la diplomatie internationale en europe centrale

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LA DIPLOMATIE INTERNATIONALE
EN EUROPE CENTRALE
Collection Logiques Politiques
dirigée par Pierre Muller
Dernières parutions
MOQUAY Patrick, Coopération intercommunale et société locale, 1998.
BOISSEAU DU ROCHER Sophie, L'ASEAN et la construction
régionale en Asie du Sud-Est, 1998.
AL WARDI Sémir, Tahiti et la France. Le partage du pouvoir, 1998.
JULIEN Christian, Les politiques
régionales de formation
professionnelle continue, 1998.
LEIBFRIED S., PIERSON P., Politiques sociales européennes, 1998.
IHL Olivier, Cérémonial politique: les voyages officiels des chefs d'Etat,
1998.
KALUSZYNSKI Martine, WAHNICH Sophie (dir.), L'Etat contre la
politique? 1998.
SAVARESE Eric, L'ordre colonial et sa légitimation en France
métropolitaine, 1998.
KINGSTON de LEUSSE Meredith, Diplomate, une sociologie des
ambassadeurs, 1998.
ENGUÉLÉGUÉLÉ Stéphane, Les politiques pénales (1958-1995),1998.
BRECHON Pierre, CAUTRES Bruno (dir), Les enquêtes
eurobaromètres : Analyse comparée des données socio-politiques, 1998.
BORRAZ Olivier, Les politiques locales de lutte contre le sida, 1998.
Alice LANDAU
LA DIPLOMATIE INTERNATIONALE
EN EUROPE CENTRALE
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
L'Harmattan Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9
~ L'Hannatlan, 1998
ISBN: 2-7384-7392-X
A Rachel et Max Korn
A Hélène Glaiman et Simon Rudovich
Remerciements
Mes remerciements vont à Victoria Curzon-Priee et à l 'Insitut
Européen de l'Université de Genève qui, par leur soutien moral
et .financier, m'ont permis de mener à bien ce travail. Mes
remerciements vont également à tous ceux qui y ont conribué.
INTRODUCTION
L'Europe du centre, selon les mots de len6 Szucs et
d'!stvan Bib61, est, d'une certaine manière, une victime de
l'histoire. A la charnière de deux civilisations, Rome et l'église
catholique, Byzance et l'orthodoxie, elle se situe aux confins de
l'Orient et de l'Occident, entre l'Europe occidentale et
l'Eurasie. Géographiquement, cette région ne constitue pas une
entité homogène, mais une région frontière qui délimite d'un
côté l'Europe de l'ouest et de l'autre, la Russie et la Turquie.
Ce n'est pas une entité indivisible car elle se décompose en des
sous-unités plus ou moins homogènes: les Balkans; les
territoires du « milieu », situés entre l'Allemagne et la Russie la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie
(Etats de Visegrad); les Etats baltes au nord. Cet ouvrage porte
plus spécifiquement sur les Etats de Visegrad, qui panni tous
les pays de l'ex-bloc communiste ont les liens les plus forts
avec l'ouest. Les processus de transition ont été plus rapides
dans les pays de Visegrad qu'ailleurs. Ceux-ci jouissent par
ailleurs d'une stabilité relative dans un environnement immédiat
qui l'est moins.
L'Europe
centrale:
une région charnière
Historiquement, c'est une région charnière où se sont
confronté l'empire ottoman, l'empire des tsars et l'empire
1 Bib6, Istvan (1986), Misère des petits Etats d'Europe de ['est, Albin
Michel, Paris; Szucs, Jen6 (1985), Les trois Europes, Editions l'Hannattan,
Paris, pp. 48-75.
9
austro-hongrois2. Romains catholiques et Chrétiens orthodoxes
se côtoient dans cette Europe, sans pourtant qu'ils évoluent de
concert. Polonais, Tchèques, Slovaques, Magyars, Croates et
Slovènes adoptent la foi catholique; les Etats balkaniques (la
Bulgarie, la Roumanie, la Serbie et le Monténégro) et la Russie
optent pour l'Orthodoxie, d'autres encore sont musulmans.
II s'agit bien, comme l'observe Joseph Rotschild, d'une
Europe de la diversité qui réapparaît après la deuxième guerre
mondiale avant de tomber sous le rouleau homogénéisateur de
l'intermède communiste3. L'histoire, lourde d'invasions,
d'annexions territoriales, d'occupations, de démantèlements est
symbolisée par les multiples noms des villes. Bratislava,
capitale de la Slovaquie, s'appelait Pozsony pour les Hongrois
et Pressburg pour l'Autriche. Lemberg est en polonais Lwow,
en ukrainien Lviv et en russe, Lvov; Wilno que se disputaient la
Lituanie et la Pologne pour des raisons historiques et
stratégiques, est respectivement Vilnius ou Vilna; Teschen que
revendiquent la Pologne et la Tchécoslovaquie s'appelle, selon
les protagonistes, Tesin ou Cieszyn4. A la frontière de
l'Ukraine et de la Roumanie, en Bukovine, Chernivtsi, dominé
par les Polonais puis par les Turcs, est intégré au XVIIIème
siècle à l'empire austro-hongrois et se nomme alors
Czernowitz, une des cités légendaires de l'Europe5.
2Delanty, Gerard (1995), Inventing Europe, Idea, Identity, Reality,
Basingstoke: Macmillan Press, p. 49.
3 Rotschild, Joseph (1989), Return to Diversity: A political History of East
central Europe since World War II, New York: Oxford University Press.
4 Teschen constitue la seconde difficulté qui se pose à la Tchécoslovaquie, en
1918. Situé dans la région de Silésie, Teschen dispose de ressources minières
importantes et d'une large population polonaise (environ 11,2% de la
population totale). La Pologne demande son annexion après Munich et
l'obtient après la deuxième guerre mondiale, Bugajski, Janusz (1993), Ethnie
Politics in Eastern Europe, A Guide to nationality Policies, Organizations and
International Studies, New York: M.E. Sharpe, p. 295.
5 Appelbaum, Anne (1994), Between East and West, Across the Borderlands
of Europe, New York: Pantheon Books, p. 251.
la
Les pays d'Europe centrale partagent certes une
histoire commune. Celle-ci est inscrite dans leurs territoires qui
ont été découpés et remodelés au gré des multiples traités qui se
succèdent au fil des siècles. Ils ont participé à toutes les étapes
qui ont marqué l'histoire européenne. Jusqu'à une époque
récente, ils ont été annexés par toutes les puissances qui ont fait
J'histoire de l'Europe: Allemands, Autrichiens, Turcs ou
Russes. Ils ont payé leur tribut de guerres, de pertes humaines,
de souffrances qui ont marqué le continent européen, mais ils
s'en distinguent pourtant. Ils appartiennent à l'Europe, mais
doivent néanmoins en revendiquer l'appartenance. Ce double
aspect de proximité et d'éloignement qui caractérise les Etats
d'Europe centrale constituera un des fils conducteurs de cet
ouvrage.
Le retour à l'Europe
Tous souhaitent maintenant retourner à l'Europe. Mais,
ce retour pose en lui-même un dilemm~. Les pays d'Europe
centrale s'identifient historiquement à la culture européenne; ils
ont le sentiment d'avoir été un bastion de l'Occident chrétien
tàce aux Mongols, aux Ottomans, aux Bolcheviks et pa11agent
encore le sentiment que la paix du continent européen dépend
de leur stabilité et de leur sécurité. C'est cette vision qu'exprime
Vaclav Havel lorsqu'il déclare «qu'oublier que les pays de
Visegrad et la Slovénie appartiennent à l'Europe ocddentale
serait suicidaire pour toute l'Europe. Il faut vaincre la
résistance perceptible dans l'attitude de la CE vis-à-vis de nos
pays, son manque d'imagination parce que sans cet appui des
forces destructrices et déstabilisatrices vaincront»6.
Au contraire, la perception occidentale ne voit dans
l'Europe centrale qu'une zone tampon entre l'Occident et la
Russie. Dans une de ses élégies consacrées à l'Europe centrale,
Milan Kundera déplore qu'en 1984, l'Europe centrale ne
représente aux yeux de l'ouest:
6 Havel. Vaclav (3/4 1994), « A Call for Sacrifice, the Co-Responsability of
the West », Foreign Affairs, p. 6.
Il
« qu'une partie de l'Union soviétique et rien d'autre. Par le seul
tàit de son système politique, l'Europe centrale est confondue
avec l'est; alors que par sa culture, elle est l'ouest et parce que
celle-ci est en passe de perdre sa propre identité culturelle, elle
ne perçoit dans l'Europe centrale rien d'autre qu'un régime
politique. En d'autres termes, elle ne voit dans l'Europe
centrale rien d'autre que l'Europe de l'est (...). Personne ne se
tàit plus d'illusions sur les pays satellites de l'Union soviétique.
C'est cette tragédie qu'on oublie très souvent. Ces pays ont été
rayés de la carte de l'Europe de l'ouest?
Les pays d'Europe centrale ont souvent le sentiment
d'avoir été les oubliés de l'histoire européenne alors qu'ils se
« réclament de l'arbre généalogique de l'Europe, un arbre dont
les branches orientales ont elles aussi les mêmes racines, se
nourrissent de la même sève médiévale, de la ou des religions,
de la Renaissance, du baroque; elle traduit aussi Je désir
légitime de voir reconnu cet héritage commun malgr6 !es
différences »8.
Cet oubli n'est pas récent. Il n'est pas nécessairement
le fait de ne pas avoir disposé d'assez de temps pour se forger
une identité propre après la première guerre mondiale ou
d'avoir été coupé de l'Europe, d'avoir été retranché de son
histoire par l'intermède communiste. Au dix-septième siècle
déjà, occupée par les conquêtes coloniales et commerciales,
l'Europe occidentale se désintéresse en effet de plus en plus de
son flan oriental, au moment où l'Europe centrale lutte encore
contre la menace musulmane. Celle-ci se retrouve prise au
piège du jeu qui se jouent la Prusse, la Russie, l'empire
ottoman et l'Autriche pour la conquête de l'Europe. En 1692,
les Turcs attaquent la Podolie en Pologne, puis avancent vers la
Hongrie et l'Autriche, qui est affaiblie par la pression de Louis
7Kundera, Milan, « The tragedy of Central Europe », New York Review of
Books, 26 April 1984, pp. 34-37.
8 Kis, Danilo (1990), Variations sur des thèmes d'Europe centrale pp. 77-102
in Danilo Kis, ed., Homo Poeticus, Paris: Fayard, p. 88.
12
XIV sur le Rhin. La Poiogne vient au secours de l'Autriche et
réussit à contenir les Turcs qui battent alors en retraite. La
Pologne récupère la Podolie. Pourtant, un siècle plus tard, en
1793, la Pologne est dépecée par les « trois partitions» entre la
Russie, la Prusse et l'Autriche9.
Réintégrée un moment dans la famille européenne par
son «printemps des peuples », au XIX ème siècle, l'Europe
centrale est divisée, agitée par la fièvre nationaliste. Les
ressentiments générés par les nombreux morcellements
territoriaux resurgissent en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en
Pologne. La fraternité et l'égalité qui sont scandées par les
peuples qui s'insurgent dans l'empire des Habsbourg, se
transforment
en récriminations contre la Hongrie, la
Tchécoslovaquie et la Pologne. Les conflits qui réapparaissent
au XXème siècle, sont déjà inscrits en filigrane dans les élans
nationalistes du XIXème siècle. L'Europe centrale connait une
effervescence politique et culturelle sans précédent. Figée dans
l'empire
austro-hongrois,
l'Europe
centrale
se situe
géographiquement
au centre, coincée entre l'Allemagne
naissante et la Russie qui s'affirme sur la scène européenne.
Lorsqu'ils accèdent à l'indépendance après la première
guerre mondiale, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie,
les Etats baltes, la Yougoslavie et la Roumanie ne peuvent
résister à la pression des puissances totalitaires qui émergent
alors sur la scène européenne. L'indépendance n'entraîne pas
une plus grande homogénéité régionale. L'Entente baltique
entre la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie, conclue en 1934, cède
aux pressions de l'Union soviétique qui considère que la région
constitue une avant garde stratégique nécessaire à sa défense et
un contrepoids face à la menace nazielO La Lituanie rentre
9 Davies, Norman (1996), Europe: A History, Oxford: Oxford University
Press, p. 650-655
JO Hovi, Kanlervo (1993), « The Neutrality of the Baltic States before the
Second World War », pp. 147-153 in Jukka Nevakivi, ed., Neutrality in
History, Proceedings of the Conference on the History of Neutrality, Hel~inki:
Finnish Historical Society, p. 150
13
dans l'orbite allemande; l'Estonie et la Lettonie tombent sous la
coupe russe. La Petite Entente, englobant la Tchécoslovaquie,
la Roumanie et la Yougoslavie, fondée également en 1934, n'a
aucun poids face à la politique expansionniste des pouvoirs
hégémoniques et ne contraint pas ses membres à se porter
secours. La Hongrie réclame la révision des traités de paix et
trouve dans l'Allemagne lin p"rtenaire compréhensifll
Les puissances occidentales négligeront l'Europe
centrale par myopie politique. Elles sont secouées par la grande
dépression, absorbées par leur situation politique, économique
et sociale. Dans les années trente, la Grande-Bretagne ne
répond pas aux appels des Etats de l'Europe centrale. Elle se
soucie davantage de la prééminence de la France que de la
menace nazie et du maintien de ses préférences impériales que
de promouvoir le commerce avec l'Europe centrale. La France
est prête à aider les pays d'Europe centrale, à soutenir les
nationalités
en
leur
promettant
l'autonomie
et
l'autodétermination, mais elle ne traduit pas ses promesses ~n
actes commerciaux, politique:> ou militaires.
Alors que se discute de la possibilité de créer une
fédération douanière danubienne, la France ne comprend pas
"que cette fédération couronnerait de succès U!le politique qui
vise à créer une Mitteleuropa pour contrer l'Anschluss"12
II Dobrinescu, Valeriu Florin, « Les neutralités de la Roumanie de 1914 à
1916 et de 1939 à 1940; étude comparative, pp. 99-105 in Jukka Nevakivi,
op. cil.. p. 102
12 Les préférences accordées aux Etats d'Europe centrale heurteraient les
intérêts agricoles du Canada et de l'Australie. En 1930. la Grande-Bretagne
s'oppose à des préférences au nom de ses dominions; impose un tarif
préférentiel impérial et Ètablit des quotas pour protéger son agriculture. En
1932, la conférence d'Ottawa où le Foreign Office est absent, entérine la
nouvelle politique protectionniste de la Grande-Bretagne qui abandonne le
libre échange, maintenu jusqu'alors. En 1931. un gouvernement français ultra
conservateur dirigé par Tardieu impose des quotas d'importation sur tous les
produits agricoles en provenance d'Europe centrale. L'Allemagne, quant à
elle. conclut une union douanière avec l'Autriche ce qui lui assure des
bénéfices autant politiques qu'économiques. Elle intime à la Tchécoslovaquie
et à la Hongrie d'y accéder, malgré le fait que l'accession de nouveaux pays
14
L'initiative de la Tchécoslovaquie de former une vaste zone de
coopération régionale en Europe centrale, englobant l'Autriche,
l'Italie, la Hongrie et la Pologne, ne peut lutter à armes égales
contre l'Allemagne. Pourtant, les exportateurs sont intéressés à
reconstituer les conditions des échanges d'avant 1914. Ils
espèrent pouvoir élargir leurs débouchés et raffermir les
positions d'une Bohème industrielle et d'une Hongrie agroalimentaire face au commerce autrichien.
Amputée de la province de Posen, de la Haute Silésie,
de Memel, de la Lituanie et de Dantzig, l'Allemagne maintient
et renforce ses intérêts économiques en Europe centrale. Elle
conclut des accords commerciaux avec la Roumanie et la
Hongrie et fait de sa position commerciale un instrument
diplomatique puissant. Expression de considérations politiques,
le commerce sert petit à petit les besoins du réarmement
allemand à l'arrivée de Hitler au pouvoir.
L'Europe
centrale: entre l'Allemagne et la Russie
L'Europe, selon Milan Kundera, ne représente pas un
phénomène géographique,
mais une notion spirituelle,
synonyme du mot « ouest». Cependant, dans le cas de l'Europe
du centre, la géographie lui confère une caractéristique
commune, celIe d'être situé entre deux pouvoirs dominants,
j'Allemagne et la Russie. Certains d'entre eux sont plus
protégés que d'autres mais, l'Europe du milieu est un territoire
frontière; un territoire imaginaire, un territoire chamièn: entre
deux mondes. Il existe bien une communauté de destin, mais
est-elle suffisante pour créer une communauté centreeuropéenne? N'est-elle pas davantage l'expression d'une
opposition commune contre un agresseur plutôt qu'une
serait désastreux pour son agriculture. L'inclusion de la Tchécoslovaquie dans
le système économique correspond à un objectif de politique étrangère. En
rejoignant l'union douanière, le contrôle de l'économie passe à la minorité
allemande de Tchécoslovaquie et de Hongrie (au nombre de 700000). Kaiser,
David (1980), Economic Diplomacy and the Origins of the Second World
War, Germany, Britain, France and Eastern Europe, /93()-/939, Princeton:
Princeton University Press, p.47-60.
15
expérience positive capable de rapprocher les pays qui en font
partie. Et la première question ne serait-elle pas précisément de
savoir qui en fait partie? Car les frontières orientales de
l'Europe sont les plus floues. Selon Gérard Delanty,
«II n'existe pas, de ligne géographique de
démarcation. La frontière orientale n'a jamais
été fixée. Le repère le plus au nord pourrait être
localisé entre la Mer blanche et la Mer baltique.
Celui plus au sud est plus mouvant: des
montagnes de l'Oural, à la rivière Don, de la
Mer Caspienne à la Mer noire ou la Mer Egée. Il
y a toujours eu une question orientale »13
La carte politique de l'Europe varie selon les acteurs.
Jacques Rupnick rappelle que les pays d'Europe centrale et
orientale se font de l'Europe centrale des représentations
mentales différentes. L'histoire individuelle des Etats joue un
rôle important dans la construction de ces représentations. Les
Hongrois, comme les Tchèques, rappelle Jacques Rupnick,
«ont tendance à considérer le territoire de l'ancien Empire
austro-hongrois comme le noyau historique de l'Europe
centrale, qu'ils préfèrent appeler le domaine danubien». Ils
récusent le titre qui leur a été attribué d'Européens de l'est.
L'Europe de l'est se situe sur leur tlanc est et sud-est, en
Russie, en Ukraine, en Roumanie et en Bulgariel4 Ils
revendiquent leur appartenance à l'Europe du Centre. Mais, que
faire des Slovènes, situés à la frange de l'Autriche, qui ont le
sentiment d'appartenir au même espace ou des Croates qui ont
appartenu à l'empire des Habsbourg ?15
Pour les Polonais, l'Europe englobe toute la région
comprise entre l'Allemagne et la Russie. La véritable frontière
entre l'est et l'ouest se situe au-delà des Etats baltes - limite
13 Delanty, Gerard (1995), Inventing Europe, Idea, identity, Reality, op. cit.,
p.38.
14 « The Return of the Habsburgs », The Economist, 18 November 1995.
IS The Economist, 16 novembre 1996.
16
orientale de l'influence polonaise - dont certaines villes, telles
Vilno et Lwow, sont toujours considérées comme des
composantes historiques vitales de la culture polonaise16
Peut-être serait-il plus juste de parler de trois Europes.
Bronislaw Geremek note que: «la troisième Europe, qui
coexiste aux côtés de la première Europe des Quinze, unifiée
par l'Union Européenne, et globalement par l'OTAN, et la
seconde Europe, forte de quinze Etats post-communistes qui
veulent adhérer à la première, est partagée entre une
appartenance européenne et une pesanteur asiatique ».
Plus à l'est, les représentations sont floues. Certains
Etats sont plus difficiles à ranger. Leur inclusion ou leur
exclusion de l'Europe dépend de leur positionnement par
rapport à la Russie. L'Ukraine est également peuplée de
Hongrois ce qui justifierait selon certains qu'une parcelle du
territoire soit classifiée au Centre et le reste à l'est. Plus
vulnérables, les Etats baltes réclament autant, sinon plus que
leurs voisins leur appartenance à l'Europe. Ils multiplient leurs
efforts pour ancrer leur identité européenne plus au nord au
sein d'une communauté baltique, conjointement avec les pays
sçandinaves et plus à l'ouest avec la Pologne et l'UE.
Les Etats baltes sont importants pour la sécurité de la
Russie et constituent une région distincte dont il faut préserver
la spécificité en la maintenant plus éloignée des influences
occidentales. A fortiori, l'Ukraine et la Biélorussie doivent
rester dans un espace contrôlé par la Russie. Ils peuvent
revendiquer leur indépendance mais comme un «phénomène
temporaire », selon les dires de Dmitri Ryurikov, conseiller de
Boris Yeltsine17
Pour les Etats-Unis, l'Europe centrale remplace
désormais l'Europe de l'est qui est un concept obsolète. Le mot
16Rupnick, Jacques 1993), L'autre Europe, crise et fin du communisme,
Paris: Editions Emile Jacob, p. 19.
17 New York Herald Tribune, 6janvier 1997.
17
"est" possède une connotation historique et politique trop forte.
Selon eux, l'Europe centrale fait partie d'une même entité.
L'UE préfère le terme Europe centrale et orientale. L'utilisation
de deux termes implique que l'Europe située entre la Mer
Baltique et la Mer adriatique et flanquée à ses frontières
occidentales de l'Allemagne et orientale de la Russie, n'est pas
indivisible. Selon l'VE, elle se partage en plusieurs zones
distinctes dont la classification dépend de leur degré
« d'accessibilité ». La fin de la guerre froide et la multiplication
des conflits dans les Balkans et les anciennes républiques
soviétiques imposent à l'VE qu'elle consolide son flan oriental.
Plus que jamais, l'observation de William Wallace
reste pertinente. L'Europe, selon lui, n'est pas" un territoire
délimité, mais une carte mentale, un espace imaginaire, des
régions et des communautés politiquement définies. Elle reste
soumise à de constantes redéfinitions, au gré de la géopolitique
et de l'idéologie "18 Et sur cette carte, Timothy Garton Ash
souligne que
« L'Europe centrale est une idée. Elle n'existe
pas encore. L'Europe de l'est existe - c'était la
partie
contrôlée
militairement
par
les
Soviétiques -. La nouvelle Europe centrale est
encore à construire. Mais elle ne le sera pas en
scandant seulement les mots « Europe centrale»
à la manière d'un slogan à la mode - de la
Californie à Budapest -, ou en cultivant un
nouveau mythe. Si le terme Europe centrale doit
acquérir quelque consistance, il faut abandonner
le déclamatoire, le sentimental, l'incantatoire
pour aborder un examen rigoureux et sans
passion de l'héritage réel de l'Europe centrale,
de son histoire, qui est fait autant de divisions
que d'unité, et des conditions véritables de
18 Wallace, William (1990), The Transformation of Europe, RIlA, Lonoon:
Pinter Publishers, London, p. 7.
18
l'Europe Centrale et orientale qui est fait autant
de différences que de similitudes »19
C'est à cet examen que nous voulons nous livrer. Le
choix du sujet a ainsi été guidé par une série de considérations.
La région qui s'étend aux pays de Visegrad et aux Etats baltes
constitue une entité distincte parmi les anciens pays satellites
de l'Union soviétique. Les premiers sont certes plus engagés
dans le processus de démocratisation et de transition
économique mais tous ont en commun d'avoir partagé des
tranches d'histoires
similaires, quelquefois
côte-à-côte,
quelquefois en tant que partenaires ou en tant qu'adversaires.
Le poids de l'histoire pèse sur les relations actuelles
que les Etats tissent entre eux. La Pologne possède un passé
glorieux. L'Union de Lublin réunit la Lituanie et la Pologne.
Aux lendemains de la première guerre mondiale, la Hongrie est
traumatisé par le « diktat» du traité de Trianon. Ce passé
continue à expliquer des attitudes et des réflexes nationaux. Les
perceptions divergentes que chacun des acteurs ont de leur rôle
dans la région façonnent leur politique. Les contentieux ne sont
pas oubliés, les méfiances subsistent mais ils doivent être
nécessairement surpassés. Un réseau d'alliances et d'accords se
met progressivement
en place qui témoigne de ces
changements.
L'Europe
présent
centrale à la confluence
du passé et du
La conjonction du passé et du présent rend l'étude de
l'Europe centrale particulièrement stimulante d'autant plus que
les transformations actuelles interviennent sur fond de
globalisation et de régionalisation. Les pays d'Europe centrale
doivent oublier la Realpolitik qui les a guidés si longtemps pour
19 Garton Ash, Timothy (1989 ), « Does central Europe Exist? », pp. t 91215, in George Schôpflin and Nancy Woods, eds., In Search of Central
Europe, Cambridge: Polity Press, p. 212.
19
intégrer des structures dont ils rêvaient lorsqu'ils en étaient
exclus mais qui deviennent soudain exigeantes et étranges
lorsqu'elles sont enfin à portée de main.
Les Etats d'Europe centrale ont en commun de se situer
dans un espace géographique central: au centre de l'Europe
entre l'Allemagne et la Russie. Ils occupent, de ce fait, une
position stratégique. Ils appartiennent à l'Europe mais doivent
en justifier
l'appartenance
en multipliant
les actes
d'engagement et les preuves de bonne foi. Ils utilisent des
moyens diplomatiques similaires, maniant tour à tour ou en
même temps le bilatéralisme, le régionalisme et le
multilatéralisme qui portent en filigrane les changements plus
profonds du continent européen. Parmi eux, la coopération
régionale est un processus qui n'est certes pas nouveau, mais
inédit par son ampleur, sa diversité, son extension
géographique et son actualité. Il était ainsi intéressant d'en
cerner les contours dans une région qui n'est pas prédisposée à
en adopter les principes et à manifester sa solidarité régionale.
Plusieurs siècles de divisons et de rivalités ont transformé les
relations interétatiques. Les Etats de l'Europe centrale
s'engagent dans un processus de coopération régionale alors
que maintenant comme hier, ils restent dépendants de
l'extérieur financièrement, politiquement et économiquement.
La chute du Mur de Berlin ne marque pas la fin d'un
processus, mais au contraire le début d'une situation nouvelle
qui souligne davantage le rôle de l'UE, en tant que pôle de
référence et d'ancrage dans un continent soumis aux
turbulences. Les pays d'Europe centrale cherchent tous à
adhérer à l'UE, à intégrer l'OTAN et à rejoindre le Conseil de
l'Europe et l'OSCE. Toutes ces organisations ont un rôle
spécifique à jouer dont aucun n'est substituable. L'UE leur
procure un ancrage à l'ouest, des ressources économiques et
une légitimité dont ils ont besoin pour mener à bien la
transition qu'ils ont tous entrepris. L'OTAN est nécessaire à
leur sécurité. Au travers d'elle, c'est la présence sécurisante des
Etats-Unis qu'ils perçoivent. Le Conseil de l'Europe édicte des
règles en ce qui concerne les droits de l'homme et les
20
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