
04 42 29 82 53
www.rousset-fr.com
AU PROGRAMME THÉÂTRE 15
Iconoclaste
Temporalités
Introspectif
Prêts à plonger dans l’univers de l’Oulipo ? C’est en
compagnie de comédiens-chanteurs-jongleurs de
mots que s’effectuera le voyage : Nicolas Dangoisse,
Pierre Ollier et Olivier Salon (lui-même oulipien) jouent,
jonglent, swinguent, bégayent des textes connus
(clins d’œil à Queneau et Perec) ou un peu moins,
piochés chez Roubaud, Bénabou, Monk ou Fournel
par le metteur en scène Michel Abecassis, voire spécifiquement commandés pour l’occasion. Des pièces
détachées à savourer…
Le théâtre du Kronope s’empare de La Tempête de
Shakespeare, et magnifie son caractère baroque en
prenant le parti pris d’un jeu masqué, du travail corporel des acteurs oscillant entre cirque et danse, dans
un décor «fait de courbes fluides et intemporelles.»
L’Atelier de Jean-Claude Grumberg, mis en scène par
Gilbert Barba, est l’évocation d’un atelier de confection entre 1945 et 1952, entre récit historique et
autobiographique. Dans une France qui se relève de
la guerre, on s’attache aux ouvrières et leur patron,
portrait sensible d’une génération marquée par l’espérance, l’insouciance, et la Shoah.
La femme criminelle (Ludmila Mikaël), le mari (Ariel
Garcia-Valdès), l’interrogateur (André Wilms), la
victime. Dans L’Amante anglaise Marguerite Duras
s’inspire d’un fait divers réel pour sonder les raisons
d’un meurtre. Des morceaux épars d’un même corps
sont retrouvés dans plusieurs train, la tête jamais.
Claire Lannes a tué sa cousine, avoue son crime,
mais n’explique pas son geste. S’ensuit l’interrogatoire,
qui libère les tempêtes intérieures mais n’éclaircit pas
forcément le mystère de cet acte. Mis en scène par
Marie-Louise Bischofberger, les trois comédiens
livrent une partition lumineuse.
Pièces détachées / Oulipo
le 19 janv à 20h30
Théâtre La Colonne (Miramas)
04 90 58 37 86
www.scenesetcines.fr
Pièces détachées © A. Chaudron
La Tempête
le 12 janv à 19h
L’Atelier
le 22 janv à 20h45
Théâtre Armand (Salon)
04 90 56 00 82
www.salondeprovence.com
Vivant
L’Amante anglaise
le 12 janv à 20h30
Théâtre La Passerelle (Gap)
04 92 52 52 52
www.ville-gap.fr
le 31 janv à 15h
Théâtre de Nîmes
04 66 36 65 10
www.theatredenimes.com
L'Amante anglaise © Pascal Gély
Écrit, mis en scène et interprété par Jean-Vincent Brisa,
Molière, une passion prend le parti de retracer l’œuvre
du dramaturge «à travers sa passion, ses convictions,
son engagement, son militantisme.» Sur scène Molière
et l’acteur dialoguent, Brisa se faisant le passeur de
cette parole vivifiante.
Savoureux
Reçu l’année dernière avec le chef-d’œuvre de Brecht,
Maître Puntila et son valet Matti, le Teatro Malandro
revient cette année à l’Olivier avec Les Fourberies de
Scapin de Molière, à nouveau mis en scène par Omar
Porras. Le génial metteur en scène Colombien s’empare de tous les ressorts de la comédie pour en faire
une farce version dessin animé, tendance cartoon
déjanté. Décor, masques et costumes rivalisent d’ingéniosité et de fantaisie pour révéler toute la perfidie
du valet…
Les Fourberies de Scapin
les 15 et 16 janv à 20h30
Théâtre de l’Olivier (Istres)
04 42 56 48 48
www.scenesetcines.fr
Les Fourberies de Scapin © Marc Vanappelghem
Molière, une passion
les 14 et 15 janv à 20h30
Théâtre des Halles (Avignon)
04 90 85 52 57
www.theatredeshalles.com
Fabulateur
Christian Mazzuchini incarne les personnages imaginés
par Serge Valletti avec une troublante facilité ; Mythomane
dresse une galerie de personnages parfois mythomanes, souvent fabulateurs, loufoques, toujours réjouissants,
à l’image d’une société bigarrée dans laquelle on aimerait se reconnaître plus souvent.
Puis l’Atelier de Mécanique Générale Contemporaine
offre une tentative d’éclaircissement du monde en
fabriquant, en direct, des spectacles possibles en se
basant sur quelques-uns des travers qui caractérisent
les humains que nous sommes : solitude, bêtise,
stupidité…
Mythomane
le 16 janv à 21h
Qu’est-ce que tu fabriques ?
le 21 janv à 21h
Théâtre Comœdia (Aubagne)
04 42 18 19 88
www.aubagne.com
En fuite
Écrit et mis en scène par Frédéric Sonntag, Nous étions
jeunes alors est une fable initiatique, un récit d’anticipation au cours duquel trois jeunes gens vont être
confrontés à eux-mêmes, à leur passé, à leurs peurs…
et qui, fuyant une réalité effroyable, vont trouver refuge dans une maison au cœur de la forêt. Les dialogues
se mêlent à la musique, jouée sur scène par trois
musiciens, et la vidéo, pour faire exister l’espace
mental dans lequel les personnages prennent peu à
peu conscience d’un retour possible.
Nous étions jeunes alors
le 19 janv à 20h30
et le 20 janv à 19h
Théâtre Antoine Vitez, Aix
04 42 59 94 37
http://theatre-vitez.com
Altruisme
Le théâtre d’Arles débute l’année par un week-end de performances, avec une question alléchante : «le
multiculturalisme peut-il aller au-delà du culinaire ?» Pour l’illustrer, Hooman Sharifi présente We failed to hold
this reality in mind, solo dansé dans lequel il se raconte à travers des anecdotes liées à sa double appartenance
iranienne et norvégienne, loin des clichés ethniques (le 15 janv au Théâtre d’Arles). Avec Made in Paradise, Yan
Duyvendak, performeur suisse, et Omar Ghayatt, metteur en scène égyptien se penchent sur les rapports
qu’entretiennent aujourd’hui l’occident et le monde musulman, et créent un lieu qui permet de sortir du
discours dominant basé sur la peur et le rejet (les 15 et 16 janv à l’auditorium de Fourques).
Théâtre d’Arles
04 90 52 51 51
www.theatre-arles.com
16
DANSE
LA MINOTERIE | MOD | LES BERNARDINES
Mi-figue Michard
Inégal tribut
Cinq garçons s’amusent à faire des passages surréalistes devant un public qu’ils ignorent, jouant comme
Buster Keaton à ne pas s’étonner d’un fil qui se déroule infiniment, d’objets qui se dérobent, de chaises qui
se prennent pour des fauves… L’univers burlesque
qu’ils mettent en place ne semble pourtant pas les
dépasser : ce ne sont pas les objets qui se dérèglent
mais eux-mêmes, qui peuplent absurdement l’espace
d’objets mal agencés, qui se juchent au haut d’équilibres instables ou qui croient qu’une planchette de
bois va suffire à les catapulter dans les cintres… Un
burlesque drôle souvent, surprenant, pour un spectacle qui gagnerait à être fondé sur un crescendo plutôt
que sur ce rythme tranquille…. qui fait aussi son
charme, mais raréfie le rire au cours du temps.
Le solo de dix minutes qui suit est exécuté par Alain
Michard seul et quelques processionnaires qui troublent sa performance en déposant des objets sonores
automatisés hautement artisanaux qui peu à peu envahissent le champ de la scène et l’espace sonore. Le
procédé pourrait être drôle mais le texte dit est violent
-quelque chose sur l’arrivée de corps Albanais au cœur
d’une procession italienne. Michard, danseur, y balbutie
sa colère. Cela manque de lisibilité, mais pas de force.
Le Rêve de la soie est une compagnie d’ici, qu’il fait
bon retrouver en création. Parce que Patrick
Servius qui préside à ses destinées est un créateur
subtil, qui aime travailler en empathie avec ses
interprètes, et avec son public. On le sent dans la
salle : ceux qui entrent là sont des spectateurs de
longue date… D’ailleurs la soirée est placée sous le
signe de l’intimité : le récit émouvant de sa mère, sa
traversée de la mer pour quitter la misère et rejoindre
Dakar, est lu en bas dans la bibliothèque par la voix
amie de Carole Vanni qui dialogue avec le flamenco
d’Ana Perez, une très belle et jeune danseuse qui
maîtrise avec sensualité et juste l’orgueil qu’il faut la
solea. Puis on monte dans la salle et là quatre
danseuses nous attendent. Habillées de robes
souples, toutes jouent de leurs identités métissées,
kabyle, italienne, martiniquaise… et s’essaient à des
partages de mouvement, de mots, d’espace. Mais les
personnalités attachantes (Louisa Amouche,
Patricia Guannel, Fleur Duverney-Prêt, Marie
Salemi) n’empêchent pas qu’assez rapidement tout
cela tourne en rond : le vocabulaire chorégraphique
est pauvre, les moyens techniques des
danseuses/comédiennes sont inégaux et limités, les
bribes de confession très banales, la musique d’une
indigence affligeante. Le mouvement occupe le
temps en tableaux qui se ressemblent, sans ennui,
mais sans rencontre véritable des corps, ni acmé, ni
trajet, ni propos. Sans doute par manque général
d’écriture. Dommage !
© Anne Rehbinder
AGNES FRESCHEL
Couac et Parkinson ont été programmés les 27 et 28
nov par Marseille Objectif Danse à la friche
Inventaire avant destruction
Performance : art éphémère qui laisse peu de traces là même où il s’accomplit
Please... kill me est bien un titre qui livre brutalement
la marchandise et la dérobe dans l’instant. Dès le
début, que reste-t-il ? Des cintres saturés de projecteurs bien alignés sur leur portée comme des hirondelles
en automne ; des portants où flottent quelques cintres
et les habits de couleur de madame ; des pupitres en
tas au fond de la scène, couchés pour déchanter
peut-être ; et encore une table de mixage à fricasser
les sons de monsieur (tire un peu la gueule, pourtant
la musique est bonne). Mais que font-ils donc tant sur
ce plateau ?
Isabelle-elle-Cavoit lève les bras, agite les doigts, s’en-
roule sur elle-même, court
précisément là où ça fait
mal, se pavane, capte l’attention et diffuse l’énergie
subtile du féminin musclé;
tente-t-elle de lui faire partager son bonheur à
brasser l’air (nager ?
voler?) ? C’est le bide !
Thomas-lui-Fourneau bricole, bat son tambour,
dégage l’espace, arpente
et s’indiffère ostensiblement, le pas de deux c’est
pas son fort à cet homme... pourtant il esquisse,
il esquisse. L’évidence est
© Agnès Mellon
là : l’une danse et Johnny
lui fait mal ! Les deux s’embrouillent et se débrouillent
assez bien, parfois trop lents à créer l’image, trop
lourds à la détruire (ces ballons qui voltigent de la
salle à la scène, cette légèreté envahissante, qu’en
faire au bout d’un moment ?) et incapables d’en finir:
avancer et reculer, sûr, c’est toujours du travail et c’est
pas tuant, belle image du couple éternel. Une performance donc, plaisante et en devenir s’il vous plaît!
MARIE-JO DHO
Please... Kill me a été créé dans le cadre
de Dansem aux Bernardines du 3 au 5 déc
AGNES FRESCHEL
Tribut a été créé à la Minoterie du 4 au 6 déc
© X-D.R.
DANSEM
Battement
d’Elles
D’emblée on les croit sur paroles. Geneviève Sorin et Lulla
Chourlin, sur le tapis blanc ceint de murs noirs du 3bisf, dansent à voix hautes les trépidations intimes de la vie. Elles en
disent long et elles ne sont pas seules, accompagnées en off
par Françoise Dupuy, Elsa Wolliaston, Simone Forti et Susan
Buirge, leurs «mères inventrices et nourricières». Ce chœur de
femmes chante en mouvements polyphoniques leurs expériences, la féminité, la chair, l’incertitude, la gourmandise, le
temps qui dessine des ridules souriantes au coin des yeux.
L’une inspire profondément, l’autre expire lourdement. L’une
roucoule, l’autre aussi. Elles s’évitent
nonchalamment, des étincelles
d’humour dans le regard, elles
s’interpellent, s’ignorent, se cognent,
mutuellement,
se
s’effraient
combattent en riant. C’est une ronde
enfantine. L’une savoure ses jeux de
mots, l’autre n’entend pas. Lulla Chourlin s’effondre et roule au sol à peine
Geneviève Sorin esquisse un geste,
ébauche une rotation. Lulla tout en
force, les pieds au sol ; Geneviève
hésitante, le corps suspendu. L’une
court éperdue, l’autre s’immobilise.
L’une minaude, l’autre rêve. Et quand
elles se rejoignent, leurs corps s’étreignent violemment, avec effusion.
Difficile de tenir parole et de s’ignorer
plus longtemps ! De longues diagonales
frénétiques en mouvements circulaires,
Sur paroles © X-D.R
d’immobilisation au mur en soliloques
chuchotés ou vociférés, Geneviève Sorin et Lulla Choullin
ont la danse en partage, la maturité et la capacité d’en sourire.
Sur paroles est une «pièce fantaisiste» où tout est dit : la danse,
c’est la vie. Leur vie.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Sur paroles a été créé
le 26 novembre
au 3bisf à Aix dans le cadre
de Dansem
Éclats
Deux femmes proposaient des solos au théâtre de Lenche,
dans le cadre de Dansem. Balkis Moultashar, une très belle danseuse marseillaise aux yeux graciles et au cou de biche,
proposait un travail fragile sur la maternité. Qui s’effilochait
pourtant, sans rien laisser d’autre qu’un goût de trop peu, d’inachevé, de minimalisme qui s’encombrait pourtant d’objets
inutiles, et ne savait pas trouver son épure. Juste après une
très courte pièce de Chiara Frigo, danseuse assise, robuste,
minérale, qui dessinait sans se lever de sa chaise des arabesques énergiques de ses mains, de ses bras, de son buste ployé
et pivotant. La danse d’un corps tronqué, en rupture. Fascinante.
A.F.
6 yeux 1 visage 2 pieds et Takeya
ont été présentés dans le cadre
de Dansem les 24 et 25 nov
Le corps, d’ici et d’ailleurs
Terre des ancêtres, terre nourricière,
terre où l’on se meurt. Pieds nus sur ce
sol malien, l’homme ne fait qu’un avec le
ciel. Cette sensation unique d’appartenance au monde, la chorégraphe Barbara
Sarreau l’a ressentie comme un choc
tellurique. D’où cette exploration chorégraphique avec des danseurs du
Conservatoire des arts et métiers et
multimédia de Bamako : Tchakèla, en
Bambara «creuser la terre». Initié en
2009, ce projet connaîtra jusqu’en
2011 plusieurs étapes, au Mali comme
en France, plusieurs résidences où
Barbara Sarreau s’emploiera «à confronter la spécificité de sa langue à celle de
l’autre», à dessiner l’espace des corps.
Les mots aussi peuvent mourir, premier
aperçu de cette longue marche, a été
présenté selon un dispositif scénique
qui décuplait les points de vue : vidéoprojecteur pour miroir astigmate, caméra
fixe pour capter le hors-cadre, musique
live. Comme une boucle, sortis des entrailles de la terre, les chuchotements et
les rires des danseurs maliens introduisent et ferment cette partition intime.
Aux gestes imperceptibles des corps
rampants scotchés au sol, succède une
joute sensuelle baignée d’ombre avant
qu’ils ne se lancent dans une course
folle, se heurtent aux parois, puis s’éva-
nouissent à nouveau. Faces contre terre.
Éloge de la lenteur, Les mots aussi
peuvent mourir emprunte au Mali son
temps élastique, ses mouvements distendus et la sculpturalité des corps. Il
faut du temps pour comprendre l’Afrique et Barbara Sarreau le sait bien, qui
évite les pièges de «l’africanisation» de
la danse pour s’approcher au plus près
de celle des danseurs.
© Lionel Briot
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Tchakèla, un projet BamakoMarseille a été présenté
par Marseille objectif DansE
du 8 au 12 décembre
à la Friche dans le cadre
de Dansem
DANSE
17
La Turquie
est l’Europe
Dokuman © Alex Davies
Un parterre fourni d’amateurs éclairés
et de professionnels était réuni à la Friche
pour voir LA compagnie turque de
référence : Taldans Company. Avec les
présupposés communs à ceux qui attendent beaucoup de la création extra
européenne… Le public resta perplexe,
pour partie convaincu, pour partie dans
l’attente de quelque chose qui ne venait
pas, face aux six danseurs standardisés, habillés d’un jean délavé et d’un
T-shirt et chaussés de baskets. Pas de
quoi faire tourner les derviches !
Sauf qu’il fallait chercher ailleurs la singularité de Dokuman de Mustafa
Kaplan et Filiz Sizanli, dans la prégnance de la technologie et de
l’industrialisation sur la structure de la
pièce, elle-même influencée par la
formation d’architecte et les études
d’électronique et de télécommunication des deux concepteurs. Sauf encore
que des dérapages successifs parasitaient ce ballet bien huilé entre les
corps et les machines, invisibles mais
omniprésentes: perturbations inopinées
des mouvements métronomiques et
des rythmes pendulaires des danseurs,
solos subitement désordonnés, onomatopées et chuchotements affolés en
cris intempestifs, improvisation d’un
solo de guitare électrisé ! Dans ce
paysage modulaire habité par «des
esprits aliénés et des pantins électroniques», quand les cloisons grisâtres
s’abattent l’une après l’autre comme
un jeu de cartes, laissant voir leurs faces
cachées rose fluo, on se dit que
Dokuman est un spectacle disjoncté,
au propre comme au figuré.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Dokuman a été présenté par
Marseille objectif DansE le 5 déc
à la Friche dans le cadre de Dansem
18
DANSE
ISTRES | PAVILLON NOIR | GYMNASE | BNM | TOULON
Istres ainsi danse
Salle archi comble au Théâtre de l’Olivier à Istres en ce dimanche 6 décembre.
Guichet fermé pour cette Incidence
Chorégraphique, expression libre «hors
des murs» des danseurs du Ballet de
l’Opéra de Paris. Objectif évident, être
les ambassadeurs de la culture chorégraphique. Et sur tous les plans de scène,
mission accomplie ! L’enthousiasme
du public de tous âges, de tous horizons et toutes motivations en est le
témoin impartial. De la grand maman
(ma voisine) venue admirer les exploits
sur scène de son petit fils, aux petits
rats des écoles de danse de la région, en passant par
les amateurs éclairés ou non, tous y ont agrafé leur
cœur. Il faut dire que le nuancier présenté au public
permettait à chacun d’y retrouver ses couleurs. Choix
éclectique et varié allant du néoclassique à un solo
Delibes suite, le danseur étoile José
Martinez, ici seulement chorégraphe,
montrait tout ce que la danse classique
compte de difficultés techniques. Et
l’infini talent des danseurs effaçait la
performance pure par la sensibilité
expressive.
Merci donc à l’Olivier de servir, en programmant un spectacle de ce niveau
dans d’excellentes conditions d’accueil,
la cause de la diffusion de la culture
chorégraphique en région…
YVES BERCHADSKY
Aurélien Houette & Alice Renavand © Patrick Herrera
contemporain assez minimaliste sur une sonate pour
clavecin de Scarlatti, via une fantaisie entre flamenco,
danse classique et moderne. Un camaïeu gestuel
servi par une technique absolument parfaite des
danseuses et danseurs. Dans son pas de deux
Feuille à feuille
et belles dentelles
Talons hauts, strass, filet, vinyle, … entre
sexy et sado, les danseurs et danseuses
dirigés par Philippe Decouflé s’essaient avec sensualité, humour et
engagement, à la pratique de l’effeuillage. Dans une ambiance joviale de
cabaret, les scènes de striptease intégral s’intercalent à des scènes de
music-hall, de danse, de cirque et même
d’interpellation du public. Amusés, les
spectateurs participent volontiers aux
sollicitations de Micheline, la dame «à
tout faire» du spectacle et à son acolyte,
véritable chauffeur de salle ! Certaines
figures de danses sont particulièrement esthétiques, comme celle «des
mains», et provoquent un ravissement
salutaire. Car, bien que sur le ton de la
légèreté, le spectacle est éprouvant tant
il questionne. Philippe Decouflé exhibe
la nudité dans des corps en mouvement
ni vulgaires ni pornographiques ; mais
cette exhibition place le spectateur dans
une position de voyeur malgré lui, et
chaque fois il doit se redéfinir par rapport à l’intimité de l’autre, et donc à ce
qui lui est généralement interdit. Ménageant des échappatoires le chorégraphe
crée des diversions, superpose plusieurs
scènes, permettant ainsi au regard des
spectateurs de fuir et lui laissant alors
un libre choix. Celui notamment d’admirer un corps pour ce qu’ il est, pour ses
formes, sa force d’expression ? Car le
mystère est là, non pas dans ce qui est
donné en pâture à la voracité de notre
œil mais plutôt dans ce qu’il transmet,
laissant le désir faire son œuvre. Vivre
nu, pourquoi pas ? Paradoxalement ici ce
sont les costumes, repères scéniques et
dramaturgiques qui, par leurs présences
colorées, donnent du sens et un certain
peps au spectacle.
CLARISSE GUICHARD
© Agathe Poupeney
Cœurs croisés
Théâtre du Gymnase
Jusqu’au 19 déc
0 820 000 422
www.lestheatres.net
Kubilai Khan
Konstellations
Déjà à l’Arsenal de Metz et à la Comédie de Clermont-Ferrand, Kubilai Khan
investigations avait essaimé ses
Constellations 1, 2, 3. À Toulon, point
d’ancrage du collectif depuis 1996,
c’était une première ! Sans cesse sur les
routes caravanières, il leur a fallu relever le défi de déployer à leur façon un
chapelet d’installations, performances,
vidéo, danse, concerts, déambulations,
le tout accessible gratuitement grâce
au Conseil Général du Var, commanditaire de la manifestation. Éclectiques
et trépidantes, ces Constellations 4
étaient à l’image de la compagnie : un
«comptoir d’échange artistique» ouvert
à la scène émergente afro-caribéenne,
à la musique de l’archipel japonais et à
la nouvelle vague des jeunes chorégraphes européens. Beaucoup de
découvertes, de croisements audacieux,
des esquisses sonores et des ondes de
choc, des rebonds chorégraphiques…
Et les retrouvailles avec KKI dont on
suit les pérégrinations de loin en loin, à
Châteauvallon parfois, faute d’une vraie
salle de danse à Toulon. Dans des conditions techniques déplorables côté
danseurs (plateau exigu) et côté spectateurs (insonorisation inexistante), Dimitri
Jourde a offert le solo Xebeche, performance physique qui met son corps en
danger, noueux, tortueux. Replié sur luimême dans une élasticité féline,
enchaîne bonds et roulements dans un
© Laurent Garbit
décor de champ de ruines de papier.
Dans Espaço contratempo, Frank
Micheletti et Idio Chichava vont et
viennent autour du guitariste Rémi
Aurine-Belloc avec une fluidité exceptionnelle : leurs mouvements en léger
différé multiplient les points de contact,
entre eux et avec l’instrument, jouant
d’un équilibre tendu. Tard le soir, quand
les trois lascars du groupe clermontois
Kafka entament les premières notes
de Geografia, version concert du spectacle de KKI, la nuit s’annonce planante
et vaporeuse…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Constellations a irrigué 11 lieux
toulonnais du 10 au 12 déc
www.kubilai-khan-investigations.com
Vive les reprises !
Sextet © Agnès Mellon
Pour sa 13e ouverture le BNM a programmé deux pièces de son répertoire, et une
création de la Classe d’Insertion Professionnelle. Si on se réjouit du niveau
classique d’ensemble de ces jeunes filles, et du talent du pianiste dans cette
œuvre de John Cage, la pièce, mal écrite, ne brilla ni par son inventivité, ni par sa
capacité à mettre en relief les interprètes. Longue et répétitive, sans sel, elle
ouvrait mal cette soirée, et contrastait
fort heureusement avec le Sextet qui
suivait : la pièce de Thierry Malandain,
dont les danseurs du Ballet possèdent
désormais toute la subtilité, a fait la
preuve de la grande forme des ces
solistes qu’on a vu beaucoup plus
éteints : tout était en place, vif, haut,
ensemble, joyeux, mutin, les dynamiques se croisaient, les corps, et le
public, jubilaient. TéToTé qui suivit
confirma, en particulier dans les passages à trois et les portés violents, le
niveau d’un Ballet qu’on prend toujours
plaisir à voir.
A.F.
Les Ouvertures 13 ont eu lieu du 10 au 12
déc dans le grand studio du BNM
Maladresses
Que la pièce de la Chinoise déçoive, on le comprend. Son minimalisme en matière
de danse, et le maximalisme de son discours documentaire qui envahit le décor
et l’espace sonore du spectacle est décevant. Wen Hui se raconte tout le temps,
mêle son histoire propre à celle de la révolution culturelle, la fait dire à son interprète, l’écrit sur les murs, projette des photos, vidéos, dessins qui l’explicitent…
et par ailleurs, en guise de danse, exécute un simple geste, en avançant lentement
vers le public, linéairement, dans la pénombre, durant toute la petite heure du
spectacle. Cela peut être agaçant, si l’on n’entre pas dans la douleur, si l’on trouve
la démonstration simpliste -le corps se ploie et souffre et symbolise toutes les
tortures lentes et toutes les soumissions. Quoi qu’il en soit, huer les interprètes à
la fin comme cela fut fait est choquant. Non parce que le public n’a pas le droit
d’exprimer son avis, mais parce qu’il y avait là une souffrance, une intimité, un
poids de l’histoire maladroitement exprimé, mais jamais indigne. Le spectacle,
qui normalement dure huit heures, prend sans doute plus de sens dans la durée…
et le public a fait preuve de bien peu d’empathie. Est-ce parce que l’histoire
chinoise est si lointaine ?
A.F.
Memory a été dansé au Pavillon Noir les 3 et 4 déc
© Ricky Wong
20
DANSE
AU PROGRAMME
¡Suerte!
Nîmes fête les 20 ans de son festival flamenco, que
d’aucuns appellent la 3e feria, celle de l’hiver… Plus
simplement, il est ce festival qui a su s’imposer au fil
du temps pour devenir, qualitativement et quantativement, un des plus grands, hors l’Espagne bien sûr, et
qui continue aussi à interroger la nécessaire alliance
de la tradition et de la modernité. Pour preuve la pléiade
d’artistes invités, de grands noms du flamenco que
viennent côtoyer les nouveaux talents. Dès l’ouverture
Silvia Marín invite les enfants, mais pas seulement, à
la découverte du flamenco avec sa création Con
Pasaporte Flamenco dont la 1re a lieu à Nîmes. Suivront María José Franco dans Bailando para mi, dont
le final se dansera avec José Ogalla ; Javier Barón,
danseur au style classique et créateur infatigable dont
le Dos voces para un baile rend compte, et sur lequel
l’accompagnent les deux cantaores José Valencia et
Miguel Ortega ; Andrés Marín avec El Cielo de tu boca,
dans une démarche moderne, contemporaine, avec
le compositeur Llorenç Barber ; Israel Galván et son
très attendu El final de este estado de cosas, redux
créé lors du dernier Festival d’Avignon ; Pastora
Galván, sa sœur, dont le spectacle Pastora affirme
une grande danseuse ; deux soirées, enfin, Tierra
flamenca 1 et 2 sont entièrement dévolues à des
artistes «de chez nous» : Melinda Sala, Luis de la
Carrasca, Natalia del Palacio…
DOMINIQUE MARÇON
Bô et l’eau
Pour sa 14e ouverture le Ballet National ouvre ses
portes à Miguel Nosibor (voir zib 24) et Caroline Bô,
pour un solo sur son rapport à l’eau…
Ouverture 14
Ballet National de Marseille
Les 17 et 18 déc
04 91 327 327
www.ballet-de-marseille.com
Le retour
Comme tous les ans en janvier le Toursky accueille à
nouveau la création de Pietragalla : son public
attend sa danse émotionnelle, emphatique, féminine,
et l’accueille toujours avec enthousiasme. La
tentation d’Eve leur permettra de retrouver la grande
danseuse en solo dans ses œuvres, incarnat la
condition féminine au long des siècles.
Pastora Galvan © Luis Castilla
20 ans de flamenco
du 9 au 23 janv
Théâtre de Nîmes, Odéon, Cour d’Appel
04 66 36 65 10
www.theatredenimes.com
Historique
Il a inventé la danse contemporaine ; affranchissant
les corps des techniques classiques tout en explorant
inlassablement le mouvement et l’occupation de
l’espace, l’abstraction et la combinatoire, la musique
et la dynamique, Merce Cunningham a ouvert tant
de portes que le monde de la danse n’a cessé,
depuis, d’y puiser comme à la source suprême ses
bouleversements successifs. Merce Cunningham, il y
a quelques années, à peine, exhibait encore son
corps toujours souple sur la scène. Ses apparitions
étaient magiques. Il a disparu dans un certain silence,
juste après Pina Bausch, durant le festival d’Avignon.
Sa Company est au Grand théâtre pour deux de ses
pièces majeures : 30 ans de danse, par 13 interprètes
fantastiques.
Split Sides et Squaregame
Merce Cunningham Company
Du 17 au 19 dec
Grand Théâtre de Provence (Aix)
04 42 91 69 69
www.grandtheatre.fr
Split Sides © Tony Dougherty
Harmonie
La Tentation d’Eve
Théâtre Toursky
Les 15 et 16 janvier
0 820 300 033
www.toursky.org
Europe en créations
Les désormais traditionnels workshops du Ballet
d’Europe (les 17 et 18 déc à la Friche), mettent toujours
en évidence les grandes qualités d’interprètes de ces
danseurs qui savent aussi proposer des œuvres attachantes. Mais l’on pourra également retrouver le Ballet
d’Europe sur une scène plus à sa mesure : les Salins
programment Sweet Gerschwin, une pièce jubilatoire
d’une grande technicité, et un duo que l’on attend
avec impatience : on y retrouvera Jean-Charles Gil
danseur qui avec Monique Loudières (Opéra de Paris)
créera un duo intitulé Trace avec moi… l’occasion de
revoir danser celui qui fut un très grand soliste !
Ballet d’Europe
Les Salins (Martigues)
Le 16 janv
04 42 79 02 00
www.theatre-des-salins.fr
www.balletdeurope.org
Trace avec moi © J.-C. Verchere
Emanuel Gat - My favorite things © Gadi Dagon
Le Pavillon Noir accueille le chorégraphe israélien
Emanuel Gat en programmant trois de ses pièces :
My favorite thing, solo sur lequel il magnifie le
saxophone soprano de John Coltrane ; Voyage d’hiver,
duo hypnotique et fascinant qu’il danse avec Roy
Assaf sur les lieder de Schubert ; et Le Sacre du
printemps qui mêle aux rythmes martelés de la
partition de Stravinsky une danse salsa endiablée sur
laquelle deux hommes et trois femmes forment deux
couples à tour de rôle, dans un mouvement continu
étourdissant.
Voyage d’hiver, My favorite thing
et Le Sacre du printemps
Du 13 au 16 janvier Pavillon Noir (Aix)
0811 020 111
www.preljocaj.org
Percussions
Après une résidence de création en septembre pour leur prochaine création, la compagnie avignonnaise Onstap est de retour à Arles avec Parce qu’on va pas lâcher,
duo dansé par Mourad Bouhlali et Hassan Razak. Step aux États-Unis, percussion
corporelle en France, la discipline qui fonde le spectacle transforme le corps en
instruments de percussion. Pieds, mains, poitrines, cuisses, tout le corps participe
pour illustrer le parcours de ces deux artistes qui se racontent aussi avec des mots.
Au-delà de la perfor© Saïd Zaïour
mance, ils donnent
du sens à cet art en
y mêlant danse,
théâtre et slam.
Parce qu’on va pas
lâcher
le 8 janv à 19h
Théâtre d’Arles
04 90 52 51 51
www.theatrearles.com
Combat
Revival
Après Urban Ballet programmé l’année
dernière, la compagnie Rêvolution revient à l’Olivier avec Clash, leur dernière
création, toujours sous la direction artistique et chorégraphique d’Anthony
Égéa et sur une création musicale de
Franck II Louise. Face à face, côte à côte,
les danseurs Jérôme Luca et François
Lamargot, formés à la danse classique
et au hip hop, vont devoir s’approprier,
se partager le sol, territoire vierge qui
devient lieu de pouvoir.
Périple musical et dansé, conçu et chorégraphié par Herman Diephuis, Paul
est mort ? fait revivre l’époque mythique
des sixties, par le biais d’un trio pop-rock
de danseurs à la fois groupe et groupies.
Représentation de ces années où rêves
et idéaux avaient droit de citer, où les
Beatles, entre autres, représentaient
toute une jeunesse assoiffée de liberté. Un témoignage opéré par le biais
d’une danse mordante et humoristique,
et d’une musique forcément très présente.
Clash
le 12 janv à 20h30
Théâtre de l’Olivier (Istres)
04 42 56 48 48
www.scenesetcines.fr
Paul est mort ?
le 19 janv à 20h30
Théâtre d’Arles
04 90 52 51 51
www.theatre-arles.com
Audacieux
Les chambres de Jacques et Jack in the
box sont deux pièces d’Aszure Barton,
chorégraphe new-yorkaise en résidence au sein des Ballets Jazz de Montréal.
Dans Les chambres de Jacques, à partir
de petits tics personnels relevés entre
les mouvements des danseurs, Aszure
Berton rend un hommage intimiste à la
beauté comme à la fragilité de l’être, à
travers une trame sonore étonnante qui
passe habilement de Gilles Vigneault à
Vivaldi sans oublier les musiques tziga-
nes et klezmer. À l’inverse, Jack in the box
aborde les limites extérieures du corps,
interrogeant «la croissance, l’étiquette
et le pouvoir du groupe en tant qu’ensemble collectif.»
Les Ballets Jazz de Montréal
le 17 janv à 15h
Théâtre La Colonne (Miramas)
04 90 58 37 86
www.scenesetcines.fr
© Jean Tremblay
22
CIRQUE/ARTS DE LA RUE
SIRÈNES | TOURSKY | ISTRES | GRASSE | GTP
Double sirène à huit
Magnifique dialogue entre les sirènes de la sécurité publique et la musique
d’Edgard Varèse proposé par l’ensemble Télémaque
interprètes de haut niveau arpentent sans peur des
territoires peu familiers aux musiciens contemporains… et ce depuis 15 ans. Et il semblerait qu’enfin
leur travail soit reconnu chez eux, pour le plus grand
plaisir des fans marseillais trop souvent obligés d’aller
à Gap, Paris ou Martigues pour applaudir cet ensemble dont ils sont fiers !
CHRIS BOURGUE
L’appel des sirènes de l’ensemble Télémaque
a retenti le mercredi 2 décembre à midi net
Prochain rendez-vous mercredi 6 janvier. Un projet amusant du Ministère des Affaires inutiles qui
présentera son Palmares des recalés. Il s’agira de
désigner le meilleur des spectacles non-retenus par
le comité de sélection des Sirènes et midi net. C’est
un vacataire du Ministère qui décernera le Prix des
Recalés 2009 et la prestation sera traduite intantanément en espéranto gestuel. Gageons que ce sera
caustique !
© Agnès Mellon
Comme tous les mois depuis 6 ans la foule de curieux
et d’afficionados se pressait sur le parvis de l’Opéra.
Heureusement le mistral de la veille s’était calmé car,
lors de la répétition, les pupitres, bien que lestés,
s’étaient envolés ! Au premier son de la sirène les
notes d’une flûte s’élèvent doucement : Charlotte Campana interprète Density 21,5 (1936) sous la protection
d’un grand parapluie qui permet de suivre son parcours jusque sur le parvis. C’est le moment où les sept
autres musiciens et le chef la rejoignent. Grande sobriété du dispositif : estrades et pupitres, costumes
noirs. Au service de la musique, exclusivement, dont
Raoul Lay cisèle la direction avec précision. Dans
Octandre, pièce rigoureuse de 1923, les instruments
se répondent en trois groupes, et chacun a sa place :
trio flûte, hautbois, clarinette, puis basson et contrebasse, enfin trompette, cor et trombone. Sept
instruments à vent et un seul à cordes, pour un
timbre qui sonne fort, et fin pourtant. La démonstration est superbe et rigoureuse : on peut faire de la
musique «savante» dans la rue ! Décidément ces
Turbulences
Le très attendu spectacle Sorry ! est le fruit de la
collaboration du Footsbarn Théâtre, cie de théâtre
internationale et pluridisciplinaire, de la cie Les Fusains et son fondateur Pierre Byland (qui signe la mise
en scène), figure tutélaire du clown moderne, et du
Cirque Werdyn, cirque tzigane et familial principalement équestre. Au centre du spectacle le personnage
du clown dans tous ses états, entouré de chevaux, de
poules, de chanteurs lyriques, de musiciens… sur une
piste qui, on le comprend peu à peu, a été louée à la
fois pour l’enterrement d’un compositeur de musique
classique et pour une fête tzigane…
Sorry !
les 8 et 9 janv à 21h
Théâtre Toursky
0 820 300 033
www.toursky.org
Jeux de Mémoire
L’ensemble Télémaque et le Cirque Plume reprennent leur étonnante fantaisie
poétique et musicale Le cabaret des valises au Grand Théâtre de Provence
Sur un fond bleuté défilent des ombres portant des
valises… Un contrebassiste et une clarinettiste s’agrègent à l’harmonie finement angoissante d’un accordéon
dissonant… Le décor sonore planté, le chef dirige cette
foule baroque vers un hall de gare parsemé de chariots/pupitres et de valises/sièges… On est prêt pour
un voyage singulier : un violoncelliste narre un souvenir
d’enfance, le dégingandé John John, le clown Pedro et
«Monsieur» (le collecteur de cris) jouent des scènes burlesques, alors que dans les airs une jeune acrobate
dessine des arabesques au son d’une contrebasse
pachyderme… Comment dire le foisonnement des tableaux, tels ces pupitres/cintres se dressant chargés
de manteaux sans maître ? Comment décrire cette
polyphonie de cris émanant de valises ouvrant leur
gueule béante… parler des enfants qui ne savent plus
s’il faut rire ou s’effrayer… et du fil discontinu de cette
mémoire que Bernard Kudlak et Raoul Lay tentent
de ranger dans leur valise de saltimbanque ? À voir
absolument ! JACQUES FRESCHEL
© Agnès Mellon
Il ne parle pas Julien Cottereau, mais il lui arrive de
faire des bruits; et puis il
bouge, danse, dans sa drôle
de dégaine, chapeau mou
vissé sur le crane. Mime, clown
et bruiteur, poète aussi, Julien
Cottereau secoue notre imaginaire avec des sons et des
gestes qui font apparaître princesse en détresse, chien
errant, mouches vibrionnantes, le tout avec la complicité
d’un public réceptif et actif.
Fils spirituel du mime Marceau
et de Buster Keaton, l’atypique enchante, et pas
seulement les plus jeunes !
Imagine-toi
le 20 déc à 16h
Théâtre de l’Olivier
04 42 56 48 48
www.scenesetcines.fr
les 5 et 6 janv à 19h30
Théâtre de Grasse
04 93 40 53 00
www.theatredegrasse.com
ir
-Volo
Roux
ronic
© Ve
reau
Cotte
Julien
Le Cabaret des valises
Le 15 janv à 20h30
04 42 91 69 69
www.legrandtheatre.net
Sans mots
24
ARTS VISUELS
MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN | PASSAGE DE L’ART
Les mondes parallèles
Lauréats 2009 du Prix HSBC pour la photographie,
Grégoire Alexandre et Matthieu Gafsou sont accueillis
dans quelques-unes des travées du Musée d’art contemporain de Marseille, bord à bord avec ses collections.
Une incursion muséale qui les flatte tout autant qu’elle
les effraye : la valeur symbolique du lieu diffère de celle
des galeries qui les exposent. D’autant que l’objectif du
Prix HSBC pour la photographie, comme le souligne
Chantal Nedjib, Déléguée générale, est «de faire connaître
de jeunes talents par le biais de quatre expositions, de
l’édition de monographies et de la vente de leur travail».
Dans l’espace du [MAC] donc, Grégoire Alexandre et
Matthieu Gafsou ont accepté de croiser leurs regards.
«J’aime beaucoup la réflexion de Grégoire Alexandre
sur le dispositif photographique lui-même, commente
Matthieu Gafsou, car le contexte de la commande ne le
favorise pas habituellement. On voit beaucoup de belles
images de mode mais peu qui soient intelligentes». Et
Grégoire Alexandre ? «Ce qui m’intéresse dans les photographies de Matthieu Gafsou, c’est sa façon de se dégager
du style documentaire dans lequel il s’inscrit à la base
pour chercher des images autonomes. C’est un travail
discret, surtout pas spectaculaire, probant et même
déstabilisant par rapport au réel». Deux jeunes talents
prometteurs dont l’analyse éclaire leurs photographies
accrochées «de façon à ce qu’il n’y ait pas une trop forte
contamination entre elles».
Le résultat est à la hauteur de l’exigence du Prix HSBC
qui a confié à Olivier Saillard la direction artistique. L’exdirecteur du musée de la Mode de Marseille -qu’il quitta
en 2000- s’est laissé «toutes latitudes pour regarder
avec [son] œil de mode des travaux qui ne traitent pas
forcément de la mode». Il a présélectionné 12 photographes français et internationaux sur 669 postulants :
«Tous se sont imposés avec évidence. Ils se répondent
avec naturel et composent, re-composent un monde à
organiser sous leurs doigts». Quels sont donc ces
mondes ? Un univers tronqué, décalé pour Grégoire
Alexandre qui illustre des thèmes imposés par la commande (pour la mode, la publicité ou les magazines),
Surface#33, 2008, Lauréat du Prix HSBC pour la Photographie © Matthieu Gafsou
avec des points de vue plus ou moins distanciés. Des
photographies dans lesquelles il met en scène des
éléments perturbateurs grâce à des jeux d’échelle, des
illusions d’optique. Un monde subjectif né de la réalité
«qui va et vient entre le référent et sa poétique» pour
Mathieu Gafsou : des paysages-architectures où les
blancs poussés à l’extrême, révèlent les volumes et accentuent les reliefs. Deux mondes parallèles, étanches.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Jusqu’au 28 février
Musée d’art contemporain de Marseille
04 91 25 01 07
Monographies co-éditées par le Prix HSBC
pour la photographie et Actes Sud
Surfaces, Matthieu Gafsou
Grégoire Alexandre
25 euros chacun
Shopping N° 4, 2003, Lauréat du Prix HSBC pour la Photographie 2009 © Grégoire Alexandre
La petite musique de Milhaud
D’Aix-en-Provence, Daniel Milhaud a gardé un lointain
souvenir… celui de son enfance auprès de ses grandsparents au Logis du Bras d’Or, où grandit son père, le
compositeur Darius Milhaud. «J’étais très intriguée par
ce parcours de famille» révèle Lyse Madar, directrice du
Passage de l’art, qui relève le paradoxe : «C’est la
première fois que Daniel Milhaud expose à Marseille et
plus généralement en Provence ! Il était important pour
moi de présenter ce travail que je trouve remarquable et
qui est aussi une belle référence à l’histoire de l’art».
Daniel Milhaud s’est formé aux arts visuels et à la musique aux Etats-Unis sur les traces de son père, puis en
Autriche auprès d’Oskar Kokoschka, avant de partager
son temps entre Paris -où il dispose de trois ateliers
répartis pour les moulages et la terre, les maquettes et
dessins, les œuvres plus grandes-, et Carrare en Italie.
Vêtu d’un pantalon rouge, d’une chemise fleurie et d’un
chandail bordeaux, Daniel Milhaud a une allure hautement colorée mais parle peu, entend difficilement, et
garde l’œil en alerte, malicieux. C’est qu’il semble beaucoup s’amuser de tout ce «tapage» autour de lui. Une
verdeur, une fraîcheur l’enveloppent tout autant qu’elles
Autoportrait panoplie - 2005 - 85x100x14 cm Bois, peinture acrylique, fil de fer, cuivre, polystyrène et résine.
baignent son œuvre (dessin, sculpture, bas-relief) traversée de lignes dynamiques : ses deux pièces issues d’une
série d’autoportraits, Panoplie dans laquelle on aperçoit
son simple profil et La Balance où il coupe sa tête en
deux par le milieu, sont symptomatiques d’un travail
très libre. Liberté des modes d’expression, des formes,
des matériaux, des volumes et des signes cabalistiques
(vanités, dés, mauvais œil, serpent…). Comme dans ses
ombres portées sur le mur qui, grâce à un jeu de néons
et de découpes, révèlent des lignes intemporelles et des
mots tel «désir» transcrit dans toutes les langues… ou
presque. Daniel Milhaud est un homme de désirs qui
joue, avec humour, de la mort et de l’érotisme, particulièrement dans Calaveras inspirée des rites funéraires
mexicains et dans les lignes infléchies de ses dessins
qui «imbriquent les parts féminines et masculines des
choses». Entre ombres et lumières…
Si sa présence à Marseille est un événement, Lyse
Madar annonce déjà son retour au printemps 2010 à
l’occasion de L’Art renouvelle le lycée, le collège et la
ville : son œuvre devrait trouver toute sa place dans la
thématique annoncée «Les parts de l’ombre dans l’art
contemporain. Matérialité et fiction».
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
L’exposition Trait pour trait, très portrait
de Daniel Milhaud a été présentée du 17 novembre
au 16 décembre au Passage de l’art à Marseille.
04 91 31 04 08
PARADIGME | LA FABRIQUE SENSIBLE | OÙ SONT LES ENFANTS?
ARTS VISUELS
25
L’art à l’ouvrage
Faisant suite aux 12e Rencontres de l’édition de création,
l’atelier Vis-à-Vis expose une trentaine de livres d’artistes
et éditeurs de Suisse romande
Chaque année l’Atelier Vis-à-Vis invite un nouveau pays à l’occasion de
ses Rencontres de l’édition de création. Pour cette douzième, la Suisse
était l’invitée d’honneur. Cette sélection nous fait approcher des créations
uniques ou multiples, pièces d’artistes ou d’éditeurs que le public a peu
l’occasion de voir étant donné leur
tirage restreint et leur diffusion confidentielle. On y trouve une majorité
de petits formats mis en œuvre avec
réserve et sobriété.
Cette retenue plastique laisse place
à une esthétique très tenue, un évident raffinement bien souvent. Ainsi
les éditions genevoises Héros Limite
évacuent toute image au seul profit
du texte. Typographie et mise en espace, pleins et vides, rythmes et
respirations visuelles tendent cependant l’objet vers un statut iconique
épuré. À l’opposé, Ursula Jakob a
conçu une histoire sans récit où les
images et les jeux graphiques se
développent dans une atmosphère
monochrome dominée par le bleu
cyan. Le papier de riz doublé à la chinoise apporte sa part de sensualité
fragile et transparente. Pour ses
carnets de dessins, Liliana Gassiot
développe des graphismes réalisés
avec une machine à coudre. Les variations autorisées par les différents
points de broderie inventent des
linéaments non figuratifs au fil des
pages, et font de chacun des carnets
un exemplaire subtilement unique.
Le trait commun au livre d’artiste
dans cette région transalpine ? Un
subtil mélange entre la permanence
des techniques traditionnelles et des
expérimentations plus audacieuses.
Pour certains artistes et collectifs
(art&fiction, Attitudes, 36 Editions…)
le livre intègre les nouvelles technologies, le numérique, ou prend des
formes singulières lors d’expositions
ou de performances.
Dans la dernière livraison du Project
Book International, édité par l’Atelier
Vis-à-Vis, Silvio Corsini, conservateur à Lausanne, brosse un alléchant
état des lieux de la création et de
l’édition engagée dans le livre d’artiste en Suisse romande. Dans les pages
suivantes, Emès-Manuel de Matos,
créateur avec Danièle Ubeda du
Comptoir international du livre
d’artiste/Paradigme, resitue plus
généralement la place de ces œuvres
singulières que sont les livres
d’artistes dans le contexte de la
création artistique.
À l’occasion de l’exposition, il était
possible d’acquérir un ouvrage issu
des collections de l’atelier en participant à la loterie du 3e Jeu de
Hasard-Livre d’artiste. Le quatrième est en cours : tout n’est pas
encore perdu pour les futurs collectionneurs !
CLAUDE LORIN
Le Valais des signes,
Editions Corinollon
© C. Lorin
Cahier de dessins cousus de fil noir, Liliana Gassiot © C.Lorin
Livres d’artistes suisses
Paradigme/Comptoir international
du livre d’artiste contemporain
jusqu’au 30 janvier
04 91 33 20 80
www.ateliervisavis.com
Mouche © Michele Sylvander
Home Sweet Home
Nouvellement installées à la Maison des éditeurs
et des industries culturelles à Arles, les sociétés
d’édition La Fabrique sensible (livres d’artistes)
et Où sont les enfants ? (livres jeunesse) ont mis
leur ardeur en commun pour ouvrir la Maison au
public à l’occasion de la parution de trois
ouvrages. Dédalles de Ville, Avignon de Max
Charvolen, chambre d’écho à sa résidence à
Avignon comme invité d’honneur du 15e Parcours
de l’art, trace de ses pérégrinations urbaines et
de ses interventions plastiques. Le livre-miroir de
Michèle Sylvander, Instant de doute, où la fiction
brouille la réalité, le passé dépasse le présent,
l’autoportrait féminin masque le masculin.
Nocturnes ou les garçons perdus, premier opus
jeunesse de Mireille Loup qui expose actuellement ses photographies à la Galerie du théâtre
La Passerelle (voir page 28). Un conte initiatique
pour un petit garçon perdu dans la nuit pour
lequel elle «a convoqué tous les bleus de la terre,
le ciel, l’eau et la lumière».
Le temps d’une rencontre avec les artistes, les
éditeurs et les entreprises implantées sur le site
(Cie Events, association La Cuisine, Main, Oiseau
indigo diffusion, ICNPA…), la Maison dévoile ses
mille et une envies : rendre le lieu vivant, créer
des circulations entre ses habitants, partager ses
projets, ses enthousiasmes et ses découvertes
avec le public. La première page d’une longue
série à écrire.
M.G.-G.
Maison des éditeurs et des industries culturelles
vendredi 18 décembre de 15h à 19h
rencontre-expositions-vidéos
La Fabrique sensible
www.lafabriquesensible.com
Où sont les enfants ?
http://ousontlesenfants.hautetfort.com/
26
ARTS VISUELS
GALERIE VINCENT BERCKER | LA NON-MAISON
Verrouillé à double tour
Que faire de ce jeu de photographies réalisées en
1988 dans l’appartement qu’il partagea avec sa
mère et qu’elle abandonna durant deux ans ? Que
faire de ce lourd et douloureux passé qui l’encombre encore ? Un livre, oui, mais que le photographe
Pierre-Jean Amar n’a pas écrit pour une catharsis,
abréaction qu’il réfute tant sa détestation de la
psychanalyse est grande. «Une fois les photos
faites, le livre écrit et publié, c’est la même merde.
Rien n’a changé !» : sa mère a subi la psychiatrie
curative la plus violente…
Il fallait donc un écrivain, un proche comme Georges
Monti, directeur des éditions Le Temps qu’il fait,
pour coucher sur le papier tant de souffrances
étouffées, de ressentiments et d’amour mêlés. «Une
histoire douloureuse qui le fonde», il le sait, qui a
longtemps entravé sa vie : heureusement la lecture, puis la photographie, sont restées ses terres
de liberté jusqu’à ce qu’il déploie son existence
propre. Il avait 26 ans !
Un livre au titre terrible, Le coffre-fort de ma mère,
des photos d’une extrême violence derrière le
vernis de la banalité, où «l’on retrouve l’ambiance
carcérale». Des photos prises en son absence,
jamais montrées, pas même à sa mère qui est
morte sans jamais savoir ce qu’il faisait dans la
vie… Un regard effroyable sur l’enfermement, la
solitude, la destruction des êtres : sa mère isolée
sans doute le catalogue Manufrance»)… Des interrupteurs et des cadenas en pagaille, une boîte à
pharmacie surchargée, un téléphone blanc (« ma
mère a inventé le téléphone portable, elle en avait
trois !»)… Et ce fameux coffre-fort familial posé à
même le sol d’une cour intérieure «exiguë et
sale… dans lequel ma mère a longtemps serré
ses bijoux ».
Le livre, comme l’exposition, s’ouvre et se ferme
sur deux portraits de l’absente : l’un les yeux vides,
la main serrant son chandail contre sa poitrine,
dans un tirage argentique noir et blanc précis et
nuancé ; l’autre l’image tremblante d’une silhouette ratatinée dans son fauteuil roulant. «C’est
un constat» répète Pierre-Jean Amar avec un
détachement feint, un constat bouleversant, oppressant même : ces photographies magnifiques
disent toute une vie de possession et son ultime
libération dans la mort.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Sans titre © Pierre-jean Amar
dans sa folie, Pierre-Jean Amar «claustré, prisonnier de la maison». Le fils a retenu de cet intérieur
inhabité un piano Hansen («ma mère, d’éducation
bourgeoise possédait un piano mais ne connaissait
rien à la musique»), une armoire-bureau remplie
de livres de peu d’intérêt («le plus passionnant est
Ouf !
Suite à l’expérience de [La Pile]
à la Non-Maison, le projet de Bruno
Peinado pourrait enfin se concrétiser.
Mais il faudra patienter quelques
temps encore!
C’est l’histoire d’un projet dont la réalisation a été
plusieurs fois repoussée faute des moyens nécessaires. Quel porteur de projet n’a pas vécu les
affres d’une fin de non recevoir ? Michèle Cohen ne
pouvait en rester au renoncement : l’exposition
[La Pile] a été à la fois une forme de révolte et un
temps d’appel à collaboration.
«Trois mois pendant lesquels j’ai fait grève, où les
murs sont restés vides mais on pouvait entrer et
voir les piles de la revue Semaine consacrée au
projet avec les textes de Bruno Peinado et Bernard
Marcadé. Et nous avons ouvert un blog le jour de
l’inauguration pour faciliter les échanges avec le
public et peut-être trouver des personnes intéressées pour faire ce projet. Une deuxième pile a été
présentée pendant le Slick à Paris en parallèle à
la FIAC». Et les appels semblent avoir été entendus. Michèle Cohen ne mettra pas la clef sous la
porte comme elle l’envisageait !
L’embellie est arrivée par l’étranger suite à l’appel
d’un mécène privé dont l’identité ne peut être
encore dévoilée. Grâce aussi «au très bon contact
que j’ai eu avec Véronique Traquandi du Conseil
général 13. J’ai beaucoup d’espoir que cela se réalise en 2010. L’œuvre devrait être installée dans
un espace extérieur pour être offerte au public, de
préférence sur Aix ou alentour». Mais quelques
Signature du livre Le coffre-fort de ma mère
(Éd. Le temps qu’il fait) samedi 19 décembre 11h
Le coffre-fort de ma mère
jusqu’au 24 décembre
Galerie Vincent Bercker, Aix-en-Provence
04 42 21 46 84
Bruno Peinado, projet pour la Non-Maison, Aix-en-Provence
freins persisteraient encore à Aix, essentiellement
pour des questions de forme administrative. «Nous
sommes considérés là-bas comme galerie donc
comme privé alors que la Non-Maison est une
structure qui se veut mixte ; nous voulons au
contraire réunir public et privé sur des projets, les
services publics avec les jeunes collectionneurs
qui nous suivent maintenant, en intervenant comme
lieu intermédiaire entre l’atelier de l’artiste et les
institutions plus importantes. Je travaille à la
conception d’un statut reconnu proche des centres
d’art, des cinémas d’art et essai ou certaines compagnies de théâtre ; des lieux d’expérimentation,
de proposition et au plus proche du public. Autre
bonne nouvelle pour 2010, le projet sera suivi dans
un documentaire consacré au travail de Bruno
Peinado réalisé par Arte».
Le projet Une partition pour un accident ou les trois
princes de Serendip est présenté par Bruno
Peinado et Michèle Cohen dans la vidéo réalisée
lors de l’inauguration de [La Pile] le 15 octobre
2009, à voir sur le site de la Non-Maison.
Si tout va bien on espère qu’en fin 2010 on pourra
souhaiter à cette non-exposition un joyeux nonanniversaire !
CLAUDE LORIN
[La Pile]
jusqu’au 10 janvier
La Non-Maison, Aix-en-Provence
06 24 03 39 31
http://lanonmaison.com
http://lanonmaison.blogspot.com
ST-CYR-SUR-MER | APT
ARTS VISUELS
27
Une passerelle pour l’art
Gh
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MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
en
eC
ha
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photo de Danka Hojcusova dont les binômes, mis
bout à bout, parlent de solitude et de déplacement ;
les lignes dessinées de Sandra Ferreri, qui, mises
en boucle, emprisonnent d’obscures maisons.
Les portraits de femmes aux visages voilés de
Ghizlène Chajaï tels des «vanités contemporaines»;
l’amoncellement de globes en terre cassés de
Lisa-Dora Fardelli qui expulse de ses fragments
une vidéo (Charnier intestinal) comme on ouvre
la boîte de Pandore ; Les Olympiennes transfigurées par la peinture nerveuse de Catherine
Duchêne. Et Delphine Poitevin qui excelle dans la
dématérialisation des surfaces, des murs, des
papiers peints par grattage, frottage, rainurage et
effacement : les perspectives s’écrasent, les volumes s‘aplanissent, l’espace photographié bien
réel (une pièce vide, une porte entrouverte, un motif
mural) ouvrant sur une autre dimension spatiale.
Même si ce 26e Rendez-vous des jeunes plasticiens
ne représente «qu’une petite marche» vers la
reconnaissance, il a déjà tout d’un tapis rouge.
Sa
ns
tit
re
©
Accueilli depuis 2002 au Centre d’art Sébastien à
St-Cyr-sur-Mer, le 26e Rendez-vous des jeunes
plasticiens tient ses promesses avec une belle
moisson de nominés et de lauréats. Pour Valérie
Duquesne, élue récemment présidente de l’association ELSTIR qui organise cet événement ainsi
que Rendez-vous aux Jardins, «on sent un travail
de grande qualité avec des œuvres plus dépouillées. Ce sont, bien sûr, des travaux en devenir car
c’est l’objectif d’ELSTIR d’accompagner les jeunes
artistes dans leur travail». Et de constater que le
cru 2009 est d’une grande maturité : «Ils ne sont
pas dans la facilité. Comme Guillaume Gattier
(Marseille) qui a reçu le prix Louise Baron, Delphine
Poitevin (Ivry) celui du Conseil général du Var ou
Ghizlène Chajaï (Strasbourg) le prix Passerelle.
Leur travail fait preuve de beaucoup de professionnalisme et il ouvre sur de nouveaux horizons».
Sur 150 dossiers, 9 ont réussi l’épreuve du feu face
au jury composé de professionnels, d’élus et d’artistes et au public qui lui décerne son Prix. Cette
année, le travail ingénieux de Jérôme Ispanakçi
(Nice) a eu sa préférence, ex-aequo avec la sculpture-installation de Lisa-Dora Fardelli (Toulon).
Au-delà des récompenses, on retiendra la photo
installation de Guillaume Gattier qui étire à l’extrême
ses images panoramiques tronquées ; le roman-
26e Rendez-vous des jeunes plasticiens
jusqu’au 19 décembre
Centre d’art Sébastien, St-Cyr-sur-Mer
04 94 25 04 86
Aller-retour Dak’Art-Dak’Apt
NGoor (Sénégal), Yoko Breeze (Afrique du Sud),
Samba Fall (Sénégal), Tchalé Figueira (Cap-Vert)
et Boubacar Touré Mandemory (Sénégal) ont en
commun d’avoir été primés par la Fondation d‘entreprise Blachère lors de la Biennale des arts
africains contemporains Dak’Art 2008. Une récompense décernée par un Collège
critique qui, sous la direction de
Pierre Jaccaud, a écumé les musées
et galeries de la capitale sénégalaise.
Dix-huit mois et une exposition plus
tard, la Fondation Blachère les réunit
à nouveau, loin de l’Institut culturel
français de Dakar où eut lieu la
remise des prix : dans la zone industrielle d’Apt, au centre d’art proche
de l’entreprise de luminaires. Si la
Biennale «permet aux artistes du
continent africain de présenter leurs
nouvelles productions», le Prix de la
découverte leur offre une première
visibilité en France à travers une résidence et une exposition collective.
Tranchant avec la clarté extérieure,
l’espace d’exposition plonge le spectateur dans l’obscurité et le murmure des voix,
celles de la cérémonie des prix, avec diaporama
à l’appui. Histoire de rappeler que tout cela est
bien réel, qu’il y a un engagement et des rencontres déterminantes. Comme avec les peintures
«dramaturgiques» de NGoor dont les visages
hantés se masquent de grimaces goyesques,
artiste émergeant découvert par hasard : «Il aura
fallu une promenade improvisée en quête de découverte dans les rues de Dakar pour rencontrer
une toile suspendue au musée Boribana», toile
qui «a mis le feu [aux] esprits» des membres du
Collège critique tout autant qu’aux visiteurs d’Apt.
Avec le plasticien Samba Fall, «figure prometteuse
d’animaux et d’êtres tombés du ciel. Avec
Boubacar Touré Mandémory qui défie la banalité
de la photographie de rue en inventant des
couleurs «mouvementées» grâce à ses points de
vue décalés, ses hors champs et ses perspectives
infinies. Avec l’acteur, graphiste et designer Yko
Breeze dont le travail fait écho à
l’histoire de l’Afrique du sud, notamment sa vidéo sur l’activiste
Steve Biko réalisée avec la même
ampleur qu’un film.
Mais le retour de Dakar à Apt n’est
qu’une escale pour la Fondation qui
entend poursuivre son «engagement
pérenne sur le continent africain
avec une détermination sans faille»:
tout juste revenue des Rencontres
de la photographie de Bamako où
elle a remis son prix en présence du
photographe Malick Sidibé, elle s’apprête à partir pour l’Afrique du Sud…
© Boubacar Toure Mandemory
de la scène internationnale», dont les œuvres
protéiformes (vidéo-peinture-scultpure-objet)
frappent à coup sûr les esprits, véritables manifestes humanistes. Avec le peintre, musicien et
poète Tchalé Figueira -dont on dit qu’il a la tête
dans les étoiles-, qui déroule ses dessins tels de
longs papyrus noirs, histoires mélancoliques et
douces peuplées de lignes et de masques,
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
(ENVOYÉE À DAKAR MAI 2008 APT NOVEMBRE 2009)
Centre d’art Fondation Blachère, Apt
jusqu’au 17 janvier
04 32 52 06 15
www.fondationblachere.org
28
ARTS VISUELS
AU PROGRAMME
Avis !
Appels à projets à la pelle : artistes, sortez votre attirail et faites vibrer votre génie.
En Camargue, il sera question de lumière lors de la 5e Rencontre Land Art In Situ 0.5,
rendre sa copie avant le 30 janvier [http://culturesnomades.com]
En Arles, on entend des Voies Off pour mettre 2000 euros de prix dans sa bourse, dernier
délai le 31 janvier [www.voies-off.com]
À Aix, toujours de la photo, la Fontaine Obscure propose de plancher sur le thème
migrations, limite ultime juin 2010 [www.fontaine-obscure.com]
On en parlera sûrement dans Zibeline.
C.L.
Mirko Martin, prix Voies Off 2009 © Mirko Martin
Au Loup !
On ne dira que du bien de la programmation de la Galerie du théâtre
La Passerelle à Gap. La saison 2010 le confirme en ouverture avec deux
belles séries de Mireille Loup déjà célébrées sous d’autres enseignes.
Des enfants solitaires sont au centre de narrations oniriques,
parfois potentiellement hostiles.
Des bribes d’un conte très étrange pas vraiment très enchanté.
Rencontre avec l’artiste le 9 janvier à 10h. C.L.
Nocturnes-Sans titre#1
© Mireille Loup
Esquives et Nocturnes
Mireille Loup
du 9 janvier au 27 février
Galerie du théâtre La Passerelle, Gap
04 92 52 52 52
Plumes d’ange
ANGES 51-1998,
Daniel Gastaud
© galerie Huit
Daniel Gastaud est peintre et photographe. Mais depuis 1997, il a troqué la peinture
pour un matériau beaucoup plus volatile… Un fond de plumes blanches ou colorées collées
sur Plexiglas dans lequel il incruste des projections photographiques, composant une œuvre
sérielle sur la transparence, l’évanescence. Un hymne à la féminité, mystérieuse et sculpturale,
à (re)découvrir à la galerie Huit à l’occasion de la manifestation Drôles de Noëls.
M.G.-G.
Continuum…
Daniel Gastaud
jusqu’au 4 janvier
Galerie Huit, Arles
06 82 04 39 60
Sur les pas de César © Musée archéologique Fréjus
Sur les pas de César
Une exposition (César, le Rhône pour mémoire au Musée départemental
Arles antique) + une publication (un livre d’art scientifique plus qu’un
catalogue) + un itinéraire touristique et culturel (Sur les pas de César
proposé par le Comité régional de tourisme)... Ces «fragments de
mémoire» aiguisent la curiosité du public invité à faire étape dans 11 villes,
27 musées d’archéologie et d’histoire et 19 sites gallo-romains, du Rhône
à la Méditerranée… Même les inconditionnels de l’art contemporain seront
bluffés par l’exposition qui intègre le regard critique de l’artiste Mark Dion
sur le musée, ses collections et le travail des archéologues.
M.G.-G.
César, le Rhône pour mémoire
Musée départemental Arles antique
jusqu’au 19 septembre 2010
www.arles-antique.cg13.fr
29
Ligne de crête
Mario Prassinos disait souvent à propos des Alpilles «ce pays me dissèque
l’âme». Installé à Eygalières sur un coup de cœur qui dura de 1951
au 23 octobre 1985, date de sa mort, l’artiste a entretenu une liaison
particulière avec le paysage jusqu’à annoter sur son électrocardiogramme
«mon cœur dessine le profil des collines»…
À Aubagne, la Chapelle des Pénitents noirs fait entendre battre son cœur
à travers une série d’œuvres sur papier, Les Alpilles,
où la colline et le ciel ne font qu’un.
M.G.-G.
Ligne de crête
Mario Prassinos
jusqu’au 21 février
Chapelle des Pénitents Noirs, Aubagne
04 42 18 19 15
Ligne de crete, Mario Prassinos © X-D.R
L’art du trader
Cédric Mnich connaît bien le domaine de la finance et de ses marchés. Il y travaille.
Et en dehors de ses heures de boulot, il tente une réflexion personnelle pour construire
une esthétique inspirée des icônes d’un milieu dont il condamne les excès.
Greed Brothers est une de ses allusives fictions. Il faut aussi savoir investir dans l’art.
Dans la foulée l’expo suivante sera collective et sur le dessin, qui a de plus en plus la côte.
C. L.
In greed we trust/ En la cupidité nous croyons
Cédric Mnich
jusqu’au 2 janvier
Dessine-moi…
jusqu’au 27 février
Saffir, galerie nomade, Marseille
06 03 40 76 92
www.saffirgalerienomade.blogspot.com
Buy
© Cedric Mnich
Faux semblants
Les galeries Martagon (Malaucène) et Annie Lagier (L’Isle sur la Sorgue) proposent
une sélection commune de photographes jouant avec les apparences de l’image
et ses multiples mirages : P. Domergue, C. Fuillet, J-C Guillaumon, M-F. Lejeune, F. Nakache,
B. Pras, G. Rousse, H. Ufren, W. Skonieczny, H. Silvester. La photo ne dévoile pas (toute)
la vérité. Édition d’un portfolio de dix images format carte postale.
C. L .
Illusions photographiques
jusqu’au 3 janvier
www.galeriemartagon.com
www.galerieannielagier.com
Batiment de surveillance des crues, Saleilles, 2009 © Philippe Domergue
Santon diable
Santons sur l’appui
Bernard Plasse plaiderait-il subitement pour un art odieusement non contemporain, de surcroît
réputé bien ringard ? Est-ce un retour à la tradition de fin d’année, Noël, crèche et navettes ?
Ou bien en période de crise, une possible reconversion ? Au vu des artistes invités, la démarche
au pied d’argile échappe au traditionnel lourdaud : J.J. Ceccarelli, F. Clavère, A. Domagala,
P. Klemensiewicz, Mijares, S. Reno, L. Septier… C’est comme vous le santon.
C.L.
Santons
jusqu’au 3 janvier
Galerie du Tableau, Marseille
04 91 57 05 34
http://galeriedutableau.free.fr
30
CINÉMA
AFLAM | FESTIVAL TOUS COURTS
Que reste-t-il de nos espoirs ?
Femmes…
Cette interrogation hante
la plupart des films
sélectionnés par AFLAM
pour la semaine du cinéma
algérien qui s’est déroulée
du 1er au 6 décembre,
aux Variétés
En ouverture, deux films de Merzak Allouache, Omar Gatlato (1976) et Harragas
(2009).
1976 : une décennie après la libération
de l’Algérie. Déjà, on n’écoute plus les
récits de guerre enjolivés des anciens
combattants comme l’oncle d’Omar ; le
cinéma d’édification nationale né en 1958
dans les maquis laisse place à des œuvres
plus critiques. Tendresse amusée du réalisateur pour son
personnage, un petit fonctionnaire d’état à la vie aussi étriquée que ses chemises cintrées. Omar, le macho, n’osera
pas approcher Selma, la femme dont il est tombé amoureux
à travers ses confidences, enregistrées sur une cassette
tombée par hasard entre ses mains. Elle restera fantasme,
voix dématérialisée. Babel Oued est surpeuplé, les salaires
sont maigres, mais Alger rit, la bière coule aux terrasses des
bistrots et Omar cache ses chaussettes trouées sous des
bottes pointues.
2009 : Harragas, qui signifie «brûleurs», film témoignage,
-«message pour l’Algérie et l’Europe» a précisé le réalisateur- raconte une traversée d’Algériens qui fuient leur pays
au péril de leur vie. Le propos est fort mais les images trop
léchées et les personnages un peu stéréotypées. À
l’inverse, le premier court métrage de Rachid Bouchareb,
Peut-être la mer, en 1982, met en scène deux enfants de
Mascarades de Lyes Salem
Bobigny, d’origine algérienne, qui rêvent d’aller voir la mer
«de là-bas qui est si chaude !».
Regard distancé…
Entre les deux, les échecs d’un régime autocratique, la
montée de l’intégrisme, une décennie de terreur, crise
économique et politique… et exil de quelques cinéastes,
attachés à leurs racines qui portent sur leur histoire et la
société algérienne un regard distancé sans concession
variant approches et registres. Les Sacrifiés d’Okacha
Touita (1982) entre farce et tragédie, dérange en évoquant
les luttes fratricides des Algériens à Paris de 1955 à 1962.
La comédie satirique Mascarades de Lyes Salem (2007)
théâtralise les mensonges d’un fanfaron du bled. Les baies
d’Alger premier court métrage de Hassan Ferhani (2007)
prend de la hauteur pour filmer toits et fenêtres de la
capitale et capter avec malice des bribes de conversation.
Les figures féminines s’imposent. Les
tisseuses de tapis du village sud-oranais
de La citadelle de Mohamed Chouikh,
victimes de rites archaïques et humiliants.
La jeune Touchia du Cantique des femmes
d’Alger de Rachid Benhadj qui, en pleine
fièvre intégriste en 1991, malgré les pressions, veut témoigner d’un viol subi le jour
de la libération du pays, vingt ans auparavant. Et bien sûr, Louisa dans Bled
number one de Rabah Ameur Zaïmeche,
bouleversante Meriem Serbah qui interprète un blues de Billie Holiday à l’asile de
folles où l’ont menée le rejet de sa famille,
l’impuissance de Kamel la France revenu
au bled, et son obstination à vouloir chanter malgré l’interdiction de son mari.
En pleine ébullition
Dans les matins désenchantés restent les rêves entêtés
des hommes et des femmes, la volonté de réaliser des
films, d’interroger présent et passé, la pluralité des voix et
des regards, la vitalité du désir des artistes comme on a
pu le constater lors de la rencontre au Polygone Etoilé qui
a réuni Farouk Beloufa, le réalisateur de Nahla et de
jeunes créateurs, producteurs, organisateurs de Rencontres et de Festivals en Algérie. Les échanges, passionnants,
ont permis de dresser un état des lieux, d’évoquer les
projets, écoles de cinéma, résidences d’artistes, les difficultés, les rapports des jeunes cinéastes avec leurs
«anciens» et les institutions.
ÉLISE PADOVANI ET ANNIE GAVA
Trop court les courts !
Le Festival Tous Courts qui s’est tenu à Aix du 30
novembre au 6 décembre a permis au public de découvrir les pépites de cette 27e édition parmi les dix
programmes de la compétition.
On y a retrouvé des «habitués» : Blandine Lenoir qui
présente L’Honneur de Robert, tourné avec un téléphone portable, sans grand intérêt et Katell Quillévéré
qui continue à filmer l’adolescence. Olivier Smolders
poursuit sa réflexion sur les rapports entre les images et
la mort ; son dernier opus, Petite anatomie de l’image, a
suscité quelques réactions parmi le public de lycéens :
on peut éprouver une véritable nausée en le voyant disséquer, écarteler, kaléidoscoper, reproduire à l’infini,
telles des fractales, les images des écorchés de cire du
musée de La Specola, à Florence.
Les courts reflètent la violence du monde comme Cold
grove de Mihàly Schwechtie qui met en scène deux
ados marginaux, en Hongrie, vivant d’expédients ou La
Virée du Croate Dalibor Matanic, qui a obtenu le Prix
spécial du Jury. Métaphore de la violence morale faite
aux femmes iraniennes, Rough Cut de Firouzeh
Khosrovani a obtenu le prix Cinécourts.
Violence de la condition humaine, de notre société de
profit et de consommation avec l’inquiétant Next Floor
du Canadien, Denis Villeneuve, primé par le Jury
Jeunes. Violence dans la famille avec Beast de Lars
Arendt ou The Fireflies de la Russe Olga Shebunyaeva
que nous raconte un jeune garçon de onze ans.
Violence de la perte de l’innocence avec La Harde de
Kathy Sebbah, une partie de chasse initiatique,
superbement filmée, primé par Fujifilm. Violence de
l’adolescence meurtrie et meurtrière dans Écho du
La Virée © Zoran Mikinčič-Budin 2008
Polonais Magnus Von Horn, où on assiste à la reconstitution du crime commis par deux garçons sur une
jeune fille et à la confrontation avec ses parents :
terrible! Le jury auquel participait Laurent Lafran (voir
ci contre) lui a attribué le Grand Prix.
Le public, lui, a préféré un film plus léger au titre énigmatique, Bretelles, Pudding et Herbes Hautes de Simon
Lahmani : dans un parc surréaliste, sur un banc vert,
défilent des anonymes qui confient leurs amours ou…
leur mort. Le prix de la meilleure musique originale a été
décerné à Ils se sont tus de K. Benaissa et S. Messaoud. Quant aux nouveaux prix des télévisions, ce
sont L’Âge adulte de Pierre Daignière, tourné à
Aubagne, et Beast de Lars Arendt qui les ont obtenus.
Et les enfants ? Ils ont choisi Le petit Dragon de Bruno
Collet, une variation autour de Bruce Lee, et une
réflexion sur le devenir du jouet.
ANNIE GAVA
LES RENDEZ-VOUS D’ANNIE
CINÉMA
31
Les Rendez-vous d’Annie
Le 17 décembre à 20h00, le FIDMarseille et le cinéma
Variétés proposent le documentaire d’Olivier Zuchuat,
Au loin des villages. En avril 2006, 13 000 personnes de
l’ethnie Dajo, survivants de la guerre du Darfour, se réfugient
dans la plaine de Gouroukoun, à l’Est du Tchad, et y
construisent un camp. Olivier Zuchuat y a passé quelques
mois et a filmé cette survie, donnant la parole aux réfugiés.
La rencontre avec le réalisateur sera animée par JeanPierre Rehm, délégué général du FID
04 95 04 44 90
www.fidmarseille.org
Le 17 décembre à 20h, l’association
Cinépage propose au Cinéma Prado,
à Marseille, Lettres d’Iwo Jima de Clint
Eastwood, suivi d’un débat. Un film sur
le débarquement des Américains au
Japon, qui raconte les mêmes événements que La Mémoire de nos pères,
en adoptant le point de vue de soldats
et d’officiers japonais.
Au loin des villages d'Olivier Zuchuat
Les mardis de la Cinémathèque proposent, le 12 janvier, Landru de Claude Chabrol dont le scénario
et les dialogues sont de Françoise Sagan avec Charles Denner, Michèle Morgan, Danielle Darrieux,
Stéphane Audran, Marie Marquet, Raymond Queneau et Jean-Pierre Melville. Le 19 janvier ce sera La
Jeune fille de Buñuel.
Cinépage
04 91 85 07 17
Le 20 décembre à 18h30, au Daki Ling, projection de En
Catalogne, Pascal Comelade de Jean François Comminges,
en partenariat avec Videodrome et le GRIM.
Daki Ling, le Jardin des Muses
04 91 33 45 14
www.dakiling.com
La Cinémathèque de Marseille
04 91 50 64 48
www.cinememoire.net
Revoir l’année
Entre Sirk et Moretti
L’Institut de l’Image d’Aix finit l’année 2009 avec Douglas Sirk puisque la
programmation se poursuit jusqu’au 22 décembre ; l’occasion de (re)voir Celui
par qui le scandale arrive, Elle et lui, La Fille sur la balançoire, Le Temps d’aimer et
le temps de mourir et Tout ce que le ciel permet.
L’année 2010 démarre avec Nanni Moretti. De Je suis un autarcique, tourné en
super 8 en 1975 à Le Caïman en 2006,
on pourra voir une douzaine de films
Palombella rossa de Nani Moretti
de ce réalisateur pour qui «tout est
politique, surtout ce qui est personnel».
Chaque séance du samedi 16 janvier
sera animée par Eugenio Renzi qui a
été rédacteur aux Cahiers du cinéma et
a publié Entretiens avec Nanni Moretti
(Editions des Cahiers du cinéma, 2008).
04 42 26 81 82
www.institut-image.org
Du 20 au 26 janvier se tient le festival AFCAE - Télérama. Comme douze
cinémas de la région, l’Alhambra Ciné
Marseille vous donne l’occasion de voir
les films que vous avez «loupés» ou que
vous avez envie de revoir : Welcome de
Philippe Lioret, Harvey Milk de Gus
Welcome de Philippe Lioret © Film Distributions
Van Sant, Mary et Max d’Adam Elliot,
Irène d’Alain Cavalier, Still walking de
Hirokazu Koreeda, Les Herbes folles
d’Alain Resnais, Vincere de Marco
Bellocchio…
Pour connaître le programme, contactez les salles de votre ville : à Aix, Le
Renoir et Le Mazarin ; à Apt, le César ;
à Briançon, l’Eden Studio ; à Forcalquier, Le Cinématographe ; à Gardanne,
Le 3 Casino ; à Manosque, le Lido ; à
Nîmes, Le Sémaphore ; à Pertuis, Le
Lubéron ; à Toulon, Le Royal ; à Vaison-la-Romaine, le Palace.
Alhambra Ciné Marseille
04 91 46 02 83
www.alhambracine.com
32
CINÉMA
STELLA | ICI | PORTRAIT DE LAURENT LAFRAN
Un amour
E la nave va….
Si l’association MPPM n’a pu, en avril
2008, faute de subvention suffisante,
mettre en place le festival Reflets, elle
n’a pas pour autant cessé ses activités.
Un des derniers films qu’elle a présenté
en avant-première au cinéma Variétés le
20 nov, en présence de son réalisateur,
a été fort apprécié du public.
À juste titre. Strella est en effet un film
fort dérangeant, une véritable tragédie
grecque. Panos H. Koutras ayant demandé qu’on ne déflore pas le sujet du
film pour que les spectateurs arrivent
«vierges» à la projection, on n’en dira
rien… Cette histoire d’amour entre Strella,
une transsexuelle qui chante comme
la Callas, et Yiorgos, qui vient juste de
sortir de prison après quinze ans d’incarcération pour meurtre, renvoie aux
mythes de la Grèce antique. Strella est
interprétée magistralement par une
jeune transsexuelle, Mina Orfanou,
tout juste arrivée de Rhode : elle n’était
allée que deux fois dans sa vie au cinéma et n’avait aucune idée de ce qu’était
un tournage. Panos H. Koutras a eu
du mal à trouver un acteur pour jouer le
rôle de Yiorgos, les préjugés sur les
transsexuels étant tenaces! C’est
Yiannis Kokiasmenos, le mari de la
monteuse des ses films précédents,
Du 20 au 27 nov, l’Institut Culturel Italien de Marseille a présenté comme
chaque année un panorama de la production cinématographique italienne,
en particulier les films primés au Festival
d’Annecy. Présenté par J. C. Mirabella,
le film de Giuseppe Piccioni, Giulia non
esce la sera est un film ambitieux, formellement réussi tant au niveau de la
photographie que du montage et de
l’interprétation. Alors pourquoi n’éprouve-t-on que peu d’émotion ? Peut-être
parce que Piccione, abordant beaucoup
de sujets, se disperse un peu : le film
parle de la difficulté à communiquer, de
l’éclatement de la famille, de l’impasse
de la création, des difficultés de la maternité, de la solitude de l’être humain.
Resteront de magnifiques scènes dans
et au bord de la piscine, et la superbe
interprétation de Valeria Golino.
En revanche La Bella Gente, le deuxième
film d’Ivano de Matteo présent à l’Institut, a un propos qui interpelle et renvoie
chacun à sa propre hypocrisie. L’idée
lui est venue lors d’une soirée chez des
amis, intellectuels de gauche, qui discutaient, entre la poire et le fromage, de
jeunes immigrées qui se prostituaient
tout près de leur maison de campagne. C’est ainsi que sont nés les
Strella de Panos H. Koutras © Orphee Emirzas
qui, adorant le scénario, a accepté ;
tout comme les autres acteurs du film,
en particulier les transsexuels qui jouent
dans le film, il se donne corps et âme.
La scène où Strella et Yiorgos s’acceptent physiquement est superbement
éclairée, et d’une beauté troublante. Il
est rare de voir des films grecs en
France. Laissez- vous déranger par
celui-là !
ANNIE GAVA
personnages de Susanna (Monica
Guerritore) et Alfredo (Antonio Catania) : ils vont héberger Nadja, une jeune
Ukrainienne (Victoria Larchkenko)
qui se prostitue au bord de la route. Mais
l’arrivée du fils et sa liaison avec la «pute»
vont remettre Nadja sur la route… Le
film n’a pas encore de distributeur en
France. Souhaitons à Ivano de
Matteo d’en trouver un pour donne
une chance à ce film qui le mérite.
ANNIE GAVA
La bella gente © Franco Origlia
NOM : Laurent LAFRAN
Ce qui saute aux oreilles dès qu’on aborde Laurent,
c’est sa simplicité et son envie de transmettre sa
passion, l’amour de son métier… Peut-être parce des
gens l’ont un jour écouté, lui. Après des études un
peu chaotiques, c’est l’amour de l’outil, du bricolage
qui a sauvé Laurent Lafran. «J’étais incapable de me
concentrer. Issu d’une famille de manuels, j’avais envie
de capter, d’écouter et c’est très jeune, dès 11/12 ans
que j’ai commencé à faire des enregistrements.» En
terminale, il fait le mur pour aller voir un film et, renvoyé de l’internat, il décide qu’il ne peut que réussir
son bac pour ne pas revivre une année au lycée. Puis
c’est un IUT d’électronique. Plus tard, il fait un DESS
«écriture et réalisation». «C’est le cinéma qui m’a
sauvé» dit Laurent. Clin d’œil à François Truffaut ?
De ces années-là, il ne garde pas de très bons souvenirs, mais c’est peut-être là qu’est née son envie de
transmettre sa passion aux publics les plus larges
possibles. Ce qu’il a fait à St-Louis du Sénégal, à Alger,
à Lussas, à des adultes, à de jeunes enfants. «J’ai plaisir à transmettre le travail sonore pour essayer d’ouvrir
les yeux des oreilles !»
Deux rencontres ont marqué son parcours : celle de
Lucien Bertolina, co-fondateur du Groupe de Musique
Expérimentale de Marseille, qui l’a amené, adolescent
à la parole : «Il m’écoutait et j’ai appris à écouter et à
Laurent Lafran © Eric Catarina-Cinemed
Profession : ingénieur du son
Signes particuliers : passeur «politiquement concerné»
faire de vraies phrases. Toi, tu as besoin du geste, m’at-il dit ! Il m’a tout appris en me laissant faire et en étant
proche.»
La deuxième rencontre charnière est celle de Malek
Hamzaoui : il lui a permis de connaitre Robert Guédiguian et Humbert Balsan qui l’a fait travailler sur
des films intéressants comme Les Equilibristes de
Nikos Papatakis, Samia de Philippe Faucon, Intervention divine d’Elia Suleyman. «Avec Robert, c’est
20 ans de collaboration et 13 films !».
Laurent est exigeant. C’est sa rencontre à Paris avec
Pierre Schaeffer, Michel Chion et la musique
concrète qui a transformé sa vision du son. «Il s’agit de
mettre en scène des ambiances et pour qu’un ambiance soit montable, il faut qu’elle soit juste. Mais ce
n’est pas une démarche naturaliste. Mon travail consiste
à donner une retranscription du réel, à travers de la
matière sonore.»
Ses moments d’émotion ? Quand il a enregistré les
grands acteurs comme Jean Marais, Michel Bouquet
ou Michel Piccoli…
Et son plaisir ? Réussir à accompagner le metteur en
scène jusqu’au bout de son projet. «Le film est une
traversée ; on connaît l’itinéraire, un peu l’équipage mais
pour le reste on ne sait rien !»
ANNIE GAVA
OPÉRA
Noël à la Perrault !
Pour les fêtes de fin d’année l’Opéra de Marseille affiche un
délicieux conte de fée lyrique : Cendrillon de Massenet
33
Pagnol à l’opéra
Le rôle titre est tenu par une mezzo
franco-canadienne très prometteuse,
Julie Boulianne, alors que le Prince
est chanté par le jeune ténor mozartien Frédéric Antoun. On a plaisir à
retrouver également Marie-Ange Todorovitch et François le Roux dirigés
par Cyril Diederich.
JACQUES FRESCHEL
Marius et Fanny - La partie de cartes © X-D.R
Cendrillon
Les 23, 29 et 31 déc. à 20h
et les 27 déc. et 3 janv. à 14h30
Opéra de Marseille
04 91 55 11 10
www.marseille.fr
Julie Boulianne © Denis Kwan
Non ! Ce n’est pas la Cenerentola de
Rossini que Maurice Xiberras programme pour le «bout d’an» au théâtre
lyrique de la Place Reyer, mais un opéra en français, également tiré du conte
de Perrault ! Cendrillon de Massenet a
connu un succès considérable après
sa création en 1899. Depuis son passage à Marseille (en 1901 !), il n’y a
jamais été rejoué ! L’œuvre connaît
cependant un vif succès de par le monde, non seulement à cause de sa facture
musicale éminente (10 ans après Manon
Massenet était au sommet de son art),
mais aussi de par l’intérêt que les metteurs en scène actuels trouvent à
revisiter le récit à la lumière de l’histoire contemporaine.
C’est le cas du couple Renaud Doucet
(mise en scène et chorégraphie) et
André Barbe (décors et costumes)
pour cette production de l’Opéra de
Montréal. C’est que dans une société
matérialiste mue par les apparences
et le pouvoir de l’argent, la quête du
Prince Charmant et du véritable amour
demeurent ! Face à des idées progressistes d’émancipation féminine en
particulier, la fascination pour les princes persiste, comme une posture ancrée
dans les valeurs passées... On a hâte
de découvrir notre héroïne entourée
d’appareils ménagers, symboles d’une
société de consommation avide de progrès dans les années 1950, ses deux
sœurs en fashion victims, ou la fée
cathodique…
MUSIQUE
On se souvient de la création marseillaise de Marius et Fanny
de Vladimir Cosma avec Gheorghiu et Alagna. L’Opéra d’Avignon reprend l’opus avec la seconde distribution de 2007
Vladimir Cosma a composé des centaines de musiques pour le cinéma ou
la télévision. On a en mémoire les thèmes du Grand blond, de Rabbi Jacob,
Diva, La Boum, L’As des as, La Gloire
de mon père, Le Château de ma mère…
Son unique opéra est mu, dès le lever
du rideau, par une veine populaire.
Au rythme cadencé d’un cinq temps
asymétrique, la foule se masse sur le
Vieux-Port, aux pieds de grandes caisses
de bois en partance pour des contrées
exotiques… Le clocher des Accoules
pointe entre les mâts des navires dans
le décor «couleur locale» de Dominique
Pichou. Honorine tient son stand de
poisson, Panisse et Escartefigue jouent
aux cartes, bientôt rejoints par Monsieur
Brun. César (inénarrable Jean-Philippe
Lafont) pique un «pénéqué», alors que
Marius (Sébastien Guèze), qui sert
au Bar de la Marine… en pince pour la
jolie Fanny (Karen Vourc’h) !
Sommets belcantistes
Au Tyrol, la vivandière Marie, enfant abandonnée, est
recueillie par un régiment français. Aimée du jeune paysan
Tonio qui s’enrôle dans l’armée pour elle, La Fille du régiment s’avère être en réalité celle d’une marquise ! Mais
© F. Parenzan
elle doit apprendre les «bonnes manières» et choisir un
parti aristocratique… L’histoire, délicieusement naïve, n’a
d’autre pertinence que celle du divertissement. Son intérêt
réside dans les qualités théâtrale et vocale de la soprano
et le fameux air aux neuf contre-ut qui scella autrefois les
succès d’Alfredo Kraus ou Pavarotti… et celui aujourd’hui
de Juan Diego Florez ! Les abonnés nîmois profitent de
deux représentations de l’opéra le plus français de Donizetti, à Montpellier, dans une production du Teatro Verdi
de Trieste, avec Monica Tarone et Manuel Nuñez Camelino.
J.F
La Fille du Régiment
Le 27 déc à 15h et le 29 déc à 20h
Opéra Comédie de Montpellier
(aussi les 3, 5 et 7 janv.
dans le cadre de la saison montpelliéraine)
Théâtre de Nîmes
04 66 36 65 00
www.theatredenimes.com
La comédie sentimentale de Pagnol
est adroitement soutenue par des
effets symphoniques légers et tournoyants, obstinés et percutants : le
rire et le pathos sont au rendez-vous!
De surcroît, Marius et Fanny est un
véritable opéra, avec une ouverture,
du récitatif continu, des leitmotivs…
et des ficelles de métier, comme des
aigus judicieusement placés à l’issue
des airs, quelque habile cadence a
cappella et deux finals rondement
conduits… De quoi susciter l’enthousiasme du public en Avignon !
J.F
Marius et Fanny
Le 31 déc et 5 janv à 20h30
et le 3 janv. à 14h30
Opéra-Théâtre d’Avignon
04 90 82 81 40
www.mairie-avignon.fr
Bis repetita
Reprise de la nouvelle production de
Carmen pour la fin 2009, un mois
après les représentations de novembre (voir p.37). Le chef-d’œuvre
populaire de Georges Bizet retrouve
les planches de l’Opéra de Toulon
avec ses grands airs : L’amour est enfant de Bohème par la mezzo-soprano
Giuseppina Piunti, Toréador en garde
par le baryton Franco Pomponi et La
fleur que tu m’avais jetée par le ténor
Roman Shulackoff !
J.F
Carmen
Les 29 & 31 déc. à 20h
Opéra de Toulon
04 94 92 70 78
www.operadetoulon.fr
34
MUSIQUE
CONCERTS
Grands rendez-vous
L’année 2009 se termine à Aix par un
concert clôturant la session d’hiver de
L’Orchestre Français des Jeunes. La
phalange dirigée par Kwamé Ryan,
avec les fameuses Danses symphoniques de West Side Story et l’imposante
2e symphonie de Rachmaninov devrait
une nouvelle fois faire la démonstration de son immense talent (le 22 déc).
Au début 2010, Dominique Bluzet
fixe trois rendez-vous musicaux : en
sus de l’étrange spectacle musical et
burlesque pour tout public Le Cabaret
des Valises (le 15 janv, voir p 22), on
attend l’Hymne au soleil, concert conçu
par les frères Belmondo (sax et trompette) réunissant le jazz à l’univers
classique d’instrumentistes de l’Orchestre de Radio France et revisitant Ravel
ou Fauré (le 12 janv).
C’est enfin un immense violoniste que
l’on entend dans le Concerto de Beethoven. Augustin Dumay est accompagné
par l’Orchestre National de Lille (dir.
Jean-Claude Casadesus) qui interprète également L’Oiseau de feu de
Stravinsky et Ma mère L’Oye de Ravel
(le 19 janv).
J.F.
Grand Théâtre de Provence, Aix
Concerts à 20h30
04 42 91 69 69
www.legrandtheatre.net
Orchestre national de Lille © X-D.R.
Grèce
Nativité
Angélique Ionatos et Katerina Fotinaki mêlent
La tournée traditionnelle des Chants de Noël 2009 se poursuit à travers le département des Bouchesdu-Rhône. Ce sont des chants sacrés de la Nativité au Liban, avec la soprano Ghada Ghanem accompagnée
par Talal Haidar à l’oud ou au piano, l’atmosphère recréée des veillées italiennes par la Compagnie la
Zebra ou un Noël Jazz par Accoules Sax & Cie. C’est peut-être près de chez vous, dans différents quartiers
de Marseille, à Salon, Miramas, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Velaux, Le Puy-Sainte-Réparade, Aix-enProvence, Fos-sur-Mer, Rousset, Martigues… et c’est gratuit !
Chants de Noël du CG13 Jusqu’au 23 déc. Entrée libre.
Programme complet sur www.cg13.fr
leur voix et les cordes de leur guitare dans une
musique imprégnée des racines grecques, moderne,
sur une poésie en français nourrie par les mots des
grands poètes hellènes.
BRIANÇON. Le 8 janv. à 20h30
Théâtre Le Cadran.
04 92 25 52 52 - www.theatre-le-cadran.eu
Solstice
Russie
Baroque
Le festival Nuits d’Hiver s’achève à Montévidéo par Les Festes d’Orphée interprètent la Pastorale sur la Jacques Chalmeau connaît bien la Russie pour y
des concerts déclinant le thème «La musique, le
mot, la voix». Au menu : des musiques improvisées,
électro-rock, ou acoustique, percussions, DJ set,
documentaires… (voir p 41). Déjà mûr, le GRIM
achèvera donc sa trentième année dans la rencontre
de toutes les musiques expérimentales, actuelles
et improvisées… Ne manquez pas Louis Sclavis (le
16 déc), Raymond Boni (le 17), Symblêma (le
18) ou, pour conclure, le Bel Canto Orchestra qui
joue avec Pascal Pomelade (le 21)…
Louis Sclavis © Christophe Alary
>
MARSEILLE. Jusqu’au 21 déc.
04 91 04 69 59 - www.grim-marseille.com
naissance de N.S.J.C. du grand Marc-Antoine Charpentier et un Noël «pour l’année 1743» d’un maître
provincial ayant œuvré à Toulouse et Rodez (à
découvrir) : Bernard Aymable Dupuy. Les textes en
français sont déclamés «à l’ancienne» et les instruments (copies d’époque) sont accordés au diapason
baroque.
AIX. Le 20 déc. à 15h à l’Eglise du Saint Esprit
04 42 99 12 12 - www.concertsdaix.com
Bulgares
Polyphonies et chants sacrés de Bulgarie par le
quatuor vocal féminin Balkanes.
LES BAUX DE PROVENCE. Le 26 déc. à 16h30 –
Entrée libre
JADE/Cie : 04 91 52 90 45
avoir longtemps dirigé un orchestre. En janvier, à
la tête de l’Orchestre du Pays d’Aix, il met à l’honneur Tchaïkovski, Borodine, Moussorgski et Stravinsky
au Puy Sainte-Réparade (le 8 janv à 20h30), Fuveau
(le 9 à 18h), Saint-Cannat (le 10 à 17h), Simiane
(le 15 à 20h30), Aix (le 16 à 20h30 – GTP), Rognes
(le 17 à 18h), Pertuis (le 22 à 20h30, Peyrolles (le
23 à 20h30, Les Pennes Mirabeau (le 24 à 17h30),
Peynier (le 29 à17h). L’Orchestre des Pays d’Aix,
placé dorénavant sous la férule du Grand Théâtre de
Provence et non plus de l’association Aix en musique,
continuera donc de rayonner en Pays d’Aix, pour y
produire ces concerts gratuits, grand public, de
qualité, qui démocratisent la musique symphonique
auprès d’habitants désormais habitués à la visite…
Et qui se déplaceront ensuite jusqu’au grand théâtre pour y voir d’autres formations ?
PAYS D’AIX. www.agglo-paysdaix.fr
Couple
Emmanuelle Bertrand (violoncelle) et Pascal Opérette
Passionnément est une comédie musicale peu connue
Amoyel (piano) s’entendent à la scène comme à la
ville. Ils s’étaient produits avec succès, il y a sept
ans (déjà !), à la Société de Musique de Chambre
de Marseille. Ils ont depuis acquis des titres de
noblesse et reviennent dans un programme de
belles Sonates peu jouées de Saint-Saëns, Brahms
et celle, superbe, en sol mineur de Chopin… pour
inaugurer le bicentenaire de sa naissance en 1810 !
MARSEILLE. Le 5 janv. à 20h30
à la Faculté de Médecine.
Espace culture - 04 96 11 04 60
qui marque le retour, dans les Années Folles, d’André
Messager au genre léger dont Véronique avait scellé
le succès un quart de siècle plus tôt. La musique est
toujours très soignée chez ce musicien qui possédait une science très fine de l’écriture. Le livret
signé Maurice Hennequin et Albert Willemetz est basé
sur une intrigue amoureuse franco-américaine sur
fond de business et de yacht à Deauville…
AUBAGNE. Le 10 janv. à 17h au Théâtre Comœdia
04 42 18 19 88 - www.aubagne.com
35
Hommage à Barbizet
On est heureux d’apprendre deux choses ! D’une part que
l’association Marseille concerts, après des années de
sommeil, se réveille grâce aux baisers princiers et
conjoints de la direction du Théâtre du Gymnase et du
Conseil Général des Bouches-du-Rhône. D’autre part qu’un
hommage nécessaire et impérieux sera rendu au pianiste,
pédagogue et ex-directeur du Conservatoire de Marseille
Pierre Barbizet.
À l’occasion du 20e anniversaire de sa disparition brutale
le 19 janvier 1990, alors qu’un livre paraît à sa mémoire
(voir p 46), qu’on attend un coffret anthologique de la
maison de disques Lyrinx et un DVD produit par Les Films
du Soleil, on ne manquera pas les deux concerts prévus sur
la scène marseillaise.
Des anciens élèves, proches, amis, musiciens, pianistes ou
compositeurs se succèdent : Pierre Pradier, Anne-Marie
Ghirardelli, Marie-France Arakelian, Christiane
Berlandini, Philippe Rombi, Nicolas Mazmanian,
Edouard Exerjean (le 17 janv. à 15h), Evelina Pitti,
Nathalie et Fabrice Lanoë, Frédéric Aguessy, Ludovic
Amadeus Selmi, Bernard D’Ascoli, Philippe Giusiano,
Laurent Korcia et Thuy Anh Vuong… on espère même
retrouver Hélène Grimaud en pleine forme (le 19 janv.
à 20h30).
JACQUES FRESCHEL
MARSEILLE
Théâtre du Gymnase
0820 000 422
www.lestheatres.net
Pierre Barbizet © X-D.R
1685
Clarinette
Vingt ans !
Paul Meyer se joint à l’orchestre Philharmonique Bruno Carella dirige l’Orchestre de l’Opéra dans le Après une conférence «Nés la même année…1685»
de Marseille pour le Concerto n°1 de Weber. Gabriel
Chmura dirige également l’«ouverture fantaisie»
Roméo et Juliette de Tchaïkovski et la Suite n°2 de
L’Oiseau de feu de Stravinsky.
Paul Meyer © X-D.R.
>
MARSEILLE. Le 10 janv. à 17h à l’Opéra
04 91 55 11 10 - www.marseille.fr
Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et la
7e symphonie de Beethoven. La toute jeune violoniste
russe Alexandra Soumm (20 ans !) se joint à la phalange varoise pour le fameux Concerto de Sibelius.
TOULON. Le 14 janv. à 20h30 au Palais Neptune
04 94 92 70 78 - www.operadetoulon.fr
National
A 23 ans, Jean-Frédéric Neuburger est déjà une
valeur sûre du piano français. Virtuose émérite ayant
enregistré dès 16 ans l’intégrale des Etudes de
Chopin, a vu en quelques années sa carrière exploser.
On le retrouve pour un «Week-end Musique française» au Méjan dans Ravel et Messiaen en solo (le
15 janv. à 20h30) et en formation de chambre
pour Debussy et Chausson (le 17 janv. à 11h).
ARLES. Chapelle du Méjan.
04 90 49 56 78 - www.lemejan.com
Vivaldi
?
Les six Sonates op.13 d’«Il pastor fido» de Nicholas
Chédeville, attribuées à tort à Vivaldi, sont jouées
par Jean-Louis Beaumadier (piccolo) et le Concert
Buffardin : Hervé Issartel (Basson), Christine
Lecoin (clavecin), Catherine Villard (violoncelle)
et Alexandre Regis (percussions) pour un de ces
concerts intimes de Musique de chambre au Foyer.
MARSEILLE. Le 16 janv. à 17h à l’Opéra
04 91 55 11 10 - www.marseille.fr
>
«Patkop»
Dernièrement, la presse allemande s’est emballée pour elle : «son jeu est une gifle pour les nouvelles
violonistes sur papier glacé» a-t-on lu dans Die Welt. Le phénomène Patricia Kopatchinskaja (surnom
«Patkop» !) touche désormais la France ! Avec le pianiste turc Fazil Say, autre électron libre du circuit
musical, la violoniste noue des liens privilégiés. On les retrouve en duo dans la Sonate « A Kreuzer » de
Beethoven, les Danses folkloriques roumaines de Bartok, la Sonate n°2 de Ravel et l’opus 7 de Say
(himself !).
AVIGNON. Le 12 janv. à 20h30
Opéra-Théâtre
04 90 82 81 40- www.mairie-avignon.fr
(le 13 janv. à 17h à la Bibliothèque l’Alcazar à
Marseille) par les musiciens de l’ensemble Baroques
Graffiti, un cycle sur Bach, Haendel et Scarlatti
débutera par des Sonates du Kantor de Leipzig.
Sharman Plesner (violon) et Jean-Paul Serra
(pianoforte) se produiront à Marseille, Aix et Arles
pour ce premier volet.
AIX. Le 14 janv. à 18h & 20h30
au Musée des Tapisseries.
MARSEILLE. Le 15 janv. à 20h30
à la Villa Magalone.
ARLES. Le 22 janv. à 20h
au Temple réformé.
Jean-Louis Beaumadier © X-D.R.
36
MUSIQUE
CONCERTS
Quand le sonore
Le combat des chefs
s’honore…
Une œuvre du répertoire telle que la Symphonie
pastorale de Beethoven est tant de fois entendue
qu’elle nécessite une interprétation exceptionnelle.
Celle de l’orchestre de Montpellier, sans être terne,
fut simplement agréable : le pupitre des cordes,
démesuré par rapport aux bois, rompait un peu
l’équilibre d’ensemble, malgré les belles couleurs
d’orchestre trouvées par Cristian Mandeal dans le
3e mouvement, sonorités champêtres, à l’image de
l’esprit de l’œuvre.
Et Nicholas Angelich entra en scène ! Le pianiste,
avant même d’attaquer les premières notes du
premier concerto pour piano de Brahms, mit
l’orchestre à son diapason. L’énergie du premier
mouvement, toute en fragilité, se cristallisa sous
ses mains et absorba en son centre le reste de
l’ensemble ! L’adagio, avec ses mélodies acérées, à
la limite de la rupture avec l’accompagnement,
permit au pianiste d’étaler l’étendue de sa palette
sonore. Le maître inventa de nouveaux timbres,
indicibles. Le bis, «le poète parle» de Schumann
subjugua l’auditoire ! L’espace d’un instant le temps
se mua en éternité…
CHRISTOPHE FLOQUET
Nicholas Angelich © Stephane de Bourgies
Le quatuor Ebène défiait Beethoven dans l’enceinte
bondée du GTP. Chocs de matériaux ! Quand le bois
noir et dur de l’ébène, du quatuor éponyme, se
frotte à la minéralité des quatuors 7 et 14 de
Beethoven, le résultat est sans appel : d’une
brutalité cristalline et d’une tendresse abrupte.
L’homme de Bonn semble avoir délaissé dans ces
pièces aux arêtes saillantes sa plume au profit du
poinçon pour marquer du sceau de la modernité
l’histoire du genre. Les mélodies diatoniques,
éparses, violentées par les assauts barbares des
archets, courbèrent l’échine, plièrent sans rompre
pour former un maillage d’une intensité rare. Le
quatuor, vif, complice, impétueux, délicat, fit
sourdre tout l’univers schizoïde du compositeur
allemand. La texture contrapuntique complexe du
quatuor en ut dièse défila sous leurs doigts,
sculptant l’espace sonore dans un ballet d’archets.
Les deux œuvres du maître, sublimées par cette
Quatuor Ebène © Julien Mignot
interprétation lumineuse, brillent encore dans
l’enceinte cristalline du Théâtre de Provence.
CHRISTOPHE FLOQUET
Vive l’opéra sans opéra
(avec aussi, ceci dit) !
L’opéra de Marseille a proposé des programmes pour
le moins intéressants, hors opéra ! Côté musique de
chambre au foyer (le 21 nov), les Musiques Latines
pour voix et quatuor à cordes ; et côté Philharmonique, deux concerts mémorables : les suites 1 et
2 adaptées de l’Arlésienne de Bizet et la Symphonie
Fantastique de Berlioz le 29 nov, et un programme
italien le 11 déc, respectivement sous la direction
de Jean-Claude Casadesus et Claudio Scimone.
L’irréprochable ténor Marc Terrazzoni l’avait annoncé : la soprano Garance Castanié, le Quatuor du
Parvis et lui-même n’ont pas toujours l’occasion
d’aborder un répertoire directement inspiré du folklore espagnol : les extraits de Zarzuelas de Torroba,
Pablo Luna et Zorozábal furent cependant exécutés
avec panache ! On retiendra l’interprétation passionnée d’un extrait des Goyescas de Granados. Garance
Castanié balançant parfois quant au ton à adopter,
particulièrement difficile à trouver pour une interprète
féminine : tantôt imprégné de musique populaire,
tantôt très proche de l’opéra.
Les Concerts Philharmoniques n’ont pas non plus déçu:
quel plaisir d’entendre l’Arlésienne aussi bien menée!
Que de sourires à l’entracte, après la conclusion en
canon de la Marche des rois ! On fut également terrassés par la force de la Symphonie Fantastique.
Quelques décalages dans les ralentissements et un
certain manque de netteté dans les aigus côté violons, notamment ? Mais les montées d’intensité furent
rendues à merveille par la puissance de Casadesus.
La direction de Claudio Scimone, plus fantaisiste,
s’est avérée brillante, malgré une certaine prise de
risques. On fut étonné, lors de l’exécution du Concerto
pour mandoline de Vivaldi, de ne le voir accorder que
quelques regards au soliste Ugo Orlandi. On ne
constata cependant pas de décalages ! Sans doute
grâce à la cohésion de l’Orchestre Philharmonique,
moins étoffé que deux semaines auparavant, qui
s’est admirablement prêté au jeu. Il s’est un peu per-
du, et on le comprend, dans certains passages du
Concerto pour Clavecin de Galuppi. L’interprétation,
au clavier cette fois, de Claudio Scimone, s’avérait
très pertinente mais laissait peu de repères ! Admirable dans le baroque tout comme dans Boccherini
et Cimarosa, le chef padouan a achevé le programme sur la Symphonie n°60 de Haydn, dite du Distrait,
qu’il «interpréta», par endroits, en faisant mine de
répondre au téléphone, de trop contempler sa
violoniste… Ce plaisir évident et la complicité de
l’Orchestre ont merveilleusement conclu le concert,
et une année 2009 riche de bonnes surprises.
SUSAN BEL
Garance Castanié © X-D.R.
37
Une Carmen de plus...
On ne présente plus l’opéra de Bizet tant il s’agit
d’une œuvre lyrique parmi les plus jouées de par le
monde. Sur le récit réaliste de Mérimée, drame passionnel se déroulant dans une Andalousie de carte
postale, plus rêvée que réelle, le livret met en scène
les contradictions de la passion et de la liberté, et
le destin qui s’abat dans un final pathétique qui choqua le public lors de la première représentation en
1875.
L’histoire peut paraître désuète, mais force est de
constater que la musique n’a pas perdu sa saveur.
Lors de la première de cette nouvelle production à
l’opéra de Toulon, l’orchestre et les chœurs renforcés pour l’occasion, réunis sous la baguette experte
et pleine d’énergie de Giuliano Carella ont livré
une version relevée de cette partition qui contrastait
avec une mise en scène un peu statique, étriquée
et manquant de théâtralité.
Le constat est malheureusement identique concernant la distribution vocale des deux rôles principaux:
Giuseppina Piunti s’est acquittée de Carmen avec
grâce mais sans l’audace nécessaire pour émouvoir
l’auditoire tandis que Roman Shulackoff souffrait
d’une diction très approximative du français qui rendait les interventions de Don José inintelligibles et
pénalisaient ainsi la crédibilité du personnage. Heureusement les mélomanes pouvaient se réjouir des
seconds rôles dont la distribution était parfaite à
l’image de la soprano Nathalie Manfrino éblouissante dans l’air de Micaëla au début du troisième
acte.
EMILIEN MOREAU
© Frédéric Stephan
Carmen a été jouée
à l’opéra de Toulon
les 27 et 29 nov
et repris les 29 et 31 déc
Romeo et prodige
L’histoire de Roméo et Juliette est connue depuis le
XVIe siècle, et bien que magnifiée par Shakespeare
il faut attendre le XIXe siècle pour que l’œuvre devienne opéra : le mythe des amants éternels prend tout
son sens à l’époque Romantique où les sentiments
sont exaltés, et les compositeurs y trouvent leur inspiration. Trois ouvrages se partagent la scène : le
Roméo et Juliette de Berlioz (1839), celui de
Gounod (1867) et enfin Les Montaigu et Capulets de
Vincenzo Bellini sur un livret de Felice Romani
d’après la pièce de Luigi Scevola.
Cette tragédie lyrique en deux actes, représentée
pour la première fois en 1830, s’inscrit dans la
lignée du bel canto italien : les mélodies sont simples,
ornées par endroits, profondes.
C’est dans une mise en scène aux décors et costumes
évolutifs que cette nouvelle production a été créée
en Avignon les 22 et 24 nov : Nadine Duffaut (mise
en scène), Katia Duflot (costumes) et Emmanuelle
Favre (décor) ont voulu que «des couleurs plus chaudes
symbolisant des ruines renaissance soient petit à
petit recouvertes par l’univers du béton, jusqu’à ce que
les toiles disparaissent totalement, remplacées par du
béton ensanglanté…»
Avec une distribution jeune et talentueuse, le jeu et
la voix sublimes de Karine Deshayes interprétant
Roméo, le drame a touché les cœurs jusqu’au bout,
jusqu’à ce que «Le soleil se voile la face de douleur.
Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que
celle de Juliette et de son Roméo» (Shakespeare).
Virtuose !
Quelques jours plus tard, le 11 déc, c’est sous un tonnerre d’applaudissements que s’est achevé le concert
donné par l’Orchestre d’Avignon dans la grande
salle du Tinel du Palais des Papes. Dans ce cadre
somptueux furent jouées, en première partie, la
Siegfried Idyll de Wagner, que le compositeur offrit
à sa femme Cosima pour le Noël de l’année 1870,
puis les Danses concertantes de Stravinski, créées
en 1942 sous la direction du compositeur. De très
belles œuvres, interprétées avec talent. Mais la
seconde partie de soirée fut véritablement enthousiasmante : le Concerto pour violon de Dvorak (1879)
fut interprété avec fougue et brio par un jeune
musicien tchèque, Pavel Sporcl : dans la salle, de nom-
© Cedric Delestrade-ACM-Studio
breux lycéens n’ont pu réprimer leur enthousiasme…
qui s’étendit rapidement à l’ensemble du public ! Le
second bis qu’il donna confirma son talent et son
son magnifique : les Caprices de Paganini ne pardonnent pas, et font partie de ces rares pièces qui
nécessitent une grande virtuosité évidente, mais
qui ne se perd pas dans ses démonstrations. Pavel
Sporcl a trouvé en Avignon comme partout son
public, et débute décidemment une belle carrière !
CHRISTINE REY
Bouquet romantique
On dit souvent que la musique conserve, que cette
activité artistique entretient la jeunesse. À 82 ans,
le chef d’orchestre Serge Baudo illustre l’adage.
Certes, le geste n’a plus l’aisance d’antan, mais une
direction pointilliste dans la 1re symphonie de
Beethoven s’est avérée, au final, d’une belle efficacité. L’Orchestre de l’Opéra de Toulon a dessiné
avec clarté un matériel thématique empreint des
vertus viennoises, mais ouvrant des brèches dans
l’esthétique classique. Pour ce travail estimable, les
instrumentistes ont recueilli une belle ovation… tout
comme la pianiste Marie-Josèphe Jude après que
les derniers accords du magnifique Concerto de
Schumann ont fini de résonner ! Son interprétation
romantique, débarrassée d’alanguissements parasites, a fait mouche, ainsi que dans l’émouvant
Intermezzo op.118 n°2 de Brahms joué en bis.
Quant au chambriste Siegfried Idyll wagnérien placé
en ouverture, en dépit d’une intimité avouée, il a
sonné un peu froidement du fait d’une acoustique
un brin sèche faisant se perdre en fond de scène les
pupitres des vents.
JACQUES FRESCHEL
C’était au Palais Neptune
le 3 déc. à Toulon
38
MUSIQUE
CONCERTS
Haendel avait 20 ans
L’Abbaye accueillait, en ce 43e Festival, Martin Gester et une formation
issue du Parlement de Musique qu’il
dirige depuis 1990 : formation exceptionnelle, discographie étonnante. Un
programme consacré au jeune compositeur aiguisant ses armes en Italie.
Un premier Motet : O qualis de coelis
sonus chanté par la soprano argentine Mariana Florès, rompue aux joutes
baroques dans les Festivals les plus
réputés (le redoutable Motezuma de
Vivaldi à Mexico). Une voix souple,
une vraie aisance dans les vocalises
et les ornements des passages Da Capo.
Dans le Salve Regina, la soprano joue
sur le mezza di voce avec beaucoup
de sensualité : note piano qui se renforce progressivement pour revenir à
la nuance initiale, sur un magnifique
tuilage des deux violons. L’accompagnement est réalisé par Gilone Gaubert
et Caroline Gerber, violons, ainsi que
par le continuo Patrick Langot, vio-
sitif. Son jeu brillant (Corrente) puis
plus retenu (Larghetto) fait entendre
toutes les sonorités de cet instrument
baroque. Une sonate à trois (deux violons, orgue positif et violoncelle)
rappelle les Suites de danses : mouvement lent dans l’esprit français, allegro
fugué plus germanique et un allegro
final séduisant, typiquement italien.
Les musiciens attaquent, piquent, phrasent. Puis le motet Gloria in excelsis deo
exalte la foi en vocalises… Décidément la musique de Haendel, toujours
vivifiante, est un jet incessant d’énergie positive.
YVES BERGÉ
Mariana Florès © Marie-Emmanuelle Bretel
loncelle, et Martin Gester lui-même à
l’orgue positif.
Les passages fugués ou plus homophones, les variations de nuances et
de caractères, dans le concerto pour
orgue qui suit, démontrent la grande
qualité de ces musiciens. La deuxième
partie démarre par une Suite pour orgue
solo d’après des Ouvertures, extraits
d’opéras et oratorios, et pièces pour
clavier. Martin Gester semble aussi à
l’aise au grand orgue qu’à l’orgue po-
Le Parlement de Musique a joué
Haendel en Italie dans le cadre
du 43e Festival de Musique
de Saint-Victor
Question de cadres ?
Brillante matinée aux couleurs de l’Europe ! L’ensemble de
chambre des Solistes du Pays d’Aix, sous la direction de Noël
Cabrita dos Santos, a transporté le public de Simiane. Interprétation enlevée du double concerto pour flûtes en ré mineur
de Doppler, avec Jean Marc Boissière et Stéphanie Alvado,
le maître et l’ancienne élève, dans un même élan et une belle
complicité : belles notes tenues, et mêmes respirations aussi
dans le superbe duo avec la harpe de Sylvie Laforge. Les thèmes
se croisent, se nouent avec finesse, élégance. Sur la nappe
sonore soutenue par les cors et les violoncelles les flûtes
papillonnent, un bébé répond dans la salle de ses gazouillis,
harmonie… La jeune concertiste Mi Yong Lee dialogue avec
l’orchestre, virtuosité spirituelle, espiègle, jeu délié, belles
cadences, pour le concerto n° 9 en mi bémol majeur de Mozart.
Enfin, le violon de Jeanne Christie et le piano d’Evelina Pitti
servaient le concerto de Mendelssohn écrit pour leurs instruments avec la maîtrise d’artistes au sommet de leur art, cette
pièce de jeunesse (composée à 14 ans !) à l’inspiration ardente
et emportée.
Violoncellissime
Boccherini, Schubert, Franck, Chopin, sonates, pour piano et
violoncelle, introduction et polonaise en do majeur (opus 3)…
Patrice Laré et Velitcha Yotcheva © X-D.R
Programme ambitieux s’il en est ! Le pianiste Patrice Laré et
la violoncelliste Velitcha Yotcheva ont accompli une remarquable performance, dans la belle salle voûtée du musée des
Tapisseries. Même si, à quelques rares moments, la fatigue se
faisait sentir, avec un son qui parfois blanchissait, les talentueux instrumentistes ont captivé la salle : passages de haute
virtuosité, doubles cordes du violoncelle, son délicat, fragile
et sûr à la fois, dans un beau travail sur la chanterelle. Le courage d’un superbe rappel aux accents d’Offenbach… un élan
puissant qui a déclenché une ovation plus que méritée. Le
violoncelle dans tous ses états, annonçait le programme… nous
en avons goûté les meilleurs…
Décevant
Comment avec de bons instrumentistes et des partitions sublimes
obtenir un concert décevant ? C’est pourtant ce qui ressort
de la prestation donnée le 28 nov dans la salle du Casino de
Trets. Bien sûr, la sourde inquiétude qui habite l’univers de
Mahler était rendue sensible, (quatuor en la mineur), ainsi que
l’alternance de passion et de résignation du quintette en mi
bémol majeur (op. 44) de Schumann, de même que les envolées
échevelées tempérées par des notes fragiles au bord de l’épure,
le velouté pailleté du quintette en fa mineur (op. 34) de Brahms.
Mais la balance des sons étouffait les uns, déséquilibrait l’harmonie de l’ensemble, faisait rendre un son détimbré aux
violons, isolait ce qui devait composer une unité sonore. Si
bien que malgré des interprètes d’exception (mais inégaux),
Elena Nogaeva et Michel Bourdoncle au piano, Sophie Baduel
et Michel Devert aux violons, François Baduel au violoncelle,
Frédéric et Marie-Noëlle Sailly aux altos, le public est resté
froid.
Il serait sans doute judicieux d’aménager différemment les
lieux pour de tels concerts : en musique le cadre acoustique
n’est pas du décorum.
MARYVONNE COLOMBANI
Ces concerts ont été donnés les 15, 21 et 28 nov
à Simiane, Aix et Trets,
dans le cadre des Nuits Pianistiques
La Croix
et la
Manière
C’est avec Haydn que s’est clôturé le
Festival de Saint-Victor le 3 déc. Sous
la baguette agile et investie du chef
André Bernard, le Chœur Régional Vocal
Provence et l’Orchestre de Chambre
de Toulouse ont donné les très attendues Sept Dernières Paroles du Christ
sur la Croix dans la forme oratorio,
dernière mouture du compositeur.
Homogène et d’un bon niveau, le
quatuor de solistes a délivré avec
émotion et spiritualité cette œuvre
expressive du temps pascal. Comme
un temps étiré et douloureux, les sept
parties aux tempi calmes précédées
par la psalmodie du chœur a cappella
ont débouché avec maîtrise sur l’époustouflant tremblement de terre massif
et puissant qui suit le dernier souffle
du Christ.
En préambule, la 104e symphonie du
père du genre avait ouvert ce beau
concert par de jolies couleurs malgré
un certain manque de corps dans cet
opus qui annonce Beethoven.
Plébiscité par un auditoire nombreux
et conquis, le Festival de Saint-Victor
s’est ainsi conclu de manière
éclatante.
FREDERIC ISOLETTA
39
Voyage vers nous
Le chœur de chambre les Eléments a
fait voyager les 800 auditeurs des
Salins au chœur de l’Europe Centrale
Les Elements © Michel Garnier
Question de
programmes !
Poncifs…
Avec la 8e biennale internationale de Quintette à
vent, au GTP le 19 novembre, on attendait un
souffle d’originalité, d’inventivité, de création…
Deux formations, inégales, le quintette à vent de
Marseille et le quintette Moragués se donnaient la
réplique, ou unissaient leurs voix sur des
arrangements de Mozart, Schubert, Mendelssohn,
Bizet et Jean Français, seul compositeur moderne,
dont les danses étaient écrites véritablement pour
le quintette à vent. L’exécution irréprochable du
quintette Moragués laissait le l’auditeur sur sa faim.
Comment, avec tant de talent, peut-on se
contenter de ressasser les mêmes partitions ? Quel
intérêt que cette énième version de Carmen ? Ne
serait-il pas plus intéressant et plus courageux de
présenter et défendre des auteurs contemporains,
de susciter des créations lorsqu’on bénéficie d’une
renommée internationale ?...
Sublimissime
Le concert de clôture du festival, atypique, était
donné à Meyreuil le 26 nov. Clara Kastler au piano,
(un Steinway, les deux pianistes les emmènent sur
toutes les routes du monde) accompagnait le
quintette à vent de Marseille. Cette formation qui
avait tant déçu au GTP était transformée ! Un jeu
précis, des sons veloutés, une interprétation
enlevée… dans le quintette pour piano, hautbois,
clarinette, basson et cor. Puis, vint la magie des
deux pianos : Hubert Woringer rejoignait sa
partenaire sur scène avec une simplicité, un amour
de la musique tangible… La romance (extraite de
l’opus 17) de Rachmaninov, brillante, virtuose, et
les tableaux d’une exposition de Moussorgski furent
une démonstration de musicalité. Pas de concours
de virtuosité mais une entente subtile, un passage
de relais, un dialogue. Au public clairsemé mais
enthousiaste les artistes ont accordé un bis, le 3e
mouvement de la 3e symphonie de Brahms. Un
cadeau extatique.
MARYVONNE COLOMBANI
L’Invitation au voyage était historique et partait de
Schubert, Schuman et Brahms, pour aller vers Bartok,
Dvorak, Stravinsky, et Ligeti. En commençant par
des pièces romantiques profanes pour chœur, que
l’on a peu l’habitude d’entendre, les chœurs étant
souvent à cette époque associés à des répertoires
religieux, tandis que les cycles de la musique
profane vocale sont généralement pour solistes.
Des pièces, donc, que les auditeurs n’avaient pas
forcément dans l’oreille et dont ils découvrirent le
lyrisme élégiaque, les couleurs sombres, les tourments… magnifiquement mis en relief par un
ensemble à la prononciation allemande limpide,
dirigé par un chef qui sait faire surgir des voix
chorales des nuances infinies…
La deuxième partie, moins monochrome fit entendre quelques merveilles à un auditoire emporté par
les accents les plus contemporains… ce qui devrait
encourager les programmateurs à se montrer moins
frileux ! Les Eléments savent avec une science
indéniable manier les techniques contemporaines
de la voix, ses souffles, timbres, frottements, percussions. Sublimes dans les Quatre chansons
paysannes de Stravinsky, sorte de version concentrée et plus tendre de ses Noces ; époustouflants
dans les Ligeti, qui posa sa Nuit comme un terme
inouï à ce Voyage qui se conclut grâce à lui en
Hongrie : sur des terres lointaines, mais qui
sonnent comme un univers intérieur.
A.F.
Wagner rêveur !
Dernière étape du cycle Musique et Poésie, initié par le Consul Général
d’Allemagne : les Wesendonk Lieder de Wagner
Il fallut une demi-heure au comédien Michael
Zugowski pour remettre en contexte la genèse de
l’œuvre, avec le romanesque dont il sait faire
preuve: lors de son séjour en Suisse, Wagner s’était
lié d’amitié avec les époux Wesendonk, et avait
nourri malgré lui un «amour absolu», dit-il,
pour Mathilde Wesendonk. Cette passion
contrariée s’était conclue par la mise
en musique par Wagner de poèmes
de cette dernière. Deux de ces cinq
Lieder furent réutilisés dans ce
qu’il considéra comme son meilleur drame musical, Tristan et Iseult.
Si l’on reconnait bien la (lourde ?)
vigueur mélodique du compositeur
dans ses passages les plus enflammés, si les enchaînements d’accords
au piano par Nina Uhari (remarquable dans ce répertoire !) s’avèrent
par endroits démonstratifs, on
découvre une finesse dans le
traitement de l’attente, de la
rêverie ou même une sorte
de douleur, peu com-
mune aux opéras wagnériens. Finesse très bien
rendue par la mezzo colorature Christine Kattner,
dont la voix particulière a su donner une âme à ces
trois rencontres allemandes.
SUSAN BEL
Nina Uhari © X-D.R.
Flûtes qui flottent
Étrange concert que ce dernier programme des
Festes d’Orphée autour d’Haendel. Petit effectif :
Guy Laurent et Jean-Michel Hey à la flûte à bec,
Annick Lassalle à la viole de gambe et Corinne
Bétirac au clavecin. Le concert eut lieu dans la
Chapelle de Sainte-Catherine, plus intimiste que
l’Eglise Saint Laurent dans laquelle l’ensemble aura
donné ses concerts flamboyants. Si l’on put
apprécier l’interprétation brillante de la Chaconne
en Sol Majeur ou de l’Harmonieux Forgeron au
clavecin, et si la solidité de la basse continue fut
évidente, on tiqua quelque peu à l’écoute des
sonates, trios ou de cette transcription du Concerto
op 4 n°6 où les flûtes intervenaient davantage. De
nombreuses flottements dans la justesse,
notamment lorsque Jean-Michel Hey doublait Guy
Laurent à la tierce, plusieurs aspérités dans les
aigus gâchaient une musicalité visiblement au
rendez-vous et un travail plus que sensible sur les
subtilités de langage du compositeur. Quel
dommage ! La science musicale manqua-t-elle ce
soir-là d’un peu d’oreille ?
S.B.
40
MUSIQUE
CONCERTS
Nuit de ouf !
cune de ces séquences, le Quatuor
Voce présentait une pâte inspirée
dans l’op 80 de Mendelssohn à la fin
très acrobatique. L’op 41 n°3 de Schumann nous a semblé moins convaincant
dans l’alliage des tessitures. A 21h,
préparé par La bénédiction de Dieu
dans la solitude aux étranges harmonies Lisztiennes soulignées par
Engerer, la communion musicale opérait dans le scherzo du quintette de
Schumann avec Diluka. Dernière
folie: c’est une Engerer héroïque qui
a vaillamment mené Voce dans la
transcription de l’accompagnement
du Concerto en fa mineur de Chopin.
Pas de bis ? Ouf !
Inspirée par la Folle journée de
Nantes de René Martin, La Folle Nuit
du théâtre de Nîmes présentait une
succession de cinq concerts d’une
heure, échelonnés de 15h à minuit.
Cette solution privilégiait un public
large à défaut de combler une petite
frange d’inconditionnels qui désiraient une nuit complète, mais furent
repus par deux quatuors, un quintette,
des Nocturnes et autres pièces introspectives précédés d’une Ballade
suivie de quelques Romances sans paroles le tout conclu par un concerto.
Ouf !
Sombre fut également la destinée des
compositeurs romantiques à qui ce
concert rendait hommage sous le
titre Génération 1810 : si la folie fit disparaître
Schumann, c’est la maladie qui faucha deux génies
précoces, Chopin et Mendelssohn, au seuil de la
quarantaine.
C’est Shani Diluka qui révélait les accents de révolte polonais et les échos de la poésie de Mickiewics
dans un commentaire figuraliste de la 4e Ballade de
Chopin, encadrée par deux interprétations passionnées. Brigitte Engerer y répondait avec des pièces
Quatuor Voce © X-D.R.
du recueil des Harmonies poétiques et religieuses de
Liszt au sein desquelles Funérailles sonnait le glas
de la révolution hongroise.
La Sérénade de Schubert transcrite par le virtuose
Hongrois et quelques Romances sans paroles de
Mendelssohn apportaient un peu de légèreté à
l’image de la Fileuse évoquée par les doigts agiles
de Diluka faisant néanmoins sonner Chopin sans
retenue dans les Nocturnes et Valses. Concluant cha-
P.-A. HOYET
La Folle Nuit
a eu lieu au Théâtre de Nîmes
le 5 déc
Tchèque Point
Non, il ne s’agit pas de Rostropovitch qui jouait 20 ans plus tôt à Check Point
Charly pour célébrer la réunification. Il s’agissait, au Méjan à Arles, de faire
sonner une autre histoire, celle du peuple Tchèque à travers sa musique de
chambre révélatrice d’une identité nationale sous les archets du Quatuor
Kocian auquel se joignait ponctuellement le pianiste Praguois Ivan Klansky.
Une soirée et une matinée suffirent à poser les limites de la forme sonate au
XIXe siècle et les solutions alternatives créées au XXe siècle sans sortir du
système tonal. Fidèle au concept romantique, l’ensemble à cordes transcrivit
avec ferveur les épisodes du Quatuor n°1 «De ma vie» de Smetana, qui s’achève
par trois accords de mi en pizzicato symbolisant la surdité tragique du
compositeur. L’interprétation du 13e Quatuor à cordes de Dvorak confirma cette
sensibilité aux accents de Bohème.
Le pragmatisme du Quatuor à cordes n° 1 de Janacek intitulé «Sonate à
Kreutzer» en référence à Tolstoï confirme un cheminement esthétique personnel
mis en valeur par une gradation de l’inspiration des interprètes. Quant aux
Quatuor et Quintette avec piano de Martinu, aux accents Prokofieviens, ils font
parfaitement entendre qu’il existe au milieu du XXe siècle une alternative à
l’atonalité. Elle se matérialise par un contrepoint mouvant aux cordes, une
utilisation de l’ostinato et du mouvement perpétuel agrémenté de motifs
pianistiques ascendants et descendants qui confèrent un timbre chatoyant à
l’ensemble, conclu par des épisodes incisifs et tranchés ravissant le public.
P-A HOYET
Quatuor Kocian © X-D.R.
Ces concerts ont eu lieu
au Méjan à Arles
les 11 et 13 déc
Vienne (deuxième manière)
déclare forfait
Les dieux de la tonalité l’ont tonné
haut et fort : Schoenberg ne passera
pas ce 29 nov au Méjan à Arles ! Les
concessions accordées par Berg dans
sa sonate op1 au sein de son irrésistible cheminement vers l’atonalité n’y
feront rien. Plus prosaïquement, c’est
une parution conjointe et retardée du
Livre-disque Berg-Schönberg par JeanLouis Steuerman qui reporte le programme
de ce concert au Printemps 2010.
Les adeptes et les curieux se contenteront de Beethoven, un autre Viennois
(d’adoption), non moins révolutionnaire en son temps qui sonne le glas
de la Marche funèbre intégrée à sa
Sonate n° 12 sous le toucher lourd et
implacable de Jean-Louis Steuerman.
Encadrant cette page «sulla morte d’un
Eroe», le jeu enlevé de l’alerte rondo
final conclut une oeuvre introduite par
l’andante à variations et le Scherzo.
Steuerman est honorable dans La Première Ballade de Chopin qui décidément
inspirera toujours le respect.
Commencé avec la récente et consensuelle sonate n°1 du Brésilien Ripper
aux accents postmodernes, le récital
se clôt avec Scriabine. Sa sonate n°5
confirme l’inexorable (auto)destruction de la tonalité qui atteint son
point de non retour dans le cumul des
altérations et des chromatismes. Notre
pianiste maîtrise les explosions sonores qui en résultent et conclut avec
malice sur une fin ouverte pleine de
non-dits. Et si les dieux avaient tort?
P.-A. HOYET
Jean Louis Steuerman © X-D.R.
41
Le contemporain
est vivant !
Lettres Electro-Persanes
© Agnès Mellon
Les 15 ans de l’ensemble Télémaque
sont l’occasion d’une série de concerts exceptionnels. Entre le très beau
succès de l’étonnant Desperate Singers
et L’Appel des Sirènes (voir p 23),
Raoul Lay et sa troupe se retrouvaient
le 26 nov à La Magalone avant de jouer
aux Salins le lendemain. Ce soir-là,
créations franco-hollandaises dans le
cadre de la création de l’ECO (European
Contemporary Orchestra), orchestre
international permanent destiné à la
création musicale contemporaine, projet porté par Télémaque mais aussi
l’Ensemble Musiques Nouvelles (Belgique) et l’Ensemble Ereprijs (Pays-Bas).
Raoul Lay n’a pas d’égal pour présenter des œuvres complexes: sobriété,
élégance, justesse de propos, clés essentielles qui rendent l’écoute plus
aisée. En première partie, la création
française du Capriccio pour violon
solo de Marius Flothuis, compositeur
hollandais (1914-2001) interprété par
Yann Le Roux-Sèdes : couleurs impressionnistes, jeu sensuel de mystères et
de contrastes, jet continu de gammes
vibrantes et une révérence en pizzicato. Suivait la pièce Maintenant
(création française), dernière pièce
d’un triptyque : Voir, Ensemble, Maintenant de Thierry Machuel, en présence
du compositeur, sur des textes du
poète Guillevic ; cette évocation d’une
fin de vie, entre sagesse et apaisement, repose sur un questionnement
permanent, des sons suspendus en
lignes lumineuses, remarquablement
interprétés par la soprano Brigitte
Peyré, élégiaque et grave, se jouant
des états et des subtilités mélodiques
avec beaucoup de grâce ; les musiciens font alterner passages graves et
plages plus lyriques, avec de belles
attaques, des finales soignées, d’une
palette sans failles : une très belle
œuvre. On retrouvait Yann Le RouxSèdes dans Un cuadro de Yucatan
pour violon solo (création française)
du jeune compositeur hollandais Joey
Roukens : œuvre jubilatoire, brillante,
mélange de styles, entre pop, formules
répétitives, variations très baroques,
chants d’oiseaux… Pétillant !
La seconde partie était consacrée au
chef-d’œuvre d’Arnold Schoenberg :
le Pierrot Lunaire (1912). Le charme
et l’interprétation de Brigitte Peyré
rendent toute la sensualité de la langue allemande ainsi que l’ironie et la
morbidité des textes, tandis que le
quintette instrumental expressif et
complice traduit toute la force des
poèmes de Giraud traduits par Hartleben. Si la technique du Sprechgesang
(mélodie parlée) révolutionna l’écriture du chant, Brigitte Peyré,
colombine lunaire et sombre, alterne
avec intelligence, voix parlée, chuchotée, déclamée, ou intonations plus
appuyées, presque chantées. Le parti
pris de faire dire les textes avant
l’écoute musicale est intéressant.
Mais par l’interprète elle-même ? Une
autre voix aurait permis sans doute
une vraie respiration pour la musicienne-diseuse. Le concert, émouvant
et original, est accueilli très chaleureusement. De l’héritage (Schoenberg)
au prolongement (Roukens) : un beau
tremplin pour édifier cet European
Contemporary Orchestra.
Fanfare marseillaise, La Banda du Dock déploie une très grande énergie avec
son ensemble très cuivré. Composée de 18 musiciens (vents, percussions, basse)
elle a ouvert la soirée musicale qui clôturait les Rencontres d’Averroès. Le
répertoire est fait de ré-arrangements de tubes passés à la «moulinette infernale»
de la Banda et aussi de compositions : musique Sud-américaine, AC/DC, Rage
against the machine... Mickael Jackson est également re-joué avec son Thriller,
porté par un mégaphone, et permet de chauffer de façon originale le grand hall
du Dock des Suds.
Vint ensuite le quartet Istanbul Session. Ihlan Er ahin le saxophoniste et leader
du groupe a invité le trompettiste d’origine suisse Erik Truffaz pour l’occasion.
Une section rythmique lourde et pêchue (guitare basse jouée par Alp Ersõnmez,
Turgut Beko lu à la batterie et Izzet Kizil aux percussions) envoie du gros son.
Le saxophoniste est assez décevant et persistera dans un manque certain d’inspiration et d’imagination. Ou tout simplement de métier ? Quoi qu’il en soit ce
n’était pas Byzance ! On se demande pourquoi Erik Truffaz est venu ce soir là...
Caution de qualité artistique ? Jazz ou électro-jazz, là n’est pas vraiment la
question, et le genre n’était pas en cause, ni le croisement. Seulement la réussite : lorsqu’Erik Truffaz mixe son talent avec d’autres c’est souvent magique !
Ce soir là, aucune once d’émotion n’a transpiré.
DAN WARZY
Ce concert a été joué le 28 novembre 2009 au Dock des Suds
en clôture des Rencontres d’Averroès
http://www.bandadudock.com
Erik Truffaz © Jey Derathe
YVES BERGÉ
Passion au Grim
Après la conférence de Dominique Salini Les voix de femmes
dans le bassin méditerranéen, le Festival Nuit d’Hiver du
Grim accueillait La Tromba. L’occasion de découvrir toute
l’énergie de Marie Salemi dans des chants italiens, siciliens,
séfarades, macédoniens, occitans : une palette de folie verbale (Tarentelle, chansons des brigands) et de mélancolie
plaintive (Berceuse), quel engagement ! Les musiciens sont
plus que des accompagnateurs. Ils soutiennent, improvisent, dialoguent, déroulent des phrases brillantes (David
Rueff, saxo baryton et alto joués en même temps !) ou
plus nostalgiques : le partage est permanent. Une musique
qui puise dans les racines et les traditions locales, pour un
groupe qui n’a que 4 mois d’existence !
On attendait ensuite Jacky Micaelli, la voix de la Corse
pour une boucle féminine réjouissante. Malade, elle a été
remplacée par le maître des lieux, le directeur artistique
du Grim, Jean Marc-Montera, spécialiste de l’improvisation et de l’expérimentation sonore qui, de ses guitares
acoustiques (6 et 12 cordes), accompagna l’inoxydable et
si talentueux André Jaume, 69 printemps, passant du
saxo alto au ténor, puis à la flûte traversière avec une
aisance étonnante. Entre virtuosité et musique concrète,
les deux compères proposèrent un moment acoustique
apaisant après la folie Tromba : compositions personnelles
issues du be bop, du swing, du freejazz, improvisations,
musiques plurielles sans frontières dont on retiendra le
très beau Song for Che de Charlie Haden. Un souffle de
liberté soufflait ce soir-là sur Montévidéo !
YVES BERGÉ
42
MUSIQUE
ENTRETIEN AVEC MARION RAMPAL | CONCERTS
La voix est libre
Dire que Marion Rampal vit
de la musique est inexact : elle vit
la musique. À tout juste 30 ans,
son parcours est déjà foisonnant
et encore prometteur. Il va falloir
compter sur elle !
Chanteuse mais aussi auteur, Marion trace son sillon
avec conviction. De ses premiers pas dans le rock au
succès de l’album Own Virago, et juste avant de
mettre la touche finale aux Vertigo Songs, elle
s’ouvre et accueille le monde de la musique et des
mots (voir p 54). Jazz, pop folk, théâtre, improvisation, et bientôt danse et quatuor à cordes, la prof de
chant décloisonne les frontières et s’entoure de
tous, au-delà de la fidèle bande de Raphaël Imbert
au sein de la Cie Nine Spirit. Les notes et les mots mijotent dans sa tête méticuleuse et opiniâtre, dans
de longues périodes de gestation : pour elle un projet
se pense avant de se vivre. Alors entre un concert,
deux répétitions et une chanson composée pour
d’autres, Marion se livre.
Zibeline : Si tu devais te présenter en quelques mots?
Marion Rampal : Je chante et j’écris en mots et en
musique ce que j’élabore dans mon petit laboratoire
de magie intérieure. Je fais des expériences avec de
l’ancien et du nouveau, du digéré et de l’instantané.
Même si la formule peut sonner complexe, je raisonne en couleurs, en mouvements, en émotions crues
plus qu’en réflexions intellectuelles. Je travaille
beaucoup autour de mon inspiration première, mon
intuition. Comme un enchanteur décalé, avec ses
grimoires, ses humeurs, ses tours de magie... J’ai à
cœur d’évoquer, de rappeler, de dégager des zones
poétiques, en mettant en relief des interrogations
spécifiques.
Te définis-tu comme une artiste marseillaise ?
Marseille, vaste territoire de no man’s lands rêveurs
et salés, métissée d’influences... Marseille grande
gueule, violente ou accueillante, fière et têtue, noire
ou débonnaire, un brin fadade… C’est sûr, je suis née
ici, et ça me ressemble ! Mais je précise que je n’ai
ni accent ni abonnement au stade...
Tes projets, actuels et futurs ?
Prendre du temps pour travailler et rechercher,
notamment auprès du Panthéâtre avec qui je suis
une formation en performance vocale et théâtre
chorégraphique. Un disque avec Perrine Mansuy
© Agnès Mellon
sur un répertoire qu’on a co-écrit et un duo pop/folk
génial avec François Richez : We used to have a
band ; les chouettes projets de la Cie Nine Spirit
aux côtés de Raphaël Imbert et puis l’après Own
Virago (son dernier disque, voir Zib 24) qui bourgeonne dans ma tête. J’adore cette étape, c’est la
meilleure !
Te définis-tu comme une chanteuse ?
Absolument, c’est très important... C’est un art fascinant, j’en entrevois à peine le début, tellement de
choses entrent en compte : l’organique, le souffle,
le timbre, l’image, le mot, l’esprit, le geste... Chanter
juste c’est un sacré boulot, et un boulot sacré !
Cette envie de participer à des projets variés, avec
des associations singulières, est-elle un besoin
pour toi ?
Au-delà du besoin de vivre différentes expériences
je crois que j’aime une certaine dépendance à
l’énergie d’autrui. D’où ce vrai désir de collaborer,
de partager la création, d’aller partout...
N’y a t il pas un risque de se perdre ?
Le revers de la médaille, sans doute… Je néglige parfois mes projets par manque de disponibilité. Mais
produire Own Virago m’a réconciliée avec ce devoir
impérieux de faire entendre ma «voie».
Les accents du Brésil
Elles sont trois qui naissent de l’ombre, trois voix
magnifiquement placées qui émergent d’un brouillard
de scène… Gaîté, vivacité, humour, richesse des
chants, des thèmes, voyage aux sonorités suaves et
fluides… Un rythme qui donne envie de se lever
et de danser, les fauteuils semblent alors bien trop
rigides pour ces moments où l’on se laisserait si volontiers emporter dans un univers où tout est musique.
Le Trio Esperança sait créer une complicité extraordinaire avec le public, s’adresse à lui comme à de
vieux amis, confesse aussi bien un rhume que les
secrets d’une chorégraphie. Les trois sœurs jouent
de leurs liens, consultent, complotent, rient, amènent les spectateurs à partager leurs chansons. Un
Si tu avais un vœu à formuler ?
L’abolition des étiquettes et des chapelles! Les artistes et une grande partie du public des «musiques
actuelles» ont sauté le pas. La presse, les programmateurs, les festivals, les institutions rechignent
trop à suivre.
Si tu devais citer... un compositeur classique
Weber, que me faisait écouter ma maman
un groupe
REM, premières amours…
une chanson
White Rabbit de Jefferson Airplane
une influence
Leonard Cohen
un film
Mary Poppins !
un art
L’eau forte
un auteur
Chuck Palahniuk, je découvre, j’adore !
une voix
Nina Simone
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR FREDERIC ISOLETTA
disque doit sortir en janvier prochain. Quelle meilleure promo que leurs chants, adaptations de Bach,
reprises des Beatles, de Piaf, entre autres petites
merveilles… On a du mal à quitter la salle, et les rues
d’Aix résonnent encore… Oba oba oba ooo !…
Vive le jazz Brésil !
MARYVONNE COLOMBANI
Trio Esperança
© X-D.R
Le trio Esperança s’est produit au Jeu de Paume
dans le cadre des concerts d’Aix
43
Flamenco for ever
On sort !
20 ans pour le Festival Flamenco de Nîmes !
Cela vaut bien un évènement sur mesure !
Pendant que le festival Nuits d’Hiver
se poursuit au Grim Montévidéo (jusqu’au 21/12), il est temps de préparer
une fin d’année de musiques, et d’embrayer sur des concerts pour la nouvelle
année. Commençons par le Théâtre
Comœdia de Miramas qui accueille le
Louis Winsberg trio, guitariste mythique de Sixun passionné de flamenco
(17/12 à 21h). Vu qu’on parle swing,
autant faire une escale au sud de
l’étang de Berre à Charlie Free (Vitrolles) pour écouter la 11e édition de
Jazz en Scènes avec le Sébastien
Paindestre trio et le duo Simonoviez/ Avenel (12/12 à 21h). A
découvrir, le Jazz Club de Draguignan
qui fait son festival (du 17 au 19/12)
à Théâtre en Dracénie avec Walt
Weiskopf, Kevin Mahogany et Eddy
C Campbell. Un peu plus au nord et
carrément dans les Alpes, les grenoblois de Mango Gadzi à la fusion
orientalo-balkanique seront sur la scène
du Théâtre du Cadran de Briançon
(18/12 à 20h30), qui accueillera
également le duo grec Angélique
En effet le festival s’annonce plus exceptionnel encore que les années
précédentes. Comme le disait Garcia
Lorca, «la guitare fait pleurer les
rêves»… mais ici nul besoin de chimères, le Théâtre de Nîmes a pensé à
tout avec une programmation complète:
spectacles, conférences, rencontres,
classe de danse et projections. Du 7
au 23 janvier, 20 ans de Flamenco
s’installe et vous accueille tous les
soirs avec parfois deux spectacles par
jour. Mayte Martin, grande voix actuelle du genre (12/1 à 20h), El
Cabrero pour Un dialogue sans artifice, figure exceptionnelle du Cante
Jondo (13/1 à 20h), Tierra Flamenca
1 et 2, des artistes de chez nous qui
ont ça dans le sang (15/1 à 22h30 et
16/1 à 20h à L’Odéon), la guitare
acoustique du prodige Javier Conde
qui rappelle Paco de Lucia (16/1 à
Javier Conde © X-D.R.
17h30 à la Cour d’Appel), la compagnie d’Israel Galván, le danseur des
danseurs qui repousse les limites du
baile flamenco dans une chorégraphie
qui évoque la fin du monde selon St
Jean (17/1 à 18h), ou encore Rocio
Molina, la meilleure danseuse de la
nouvelle génération (23/1 à 20h). De
quoi satisfaire les amateurs et les
passionnés !
FREDERIC ISOLETTA
www.theatredenimes.com
Ionatos/Katerina Fotinaki (08/01 à
20h30).
Et à Marseille ? Rendez-vous à La
Machine à Coudre pour fêter leurs 15
années d’existence et de programmation alternative (18 et 19/12) mais
également à la Meson pour une
Tablao Flamenco la Rubio avec
Maitryee Mahatma (19/12 à 20h) et
une carte blanche à Fantazio (voix et
contrebasse les 8 et 9/01 à 20h).
Concerts mais cette fois en photo
pour le vernissage de l’exposition live
in Marseille au Lollipop café disquaire par Pirlouiiit et d’autres
artistes (13/1 à 19h) et pour finir ne
manquez pas la découverte du Hangart, vous pourrez y écouter le fabuleux
spectacle musical et westernien
donné par The Coconut Family Band
(19/12 à 20h30) ainsi que le Courant
d’Air café qui présentera l’étonnant
pianiste Grigoris Belevilas pour un
concert au son Rebetiko dans le numéro Thalya m’a dit.. ! (18/12 à 20h30).
FREDERIC ISOLETTA
Mango Gadzi © Greg Randon
Formule complète
Le Forum de Berre ne fait pas les choses à moitié. Cinéma, repas et concert sont
proposés dans cet ordre sur le thème de la Finlande. Après le visionnage de
L’homme sans passé d’Aki Kaurismäki, découverte assurée pour la réception du
duo finnois Kantelinen/& Seppä, ensemble unique en Finlande spécialisé dans
deux vieilles traditions musicales caréliennes : le chant joïk (aujourd’hui en
Russie) et la pratique du jouhikko, sorte de lyre à archet. Le duo interprètera des
chants traditionnels ainsi que leurs propres compositions, laissant également
une grande part à l’improvisation. À ne pas manquer (le 21 janvier à 18h30 film,
21h30 concert). F.I.
Forum de Berre
26 euros la soirée, 12 euros le concert
www.forumdeberre.com
Au programme
MARSEILLE
Cabaret Aléatoire : ElectronicSeries 1 Meet opus VJ 4 (18
et 19/12), Enjoy Drum’n Bass 4 (15/1), Boxon Party Invasion (22/1)
04 95 04 95 09
www.cabaret-aleatoire.com
Embobineuse : Ziné club 8 When we sleep, the UFOs works
(17/12), Invita(r)tartion au voyage : Jean George Tartare,
Jean Christophe Petit, Antoine Lunven (9/1), Interface 8:
ancien et moderne (17/1), Carte blanche au label et collectif H.A.K. Lo-Fi record (22/1)
04 91 50 66 09
www.lembobineuse.biz
Espace Julien : Pognon story (31/12), Gente de Zona
(16/1), Messengers (21/1), Pakatak (22/1)
04 91 24 34 10
www.espace-julien.com
Intermédiaire: Elektro Shake (18/12), Sonarcotik (19/12),
C Bass (21/12), Craint degun be tarpin hip hop (22 et
29/12), Ruffle christmas crew (26/12), Good vibes generalist (30/12)
04 91 47 01 25
www.myspace.com/intermediaire
L’Affranchi : Scred Connexion (19/12)
www.l-affranchi.com
Théâtre et Chansons : Opera Molotov (21 et 22/1)
04 42 27 37 39
www.theatre-et-chansons.com
ARLES
Cargo de Nuit : Raoul Petite (18/12), Club Club (19/12)
04 90 49 55 99
www.cargodenuit.com
COUSTELLET
La Machine à Coudre : Laurent Boudin, Antonio Negro,
Dj pP, Renard jaune, Giani Gianone, Anthony, Benoît
Dettori (19/12), La Tromba (9/1)
04 91 55 62 65
www.lamachineacoudre.com
La Gare : La Cumbia Chicharra (19/12), Rita, Ange B et
Jairo (23/1)
04 90 76 84 38
www.aveclagare.org
ISTRES
AIX
Le Korigan, Luynes: Mechanical Dacay, Kamran, Scoria
(19/12), Katalaï, Yves Tole (9/1)
06 50 77 51 77
www.myspace.com/lekorigan
L’Usine : Moussu T e Lei Jovents (18/12), DMC from run
DMC (8/1), Izia (22/1)
04 42 56 02 21
www.scenesetcines.fr
44
MUSIQUE
DISQUES
Doyen du piano
Aldo Ciccolini a dû annuler son concert Beethoven le 8 décembre à Aix, mais
le mélomane se consolera avec un coffret anthologique de ses enregistrements
Aldo Ciccolini a 84 ans. C’est un des derniers
mythes en activité. Il faut dire que le pianiste
frise les 70 ans de carrière. Il a étudié avec
Alfred Cortot, joué avec Furtwängler, Ernest
Ansermet et remporté le concours Marguerite
Long en… 1949 ! Malgré son grand âge, ses
moyens techniques ne sont guère altérés :
Ciccolini a triomphé cet été au festival de Radio
France à Montpellier, à La Roque d’Anthéron, il
y a peu à la salle Pleyel à Paris… Hélas,
souffrant, il a dû déclarer forfait le 8 décembre
au Grand Théâtre de Provence. Ce coffret n’en
est que plus précieux.
Né à Naples, ce musicien précoce et surdoué
s’avère vite un ardent défenseur de la musique
française de Satie, Ravel, Debussy et de toute la
constellation d’artistes hexagonaux de leur
époque. Naturalisé français en 1971, Ciccolini
exerce la fonction de professeur au Conservatoire
National Supérieur de Paris jusqu’en 1988, et l’on
compte parmi ses élèves des grands interprètes:
Marie-Josèphe Jude, Jean-Yves Thibaudet,
Nicholas Angelich…
Que ce soit dans Mozart, Bach, Chopin,
Schumann, Liszt, Albéniz ou Scarlatti, le jeu de
Ciccolini reste lipide, toujours sobre et
naturellement libre. Ces dernières années, le
maître a enregistré pour Cascavelle ses derniers
témoignages. Mais durant près de quarante ans,
c’est chez EMI que le pianiste a livré ses plus
belles interprétations. Impossible de dire les
multiples pépites contenues dans ce coffret
magistral de 56 disques : une mine !
Anthologie Beethoven
Aldo Ciccolini
Coffret 56 CD
Enregistrements EMI 1950-1991
JACQUES FRESCHEL
Haydn selon Collard
Ceux qui ne possèdent pas les enregistrements
des Sonates de Haydn gravées chez Lyrinx par
Catherine Collard commettent une faute de
goût ! Grâce à cette réédition, l’occasion est
donnée aux mélomanes de (re)connaître une
artiste d’un immense talent disparue prématurément en 1993. La musicienne, fleuron de
l’école française de piano, après des débuts
claironnants, a connu une vingtaine d’année de
traversée du désert… avant de rencontrer les
Gambini ! Avec la clairvoyance qu’on leur
connaît, Suzanne et René ont permis à la
pianiste de remettre les pieds aux pédales et les
mains au clavier. Dans une forme d’urgence, en
cinq ans seulement, au tournant des années 90,
À
mots couverts
Depuis sa création en 99, Aqme marque la scène
française d’un nouveau son «métal» entraînant
et lourd, mettant en avant une identité propre !
En 2002 le groupe alternatif parisien signe avec
le label énergique AT(h)OME. Six albums plus
tard, le quatuor reformé (départ de Ben,
guitariste et co-fondateur du groupe) revient
avec En l’honneur de Jupiter, nouvelle galette
sortie en octobre. Le groupe assure alors sa place
de maître incontestable du métal Français ! Des
titres très noirs pour ce recueil d’une extrême
intensité : Tout le monde est malheureux,
Guillotine ou encore Le chaos sont marqués par
Catherine Collard tente d’effacer le temps
«perdu» : trois disques de Sonates de Haydn
paraissent en 1988, 1990 et 1992 et suscitent
l’enthousiasme de la critique… qui se réveille
enfin !
Son travail d’une grande finesse enchante : l’air
passe entre les phrasés, les dynamiques se déclinent sans lourdeur. Tout paraît simple et
mesuré… Néanmoins au cœur d’un classicisme
de façade, on perçoit des fragilités et une
tendresse teintée de mélancolie. La gravité fuit
le tragique avec ce qu’il faut d’«obscure clarté»,
de dépouillement douloureux et de sourire
candide.
J.F
la puissance de riffs au son métallique. La
particularité de cet opus étant l’alternance entre
morceaux dynamiques et moments mélodiques
remarquablement mis en avant et interprétés par
la voix de Thomas, qui donne à l’ensemble une
couleur indéniablement mélancolique. Dix ans
après la formation du groupe, Aqme est bien là...
pour le plus grand plaisir de ses fans.
F.I.
En l’honneur de Jupiter
AQME
abel At(h)ome
Coffret 3 CDs Lyrinx LYR270
Rock n’ roll
Fan de Muse, la belle Ilis, alias
Virginie Nourry, se jette à corps
perdu sur la scène de rock française.
Et ça marche. Premier album plein
d’espoir et de promesses, le Sex,
LOve & Rock n’ rOll oscille entre
grunge, rock, et pop. 14 titres pour
découvrir des chansons pleines de
fraicheur et d’énergie : la nouvelle
génération de la scène nationale
rock est en route et déroule son
envie de tout casser. Pas besoin
d’artifices pour sentir la montée
d’adrénaline suscitée de morceaux
comme Le bonheur et Je marcherai.
En y mélangeant subtilement émotion (Plus on s’aime) et douce pop,
Ilis devient une machine à réussir,
d’autant qu’elle a trouvé la force de
monter sa propre boite de production et d’arpenter les scènes via son
minibus.
Cette dynamique litanique se retrouve en concert mais aussi sur ce
premier disque qui transpire la
rythmique rock n’roll (Tu t’abandonnes). Signant des textes écorchés
et sensibles, le quatuor au look
soigné trouve sa place et ses fans
déjà nombreux. Mieux que ça, Ilis a
trouvé un son, un vrai.
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Sex, LOve & Rock n’rOll
Ilis
25h43 Productions
Apogée mélancolique
Nature et sans complexe, l’album
Tout va très bien vient d’Angoulême
où un certain groupe de chanson
française énergique porte le drôle
de nom L’Arrière-cuisine. Ne
cherchons pas midi à quatorze
heures : les onze titres qui composent ce recueil ont été conçus
dans… l’arrière-cuisine de la
maison, faut d’espace disponible.
Pas de chichi ni de non dits pour le
trio à l’écriture suggestive, le tapis
sonore se déroule sous nos pieds au
cœur d’un univers chancelant rempli d’images et de sonorités à faire
pâlir les étoiles… à l’image du
thérémin ou du tuba. Partageant
parfois la scène avec Daniel Darc ou
Dominique A, ce groupe aux
multiples sensibilités présente ses
chansons modestes où la mélancolie méditative côtoie un peu de
folie et d’énergie («Maglia sur un
texte de Victor Hugo»). Dans les
bacs depuis novembre, Tout va très
bien saura vous parler à travers les
textes et musiques de Philippe
Veillon, dont les jeux de mots se
découvrent et se savourent.
FREDERIC ISOLETTA
Tout va très bien
L’Arrière-cuisine
La Cervelle – Mosaic Music
Distribution
46
DISQUES
MUSIQUE
Au commencement était…
Cet enregistrement est issu de la session 2009 de
l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. On se
souvient de L’évangile selon Jean d’Abed Azrié joué
à Marseille et Nice. Un opus, chanté en arabe, fruit
de collaborations syrienne, marocaine et française,
repris à l’Opéra de Damas et au Festival de Fès des
Musiques Sacrées du monde. Abed Azrié,
compositeur et chanteur d’origine syrienne, a écrit
une œuvre pour voix solistes, chœur et ensembles
d’Orient et Occident, associant des musiciens
classiques et traditionnels de l’Institut supérieur de
musique de Damas, de la Garde Royale du Maroc et
des conservatoires de la région PACA.
Le récit du quatrième évangile se décompose en
près de quarante-cinq scènes retraçant la vie, la
mort et la résurrection de Jésus, homme-Dieu dont
les souches plongent dans le terreau sumérobabylonien, cananéen ou phénicien et concerne
tout le bassin méditerranéen. On y trouve, comme
dans un oratorio classique, les personnages chantés
qui l’accompagnent : Judas, Marie Madeleine ou la
Samaritaine, Pilate, Marthe, l’aveugle, les apôtres…
L‘expression est voluptueuse, le climat convivial et
Abed Azrié évite de calquer son langage sur le
chant classique ou la mélodie traditionnelle,
privilégiant une forme de sensualité dans les
couleurs instrumentales, les dynamiques et
l’ornement.
J.F
L’évangile selon Jean
Abed Azrié
Coffret 2CD + DVD Bonus Doutak DOM001
Interférence
Après le succès de Diaspora, voici venu le temps de
découvrir le nouvel et double album d’Ibrahim
Maalouf. Kaléidoscope sonore aux multiples
rencontres et métissages, Diachronism a la
particularité de se composer de deux parties
distinctes, réinventant un jazz venu d’ailleurs.
Disoriental (Cd 1) et ses mélismes colorés se
situerait plutôt de l’autre côté de la Méditerranée,
alors que Paradoxidental (Cd 2) franchirait aisément
le Rubicon des sons urbains aux technologies
éprouvées. L’homme à la trompette aux quarts de
tons ne décevra pas ses adeptes, amoureux du
timbre si particulier de cet instrument qui secoue
l’univers du jazz. En invitant des musiciens si
différents que Bijan Chemirani et son Saz, Adnan
Jubran et son oud, Jacky Terrasson à son clavier
et le trublion M (titre Bizarre, voix, guitare),
Ibrahim Maalouf ne fait que confirmer ses
Mensuel gratuit paraissant
le deuxième jeudi du mois
Edité à 28 000 exemplaires
imprimés sur papier recyclé
Edité par Zibeline SARL
76 avenue de la Panouse | n°11
13009 Marseille
Dépôt légal : janvier 2008
Directrice de publication
Agnès Freschel
Imprimé par Rotimpress
17181 Aiguaviva (Esp.)
photo couverture
MARION RAMPAL
© Agnès Mellon
Conception maquette
Max Minniti
Rédactrice en chef
Agnès Freschel
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06 09 08 30 34
Secrétaire de rédaction
spectacles et magazine
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[email protected]
06 23 00 65 42
Secrétaire de rédaction
Jeunesse et arts visuels
Marie Godfrin-Guidicelli
[email protected]
06 64 97 51 56
Société
Chris Bourgue
[email protected]
06 03 58 65 96
prédispositions à une musique colorée, creuset de
réunions et d’associations parfois inattendues.
Cocktail sonore relevé et savoureux qui donne un
véritable coup de fouet à la planète jazz.
Vingt ans après la mort
de Pierre Barbizet, paraît enfin
un ouvrage à sa mémoire
«Enseigner
c’est aimer !»
Écrit à une voix, celle de Caline, sa femme, avec
amour et admiration, et la main bienveillante de
Jacques Bonnadier. Dès les premières pages, on
est emporté par l’émotion, le roman d’une vie… On
n’en quitte plus le fil : l’enfance chilienne, le
Conservatoire à Marseille et le lycée Thiers, l’amour
et les amitiés (Jean-Pierre Rampal, Samson François,
Claude Helffer), les maîtres dans le Paris de la
guerre (Marguerite Long, Georges Enesco). Sans
oublier l’inégalable duo qu’il constitua avec le
violoniste Christian Ferras… et 27 ans de direction
généreuse au Conservatoire de Marseille auquel
Pierre Barbizet a donné une dimension nationale,
laissé son nom, et où il a marqué des générations de
pianistes et de musiciens. Ceux-là même qui
aujourd’hui font la vie musicale de notre région. Au
fil des pages, des photos-souvenirs et des anecdotes, on se rend compte combien ce livre était
indispensable, à sa mémoire et pour celle de toute
une famille musicale orpheline depuis le 19 janvier
1990.
JACQUES FRESCHEL
F.I.
Diachronism
Ibrahim Maalouf
Mister Production
Pierre Barbizet
Caline Barbizet
Éditions Jeanne
Laffite, 24 euros
Musique et disques
Jacques Freschel
[email protected]
06 20 42 40 57
Histoire et patrimoine
René Diaz
[email protected]
Frédéric Isoletta
[email protected]
06 03 99 40 07
Polyvolantes
Maryvonne Colombani
[email protected]
06 62 10 15 75
Cinéma
Annie Gava
[email protected]
06 86 94 70 44
Delphine Michelangeli
[email protected]
06 65 79 81 10
Élise Padovani
[email protected]
Marie-Jo Dhô
[email protected]
Arts Visuels
Claude Lorin
[email protected]
06 25 54 42 22
Philosophie
Régis Vlachos
[email protected]
Maquettiste
Philippe Perotti
[email protected]
06 19 62 03 61
Livres
Fred Robert
[email protected]
06 82 84 88 94
Sciences et techniques
Yves Berchadsky
[email protected]
Ont également participé à ce numéro :
Emilien Moreau, Dan Warzy,
Yves Bergé, Susan Bel, Clarisse
Guichard, Christine Rey, Pierre-Alain
Hoyet, Christophe Floquet,
Edouard Barthélémy
Photographe :
Agnès Mellon
095 095 61 70
photographeagnesmellon.blogspot.com
Directrice commerciale
Véronique Linais
[email protected]
06 63 70 64 18
Attachée commerciale
Nathalie Simon
[email protected]
06 08 95 25 47
MUSIQUE
De la Musique ?
Le pianiste-compositeur et philosophe Michel Sogny
livre douze entretiens réalisés, tel un long dialogue
platonicien, avec la philosophe Monique Philonenko.
Outre les liens intimes et riches que la musique tisse
avec la philosophie, le couple aborde des aspects variés
de l’art des sons, de l’exécution instrumentale à
l’écoute… L’essai interroge les rôles paradoxaux de
l’interprète et de la virtuosité, souligne l’importance
du silence, du concert et de la critique et fait une large
place aux figures de Mozart, Beethoven et Liszt (dont
Michel Sogny est un éminent spécialiste). De fait, le
pédagogue livre des propos clairs sur la place de la
musique dans la vie moderne et sur son enseignement.
Le pianiste propose, en complément, un programme
Liszt de piano à quatre mains (Préludes, Marche de
Rakoczy, La Bataille des Huns, Orphée et deux Rhapsodies hongroises) en premier enregistrement mondial
avec Elisso Bolkvadze. Également joint à l’ouvrage,
un CD présente un choix d’opus composés par
Michel Sogny : une œuvre à découvrir !
JACQUES FRESCHEL
La Musique en questions
Michel Sogny,
entretiens avec Monique Philonenko
éd TUM / Michel de la Maule, 25 euros
Gallia Deo
En France, au XVIIe siècle, le motet connaît une
éclosion manifeste à Versailles. Selon le degré de
solennité de l’office, la richesse de l’instrumentation, le
nombre de chanteurs varie : le «Grand motet» ou
«Motet à grand chœur» est le plus majestueux. C’est
un genre exclusivement français qui s’affirme face à la
prééminence italienne. L’ouvrage de Thierry Favier
examine la diversité des pratiques dans les institutions
religieuses ou lors de concerts publics, de l’accession
au pouvoir de Louis XIV en 1661 à la Révolution
française. Il retrace son évolution stylistique et esthé-
tique à la Chapelle Royale, au Concert Spirituel, dans
les Chapelles provinciales, et considère son implication
dans la construction de l’image royale.
J.F.
Le motet à grand chœur
Thierry Favier
Ed Fayard, 28 euros
Genre léger ?
Le genre opérette a connu, au fil de son histoire, des
périodes de grande vitalité, en France en particulier,
depuis le milieu du XIXe siècle… et quelques décennies de déclin, voire de mépris depuis les années 1960.
Cependant, on constate depuis peu, grâce à l’imagination de metteurs en scène comme Jérôme Savary ou
Laurent Pelly, que l’opérette connaît une nouvelle
vigueur. Benoît Duteurtre, animateur de l’émission
Étonnez-moi Benoît sur France Musique, défenseur du
raffinement musical de Reynaldo Hahn ou André
Bécédaire
Il y a tellement de choses à raconter sur notre Berlioz
national qu’un guide clair et abondamment documenté
sur la vie et l’œuvre du compositeur romantique
s’avérait indispensable ! Publié aux éditions Van de
Velde, le bécédaire Berlioz de B à Z foisonne d’anecdotes et d’informations essentielles à la compréhension
de la production pléthorique de l’artiste passionné,
mais également à l’appréhension de l’homme.
Rassemblés et organisés par le journaliste musical
Pierre-René Serna, les entrées alphabétiques sont
pertinentes et précises, voire inédites, rendant la lecture
de ce dictionnaire monographique ludique et passionnant. Et pour une telle entreprise l’auteur de la
Symphonie Fantastique est un bon sujet, acerbe dans
Messager, de la fantaisie d’Offenbach et de ses disciples,
propose une nouvelle édition de son ouvrage référence
publié en 1997, qui prend justement en compte le
retour en grâce récent d’un genre éminemment
populaire.
J.F.
L’opérette en France
Benoît Duteurtre
éd Fayard, 32 euros
ses écrits et polémiste à souhait ! L’inventeur du mot
festival s’y révèle peu tendre avec la France musicale de
son temps, «un pays de crétins et de gredins». Une
personnalité attachante qui se dévoile et se délecte dans
ce Vade Mecum sur mesure.
F.I.
Berlioz de B à Z
Pierre-René Serna
Ed. Van de Velde, 20 euros
LIVRES
47
48
LIVRES
ARTS
Composer avec Vichy ?
Passionnant et riche en enseignements, l’ouvrage
Composer sous Vichy du musicologue Yannick
Simon dresse un panorama complet d’une période
musicale tourmentée longtemps passée sous silence.
L’Occupation et ses heures sombres ont modifié la
donne d’une vie créatrice bouleversée qui, contrairement aux idées reçues, ne s’est pas éteinte pour autant
pendant cette période noire. Du traitement infligé à
Darius Milhaud, exilé et banni du paysage culturel,
au Front National de la Musique, cette somme admirablement documentée publiée aux Editions Symétrie
est une contribution indispensable pour les musiciens
et les historiens, comme pour les amateurs désireux de
s’imprégner comme dans un roman des destins croisés
des compositeurs français. Le régime de Vichy a vu
certains adopter des positions collaborationnistes,
d’autres se quereller sur la notation Obouhaw, d’autres
rester prisonniers de guerre. Le rôle de la presse spécialisée et l’activité musicale sont analysés depuis la
drôle de guerre jusqu’à la plume corrosive de Poulenc
et Eluard élevant le mot Liberté au rang d’emblème…
FREDERIC ISOLETTA
Composer sous Vichy
Yannick Simon
Ed. Symétrie 40 euros
Mémoire des lieux oubliés
Au départ une demande de Jean-Luc Mingallon,
président du Consolat Mirabeau Services, et une envie
d’écrire, celle de Lucienne Brun. Et une conscience
sociale commune, autour d’un lieu atypique, sans nom
pour l’administration, entre Saint-André et SaintLouis. Un an et demi de travaux, de recherches, ont
permis la collation de témoignages, de photographies,
de renseignements sur les industries, les activités, les
mouvements de population liés à la grande Histoire :
ceux des Italiens, Espagnols, Algériens, Arméniens,
Gitans, Pieds-noirs, gens des campagnes environnant
Marseille.
Des plans enfantins représentent les maisons, avec les
noms des habitants, que ce soit le long des rails, dans
la cité Consolat, le saut de Marot, le chemin de RuisseauMirabeau, la campagne Lachèvre… Leurs appellations
frappent l’imaginaire. Les photographies, souvent prêtées,
sont merveilleusement touchantes : sourires généreux,
images de communiantes, jeune homme fier sur sa
moto, voisins réunis, scènes quotidiennes, et le bar
L’agonie d’Agata
Couverture noire, ombres noires, chambre noire : Agonie
est un ouvrage radical. Âmes sensibles s’abstenir car
les autoportraits photographiques d’Antoine d’Agata
et les textes labyrinthiques de Rafael Garrido sont
poussés à leur paroxysme. Né d’une correspondance
sur Internet, Agonie est le fruit de rencontres entre un
écrivain épris de Basquiat, de Bacon, auteur d’une thèse
sur «Le corps et la violence dans l’art contemporain»,
et d’un photographe lecteur d’Artaud, Burroughs,
Deleuze, Blanchot. Même fascination, mêmes ombres
tutélaires qui ont naturellement guidé Antoine d’Agata
à lui «passer commande».
Rafael Garrido s’est emparé de l’occasion pour se couler littéralement dans l’œuvre photographique mais
aussi littéraire («Je suis resté sur le cul, fasciné par sa façon
d’écrire, tout particulièrement Les désirs du monde et Les
blessures du monde»), crachant une logorrhée poéticosonore d’une grande liberté, mais respectueuse des
thématiques souhaitées par le photographe : la drogue
Michel, magnifique temple de convivialité ! Le livre
est également un bouquet de voix qui se racontent,
témoignages particuliers qui rendent aussi compte de
la vie de ce quartier foisonnant, avec ses cités, ses
champs, ses terrains vagues, ses articulations désordonnées mais emplies d’énergie, de misères aussi, de
courage, de bonheurs. Et pourtant, qui se souvient des
Tuileries, du travail harassant des femmes, des chaînes
de conditionnement de Bonux, des usines Panzani ?
Étude ethnographique, témoignage de la conscience
ouvrière, ce bel ouvrage peut aussi être présenté ainsi,
chargé de mémoire, une somme extraordinaire à cultiver. À lire, à feuilleter, comme une promenade que l’on
ferait tout simplement dans son quartier.
MARYVONNE COLOMBANI
Sur les traces de nos pas
Lucienne Brun
Publication Consolat Mirabeau Services, 35 euros
Avec le concours de la région PACA
(«son corps savait piquer»), la prostitution («la routine
des bordels, d’un nouveau bordel, est simple et passe,
inéluctablement, à travers l’aveuglement»), l’avènement
des corps («corps incorporants et incorporés, désir incarné, désossé»), le dur et le mou…
Aux côtés des images floues, ombrées, extraverties
d’Antoine d’Agata, les mots de Rafael Garrido se chevauchent, se distordent pour créer un texte volcanique;
auprès des corps extatiques, jubilatoires et morbides,
les mots se débitent à la mitraillette. D‘une rare densité
et d’une crudité sans fard, Agonie brûle d’intensité.
Aveuglant.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Agonie
Photographies d’Antoine d’Agata,
texte de Rafael Garrido
Co-édition Actes Sud/Atelier de Visu, 43 euros
49
Au-delà du documentaire
Dès son apparition, la photographie a oscillé entre démarche artistique
et approche documentaire. Les trois ouvrages que fait paraître
Images en Manœuvre entrelacent ces deux pôles
Pour le meilleur, il faudrait les feuilleter et les confronter l’un après l’autre. Chacun des photographes aborde
un groupe social : ouvriers anglais en vacances pour Martin
Parr, jet-set internationale chez Jessica Craig-Martin, le
peuple vénézuélien pour Christopher Anderson. Mais
les approches varient suffisamment pour nous rappeler
que l’acte photographique peut se jouer dans l’empathie
plus ou moins prononcée avec son sujet. Le plus proche
(plans rapprochés et gros plans) et le plus distancié à
la fois (couleurs crues, flash brutal) est le regard acidulé
de Jessica Craig-Martin, focalisant sur l’artificielle
ambivalence des mondanités (détails sur les sourires
et embrassades de convenance alors que les visages sont
le plus souvent coupés par le cadrage, décolletés encrémés, bijoux surexposés…). Mais ces gens à la richesse
exhibée n’ont droit ici qu’à une qualité d’image destinée
au rebut : tous les privilèges ne leur sont pas dus.
Réédition du livre paru en 1986 en Angleterre, The
last resort s’attache à rendre compte sans fioritures des
attitudes d’une classe populaire en vacances dans une
cité balnéaire. Le sujet bien vernaculaire et son traitement photographique lui avaient valu nombre critiques.
«C.»
Ce livre est l’aboutissement de la complicité entre trois
comparses. Frédéric Valabrègue, l’accompagnateur de
l’artiste depuis ses débuts, signe les textes à partir de
plusieurs entrées thématiques hors chronologie : commençant par La Chambre jusqu’à Mouvement, en passant
par Tatouages ou Méduses, il explore les multiples entrelacs du travail de «C.» comme pour laisser toute la
place au sens des œuvres.
Ce que vient confirmer la suite de l’ouvrage. André
Dimanche, lors de la signature à la galerie Alain Paire,
rappelait la genèse du projet, la complicité du graphiste, George René, le travail ténu de l’artiste avec
l’éditeur. Mais il souligna également l’exigeante empathie qui se retrouve pour le lecteur jusque dans la
reproduction irréprochable des œuvres en particulier,
Martin Parr est devenu entre temps une des références
de la photo (d’art) documentaire. Dans sa préface Gerry
Badger resitue l’évolution de sa réception publique, et
examine la démarche de l’auteur. Sa bienveillance envers
le vulgaire ?
Dans le même format à l’italienne, mais couverture toilée très rouge, sans rédactionnel aucun, Capitolio sinue
dans la société vénézuélienne sous Chavez, en noirs,
blancs et gris uniquement. Matières, contrastes, flou,
grain, variété des plans et des sujets constituent autant
d’angles d’approche. En certains endroits les clichés
s’assemblent bord à bord évoquant le récit filmique
ou construisant d’autres images plus plasticiennes en
pleine et double page. Le documentaire cède alors au
poétique, le livre à l’objet. On regrette quand même
l’absence de contextualisation et d’explicitation du
travail de Christopher Anderson qui déclare ailleurs
«Au Vénézuéla, l’appareil photo est une arme…»
CLAUDE LORIN
© Martin Parr
Privilège
Jessica Craig-Martin
co-édition RVB, 45 euros
The last resort
Martin Parr
40 euros
Capitolio
Christopher Anderson
46 euros
ou encore dans le rythme du déroulement par séquences, les séries se déployant sur plusieurs volets.
Précisons que seule l’œuvre graphique de Jean-Jacques
Ceccarelli a été retenue au cours de ces trois cent
pages et cent quarante reproductions. À quand pour
les sculptures et installations ?
CLAUDE LORIN
Ceccarelli
texte de Frédéric Valabrègue
André Dimanche Editeur, 50 euros
En plus de l’édition courante, 30 tirés à part, numérotés,
sont présentés sous coffret toilé rouge accompagnés d’un
dessin original de l’artiste, 250 euros
Entre le bœuf et l’âne gris
Voici un livre qui paraît à pic ! En cette période de
Noël et dans notre région, Crèches du monde, un
monde de crèches ne peut manquer d’attirer tous ceux
que la Nativité et les santons inspirent. Effectivement,
ce livre imposant, presque 300 pages format livre d’art,
représente une somme, et pas seulement en euros. Tout
ce que avez toujours voulu savoir sur la crèche s’y trouve
ou presque, du texte biblique aux diverses techniques
de fabrication des personnages, en passant par leur
valeur symbolique et leur histoire. On peut y lire aussi
des chants de Noël, y glaner des références d’artisans
ou de rencontres importantes. Bref, un ouvrage très
complet, agrémenté de multiples photographies prises
pour la plupart en Pologne, en Italie et en France sur
les marchés de santonniers les plus célèbres (Aubagne,
Arles) ou au musée des santons de Val (Var). Miniatures ou monumentales, sophistiquées ou brutes, toutes
sortes de crèches sont présentées, reflets émouvants
des cultures du monde.
Car Crèches du monde est l’œuvre de deux passionnés,
Maria Skrzeczkowska et Patrick Botella, dont de
nombreuses légendes montrent qu’ils ont tous deux collecté depuis longtemps, elle dans sa Pologne natale, lui
en Provence et auparavant en Algérie, des pièces rares
ou originales. Leur passion est enthousiaste, fervente
même avec, parfois, une tendance au prosélytisme.
Qui reste discrète.
FRED ROBERT
Crèches du monde, un monde de crèches
Maria Skrzeczkowska et Patrick Botella
éd l’àpart du beau, 45 euros
50
LIVRES
LITTÉRATURE
Loin du paradis
L’atmosphère du dernier roman d’Andrew Sean
Greer, qu’il est venu présenter à Marseille dans le
cadre des Belles Etrangères, rappelle celle du film
de Todd Haynes. Réalisé en 2003, celui-ci relate le
drame de Cathy (Julianne Moore), mère et femme
au foyer exemplaire qui voit sa vie et son mariage
exploser ; une mise en scène à la Douglas Sirk, sur
fond d’homosexualité et de racisme. Dans le roman,
c’est à la même Amérique des années 50 que la
narratrice Pearlie fait remonter le début de cette histoire
d’un mariage ; la même Amérique corsetée dans ses
préjugés (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Buzz, celui
par qui le scandale pourrait arriver, dirige une
entreprise de sous-vêtements, gaines et corsets à tous
les étages) ; la même Amérique qui exécute les époux
Rosenberg et envoie des gamins mourir en Corée.
Donc, c’est l’histoire de Pearlie et de son bel époux
Holland, de leur petit garçon handicapé et de leur
existence paisible… Jusqu’au jour où elle découvre
«quelqu’un qui avait emprunté par pure sorcellerie les
traits de [mon] mari». Rassurez-vous, rien à voir avec
un quelconque ouvrage de fantasy… Mais c’est tout
de même une histoire de revenant que Pearlie retrace.
Car lorsque Buzz Drumer se présente à sa porte, le
passé entre avec lui ; un passé tu, une histoire sombre
et aussi la révélation de la liaison amoureuse des 2
hommes.
Pearlie pourrait s’effacer, abandonner la partie. Mais
Pearlie n’est pas Cathy. Cette jeune femme noire ne
renonce jamais. De même qu’elle a su qu’elle le voulait
au premier regard, et qu’elle l’a eu, de même elle va
lutter pour comprendre son Holland, et le garder, avec
ses faiblesses, ses parts d’ombre.
Un beau roman, donc. D’amour. De guerre aussi :
«non pas une histoire ordinaire de combattants mais de
ceux qui ne partirent pas à la guerre. Les lâches et les
planqués […] L’histoire de ces hommes-là, et d’une
femme à la fenêtre, incapable de faire autre chose
qu’observer. […] Ils sont éliminés de l’Histoire, car rien
n’est plus corrosif que la honte. […] Mais je signe pour
eux ce récit.» La chronique de Pearlie atteint à
l’universel. Et au-delà des décors 50 et d’une «histoire
Écrire et faire l’amour
La vérité sur Marie clôt la trilogie inaugurée avec Faire
l’amour (2002) et poursuivie dans Fuir (2005). JeanPhilippe Toussaint achève brillamment le cycle de sa
passion pour Marie, avec descente aux enfers et
résurrection. Faire l’amour donc, ou plutôt le refaire
avec elle, et révéler «la vérité sur» cette femme
fantasque, désordonnée et suprêmement attirante, que
le narrateur n’a cessé d’aimer et sur laquelle il déclare
tout savoir. Tel est le projet de l’homme amoureux ; tel
est également celui de l’écrivain.
La vérité sur Marie se présente comme un triptyque.
Deux volets latéraux, l’un situé à Paris l’autre sur l’île
d’Elbe, retracent, avec le mélange d’humour décalé et
de recherche stylistique propres à Toussaint,
l’événement tragique qui a permis aux deux
protagonistes de se retrouver, à savoir la mort subite,
dans l’appartement de Marie, de Jean-Christophe de
G., un riche et élégant éleveur de chevaux de course
rencontré à Tokyo. Au centre, enchâssée dans le récit
des retrouvailles, l’aventure de Marie avec cet homme,
et surtout une scène dans la zone de fret de l’aéroport
de Narita, puis dans l’avion. Toussaint déploie sur
quelque 100 pages, c’est-à-dire à peu près la moitié du
livre, une fiction rétrospective stupéfiante. Il imagine
l’embarquement difficile d’un pur-sang et le retour
épique en avion cargo de Marie, de son amant et du
cheval. La scène prend des allures d’apocalypse
artificielle, totalement reconstruite, entre drame et
burlesque, film d’action de série B et tragédie
contemporaine. On se souvient alors que Toussaint
est aussi réalisateur de films. De fait, il s’en donne à
cœur joie, avec jeux de lumières et effets spéciaux, sur
un scénario délirant qu’il semble vomir, comme le
feront le pur-sang dans l’avion, le narrateur dans la
dernière partie. Logorrhée cathartique, souffrance
expectorée une fois pour toutes.
C’est violent, tellurique, érotique aussi, avec une
dominante nocturne, de mort, de tempête,
d’incendie. Pourtant, au bout des nuits de chaos
renaissent l’amour et une langue à l’épreuve des
flammes.
Après le Médicis pour Fuir, Jean-Philippe Toussaint
Marseille et son double
Il y a d’autres Marseille de par le monde… et si vous
vous jetez éperdus dans la consultation d’un atlas, vous
vérifierez, ô stupeur, que la cité phocéenne n’est pas
unique (Petit détail orthographique, celle qui se situe
en Illinois porte un s en finale) ! Bruno Leydet s’est
emparé de cette ville américaine, en a fait un miroir,
multipliant les échos, à la manière de ces écrits du
XVIIIe qui s’amusaient à brouiller les codes pour
avancer critiques et caricatures. Un régal de lecture,
style rapide, serré qui tient de Lodge ou d’Alison Lurie,
et un jeu permanent pour le lecteur qui reconnaît par
transparence sa propre ville. En Illinois, c’est l’MO, le
Marseille Olympus, équipe de foot féminine, qui
passionne la population ; la série à la mode se nomme
«Wonderful life» ; on va au Sun Market faire ses
courses ; et quand vous saurez que l’ancien maire
s’appelait Gastone Pistone… La société marseillaise
(de Marseille Illinois bien sûr, quoique l’auteur ait
omis le «s» final) est passée au crible. Liaisons, ententes,
manipulations, jeux électoraux… jubilatoire ! Il s’agit
aussi d’un polar, avec fond de terrorisme intégriste, et
police débordée qui s’acharne sur de fausses pistes. La
quête de «l’olive nucléaire» est exceptionnelle ! À lire
avec délectation !
M.C.
Marseille, Illinois
Bruno Leydet
Ed L’écailler du sud, 8,50 euros
de mariage» un peu kitsch, elle parle sans doute aux
lecteurs de l’Amérique d’aujourd’hui, qui est loin d’en
avoir terminé avec les guerres lointaines et les
discriminations.
FRED ROBERT
L’histoire d’un mariage
Andrew Sean Greer
éd. de l’Olivier,
21 euros
vient tout juste de recevoir le prix Décembre pour ce
beau roman visuel et sensuel. Pas mal quand on sait
que cette récompense, qui s’affiche depuis 1989
comme une sorte d’anti Goncourt, a été décernée
avant lui à Pierre Michon, Régis Jauffret ou Yannick
Haenel… On peut imaginer plus mauvaise
compagnie.
FRED ROBERT
La vérité sur Marie
Jean-Philippe
Toussaint
éd. de Minuit,
14,50 euros
51
Où l’archéologie du Panier sert l’enquête
Le dernier roman de Jean Contrucci, Le vampire de
la rue des Pistoles, entraîne une fois de plus ses lecteurs
à la suite du sympathique journaliste du Petit
Provençal, Raoul Signoret, dans une enquête rondement menée aux rebondissements multiples. Le vieux
Marseille sert à la fois de cadre et de clé à cette
rocambolesque aventure dominée par le pont transbordeur et hantée par les caves du Panier qui recèlent
de bien curieux et antiques secrets. L’intrigue est servie
avec une jolie verve ; les bons mots des personnages,
leur enthousiasme juvénile, accordent un rythme vif
au récit. Mais la légèreté primesautière du ton
n’oblitère pas les sombres échos de la gestation de la 1re
guerre mondiale, avec les poèmes distillés dans les
mémoires enfantines par les hussards noirs de la
république. L’érudition, certes formulée sur le ton de
la galéjade, est bien présente, et reconstruit le vieux
Marseille, son architecture, ses coutumes, les différentes strates de sa population, d’une plume vivante et
enjouée. Un vrai plaisir de lecture ! Sans compter
qu’adjoint au volume, un petit traité, Le Marseille de
Raoul Signoret, nous livre photographies renseignements et alléchantes recettes du début du XXe siècle…
MARYVONNE COLOMBANI
Le vampire de la rue des Pistoles
Les nouveaux mystères de Marseille
Jean Contrucci
Ed Jean Claude Lattès, 16,50 euros
Freaks and Chips
Dans les limbes n’est pas tout à fait un thriller. Ni
vraiment un roman fantastique. Pas plus une fable
sociale à l’américaine, voire une fiction «gold metal»
hallucinatoire écrite sous speed avec vieux fonds de
rock n’roll. Mais Dans les limbes ou plutôt The
Resurrectionist -son titre original- est un peu de tout
cela. Roman étouffant et cauchemardesque, sa lecture
nous projette dans un monde peuplé de bikers ultraviolents, de médecins pervers, d’étranges comateux
reclus au cœur d’une terrifiante clinique gothique. À
ce décor grisâtre s’ajoute l’écriture en pans alternés
d’un récit double : sous nos yeux tremble Sweeney,
père pétri de culpabilité au chevet de son fils en
sommeil profond ; parallèlement s’égrènent les chapitres
de Limbo, la bande dessinée qu’il lit et qui le relie à
l’enfant. Les personnages de ce comic sont des monstres de foire que n’aurait pas reniés l’Amérique
profonde des romans d’Harry Crews.
Pour le reste, on plongerait plutôt au milieu d’une
fantasmagorie façon «new worlds» britannique, écla-
tant les cadres des genres établis. Car c’est bien loin
d’un polar traditionnel, entre rêve et réalité, que se
pose ici la question suivante : ces deux-là, père et fils,
peuvent-il encore communiquer dans le monde des
vivants ? Faut-il charcuter le cerveau de l’un ou bien
l’autre doit-il s’élancer, shooté à mort, dans le néant
des rêves ? Jack O’Connell diffère la solution du
dilemme. Et voici sans doute le point faible de cet
ouvrage résolument baroque d’un point de vue
onirique. Une fois les monstres, les «abominations»,
la clinique et Géhenna posés, détaillés, que reste-t-il à
découvrir ? Que les monstres ne sont pas ceux que l’on
croit ? Finalement on aurait préféré aller encore plus
loin avec eux. Let’s take the road again...
EDOUARD BARTHELEMY
Dans les limbes
Jack O’Connell
Ed Rivages/Thriller, 22 euros
No 25 descendre 2009
Les travaillants, un roman de science affliction de
Grégoire Courtois aux éditions Presque Lune.
18.50 euros de désespérée errance !
Une époque incertaine dans un futur incertain. La
terre ? Des tours dominant des rues improbables ou
règnent des «chats» hypothétiques ; humains rejetés
des entreprises ou survivants de la chute incessante des
suicidés, volontaires ou non, qui ne cessent de tomber
des étages, tels des Folon de fin du monde. Des
«travaillants» nés d’une «nurserie» franchissent un
triste jour la «porte des Hairaches» pour entrer dans le
«monde du travail» selon le bon vouloir de l’entreprise
toute puissante. Y survivront-ils ? Pourront-ils accéder
à un box à l’étage du bureau ? Seront-ils protégés ou
défénestrés par la «guilde» sur laquelle la béance
libérale les aura déposés ? Nul ne sait. Au fond de
toilettes obscures, filmés par leurs collègues de bureau,
les pervers s’adonnent à des scarifications sacrificielles.
S’il est un lendemain, face à la «nano-cantine», l’objet
de l’art déverse ses tripes et rend le dernier soupir
tandis que Vera en vomit de jouissance. Les messages
télématiques s’échangent, précédés pour en informer
le lecteur d’un [chan#9926]. Périodiquement un
chapitre, cassé en «Courier New» format [txt] nous
fait accéder aux [informations personnalisées]
de l’entreprise.
Si vous voulez en subir plus, lisez ce roman ou fourrezvous un doigt au fond de la gorge, ou buvez un café
salé. Et bonnes défaites de fin damnée.
YVES BERCHADSKY
Les travaillants
Grégoire Courtois
Editions Presque Lune
Jack O’Connell était accueilli à Marseille
les 10 et 12 nov (ABD et Prison des Baumettes)
pour deux rencontres organisées dans le cadre
des Belles étrangères
52
LIVRES
TOULON | LA DESTROUSSE
Un bon millésime
La Fête du livre de Toulon a tiré le
rideau. Avec 52000 visiteurs réunis en
trois jours, la 13e édition «Soif de lire»
a battu son record d’affluence : 2000
de plus que l’an dernier ! Il faut dire que
le Conseil général du Var avait mis le
paquet : 354 auteurs français et étrangers dont Paule Constant, prix
Goncourt 1998, présidente du Prix des
lecteurs ; 27 libraires du département ;
organisation et communication confiées
aux spécialistes du genre, MPO Agence
à Nice et CBW Méditerranée Marseille:
de quoi assurer une grande visibilité à
l’opération, dont le coût global est de
700 K€, campagne de communication comprise. Un investissement à la
hauteur des enjeux et à répercussion
immédiate : de nombreux librairies font
leur chiffre d’affaires annuel durant ces
trois jours, ce qui leur permet de tenir
le reste de l’année...
Il y avait donc foule sous le chapiteau
géant planté place d’Armes. Point de
ralliement des Toulonnais et des Varois
à l’affût d’une dédicace, curieux des
auteurs tout juste primés par le Goncourt ou le Renaudot, ou impatients
des nouveautés régionales. La venue de
vedettes (Nelson Montfort, Claude
Lanzmann, Jean-François Kahn…)
n’est pas pour rien dans cet engouement, mais ce succès a aussi son revers:
on se demande s’il ne faudrait pas envisager de doubler la surface d’exposition
et d’installer des chapiteaux satellitaires,
afin de fluidifier la circulation entre les
stands (un véritable embouteillage le
samedi après-midi !) et d’améliorer la
répartition des espaces entre les ateliers
(ceux de l’Hôtel des arts et de l’asso-
Polar
à la
Destrousse
Cela ne s’invente pas, un festival consacré au roman
policier dans la ville qui devrait peut être son nom aux
activités peu louables des voleurs de grand chemin du
Garlaban… Christiane Petetin, adjointe au maire et
cheville ouvrière de cette manifestation l’évoque avec
humour. En fait, c’est une histoire de passion. Passion
pour ce genre que l’on considère encore comme
© X-D.R
ciation Équinoxe pour les jeunes lecteurs
n’ont pas désempli une seconde), les
rencontres et les signatures.
Placée sous le double signe de la Littérature en Méditerranée et des Arts
de la table, la Fête du livre a entrouvert la porte à une approche plus
sociologique de certains thèmes (Tablées
et modes de vie) et à des débats géopolitiques (Histoire de l’immigration dans
le Var). On vient aussi pour échanger,
et les occasions ne manquent pas : on se
presse pour entendre les nominés du
Prix des lecteurs du Var évoquer «La
Méditerranée dans la littérature moderne»,
on débat au café philosophique animé
par Philippe Granarolo, on découvre
les métiers du livre auprès de L’Agence
régionale du livre… Les animations
non plus ne désemplissent pas avec,
pour la première fois, des ateliers slam
pour les collégiens, des scènes ouvertes
publiques, des concerts et des performances. De la littérature à la poésie, de
la poésie au slam, la Fête du livre reflète
avec talent l’air du temps.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
La Fête du livre de Toulon s’est déroulée
les 20, 21 et 22 novembre.
Le livre d’Akli Tadjer (voir Zib 15),
Il était une fois peut-être pas (Lattès) a
obtenu le Prix des lecteurs du Var 2009
© X-D.R
mineur dans la famille de la grande littérature. Il s’agit
donc à la Destrousse de montrer la diversité des styles
du polar avec un large plateau d’invités, et de
nombreux auteurs de la région, comme Jean
Contrucci ou Bruno Leydet (voir p 50 et p 51).
Le programme des activités est extrêmement riche :
Cluedo géant pour les enfants, jazz swing, lectures
d’extraits de polars, petite pièce en un acte mise en
scène et composée pour l’occasion par Michel
Jaquet, jouée par l’auteur et André de Rocca. De
nombreuses interventions aussi de fous du polar, la
813 (les Amis des Littératures Policières), les
Polarophiles Tranquilles qui présentent leurs revues,
des atelier de calligraphie, des auteurs jeunesse comme
Prat du Joncourt.
Aux murs de la grande salle de La Pléiade qui accueille
le festival, de larges panneaux: chacun présente la
photographie d’un écrivain en noir et blanc, comme
une page qui s’écrit et en parallèle la vue en couleur
d’un paysage cher à ce dernier. Ces clichés prêtés par
la médiathèque de Miramas sont de Claude
Almodovar…
Un petit festival rappelle modestement l’organisatrice
secondée par une équipe de bénévoles enthousiastes.
Mais quelle qualité !
MARYVONNE COLOMBANI
CITÉ DU LIVRE | AU PROGRAMME
LIVRES
53
La page et l’écran
L’Agence Régionale du Livre organisait des rencontres publiques sur les métamorphoses numériques du livre. Un sujet essentiel, qui reste inquiétant
Tourner la page ?
Cette position s’explique aisément : évidemment, un livre scientifique gagne
en arborescences, en consultations, en
précisions, en réseaux qui l’affranchissent du linéaire, et permettent
une actualisation constante des
données et du savoir ; évidemment
l’archivage numérique du patrimoine
imprimé garantit a priori qu’il sera
conservé sans danger de détérioration
par le temps, le feu ou la consultation ;
évidemment la pratique de l’écriture
numérique, avec ses invisibles ratures,
ses rajouts potentiellement illimités, et
cette fenêtre ouverte de l’autre côté de
l’écran qui permet à tout écriveur de
consulter le monde, est une source de
plaisir infini. Seuls quelques nostalgiques écrivent encore leurs œuvres sur
papier.
Mais ils sont nombreux encore ceux qui
lisent des livres. Nos sociétés de consommation ont intérêt à nous pousser au
numérique. C’est-à-dire à l’achat de
l’appareil et non de l’œuvre. Question
de plus-value immédiate, de rémunération des industries et non de l’intellect.
R
X-D.
Les bibliothécaires, chercheurs, libraires
et professeurs réunis lors du colloque
parlèrent parfaitement des aspects techniques de la numérisation des données.
Brillamment, Françoise Benhamou
séria les bouleversements économiques
qui attendaient le monde du livre dans
les prochaines années, depuis les droits
d’auteurs jusqu’au rôle prescripteur des
libraires et des bibliothécaires. Bernard
Stiegler, pour conclure, souligna cette
«grammatisation du lecteur» poussé à
devenir écriveur de ce qu’il lit, acteur de
palimpsestes nouveaux, sans falsification.
Chacun semblait convaincu que, si
l’ebook était loin de prendre, la galaxie
de l’impression était à un tournant de
son histoire, complétée, dépassée, voire
remplacée par la lecture numérique.
le ©
Kind
zon
Ama
Lorsqu’il écrivit la Galaxie Gutenberg,
Mac Luhan, malgré d’évidentes erreurs
de prospective (on n’a jamais autant imprimé qu’après l’invention de la radio
et la télé), posa au moins une chose essentielle : l’interdépendance étroite du média
et du message. On ne peut après cela
penser le livre numérique comme un
livre, non parce qu’il ne peut en reproduire le contenu, mais parce qu’un
contenu qui change de média transforme
aussi son message. Qu’il l’amoindrisse,
l’enrichisse, le commente ou le dénature.
Qu’est-ce qu’un livre ? Affectivement
avant tout un objet. Intimidant, rebutant, offert, prêté, donné, dormant à
côté de vous, illustré parfois, consulté,
compulsé, oublié puis repris comme on
retrouve une photo d’enfance. Un objet
que l’on touche, que l’on pratique et que
l’on aime, que l’on vocalise parfois pour
les autres, ses enfants, et qui laisse des
marques dans votre esprit parce qu’il agit
sur votre corps.
Aujourd’hui,
contrairement au disque et à la presse, le livre résiste
et se vend parce que son rapport au corps
est fait de proximité et d’affects. Au
moins quand il s’agit de littérature.
AGNES FRESCHEL
Les Rencontres sur les Métamorphoses
numériques du livre ont eu lieu
à la Cité du Livre (Aix)
les 30 nov et 1er déc.
Au Programme
ARLES
Chapelle du Méjan – 04 90 49 56 78
Lecture de textes de Fellag et d’Antonio Lobo Antunes par Fellag
et Marianne Epin. Le 5 janv à 20h30.
AVIGNON
Collection Lambert – 04 90 18 56 20
Dans le cadre du 10e anniversaire de la création du musée Éric
Mézil, directeur de la collection lambert, propose une série de
conférence publique consacrée à l’histoire de l’art. Le cycle
s’ouvre le 22 déc à 17h30 par Intoduction à l’analyse de l’image
ancienne et contemporaine, l’iconographie des maîtres du moyen
âge à Andy Warhol.
CARPENTRAS
Librairie de l’horloge – 04 90 63 18 32
Rencontre avec Jean-Michel Guenassia autour de son livre Le
club des incorrigibles optimistes (Albin Michel), le 18 déc à 19h.
GAP
Théâtre La Passerelle – 04 92 52 52 52
Exposition Esquives et Nocturnes de Mireille Loup, du 9 janv au
27 fév. Vernissage le 8 janv à 18h30, rencontre avec l’artiste le 9
janv à 10h
MARSEILLE
CIPM – 04 91 91 26 45
Exposition Poësimage proposée par l’URDLA(centre international estampe et livre), jusqu’au 16 janv.
CRDP – 04 91 14 13 87
Le corps dans l’art contemporain, conférence donnée dans le cadre
des rencontres culturelles du CRDP : Le portrait dansé, par
Christian Gattinoni, enseigant à l’Ecole nationale supérieure de la
photographie d’Arles. Le 21 janv à 18h30.
BMVR Alcazar – 04 91 55 56 34
Voyages en encyclopédies : de Diderot et D’Alembert aux
encyclopédies en ligne : conférence sur l’évocation des
problématiques des encyclopédies en ligne et du travail des
Encyclopédistes des Lumières, lecture d’un passage extrait du
Rêve de D’Alembert de Diderot, le 18 déc à 17h en salle de
conférence ; conférence d’Agnès Deluchi des Editions
Britannica-Universalis sur l’Encyclopédie Universalis, le 7 janv à
18h en salle des conférences.
L’Alcazar célèbre Jean Cocteau dans le cadre du 120e anniversaire
de sa naissance : pour les 50 ans du tournage du film Le
Testament d’Orphée, projection et table ronde, le 19 déc à 17h en
salle des conférences.
Exposition Aux limites du photographiable qui réunit les œuvres
de Steven Bernas, Rolf General, Marc Heller, Bernard Plossu,
Christine Buignet, Olivier Umhauer, Christian Galzin et
Bernard Lantéri, jusqu’au 16 janv en salle d’exposition.
Rencontre autour du livre Le Bateau-usine de Kobayashi Takiji
à l’occasion de sa parution en français, avec sa traductrice
Evelyne Lesigne-Audoly. Le 9 janv à 17h à l’auditorium.
Conférence de la linguiste Véronique Rey Et si demain les enfants
ne savaient plus parler ?, le 9 janv à 15h en salle de conférence ;
conférence de l’hydrobiologiste Christian Lévêque, Biodiversité,
je t’aime moi non plus!, le 16 janv à 17h en salle de conférence.
Librairie Maupetit – 04 91 36 50 50
Rencontre avec Florence Langlois et Vincent Bourgeau, auteursillustrateurs pour la jeunesse. Le 19 déc à 15h.
Centre international de recherches sur l’anarchisme –
09 50 51 10 89
Rencontre/débat avec Ronald Creagh, auteur du livre Utopies
américaines, expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours (éd.
agone), le 9 janv à 17h.
ABD Gaston Defferre – 04 91 08 61 08
Exposition Visions portuaires : photographies de François
Delaage et installations de Claire Saltet. Jusqu’au 16 janvier.
Librairie Histoire de l’œil – 04 91 48 29 92
Exposition de Jean Julien, organisée par Fotokino dans le cadre
du festival Laterna Magica. Jusqu’au 31 déc.
Espace Ecureuil – 04 91 57 26 49
Conférence d’initiation : Art et paysage IV, Du pittoresque au
sublime (XVIIIe siècle) par Jean-Noël Bret. Le 13 janv à 12h30,
le 15 janv à 12h30 et 18h.
SAINT-MICHEL L’OBSERVATOIRE
Editions C’est-à-dire – 09 53 07 52 14
La jeune maison d’édition C’est-à-dire (7 titres au catalogue à ce
jour), propose 3 livres en souscription (à 15 euros au lieu de 20)
aux lecteurs qui souhaitent soutenir leur démarche : Le pays de
Forcalquier : son lac, sa mer de Gabriel Conte ; Et en cas de peste,
ce qu’à Dieu ne plaise… Chronique d’une ville close, Sisteron
(1719-1723) d’Irène Magnaudeix ; Bourgeois à la campagne, les
domaines avec bastides de Saint-Etienne-les-Orgues de Gisèle
Roche-Galopini. Vous pouvez télécharger le bon de souscription
sur leur site http://cestadire.editions.free.fr avant le 20 décembre.
54
LIVRES
ÉCRIMED | HÉROPOLIS
Chic
ou
bohème ?
Un week-end,
deux événements.
Tous deux axés sur l’écriture et sur la Méditerranée,
suivant des voies très différentes
Heropolis © Territoire3
Bohème en Friche
Le 20 novembre, début de soirée. Dans une salle
prêtée par la Friche, où on s’installe tant bien que mal
sur des divans défoncés ou des pliants, Jean-François
Paillard et l’équipe de Territoire 3 présentent leur
drôle de spectacle, Heropolis. 52 minutes de littérature,
arts visuels et musique mêlés ; 52 minutes pour évoquer ce qui arrive lorsqu’un homme se transforme en
chien. À partir d’un texte écrit et d’une vidéo tournée
à Istanbul avec des moyens artisanaux, appareil photo
numérique et caméra embarquée, J.-F. Paillard et ses
complices proposent une performance originale, qu’ils
n’ont eu que 10 jours (et quasiment aucun financement) pour mettre au point. Sur l’écran se déroule le
film des avatars de l’homme mué en chien, de sa
traversée des Enfers à sa renaissance. L’image «sale»,
volontairement tremblée ou saccadée ou répétée, joue
sur un noir et blanc partiellement colorisé, sur des
effets de solarisation. Rien à voir avec une vidéo de
vacances à Istanbul, même si on retrouve au hasard
des tribulations du personnage les vues touristiques
traditionnelles de la cité. Paillard recrée le voyage en
Orient et la ville turque se teinte de Grèce, et le
Bosphore devient Styx… Cette traversée en images
s’accompagne d’un périple sonore des plus excitants.
Le texte, s’il n’échappe pas à quelques clichés, sort
exalté de la performance des six allumés qui le portent.
Trois musiciens rythment les chapitres, façon films
muets tandis que deux lecteurs-bruiteurs, Jean-Marc
Hérouin et Marion Rampal, susurrent, crient ou
psalmodient les mots, que la machine diabolique de
l’électroacousticien Didier Simione distord et
amplifie… Une extravagance très maîtrisée, pour une
vision onirique de la Méditerranée, où les anciens
mythes imprègnent toujours la réalité contemporaine.
Un DVD viendra sous peu pérenniser cette expérience
unique et permettre à cette équipe inventive de poursuivre ses incursions à la croisée des champs artistiques,
pour une autre lecture de nos rivages méditerranéens.
Chic aux Docks
Autre lieu, et toute autre ambiance pour la 1re édition
des Écritures Méditerranéennes, placées sous la
direction littéraire de Pierre Assouline et Tahar Ben
Jelloun et chapeautées par la sémillante Elsa Charbit.
Si les livres et les écrivains avaient paru singulièrement
absents lors de la conférence de presse (voir Zib’24), ils
étaient bien là, aux Docks de la Joliette, samedi 21
et dimanche 22, venus de Tunisie, du Liban, d’Italie,
du Portugal et d’ailleurs, pour tenir des cafés littéraires
à la brasserie Agora, participer aux tables rondes dans
le grand auditorium de l’école Euromed Management, dédicacer leurs ouvrages entre deux.
Luxe, calme et lumières tamisées ; tout au long du
large couloir parqueté qui menait du restaurant à
l’auditorium, des tables avaient été installées, en règle
générale une pour deux écrivains invités, chacune
d’elles ornée d’une petite lampe de lecture de forme et
de couleur différentes. Le genre de détail classe qui fait
la différence ! Tout était à l’avenant, les hôtesses sou-
riantes et élégamment vêtues, les étudiants d’Euromed
dévolus à l’accompagnement des auteurs. Beaucoup
d’allure, et des tables rondes intéressantes, quoiqu’un
peu convenues pour un public un tant soit peu averti.
Car lorsqu’on est coutumier des rencontres littéraires
de Manosque, de celles organisées à Toulon le même
week-end, ou de celles que mettent en place nos
libraires et éditeurs indépendants, les discours entendus à Ecrimed n’ont pas brillé par leur originalité, en
dépit du talent oratoire de certains, comme le Libanais
Najjar, l’Italien Bajani ou l’Algérien Djemaï. Sans
doute n’était-ce pas la configuration idéale pour sortir
des sentiers battus…
Mais ce qui est formidable, c’est qu’on puisse le même
week-end voir ces deux choses-là, tellement éloignées
l’une de l’autre en dépit de leur thématique commune.
Ambiance, budget, traitement et choix esthétiques,
rien de comparable entre les deux. Mais il est bon que
de telles manifestations coexistent, et puissent continuer à rassembler des publics différents autour des
écritures et de la Méditerranée.
FRED ROBERT
Heropolis a été donné
à la Friche le 20 nov
Le 1er salon des Ecritures Méditerranéennes
s’est tenu aux Docks de la Joliette
les 21 et 22 nov
Écrimed © Olivier Monge - MYOP
RENCONTRES LITTÉRAIRES
LIVRES
55
Pour que 2010 vous donne
la joie de livres !
Bien sûr, l’hiver, c’est moins
facile de sortir dans l’obscurité
des jours qui raccourcissent.
Cela vaut pourtant la peine :
il est des rencontres qui sont
de vraies fêtes. Et si vous les
avez ratées, pas grave, il reste
les livres de ces auteurs.
À lire sans modération…
La rencontre attendue d’Écrivains en dialogue à la
BDP le 8 déc, qui réunissait Olivier Adam et Véronique Ovaldé, tous deux publiés à l’Olivier, régulièrement
primés, et auteurs d’ouvrages jeunesse à côté de leur production pour adultes. Tous deux également professionnels
du livre, puisqu’Adam a longtemps été éditeur et
qu’Ovaldé vient de le devenir après avoir travaillé 17
ans comme responsable de fabrication. Deux quadras
plus que pros, et deux romanciers remarquables.
On avait regretté la défection d’Ovaldé à Manosque
(victime d’un frelon, asiatique aux dernières nouvelles,
les pires il paraît) ; cette fois-ci, elle est là, en pleine forme.
Son collègue de plume (et fidèle lecteur) a souhaité l’inviter afin de comprendre «où elle va chercher tout ça.» Les
territoires que ces deux écrivains explorent sont très
éloignés. L’une, qu’on rapproche souvent d’auteurs sud
américains (qu’elle n’a pas toujours lus !) tendrait vers
le merveilleux, l’univers des contes et le baroque, espace-temps improbable, toponymie symbolique ; tandis
que l’autre se rapprocherait d’une esthétique néoréaliste,
attention minutieuse aux détails quotidiens, lieux ancrés
dans une réalité géographique, météorologique même.
Il y a pourtant plus d’une passerelle à tendre entre ces
deux univers, ne serait-ce que celle de l’unicité de la voix
qu’ils font entendre. Une voix qui se tient sur «la corde
raide des émotions», dans un mélange de brutalité et de
douceur qui donne à leurs fictions cette tonalité si particulière, dans la lignée des littératures américaine et
japonaise que tous les deux lisent et admirent.
Pascal Jourdana avait joliment intitulé la rencontre
Le boxeur et la fée. Qui est l’un ? Qui est l’autre ? Au final,
on n’en sait rien. Car il y a de la boxeuse en Ovaldé et
du magicien en Adam. Ne pas être là où on les attend,
c’est sans doute cela qui les rapproche aussi, et qui procure tant de plaisir à leurs lecteurs.
construit en dur, confie à la jeune femme de 23 ans le
mobilier et tout ce qui touche à l’architecture intérieure. Elle va devenir l’alliée idéale du Corbu dans la
révolution de l’intérieur et du mobilier qui ne jure à
l’époque que par l’art déco de Ruhlmann. Appliquer
le modèle industriel du Taylorisme pour un fonctionnalisme humain devient alors la clef du modernisme.
Fauteuil tournant, fauteuil tube, bureau en forme, la
belle Charlotte fait «chanter l’espace» jusqu’à produire le
fauteuil grand confort et la fameuse chaise longue qui
aurait été inspiré par le pont transbordeur de Marseille
pour ce qui est de l’ossature. Comme souvent, le maitre
oubliera la p(m)aternité des œuvres… et le Japon
accueillera l’inspiration de la créatrice qui fut injustement traitée en France, même si elle trouva un terrain
à son talent avec la construction de la station des Arcs
en 67. Charlotte Perriand, un art d’habiter mais
aussi Charlotte Perriand et le Japon témoignent
de ce formidable héritage qui nous a été transmis avec
passion et exactitude.
Charlotte in love
Toussaint à Noël
Une Escale à la librairie Imbernon, rencontre passionnante sur l’architecte et designer Charlotte Perriand
a eu lieu le 9 déc dans la 3e rue de la Cité Radieuse Le
Corbusier, à l’occasion de la sortie d’un nouvel ouvrage
aux éditions Norma. Reconnu et primé pour ses nombreux films et portraits d’architectes, Jacques Barsac,
qui côtoya l’artiste quotidiennement pendant vingt ans,
a donné une très belle conférence sur l’histoire de cette
femme qui fut associée au Corbusier de 1927 à 37.
Il manquait une pierre à l’édifice sans faille de l’architecte visionnaire qui, impressionné par le bar sous le toit
Encore une rencontre avec un auteur remarquable dans
un lieu agréable : Jean-Philippe Toussaint à la librairie l’Histoire de l’œil le 10 déc. Il a fallu pousser les
murs, mais on est arrivé à se caser, pour une conversation
entre amis. L’auteur est largement revenu sur son dernier
roman, La vérité sur Marie (voir p.50), en a lu des extraits, et a rappelé les liens qui unissent l’œuvre avec les
précédentes. Chaque œuvre reste autonome, mais des
résonances s’établissent entre elles. Si scènes, lieux et
tonalités se répondent, c’est qu’il s’agit de «toujours
écrire le même livre» et en même temps, de «toujours se
Rencontre a la librairie Histoire de l'oeil avec J.-P. Toussaint © Agnès Mellon
renouveler». Ambivalence jubilatoire, terrain même de
la littérature. Ambivalence de la «vérité sur Marie», impossible à connaître et qu’il écrit pourtant. Ambivalence
de l’énergie romanesque, qu’il retient d’abord pour
mieux la lâcher dans des scènes paroxystiques. Ambivalence d’un récit à la 1re personne, d’où le narrateur
disparaît pourtant. Ambiguïté enfin de l’accumulation
d’«effets de réel» dans ce qui relève de la fiction pure.
Toussaint joue de cela et pose mine de rien des questions littéraires cruciales.
Il n’a pas parlé que de littérature, car il est également,
photographe, cinéaste, plasticien. Son éclectisme s’accommode bien des nouvelles technologies : il se montre
fier de son site, sur lequel on peut lire certains de ses
brouillons, voir des scènes de ses films ou de ses installations. Il a également en tête un projet d’exposition
virtuelle. Où s’arrêtera-t-il ? À la publication de ses
romans sur le web. Car, a-t-il conclu, rien ne vaut le
support papier pour jouir pleinement d’une fiction
romanesque.
FRED ROBERT ET FRED ISOLETTA
Beaucoup d’autres rencontres ce mois-ci !
Au Greffier de Saint-Yves, une séance
de lecture- dédicace-dégustation délicieuse !
Trop tard pour en profiter mais il est toujours
possible de faire un tour dans cette accueillante
librairie de l’hyper centre de Marseille ; on y trouve,
comme dans toutes les vraies librairies, des idées
cadeaux à tous les prix…
56
PHILOSOPHIE
LES RENCONTRES D’AVERROÈS
Notre monde
est-il tragique ?
Une fois encore les Tables Rondes d’Averroès
ont fait salle comble et ont permis au public
de se rassasier de connaissances et de
questionnements. Autour des Figures du Tragique,
thème de cette 16e édition…
Naissance de la tragédie
La première conférence rassemblait une
philosophe, Barbara Cassin, un metteur
en scène, Vassilis Papavassiliou et un
romancier grec, Takis Théodoroupoulos.
Inutile de préciser le rapport avec la Grèce
des deux derniers ; pour Barbara Cassin
c’est la plus grande spécialiste de la Grèce
antique.
Quelle est la spécificité de la tragédie, et sa
différence avec le drame ? Après avoir précisé
le contexte historique de son éclosion (voir
Zib 24), la question de la nature de la tragédie se posa. Le drame se noue dans un
univers à une dimension, la situation y est
plus ou moins soluble, relève de la plomberie
et des techniques de la condition humaine.
La tragédie n’est possible que dans un triangle rappela Barbara Cassin : l’homme, les
dieux et la cité. La tragédie c’est l’action du
héros auquel s’identifie le citoyen, et sous le
regard des dieux. Voilà pour la forme.
Sur le fond la philosophe précisa que la
tragédie est oxymore, puisque le héros est
coupable et non coupable. Et de manière
moderne c’est lorsqu’on est «responsable
mais pas coupable» ou que quelque chose se
déroule «à l’insu de notre plein gré» (rires
dans la salle !).
Voilà pour la distinction d’avec le drame.
Reste alors à se demander pourquoi la
tragédie antique est associée à la tristesse.
Rectification ! Vassilis Papavassiliou rappelle que la tragédie grecque n’est pas bien
sérieuse, qu’elle a un aspect parodique qui
démystifie les héros. Ainsi, Agamemnon
rentrant tranquillement après dix ans d’absence voir sa femme, avec sa maîtresse, alors
qu’il a fait sacrifier leur fille, croit que tout va
bien ? Ce n’est pas sérieux ! Il précisa aussi
qu’il n’y a pas aujourd’hui de communauté
prête pour la tragédie : le théâtre de
Dionysos pouvait accueillir près de 25 000
personnes, grecs ou métèques, femmes ou
hommes, citoyens ou esclaves, pour y exprimer ensemble les passions les plus
violentes.
En bref il ressortait de cette conférence que
la tragédie est une joie panique devant la liberté humaine comme
le dira justement le metteur en scène. Le romancier Takis
Théodoroupoulos précisant que l’ananké prend toujours le dessus,
mais que la tragédie est perpétuelle négociation avec la fatalité.
D’où la liberté comme négociation avec les déterminismes ?
Dieu et le tragique
Il s’agissait là de mettre les monothéismes au défi de la tragédie ;
exercice périlleux à double titre puisque le Dieu monothéiste met
fin au tragique. Autre risque : quelle religion peut mieux
s’accommoder du tragique, c’est-à-dire de la liberté humaine ? Là
aussi l’Islam fut pris en défaut d’archaïsme, non pas tant quant à
sa nature, que par les arguments de ses représentants.
Comme le rappelle Mahmoud Hussein (pseudonyme commun
de Bahgat El Nadi et Adel Rifaat), la tragédie n’existe pas dans
l’Islam puisque Dieu est certitude. Force est de constater, précise-til, que la liberté individuelle ne se déploie qu’à moitié. Ce qui est
tragique c’est que quelles que soient les actions humaines du pieux
et du non pieux, c’est dieu qui décide à la fin qui ira au paradis.
Jean-Christophe Attias souligne que la conscience juive est
tragique. Cependant le livre de Job, la destruction du temple en 70,
et la fuite de 1492 sont pour Attias trois moments qui permettent
de penser que la tragédie est exégétiquement évitée, puisque la
réparation est à venir. En revanche le génocide et la création de
l’état sont une tragédie : une fausse réparation qui plonge dans
l’insoluble.
Dans la conscience chrétienne, pour Michel Guérin, le tragique
c’est l’homme, tissu de «contrariétés», «monstre incompréhensible»
(Pascal). Tragique est en fait le nihilisme : dieu est mort, certes, mais
qu’est-ce qu’on fait du cadavre ? Le tragique est ce krach boursier
des valeurs qui porte le XIXe siècle vers le romantisme, l’ennui, la
mélancolie. Comment dès lors fonder une espérance sans eschatologie religieuse ?
Guerre et terrorisme :
un tragique contemporain ?
L’historien Stéphane Audoin-Rouzeau souligne certaines mutations. La guerre s’étant démonétisée au XXe siècle, ce qui a changé
c’est l’étonnante circulation entre l’espace pacifié et l’espace de
guerre, et la proximité avec l’ennemi : au Rwanda on se massacrait
à l’intérieur de la même famille ; alors qu’on croyait que la différence créait la violence c’est la ressemblance qui en était, là, à l’origine.
Farhad Khoskokavar rappela quant à lui que le martyr, auparavant sacré, est aujourd’hui sécularisé : chacun peut devenir martyr.
Par ailleurs il souligna que le terrorisme se nourrit dans nos sociétés
virtuelles de la construction imaginaire de l’humiliation.
Alors pourquoi la guerre ? Petite pierre de l’historien : les intellectuels qui, au début du XXe siècle ont tous été embarqués dans ce
grand massacre, n’ont pas fait de leur guerre une pratique de leur
analyse.
On aurait pu apporter d’autres réponses : le terrorisme d’État, toujours occulté et pourtant cause des guerres et non effet. La réalité
économique d’oppression et ses inégalités, qui entraînent des humiliations non virtuelles. Mais les Tables rondes d’Averroès
laissent souvent en suspens les questions qu’elles soulèvent. Le but
étant de les soulever ?
RÉGIS VLACHOS
Les Tables rondes se sont déroulées
les 27 et 28 nov
au Palais des Congrès
© Agnès Mellon
ENTRETIEN AVEC RAPHAËL GRANVAUD
PHILOSOPHIE
57
Vérité, histoire,
démocratie
Trois grandes
notions entachées
d’imposture
Le livre de Raphaël Granvaud, Que
fait l’armée française en Afrique, est une
somme considérable et passionnante qui
fait le point sur les crimes et complicité
de génocide du pays des droits de l’homme au continent des «sauvages». Les
informations sur ces crimes existent mais
nombre d’universitaires continuent de
ne pas les divulguer, travestissant ainsi
l’histoire, manipulant des clichés racistes
et cela afin de ne pas blesser un certain
orgueil patriotique.
À la lecture de ce livre on peut penser aux
pires heures du stalinisme sur la falsification historique au sommet de l’État.
Le bloc soviétique désinformait grossièrement, contrairement aux technologies
plus subtiles à l’Ouest qui, désinformation, manipule de l’opinion et pratique
l’autocensure.
S’intéresser aux rapports de la France à
l’Afrique réinterroge les conditions de
production de la vérité, l’écriture de
l’histoire, la légitimité des interventions
guerrières des pays démocratiques. Et
fait douter de notre statut de démocratie
et d’état de droit. Mais qui a le courage
de s’apercevoir que la vérité relève du
thumos et non de la sophia ?
Zibeline : Vous portez dans votre livre
des accusations très graves contre l’armée
française, lui reprochant de s’être rendue coupable, jusqu’à récemment, de
crimes ou de complicité de crimes de
guerre ou de crimes contre l’humanité.
Sur quoi ces accusations sont-elles
fondées ?
Raphaël Granvaud : Ces accusations
correspondent à des définitions très précises en droit international et sont étayées
par des rapports très sérieux de diverses
ONG. Lorsque l’armée française tire
sur des foules de manifestants ivoiriens
désarmés en novembre 2004, quand
elle cautionne le recrutement d’enfants
soldats comme dans l’armée tchadienne
qu’elle porte à bout de bras, lorsqu’elle
encadre et supervise les opérations militaires d’une armée qui mène une
politique de la terre brûlée contre une
fraction de sa population, comme en
République centrafricaine et qu’en plus
elle tente de dissimuler ces crimes à
l’opinion publique internationale, il s’agit
bien de crimes ou de complicité de
crimes de guerre. Sans parler bien sûr
du Rwanda en 1994 où il y a eu complicité active, au sens juridique du terme,
dans l’accomplissement du génocide
des Tutsi.
Sur le Rwanda, justement, certains font
valoir qu’on se massacrait dans la même
famille et qu’il s’agissait d’une affaire
purement rwandaise. Comment la
France est-elle complice ?
Ce sont des personnes précises qui se
sont rendues coupable de complicité de
génocide, mais elles occupaient à l’époque le sommet de la hiérarchie politique
et militaire, et elles engageaient donc
l’État français. Pour faire court, disons
simplement que livrer des armes aux
génocidaires, pendant le génocide, relève au plan juridique de la complicité de
génocide, crime également imprescriptible. Cela n’enlève rien au fait que la
genèse du génocide, l’instrumentalisation
politique, par une dictature raciste, d’un
ethnisme artificiel hérité de la colonisation, est bien une histoire rwandaise
(néanmoins certains militaires belges et
français partisans des théories de la «guerre
révolutionnaire» s’y sont associés depuis
longtemps). Cette histoire a effectivement déchiré des familles mais utiliser
l’argument de la proximité entre les
victimes et les exécutants du génocide
pour le banaliser, et masquer sa planification au sommet de l’État, le faire passer
pour une explosion de colère spontanée, ou occulter les complicités françaises,
relève de la méconnaissance, ou de la
falsification historique.
Les faits que vous rapportez dans votre
livre sont très largement ignorés de la population française. Comment est-ce
possible à l’ère du «tout communication» ?
Je me suis contenté de produire une
synthèse des rapports d’ONG, des enquêtes journalistiques françaises ou
étrangères, des travaux universitaires, des
publications militaires… Mais il est impossible au lecteur de la presse nationale
d’avoir une vision d’ensemble de ce que
l’armée française fait réellement en Afrique. Les informations pertinentes sont
Raphaël Granvaud © R.V
rares et noyées en permanence dans un
flot continu d’approximations, de clichés
hérités de la période coloniale ou de
tentatives délibérées de désinformation.
Sur les questions sensibles, qui touchent
à la raison d’État et au «secret défense»,
dont on use abondamment en France,
le terrain médiatique constitue officiellement un terrain de manœuvre comme
un autre pour les militaires… Enfin, il
faut aussi regretter une sorte de paresse
intellectuelle ou d’aveuglement volontaire, qui fait qu’il est plus facile de laisser
filer au second plan de sa conscience des
informations qui viendraient trop
radicalement bouleverser les idées communément admises sur «le pays des
droits de l’homme»…
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RÉGIS VLACHOS
Que fait l’armée française en Afrique
Raphaël Granvaud
Ed Agone, 20 euros
La complicité de la France dans le
génocide des Tutsi au Rwanda
15 ans après, 15 questions pour
comprendre
Ed. L’Harmattan, 13 euros
58
PHILOSOPHIE
ENTRETIEN AVEC ALAIN GUYARD
C’est dans la maison du peuple
du Cailar, village perdu de petite
Camargue que l’équipe de
Diogène Consultants
et son philosophe Alain
Guyard accueillent dans le vin
et la joie un public nombreux
pour un de ses stand up
philosophiques mensuels.
Dès qu’il prend la parole
on ne peut que l’écouter :
© R.V
le ton est joueur et nerveux.
Zibeline : Vous commencez par la
phrase de Socrate : «nul n’est méchant volontairement».
Pourquoi ce choix ?
Alain Guyard : Parce qu’elle illustre bien cet optimisme
qui repose sur un credo accordé à la raison. Dans la perspective socratique, si on sait, si on est plus avisé quant à
l’usage des plaisirs et de la tempérance, si on est capable
de jugement, on ne se fourvoie pas dans sa méchanceté.
Mais suffit-il de savoir pour être vertueux ?
Vous établissez une filiation avec Antisthène qui rajoute
à ce credo la force d’âme. Il choisit pour enseigner le
gymnase, lieu plus populaire, avec la «racaille». Mais quel
rapport entre la philosophie et le corps ?
En fait il s’agit de la stylisation de l’existence, et de la
théâtralisation de la philosophie. Le style, c’est la réconciliation du fond et de la forme : la force d’âme, pour
rendre raison d’elle-même, doit être corps. Alors seulement
le fond et forme s’unissent et font le style. Ça implique
que le philosophe n’est pas l’être de la production du
Mais surtout on assiste à une autre philosophie,
de celle que l’on n’enseigne pas et qui dépasse
l’intellectualisme socratique : le concept ne suffit pas,
le philosophe doit l’incarner, résister aux désirs vains
de la civilisation. Le philosophe matérialise ainsi dans
ses actes le mépris du pouvoir et du luxe, et enseigne
au peuple. C’est la leçon cynique. On est loin de notre
histoire de la philosophie faite de penseurs qui n’ont jamais
dérangé le pouvoir et ont inscrit la philosophie comme
privilège d’une élite éduquée et instruite.
Après ce show précis, joyeux, novateur et intelligent,
Alain Guyard précise ses intentions
concept dans sa tour d’ivoire. Il est là d’abord comme celui
qui, philosophant, va théâtraliser la philosophie, c’est-àdire la mettre en situation. Donc ce n’est pas innocent
d’être dans le gymnase, ce n’est pas innocent s’il y a des
scènes où Antisthène se fait boxer !
Quel rapport avec la boxe ?
Le texte que j’ai distribué de Dion Chrysostome laisse
entendre ce que la métaphore du boxeur signifie : il faut
penser la philosophie comme une éthique et non comme
une morale, une autonomie et non une prescription. C’est
ce qu’écrit Diogène Laërce dans Vies et doctrines des philosophes illustres : il revient sur Diogène et dit que ce qui
assoit un philosophe, ce sont des pratiques ascétiques
corporelles. Il en donne quelques-unes. Donc la métaphore
de la boxe que reprend Dion Chrysostome n’est pas si
vaine : il y a un apprentissage de la souffrance, de l’endurance. Le philosophe doit rechercher les épreuves corporelles
par lesquelles il endurcit sa volonté.
Donc le premier élément de subversion dans la philo-
sophie serait la pratique du corps qui affermit la volonté;
mais une autre subversion de cette contre-histoire de la
philosophie, c’est l’enseignement de la philosophie à «la
racaille», comme vous dites.
Quand on demandait à Antisthène pourquoi il allait
enseigner la philosophie à la plèbe, il répondait que le
médecin va vers les malades. La parrhêsia, le franc parler
des cyniques s’exerçait aux coins des rues. Aujourd’hui
on a oublié cette pratique populaire de la philosophie.
Pourtant Julien l’Apostat, 700 ans après Antisthène,
prend la défense des cyniques qui, disait-il, avaient cette
rigueur devant conduire au bonheur et qui consistait à se
libérer des esclavages de la civilisation. Il se souvient de
cette tradition cynique populaire.
C’est vrai qu’on a orienté l’enseignement de la philosophie vers les élites, d’où notre embarras quand on veut
l’enseigner au peuple.
Je pense que tous les hommes méritent notre considération ou aucun ne la mérite. Si la philosophie est réservée
Filo
Free
Fight,
une philosophie
au pied de biche
© R.V
59
à certains elle n’est pas très sérieuse, et elle est plutôt une
danseuse qu’autre chose…
Mais que serait une philosophie populaire orientée vers
tous, et qui ne serait pas une vulgarisation simplificatrice?
Ce que j’ai constaté c’est qu’il y a un très joyeux et très
grand appétit de savoir et de culture partout. La semaine
dernière une trentaine de bergers de l’Ardèche ont repris
contact avec moi parce que je suis venu l’an dernier chez
eux leur faire un exposé sur Lucrèce ; j’ai travaillé avec des
foyers, je travaille aussi dans plusieurs établissements
pénitentiaires, dans des maisons de la culture. Dans les
campagnes aussi, où les pratiques culturelles ne sont pas
aussi faciles que dans la ville.
Il y a des gens qui, par les hasards de la vie, n’ont pas accès
à la philosophie, et qui ont un appétit pour. J’essaye donc
de faire l’interface, parce que de toute façon je ne suis pas
un philosophe, je ne sais pas trouver des concepts, et je n’en
ai pas le temps. Mais ce travail d’interface nécessite de
l’exigence intellectuelle ; je ne veux pas tomber dans la
facilité, je viens toujours avec des textes d’auteur ; et si j’ai
pu leur apporter un outil conceptuel qui éclaire leur
existence, et si tout ça on peut le faire en rigolant c’est très
bien.
Qu’avez-vous essayé de faire passer dans votre exposé
«qu’est-ce que peut bien foutre un philosophe dans les
vestiaires d’une salle de boxe» où vous avez insisté sur
l’idée de corps et de dépassement de l’intellectualisme en
morale ?
Je voulais faire passer l’idée que la philosophie, si on est
d’accord avec Antisthène et Diogène, ça peut être une
question de force d’âme ; ce qui se joue dans la philosophie c’est quelque chose comme le courage. Alors certes
on n’est pas dans le concept mais plutôt dans la boite à
outil ; finalement ce que j’apporte ce sont plutôt des pieds
de biche que des concepts.
J’ai été très étonné par ce que vous dites de Diogène, qui
parle de désirs qui nous sont étrangers, et avance quelque
chose de très moderne sur l’aliénation.
Le modèle grec c’est une humanité apollinienne dans
l’harmonie, se connaître soi-même et rien de trop, un
équilibre dans la tenue. Et tout à coup sur la scène surgit
Diogène qui revendique le chien et qui le joue ! On
connaît les anecdotes de ses réponses théâtralisées. On a
chez Diogène cette idée que la sauvagerie est supérieure
à la civilisation. Plutarque dit que le programme de Diogène c’est d’ensauvager la vie. Le moment inaugural de la
conversion de Diogène à la philosophie c’est quand il va
consulter la Pythie. Elle lui dit : ton travail ce sera de
contrefaire la coutume ; comme si la civilisation était le
lieu de la barbarie, et l’ensauvagement l’occasion par
laquelle l’homme y échappe.
Vous avez écrit des pièces de théâtre comme Sacco et
Vanzetti ou Barricades. Est-ce que vous faites un lien entre
le cynisme et l’anarchie ?
Un peu. On y retrouve les mêmes typologies de
personnages que je trouve très attachants. C’est très
important cette espèce d’intransigeance, d’intégrité ; tout
acte politique commence par là. L’anarchie ne se résume
pas à cet individualisme petit bourgeois à quoi on veut le
réduire depuis 30 ans ; il est d’abord une expérience
collective très riche.
Mais le problème de l’anarchie n’est-il pas ce que vous
écrivez dans Barricades : «ce que craint le pouvoir ce n’est pas
qu’on le prenne mais qu’on le méprise» ?
J’envisage le pouvoir de manière foucaldienne, et
Foucault n’est pas anarchiste. Je crois qu’il faut en finir
avec l’idolâtrie de l’État. Il y a chez les anarchistes une
haine de l’État comme s’il était le lieu centralisé de
dispositifs techniques d’aliénation sont beaucoup plus
complexes. On ne peut plus envisager de solutions unilatérales… mais… je n’y ai pas assez réfléchi…
Ça tombe bien parce que la rédac chef m’a demandé de
ne pas toujours conclure par du politique ! Au fait, il faut
qu’on trouve un titre à l’interview sinon c’est elle qui s’en
occupe. Qu’est-ce que vous pensez de «la philosophie est
un sport de combat» ou «une autre philosophie est possible» ?
Ah non pitié ! J’ai monté dans mon bahut un club qui
s’appelle filo free fight… FFF ?
(Rires) Ok ! On en reste là !
ENTRETIEN REALISE PAR RÉGIS VLACHOS
Les sources de Guyard
pour son show
Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres,
Diogène Laerce, GF, 1993
Les Cyniques Grecs, Paris, Le Livre de poche, 1992
L‘ascèse cynique, Marie-Odile Goulet-Cazé, Vrin, 1986
© R.V
l’autorité et l’incarnation de la détestation absolue. Mais
dans les discours contestataires non anarchistes il y a cette
idée que la prise du pouvoir d’État est la condition de
résolution de tous les problèmes. Deux discours que
j’exècre.
Je pense avec Foucault qu’on est passé de sociétés de
souveraineté à des sociétés de contrôle ; depuis la
complexité est telle qu’il y a hors de l’État des zones de
pouvoir très importantes. Je ne pense pas que s’emparer
de l’État suffise pour en finir avec l’oppression, la
domination. Le programme de l’ultralibéralisme depuis
20 ans c’est l’abus du programme libertaire ! C’est se
débarrasser de l’État pour lui substituer les structures du
capitalisme transnational, la destruction et l’externalisation
de tous les services publics. Les anarchistes doivent dépasser leur diabolisation de l’État, et les marxistes léninistes
doivent comprendre que s’emparer de l’État ne suffit pas.
Mais comment en finir avec la guerre, mettre fin au pouvoir
des multinationales, restaurer les services publics sans
s’emparer de l’État ?
Je ne crois pas à une stratégie politique de refus de l’État,
ni à celle de la prise du pouvoir d’État. Parce que les jeux
du pouvoir sont beaucoup plus complexes ; parce que les
© R.V
Le cynisme ancien et ses prolongements.
Actes du colloque international du C.N.R.S. Paris, PUF,
1993
Pour des infos étonnantes et les prochaines dates
www.diogeneconsultants.com
60
HISTOIRE
ÉCHANGE ET DIFFUSION DES SAVOIRS | ABD
Puzzle de sens et de mémoire
Elle est paysagiste et plasticienne, il est photographe.
Leurs travaux se tissent autour d’un même objet,
le port de Marseille
Le premier étage des ABD accueille
ainsi une double création, photographies, et objets hétéroclites mis en
scène. Leur seul point commun est
d’avoir été trouvés sur un môle, un
quai. Ce sont des mobiles de pots de
peinture, des cailloux éclaboussés de
coulées rouges, vertes ou bleues, posés
ça et là comme des fragments d’une
mémoire qui vagabonde. Mannequins
muets, aveugles, ombres vêtues de
combinaisons de travail marquées
par l’usage, boîtes à outils abandonnées,
étranges fleurs de chiffons, perchées sur
de longues tiges métalliques… tout est
disposé là parmi des tableautins, ferrailles, tesselles de miroirs, vieilles caisses
rafistolées où reposent des merveilles,
des gants dépareillés maculés, pinceaux
déplumés, poupées perdues, bric à brac
de pots de plastique, d’objets insolites,
cales de bois, plaques de fer blanc aux
inscriptions parfois déroutantes, «Attention Conducteurs nus Sous tension Dans
caniveau»…
Les photographies elles aussi courent
sur les murs, pendent des plafonds, vues
partielles ou générales du port, éclairages de jour, de nuit. La multiplicité des
objets réunis et des angles de prise
forme un kaléidoscope unique. Vision
impressionniste dans laquelle chaque
fragment porte un élément infrangible
de réalité. Ce sont des structures aérien-
nes, comme affranchies de toute attache
terrestre, des filins et des poulies ; des
jeux de cubes géants des containers,
larges aplats de couleurs vives ; des processions étranges de grues, qui prennent
des allures de girafes ou de dinosaures
qui marchent dans la nuit bleue ; des
escaliers de fer qui s’élancent vers le ciel
comme si leur seule fin était d’atteindre
l’azur ; et des graffitis énormes : «Pour la
vie Moumou», «Cléopâtra, we are proud»…
De curieuses barques de bois côtoient
l’outillage des géants, les photos resserrent leurs plans sur des formes de
métal écorché, abstractions brutes de ce
qui fut…
Si la nature apparaît sur quelques clichés,
herbes folles, touffes roses de valériane,
buissons de genêts, les hommes, matière participant à la matière, sont absents.
Réflexion voulue sur un lieu de transit,
de passage, que l’on n’habite pas…
Subsistent nos fossiles, déchets de toutes
sortes, témoins d’existences que l’on ne
représente pas, car elles ne peuvent s’inscrire dans la permanence.
Que laisse l’homme derrière lui ? Quel
sens donne-t-il à ce qu’il produit, à ce
qu’il jette ? Quel rapport entretient-il
avec ces lieux sacrifiés ? Où donc enjeu
utilitaire et esthétique se rejoignent-ils?
À partir de quel degré d’abandon le
Beau prend-il ses lettres de noblesse ? Le
catalogue de l’exposition propose une
Photographie de Francois Delaage
série de textes qui participent de l’analyse, de la poésie, de la fantaisie… Un
Abécédaire des objets trouvés sur le port
clôt le livre en guise d’épilogue et de
projet d’avenir. Une superbe exposition
et un catalogue qui méritent un arrêt de
votre temps !
Visions Portuaires aux ABD
jusqu’au 16 janvier 2010
François Delaage,
Claire Saltet
MARYVONNE COLOMBANI
La notion de crise dans l’Histoire
Pour sa dixième année d’existence, Échange et Diffusion des Savoirs consacre sa saison au thème de la crise.
François Hartog parlait donc le 10 déc de Crise du temps, crise dans le temps.
Son but : expliciter la notion de crise comme une rupture dans le temps ordinaire, une suspension du présent.
Parcours
Dans la Grèce antique, Hippocrate donne au mot
crise un sens médical. C’est un état critique où se
décide la guérison ou la mort. Le médecin doit
identifier les signes qui annoncent la crise, les
ordonner pour établir un pronostic et administrer un
remède. Plus généralement, la crise est le moment où
les individus se demandent comment ils doivent agir.
La solution dans une situation sans issue consiste à
recourir à un temps particulier, le kairos, le temps de
l’occasion opportune. Il faut alors en profiter pour lire
les signes et trouver une solution. Dans la Bible, la
crise marque la fin d’un temps corrompu grâce au
repentir : le passé mauvais explique les difficultés du
présent. Pour l’apocalypticien, en revanche, la crise est
un constat d’aporie, de situation sans issue dans le
présent. Il faut donc voir venir la fin et s’y préparer !
Ces deux modèles sont la marque de l’occident : l’une,
la prophétie, permet, après la crise et l’exil, une résolution, une reprise du cours du temps normal. L’autre,
l’apocalypse, est une rupture dans le temps, récapitule
le présent et nécessite une transformation complète.
Le christianisme envisage une crise du temps et dans
le temps : Dieu fait irruption dans le temps des
hommes, Jésus donne un sens au temps par l’incarnation. Chronos, le temps chronologique, devient un
kairos, un temps opportun, puisque le Christ est à la
fois la crise et sa solution. Mais si l’Eglise a repoussé
l’apocalypse en instaurant le calendrier (elle crée un
temps cyclique, un temps soustrait au temps), les
mouvements millénaristes continuent de voir la crise
comme un moment de transition.
Temps modernes
La Révolution Industrielle, avec le progrès, amplifie
la place du futur. Mais il reste des maladies, des crises
dont il faut voir les symptômes. L’économiste Juglar,
en 1862, établit que les crises sont cycliques et qu’on
ne peut les supprimer. Reste à les prévoir, c’est le
ressort de l’analyse économique. Les historiens, eux,
cherchent les structures qui expliquent les crises, qui
sont alors perçues comme des aboutissements de
problèmes. Mais dans les années 70 la crise n’est
plus perçue comme un passage, elle devient durable :
le temps de la crise est dans la crise. Comme la reprise
est sans cesse annoncée, discernée, le présent remplace
le futur.
Notre temps est sans issue, une aporie, un temps
d’après l’apocalypse : il n’a ni passé ni futur. Seul règne
l’événement, en politique comme dans l’entreprise.
L’immédiateté est devenue la pierre angulaire du
fonctionnement de la société. L’histoire n’a plus de
place, il n’y a plus que l’événement. Et comme il est
par nature erratique, il est inutile de tenter de le
prévoir.
RENÉ DIAZ
La Terre,
le Temple, la Loi
Sujet complexe, polémique, l’étude des Hébreux
requiert des précautions méthodologiques, et
une certaine circonspection. L’auteur, docteur
en histoire des religions et spécialiste du
judaïsme, a su raconter l’histoire de ce peuple
à travers son Livre mais surtout en recourant à
l’archéologie et aux sources extrabibliques.
Le champ chronologique débute avec l’identification des origines et les mouvements de ce
groupe derrière les personnages d’Abraham ou
de Moïse. L’auteur insiste sur le contexte
géopolitique de la région : le milieu physique,
l’affrontement des empires (Babylone,
l’Egypte, l’Assyrie, le Hatti), les invasions des
peuples de la mer (les Philistins, mot qui donne
le nom Palestine, sont Sardes, Crétois….). Ces
éléments permettent la compréhension de
Les Hébreux
l’arrivée et de l’installation en Canaan. La
Stéphane Encel
première partie se finit avec la fondation du
Armand Colin, 30 euros
royaume de David et le règne ambigu de
Salomon. Déjà, bien des certitudes traditionnelles sont bousculées. Mais un élément
apparaît dès lors essentiel pour les Hébreux : la terre. Le reste du
livre s’évertue à expliciter cette relation si particulière, liée à un
contexte tout aussi particulier.
La deuxième partie traite de l’apparition des deux royaumes (du
Sud et du Nord), de leurs fortunes diverses et de leur destruction.
L’exil babylonien est alors, pour le peuple, l’occasion d’un
changement de sa relation à Yahvé et, peut-être, d’un éveil national.
La troisième partie s’attache à la période perse et à la restructuration
du judaïsme. Une autre pierre essentielle se met en place dans
l’édifice : la relation au temple et à la centralisation religieuse qu’il
implique. Yahvé ne peut habiter qu’une demeure, et ce sera celle du
temple de Jérusalem. Les communautés accepteront, de gré ou de
force, cette prévalence centralisatrice.
Avec la quatrième partie se dessine l’influence grecque et l’hellénisme. La fondation de villes, avec le droit de cité, est l’occasion de
l’intégration des communautés juives. La diaspora apparaît dès lors
en pleine lumière, et l’appartenance à ces deux mondes, grec et juif,
devient problématique: la crise maccabéenne révèle ainsi la
situation et signe le début de l’aventure hasmonéenne.
La cinquième partie se noue autour de la destruction du Temple,
moment dramatique et durable. Stéphane Encel raconte l’affrontement avec Rome, les guerres, la disparition du cadre politique, l’exil
et le sort des communautés dispersées. Avec sa reconstruction le
judaïsme devient la religion des synagogues et du talmud : la Loi
devient centrale.
Ce long parcours, bien documenté et bien illustré, permet de disposer
de connaissances historiques solides mais aussi de mieux connaître le
judaïsme, avec ses débats et ses enjeux. Le rôle central de la relation
à la terre et celui de la torah, qui finalement remplace le Temple,
apparaissent comme des éléments que l’on ne peut omettre dans
l’histoire et l’imaginaire juifs.
RENÉ DIAZ
62
SCIENCES
FORUM RÉGIONAL DE CULTURE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Citoyenneté m’était comptée
Un menu bien alléchant…
Les 6 premières éditions du «Forum Sciences et
Citoyenneté», organisées par le Conseil Régional, nous
avaient habitués à la qualité des réflexions sur des
questions de fond touchant aux rapports entre science,
technique et leurs applications, et les questions
éthiques que ceux-ci soulèvent. Le thème de cette
année promettait une denrée riche et consistante,
surtout dans le contexte de crise économique
conjuguée à celle des filières scientifiques. Nul
n’ignore en effet que notre pays souffre cruellement de
la désaffection de sa jeunesse pour les carrières scientifiques et les métiers techniques. Cette dernière
question fut d’ailleurs évoquée par Alain Hayot comme
une des motivations premières du thème de ces
rencontres.
Les plats annoncés semblaient constituer des agapes
de choix avec en entrée «la culture scientifique, un outil
pour la démocratie». Malheureusement les amusebouche aux couleurs attrayantes «l’information, un
préalable à la démocratie» et «comment préparer le
public au débat scientifique» nageaient en fait dans
une épaisse couche de sauce insipide voire étouffante.
… pour un brouet bien peu clair
La 7e édition
du Forum régional
de culture
scientifique
et technique
«Sciences et
citoyenneté»
s’est tenue à l’Hôtel
de Région PACA,
jeudi 3 décembre,
sur le thème
«Savoir pour
quelques-uns
ou culture
pour tous ?»
L’«expérience interactive» sur «l’exemple de la
vaccination», qui dura jusqu’à 12h30, se révéla n’être
qu’une nouvelle tribune de propagande pour la
vaccination contre le fameux virus H1N1. L’interactivité apparaissait sous la forme d’un questionnaire
aux participants par vote électronique, dont un
«chercheur économiste» avait concocté les questions
absconses, souvent ineptes ou mal formulées. Le but
ultime du gavage étant le test périodique d’évolution,
par l’interrogatoire, de la volonté des participants de
se faire vacciner ou non. L’assistance passive passa près d’être privée de lunch
si elle ne renonçait pas à sa résistance «atterrante» (sic) à la vaccination
systématique ! Il semble que le débat contradictoire avec la salle n’ait pas fait
partie des outils d’interactivité puisqu’on ne lui réserva, faute de temps perdu
à remplir le formulaire, qu’une quinzaine de minutes. Mais Alban Mikoczy, le
«dynamique animateur» rédacteur en chef adjoint du 20h00 de France 2 prési-
Débat de Nanoël
En 1995, la loi Barnier, relative au
renforcement de la protection de l’environnement, a introduit en France le
principe de consultation du public en
ce qui concerne les grandes opérations
d’aménagement d’intérêt national. Ainsi
fut créée la «Commission Nationale du
Débat Public» [CNDP] qui décide de la
mise en débat d’un projet ayant des
conséquences environnementales. La
CNDP constitue des commissions ayant
pour tâche d’animer le débat public.
Dans ce cadre a été mis en place le «Débat public sur les options générales
en matière de développement et de
régulation des nanotechnologies.»
Les nanotechnologies sont les techniques permettant de créer des «nano
objets», c’est-à-dire des objets dont l’une
des dimensions est comprise entre 1 et
100 nanomètres (milliardièmes de
mètre), c’est-à-dire 500 000 fois plus
fin qu’un cheveu ! À cette échelle la
matière présente des propriétés mécaniques, électriques, chimiques particulières.
Le 19 janv la «concertation» se matérialisera, dans notre région, sous forme
d’un débat sur Sécurité intérieure et défense nationale à 19h30 à l’Auditorium
du Palais du Pharo. Deux thématiques
seront abordées : les Sujets techniques
en lien avec les activités locales (Optique /
Photonique / SCS), puis la thématique
dait très spectaculairement aux destinées philoillogiques du «débat». Tout y était, l’aisance verbale,
les mimiques, la gouaille… genre «question pour
un champignon»… indigeste.
Nous eussions pu nous régaler
L’après-midi il fut question d’Arts, Sciences et
Nouvelles Curiosités. E pur… eut dit Galileo
Galilei! De nos jours encore la technicité apparaît
comme une malformation honteuse de l’esprit. Elle
est dissimulée sous son pseudonyme cache-texte
de «technologie», c’est-à-dire de propos sur la
technique. Si les pratiques techniques, qui sont
l’essence de tout art au sens le plus noble et le
plus humain de ce terme, étaient rétablies dans
leur ordre premier, celui de l’inventivité et de la
création, la science refonderait son rôle émancipateur. Car la science est-elle «totalement
séparée de l’art» comme le soutint un instant André
Scala, invité au titre de savant «philosophe» ?
Croit-il que Gauss ou Maxwell auraient pu changer
ce qui nous tient lieu de monde sans la dimension
onirique et poétique de leur cosme-univers ? A-til lu les écrits de Planck ou Einstein pour dire que
leur œuvre était moins imaginative que celle de
Van Gogh ou Satie ? A-t-il pensé à la dialectique
qui lie l’évolution des techniques à l’émergence de
leur expression dans les formes picturales, musicales... Le jour où ces frontières obtuses entre les
pratiques techniques et la technique des pratiques
seront enfin abrogées, un nouveau mur de la honte
et de l’obscurantisme sera abattu. Et ce jour-là, la
jeunesse reprendra goût à l’imaginaire scientifique
et pourra enfin construire un monde vrai, dynamique, critique et donc démocratique.
Mais pour cela il faudrait d’abord abroger cet ordre où seule la connaissance
scientifique rentable doit vivre. Il faut détruire l’ordre scientiste et technologiste des marchands du temple. Cesser d’opposer sciences et arts, mais les
séparer, ensemble, du profit.
Espérons que la 8e édition du Forum retrouvera ses belles routes libres d’antan...
YVES BERCHADSKY
générale : Sécurité intérieure et défense
nationale. Si vous voulez participer à
la crèche démocratique et y accrocher
vos boules.
Entrée évidemment libre
www.debatpublic-nano.org
Noël trie cycle!
La fondation Ecureuil en collaboration
avec la Région PACA et l’ASST, dans le
cadre de ses conférences Horizons des
savoirs, propose d’enfourcher son cycle
sur «les chemins de l’intelligence».
Conseillons en particulier la course sur
«l’intelligence collective des insectes
sociaux» présentée par Guy Theraulaz,
Directeur de Recherches au CNRS, docteur en neurosciences et en éthologie.
Son développement apprendra aux
jeunes esprits que depuis l’antiquité
l’observation des sociétés de fourmis,
d’abeilles, de guêpes ou de termites
suscite à la fois étonnement et admiration. Si les sociétés d’insectes retiennent
l’attention, c’est tout autant par la
taille et la complexité des architectures qu’elles construisent que par leur
capacité à résoudre collectivement
certains problèmes….
Le 26 janv à 18h30, Entrée libre
Espace Ecureuil 04 91 57 26 49
www.ocim.fr/3eme-edition-desHorizons-du
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