Cahiers Simondon

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Cahiers Simondon
Numéro 2
1
Collection Esthétiques – Série « Philosophie »
Coordonnée par Jean1Hugues Barthélémy
La série « Philosophie » de la collection Esthétiques se
propose de publier des travaux philosophiques relatifs aux
différentes « phases » (Simondon) de la culture : art,
technique, religion, science, éthique, etc.
Elle ambitionne par là de participer au renouveau de
l’Encyclopédisme, à une époque où se fait en effet sentir le
besoin d’une nouvelle synthèse qui redonne du sens et
permette de surmonter la crise déjà diagnostiquée en son
temps par Husserl. La série « Philosophie » n’entend
pourtant pas s’inscrire dans une optique phénoménologique,
mais œuvrer bien plutôt à une prise de conscience qui soit
source d’un « humanisme difficile » : un humanisme qui
sache reconnaître, notamment, l’appartenance de l’homme
au vivant, et celle de la technique à la culture.
Dernières parutions
PENSER LA CONNAISSANCE ET LA TECHNIQUE
APRES
SIMONDON,
Jean1Hugues Barthélémy,
Esthétiques, 2005.
CAHIERS SIMONDON – NUMERO 1, sous la direction
de Jean1Hugues Barthélémy, Esthétiques, 2009.
2
Sous la direction de
Jean1Hugues Barthélémy
Cahiers Simondon
Numéro 2
Ouvrage publié avec le concours de la
Maison des Sciences de l’Homme de Paris1Nord
L’Harmattan
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http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 97812129611214514
EAN : 9782296121454
4
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Les textes ici réunis sont en partie issus du séminaire
« Individuation et technique » (MSH Paris1Nord), qui devrait se
prolonger jusqu’en mai 2011 en partenariat, toujours, avec
l’ Atelier Simondon (ENS Ulm) dirigé par Vincent Bontems, et
donner ainsi lieu à de futurs Cahiers Simondon n°3. Le Numéro 1
avait tâché d’aborder différentes grandes thématiques de la pensée
de Simondon : l’invention, la mécanologie, le vivant et les sciences
sociales. Il entendait aussi tracer des pistes de prolongement de la
pensée simondonienne dans les domaines de l’ontologie, de
l’esthétique et de l’éthique.
Ce Numéro 2, lui, entend d’une part compléter l’évocation des
grandes thématiques simondoniennes en abordant le couple
perception/imagination dans les Cours de Simondon ou encore la
question de l’épistémologie des « ordres de grandeur », d’autre part
se consacrer à des rapports et des confrontations – pas tous
pensés par Simondon lui1même 1 entre sa pensée et celle d’autres
philosophes ou théoriciens du XXe siècle : ici Bergson, Piaget,
Heidegger, mais aussi, pour la philosophie post1deleuzienne
d’aujourd’hui, Agamben et plus encore Stiegler et notre propre
programme de la Relativité philosophique.
Arne De Boever, co1traducteur de L’individuation psychique et
collective, aborde ainsi le malentendu qu’entretient la pensée
d’Agamben dans son usage occasionnel de celle de Simondon, et
revient en conclusion sur l’article fondamental de Simondon
intitulé « Mentalité technique », que nous avions publié en 2006
dans le numéro qui lui était consacré par la Revue philosophique de la
France et de l’étranger. Fernando Fragozo, lui, examine la différence
entre les rapports critiques qu’entretiennent à la fois Simondon et
Heidegger avec les grands principes de la tradition philosophique
occidentale comprise comme « logique de l’être » qui rabat l’être
sur ce qui n’est pas lui. Pour le dire dans nos propres termes, la
différence principielle entre l’ « être en tant qu’il est » et l’ « être en
tant qu’il est individué » chez Simondon ne recoupe pas la
5
différence tout aussi principielle entre l’Etre et l’étant chez
Heidegger : le « préindividuel » simondonien resterait aux yeux de
Heidegger un étant, et réciproquement l’Etre heideggerien
resterait aux yeux de Simondon une abstraction résiduellement liée
au schème hylémorphique, via les origines kantiennes 1
revendiquées par Heidegger 1 de la partition ontologique/ontique.
On sait l’inspiration que Simondon a pu prendre chez Bergson
et Piaget, mais le rapport à Piaget n’avait jamais été exposé. Victor
Petit répare cet oubli, à l’occasion d’une poursuite de sa réflexion
sur l’individuation du vivant, commencée dans les Cahiers Simondon
n°1. Quant au rapport de Simondon à Bergson, qui est sans doute
le plus philosophique – car lié à l’idée d’une « philosophie
première » qui ne soit pas pour autant « pré1critique » 1 mais aussi
le moins local chez Simondon – encore moins que les rapports
pourtant majeurs à Bachelard, Canguilhem, Merleau1Ponty,
Wiener ou de Broglie 1, il est ici pour la première fois développé à
la dimension d’un gros article, grâce au travail de Sarah Margairaz
sur les notions d’analogie, de transduction et d’intuition. Ces
thèmes et ce rapport à Bergson mériteraient même un livre entier !
Nous ne doutons pas qu’il soit écrit dans l’avenir par l’un des
jeunes chercheurs français ou étrangers qui, du Canada à la Corée
en passant par l’Italie ou la Suède désormais, consacrent leur
réflexion à la compréhension de la pensée simondonienne.
Nous avons là en effet des travaux d’une nouvelle génération
de doctorants ou post1doctorants qui est déjà la génération du
développement véritable des études simondoniennes, après la
« génération » des travaux solitaires qui voulaient couvrir tant bien
que mal l’ensemble d’une œuvre pas encore entièrement publiée,
afin de la faire découvrir dans toute sa portée ontologico1
épistémologico1technologique. Signalons pour finir que nous
avons respecté la volonté de chaque auteur de pratiquer soit le
mode français soit le mode anglo1saxon de renvoi, les références
dans ce dernier étant placées en une bibliographie finale de l’article
plutôt qu’en note de bas de page.
Jean1Hugues Barthélémy
6
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par Jean1Hugues Barthélémy
Introduction : situation problématique de la « Psychologie générale » dans
l’œuvre de Simondon.
Les deux Cours de Simondon intitulés respectivement Cours sur
la Perception (196411965) et Imagination et Invention (196511966) sont
postérieurs aux deux thèses principale et complémentaire de
Simondon, et viennent compléter ces thèses à propos de thèmes
insuffisamment traités par celles1ci. Les raisons de ce manque et
tout à la fois de cette complémentarité sont complexes, mais il est
possible d’en donner ici en trois temps la trame dialectique :
a/ les deux thèses, et leur lien consubstantiel au sein de
l’Encyclopédisme génétique qu’elles définissent1, peuvent certes
Voir sur ce point mon Simondon ou l’Encyclopédisme génétique, Paris, P.U.F., 2008,
ainsi que ma « Présentation de l’Encyclopédisme génétique » au seuil du numéro
« Gilbert Simondon » de la Revue philosophique (n°3/2006). La structure de
l’Encyclopédisme génétique en tant que philosophie de l’individuation 1 constituée
par les deux thèses principale et complémentaire 1 est tripartite :
ontologie/épistémologie/pensée de la technique. Nous allons voir que la
« Psychologie générale » constituée par les deux Cours est pour sa part à la fois un
à côté – qui ne parle pas d’individuation 1 et une propédeutique à la psycho1
sociologie dont l’ontologie a posé l’ « axiomatique » en tant que refondation des
sciences humaines. Il serait donc quelque peu trompeur de présenter la
Psychologie comme le troisième grand axe – après l’ontologie et la technologie 1
de la philosophie simondonienne sans problématiser le rapport des Cours à la
psycho1sociologie programmée par l’ontologie de l’individuation, ou sans relever
que l’épistémologie constitue par ailleurs le noyau autonome de l’ontologie, qui n’est
pas réciproquement autonome mais fondée au moins pour une grande part « sur
des schèmes de pensée physique », selon la formule de Simondon. Enfin, que la
1
7
être considérées dans un premier temps comme un préalable
requis et tout à la fois un simple aperçu sur ces thématiques
spécifiques – que les thèses abordent en effet 1 de la perception et
de l’imagination, qui constituent pour leur part les thématiques
propres à ce que Simondon nommait sa « Psychologie générale » ;
b/ cette dernière relève cependant de l’enseignement de
psychologie de Simondon, et se positionne à côté de son travail de
philosophe, qui pour sa part vise notamment à refonder les
sciences humaines sur une « nouvelle axiomatique » de psycho1
sociologie – et non pas de Psychologie générale 1 elle1même inscrite
à l’intérieur d’une ontologie générale de l’individuation, notion
absente de la Psychologie générale ;
c/ ainsi qu’il apparaîtra en cours d’exposé des grands axes de ces
deux Cours, cet « à côté » qu’ils constituent par rapport à la
philosophie de l’individuation est cependant dans le même temps
une propédeutique à la psycho1sociologie dont l’ontologie a posé la
nécessité, et qui n’est pourtant plus seulement la simple
axiomatique des sciences humaines que se réservait la philosophie de
l’individuation dans cette ontologie.
Une telle situation explique à la fois pourquoi je n’ai guère
abordé les thématiques de la perception et de l’imagination dans
mes trois ouvrages sur Simondon, et pourquoi il me faut le faire
maintenant, dans les limites tout au moins d’un article. Je
dégagerai ici la structure et les grandes thèses des deux Cours, afin
de suggérer ainsi leur portée théorique, mais aussi d’ouvrir
quelques chantiers possibles d’étude pour les temps à venir.
technologie elle1même ne soit pas étrangère à la nouvelle « axiomatique des
sciences humaines » proposée par l’ontologie, ainsi que le soutient à juste titre
Xavier Guchet dans son récent Pour un humanisme technologique (Paris, P.U.F.,
2010), cela n’est pas incompatible avec le fait que les Cours sur la perception et
l’imagination soient une propédeutique à la psycho1sociologie unitaire envisagée
par Simondon, s’il est vrai que ces Cours conduisent à la thématique de l’invention
comme achevant le « cycle de l’image ».
8
1. La perception comme dimension du vivant
En adoptant ici le vocable de « dimension » pour désigner le
statut de la perception chez Simondon, je veux faire entendre que
pour lui la perception ne se pense pas isolément mais au sein
d’une pluralité de modes d’être, toujours relatifs les uns aux autres.
L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information le disait
déjà : le vivant animal est un être tri1dimensionnel capable d’action,
de perception et d’émotion, et ces trois dimensions 1 ou modes d’être 1
sont à la fois irréductibles les unes aux autres et constitutives les unes des
autres. D’où le plan du Cours sur la Perception, dont les trois
premières Parties traitent de la perception en tant que telle, tandis
que les quatrième et cinquième Parties la considèrent dans son
rapport à l’affectivité puis à l’activité.
Encore la perception « en tant que telle » ne peut1elle désigner
que ce que Simondon nomme le « sens biologique » et les « effets
psychologiques » de la perception, plutôt que l’ancienne hypostase de la
perception qui faisait d’elle le paradigme de la connaissance et qu’il s’agit
précisément d’éviter1. La fonction de la Première Partie de l’ouvrage,
consacrée à une histoire de « la perception dans la pensée
occidentale », est justement de montrer que l’époque
contemporaine, à la différence de l’Antiquité et de ses survivances
jusque dans la théorie des « visées d’essences » chez Husserl – que
Simondon n’évoque pas ici 1, nous conduit à penser la perception
« non plus comme source de paradigmes logiques et critère de la
connaissance vraie, mais comme point de départ d’une théorie des
rapports entre l’organisme et le milieu »2. Ici, ce sont bien sûr
d’abord « les théories phénoménologiques de la perception,
Il me semble important de remarquer que le modèle de la « vue » qui a été
reproché par Heidegger à la tradition philosophique occidentale comme tradition
à visée de connaissance est justement un modèle de perception hypostasiée,
parce que rendu objectivante par sa reprise et sa refonte au sein de la pensée qui prétend
en retour s’y reconnaître comme étant d’abord connaissance. C’est ce qui explique que la
philosophie ait pu, faussement, se vouloir dépassement de la perception et de
l’expérience sensible par la raison. Faussement, dis1je, car cette raison restait une
prétendue « intuition intellectuelle » et donc une « vue de l’esprit ».
2 Simondon, Cours sur la Perception, Chatou, Ed. de la Transparence, 2006, p. 3.
1
9
particulièrement celle de Merleau1Ponty en France », qui « se
rattachent à la recherche de cette compréhension de l’activité
perceptive comme une fonction d’ensemble qui s’intègre elle1
même dans une existence du sujet inséré dans le monde, selon la
perspective organismique de Goldstein »1.
Où l’on comprend que si la méditation de Simondon possède
une vertu, c’est d’abord celle de retourner la Phénoménologie de la
perception de Merleau1Ponty contre ses propres origines
husserliennes. Ce n’est à cet égard pas un hasard si Renaud
Barbaras, qui a préfacé le Cours sur la Perception, écrivait déjà dans
De l’être du phénomène que la « perspective » simondonienne
« appelle donc un renversement ontologique radical » en vertu
duquel il faut à la fois exposer la pensée merleau1pontyenne dans
cet horizon et reconnaître que « Merleau1ponty ne s’est sans doute
pas posé explicitement le problème en ces termes »2 : Simondon
entend dégager le sens auto1transcendant de la pensée merleau1
pontyenne, elle1même issue de façon critique d’un
questionnement husserlien qui prétendait quant à lui exprimer et
rendre compatibles les sens auto1transcendants des révolutions encore
trop unilatérales et hétérogènes de Descartes et de Kant3.
Avant d’entrer dans la mobilisation par Simondon des données
de la Psychologie de la Forme (Gestaltpsychologie) de Köhler et
Koffka, inspiratrice de Merleau1Ponty parce qu’elle1même « issue
des travaux de Brentano et de von Ehrenfels »4, il convient de
remarquer que la critique simondonienne de la pensée antique de
la perception ne l’empêche pas d’insister sur le rôle joué par le
paradigme de la perception dans la naissance même de la
Ibid., p. 96.
Renaud Barbaras, De l’être du phénomène, Grenoble, J. Millon, 1991, pp. 215 et
213.
3 Sur ce concept d’auto1transcendance du sens et la pratique de dépassement interne
qui lui correspond depuis Husserl, je me permets de renvoyer le lecteur à mon
article « Husserl et l’auto1transcendance du sens », Revue philosophique, n°2/2004,
ainsi qu’à mon Penser l’individuation, Paris, L’Harmattan, 2005, Introduction, 2. Je
dirais volontiers qu’avec Simondon 1 et pour autant qu’il hérite de Merleau1Ponty
et pas seulement de Bergson ou de Bachelard/Canguilhem 1, le courant
phénoménologique en vient à sortir de lui1même à force de discontinuités dans la continuité.
4 Cours sur la Perception, op. cit., p. 205.
1
2
10
philosophie : « il n’est pas exagéré de dire que la pensée
philosophique occidentale est née avec un effort pour employer
droitement et complètement la perception comme instrument de
connaissance, à la place des mythes et des croyances »1. Du reste la
critique simondonienne est largement soumise à la volonté
première d’un exposé historique qui fasse droit aux arguments de
chacun des prédécesseurs. Mais la leçon qui s’en dégage est
d’importance : la science n’a pu, avec Galilée, s’affranchir de la philosophie
et devenir « positive » qu’en permettant à la raison de ne plus s’enfermer dans
la fausse alternative entre une condamnation de la perception et une
exploitation de ses données. Cette alternative était fausse car la condamnation
de la perception se faisait encore au nom d’une « intuition intellectuelle »,
tandis que la science ne connaît le monde qu’en obligeant le sujet connaissant à
se décentrer par le biais d’instruments mathématiques ou techniques. C’est
pourquoi la philosophie, qui n’est pas perception mais pas non
plus science, a autre chose à faire que connaître au sens propre du
terme.
Venons1en donc maintenant à la mobilisation par Simondon
de la contemporaine Psychologie de la Forme. J’ai dit ailleurs les
qualités mais aussi les limites qui sont les siennes aux yeux de
Simondon, lorsqu’il la mobilise et tout à la fois la critique dans sa
Thèse principale ou dans sa Conférence du 27 février 1960 à la
Société Française de Philosophie2. Le Cours sur la Perception, lui, la
valorise pour sa part presque sans réserves, pour la raison initiale
qu’« entre l’usage global, spiritualiste, peut1être métaphysique, de
la perception qui aboutit au bersgonisme, et l’analyse psycho1
physique ou psycho1physiologique, qui recherche les éléments ou
les conditions de base, s’est développée selon une voie moyenne
l’étude de la perception par la Psychologie de la Forme »3. Pour
Simondon, ce qui possède la vertu de « voie moyenne » est
toujours, nous le savons désormais, au moins potentiellement
supérieur sur le plan de la compréhension du réel dans sa
complexité.
Ibid., p. 34.
Sur ce point, voir mon Simondon ou l’Encyclopédisme génétique, op.cit., pp. 29 et 701
74.
3 Cours sur la Perception, op. cit., p. 88.
1
2
11
Le reproche que faisait Simondon à la Théorie de la Forme de
ne pas penser un champ perceptif proprement métastable disparaît
d’ailleurs dans le Cours sur la Perception, qui privilégie le mérite
propre à cette théorie d’avoir introduit dans les sciences humaines
la notion de « champ » issue de la physique. Le texte semble même
prêter cette fois à la Théorie de la Forme l’intuition de ce type très
particulier d’équilibre qu’est la métastabilité : « Un phénomène
psychique est un phénomène de champ, c’est1à1dire un type très
particulier d’équilibre dans lequel tous les sous1ensembles d’un
système agissent sur l’ensemble, l’ensemble agissant lui aussi sur
chacun des sous1ensembles, avec une interaction constante entre
les différents ordres de grandeur de tout ce qui existe dans le
système »1.
Cette Première Partie du Cours, qui est proprement historique,
s’achève ainsi sur le rappel des quelques « lois particulières »
relatives aux « effets de champ » de la perception dégagés par la
Psychologie de la Forme : tendance au regroupement des éléments
perceptifs isolés en une forme (Gestalt) ; statut de signification des
structures perçues, source de la « généralisation perceptive, qui
existe chez les animaux »2 ; degrés de prégnance des formes, les figures
symétriques étant privilégiées ; etc.
La Deuxième Partie du Cours est consacrée aux « rôle et sens
biologique de la fonction perceptive ». Sans pouvoir m’y arrêter,
je dirai simplement qu’elle n’a d’autre ambition que de tirer un
bilan, d’ailleurs très informé, des connaissances scientifiques de
l’époque. Plus intéressante pour nous est la Troisième Partie, de
loin la plus longue de l’ouvrage. Son Chapitre II s’ouvre sur la
thèse suivante :
« l’opposition stéréotypée entre le psychisme humain et le
psychisme animal vient souvent d’une connaissance sommaire et
mythique du psychisme animal ; pour être exact, il faudrait plutôt
établir des comparaisons entre l’Homme et telle espèce animale
définie, pour un type déterminé d’apprentissage ou de perception.
Par contre, le caractère élevé de la perception des formes, son
1
2
Ibid., p. 90.
Ibid., p. 95.
12
aspect non primaire, se manifeste intensément dans la différence
très importante qu’introduit la perception des formes entre toutes
les espèces animales et l’espèce humaine »1.
Après avoir contesté la coupure anthropologique faite par les
philosophes entre l’homme et le vivant2, Simondon propose de
singulariser le simple degré humain par la capacité à l’abstraction et
à la symbolisation : tel est l’unique sens à donner au privilège
humain dans la perception des formes, cette dernière existant bien
chez l’animal mais sans une telle « richesse sémantique »3. Ici
encore, l’argumentation est étayée de nombreux exemples de
perception animale, laquelle se révèle souvent conditionnée – et
limitée 1 par les besoins. La suite de ce Chapitre II, ainsi que les
Chapitres III et IV de cette même Troisième Partie de l’ouvrage,
qui portent sur la perception de l’espace et celle de la durée, n’ont
pas à être évoqués ici. Je me contenterai donc de signaler combien
les études psychologiques de l’époque y sont mobilisées, au
détriment de la phénoménologie de la perception ou de Bergson.
Enfin, les Quatrième et Cinquième Parties de l’ouvrage, je l’ai
annoncé, sont consacrées à la mise en relation de la perception
avec ces autres dimensions du vivant que sont l’affectivité et
l’activité. Simondon y passe en revue les « effets de contexte » de
nature psychologique et biologique – « la perception dépend de
l’action, est modulée par elle autant qu’elle la conditionne »4 1 mais
aussi sociale : « Malinovski a indiqué comment les indigènes des
îles Trobriand voient seulement la ressemblance d’un enfant avec
son père, non avec sa mère ou ses frères et sœurs.[…] L’affectivité
et les motivations peuvent aussi créer une sélectivité perceptive se
manifestant par une sensibilisation ou une insensibilisation »5. Ici
encore la diversité des études citées, que je signale sans pouvoir ni
avoir à en rendre compte, impressionne le lecteur.
Ibid., p. 203.
Voir L’individuation psychique et collective, Paris, Aubier, 1989 et 2007, ainsi que mes
commentaires au Chap. IV de Simondon ou l’Encyclopédisme génétique, op. cit..
3 Cours sur la Perception, op. cit., p. 204.
4 Ibid., p. 357.
5 Ibid., pp. 360 et 369.
1
2
13
2. L’imagination revisitée au nom de l’image
Un an après avoir fait cours sur la perception, Simondon livrait
un cours intitulé Imagination et invention. Récemment paru pour lui1
même et dans son intégralité après avoir fait l’objet de
publications partielles et en contexte, ce cours est sans doute la
plus importante des publications posthumes de Simondon. Il s’y
agit en effet pour ce dernier de soutenir et développer une thèse
en vue d’une réforme théorique dont l’ambition peut être cette fois
comparée à celles de L’individuation à la lumière des notions de forme et
d’information et de Du mode d’existence des objets techniques. Dans ce
nouveau cours les références au travaux des psychologues sont
presque toujours inscrites à l’intérieur de cette visée théorique qui
les dépasse, et qui se présente comme fil directeur pour la
construction d’une « psychologie “générale” »1.
La continuité entre les deux cours est évidente, et le second
renvoie d’ailleurs au premier à l’occasion du traitement des
« images intra1perceptives » 1 plus précisément celles présentes
dans la « perception visuelle des formes »2. Mais cela ne doit pas
cacher le fait que le cours Imagination et invention constitue un
apport au cours précédent sur le thème même de la perception,
puisque ce qui précède la perception, à savoir la motricité du vivant,
y est désormais pensé comme naissance d’un « cycle de l’image » qui se
prolonge dans la perception elle1même sous la forme des « images intra1
perceptives », puis au1delà de la perception à travers les « images1souvenirs »
appelées à devenir « symboles », pour finalement « concrétiser » l’imagination
en invention fondant un « nouveau cycle de rapport avec le réel »3. Telle est
justement la thèse nouvelle dont il me faudra produire l’explication
dans chacun de ses membres.
Or, trois remarques préalables sont ici nécessaires :
a/ d’abord, ainsi que le laisse deviner la thèse nouvelle ci1dessus
énoncée, l’imagination ne sera pas seulement revisitée et élargie
Simondon, Imagination et invention, Les Ed. de la Transparence, Chatou, 2008, p.
138.
2 Ibid., p. 82.
3 Ibid., p. 138 (je souligne).
1
14
par Simondon au nom de l’image – aspect qui justifie pour sa part
le titre que j’ai donné au présent sous1chapitre 1, mais elle se verra
également articulée d’ores1et1déjà à la thématique de l’invention
présente dans Du mode d’existence des objets techniques comme dans le
recueil de textes L’invention dans les techniques. De sorte que le cours
Imagination et invention définit un carrefour à thématique psychologique au
sein du corpus à la fois épistémo1ontologique et technologique de
Simondon – comme la Critique de la faculté de juger, dans
l’organisation des problématiques philosophiques propres à Kant,
définissait le carrefour des Critique de la raison pure et Critique de la
raison pratique 1, et le passage sur lequel j’ouvrirai mon exposé en
donnera l’illustration parfaite ;
b/ ensuite, contrairement au Cours sur la Perception, celui sur
l’imagination et l’invention est précédé d’un Préambule et d’une
Introduction qui visent à en donner à l’avance la trame théorique,
en même temps qu’ils lui apportent une réflexivité et un
positionnement – certes allusif – au sein des débats
philosophiques et non plus seulement psychologiques sur
l’imagination1. Mais cette trame et cette réflexivité peuvent parfois
être en tension avec le sens des réflexions auxquelles elles
introduisent, comme c’est le cas, par exemple, lorsque Simondon
écrit en début de Préambule que la « psychologie des facultés » a
trop séparé l’imagination, la perception et la mémoire en fonction
des « tâches dominantes : anticiper, percevoir, se rappeler »2. En
fait, la séparation des facultés n’est pas une conséquence directe et
inéluctable de leur identification à ces « tâches dominantes » :
Simondon lui aussi thématisera l’imagination comme anticipation3, et
1 Dans la Troisième Partie du cours, Simondon renverra à un autre cours qui
pourrait être considéré comme un pré1requis du sien quant à la connaissance des
autres conceptions philosophiques de l’imagination : le cours prononcé en 19621
63 par Juliette Favez1Boutonnier.
2 Imagination et invention, op. cit.., p. 4.
3 C’est même l’une des objections qu’il adressera implicitement à Sartre, qui en
effet détachait l’imagination de sa fonction de réalisation par anticipation, c’est1à1dire
pour Simondon d’invention au sens strict et positif de ce terme, qui désigne l’ajout
d’une réalité objective : « L’imagination comme anticipation n’est plus ainsi une
fonction qui détache de la réalité et se déploie dans l’irréel ou le fictif : elle
amorce une activité effective de réalisation[…]. La modalité de l’imaginaire est
15
la vraie nouveauté sera qu’il fera de cette anticipation, d’une part
ce qui précède et nourrit la perception elle1même – contre toute
séparation des facultés 1, d’autre part ce qui prolonge les
souvenirs1symboles en inventions 1 en tant qu’ils sont eux aussi
des images mais « a posteriori » ;
c/ enfin, le caractère allusif du positionnement philosophique
initial du Cours empêche Simondon d’expliciter dans le détail en
quoi sa théorie de l’image est le contrepied parfait de celle de
Sartre sur l’imagination en même temps qu’une subversion de
l’opposition entre Sartre et la tradition à laquelle ce dernier s’en
prenait. On peut donc préciser ici que Sartre reprochait à cette
tradition de faire de la différence entre perception et imagination
une simple différence de degré plutôt que de nature, la perception
et l’imagination étant pour Sartre deux modalités de la conscience
exclusives l’une de l’autre si l’imagination est une fonction
« irréalisante » tandis que la perception est donation de présence.
Contre quoi Simondon va proposer ce qui constitue en fait une
troisième voie, bien qu’explicitement anti1sartrienne : dans le vivant
l’image prend forme dès la motricité et possède donc une modalité
pré1perceptive puis intra1perceptive, c’est1à1dire a fortiori non1
consciente avant d’être consciente – chez Sartre il n’était à chaque
fois question que du « sujet conscient ». Où l’on retrouve le souci
non1anthropologique de la pensée simondonienne, qui à plusieurs
reprises pensera l’homme lui1même comme susceptible par
ailleurs de « régresser » à une « phase » purement instinctive du
comportement1.
celle du potentiel ; elle ne devient celle de l’irréel que si l’individu est privé de
l’accès aux conditions de réalisation » (Ibid., p. 56).
1 Ainsi par exemple, « un rassemblement autour d’un accident, une émeute, la
bousculade de gens qui fuient sont d’abord perçus de manière primitive, même
par l’homme, quand le sujet est dans une situation où les données sensorielles
arrivent de manière nouvelle et imprévue » (Imagination et invention, op. cit., p. 66).
Plus loin Simondon théorise et radicalise : « l’idée que le domaine des réalités
sociales est celui des apprentissages tandis que les catégories directement
biologiques selon les instincts seraient spontanées est très théorique. Sur le plan
des phénomènes, il y a des images intra1perceptives qui ont un sens pour les
situations psycho1sociales ; elles ne sont pas moins spontanées et moins
primaires que celles qui permettent l’adaptation primordiale aux situations de
danger, de rapport aux parents ou aux jeunes ; le visage humain vu de face, en
16
Pour toutes les raisons fournies par ces trois remarques
préalables, je produirai l’explicitation de la thèse nouvelle plus
haut citée en partant d’un texte – la fin de la Troisième Partie du
cours 1 qui thématise d’une part directement le passage de l’image1
symbole, troisième phase du « cycle de l’image », à l’invention, tout
en faisant d’autre part le lien avec le propos de Du mode d’existence
des objets techniques sur l’invention technique dans sa différence
d’avec la magie et l’art. C’est la complémentarité entre la thèse
générale et ce texte décisif qui produira l’intelligibilité des deux, et
par là du sens profond de l’ouvrage. Voici donc ce texte :
« Le monde des symboles est une espèce de pandémonium flottant
entre la situation d’objet et celle de sujet, s’interposant entre le
vivant et le milieu. Dans les maladies mentales, les symboles
peuvent être pris pour du réel objectif, ou bien ils peuvent habiter
le sujet qui se sent possédé et qui perd sa liberté et son pouvoir
d’initiative dans l’action ; les arts pratiquent un certain exorcisme
qui, au lieu de laisser flotter l’univers des symboles entre le monde
des objets et le sujet, le fixe en le représentant, en le ritualisant, en
l’insérant dans le monde objectif et dans la régularité sociale ; la
magie puise dans l’imaginaire des moyens d’évocation ou
d’influence en matérialisant des symboles qu’elle réindividualise,
baptise d’un nom propre, façonne à la ressemblance d’un être
vivant, pour l’employer comme mode d’accès dans l’opération
d’invocation ou d’envoûtement ; le voult est un analogon de l’être à
envoûter, mais il est pétri d’imaginaire, construit avec le plus
grand nombre possible d’objets1symboles empruntés à l’être réel.
Tous ces emplois de l’imaginaire symbolique sont naïfs en une
certaine mesure, car ils reprennent un contenu formalisé, celui de
symbole, en essayant de le rendre à nouveau concret sans
continuer le cycle de l’image qui s’est formalisée en symbole en
perdant les attaches du souvenir daté et personnel. Mais le cycle
de l’image ne peut être inversé ; ce n’est pas de l’intérieur et sans
tant que familier ou inconnu, est sans doute une des premières perceptions
gestaltisées de l’enfant ; la valence de familiarité ou d’étrangeté est impliquée dans
la saisie perceptive comme celle du prédateur ou de la proie. Ceci laisse prévoir
l’importance du caractère perceptif et primaire des stéréotypes (clichés) culturels,
avec les réactions qui leur correspondent. L’Homme est zoon politikon » (Ibid., p.
70).
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opération constructive, productive, créatrice, modificatrice des
structures, que l’insertion dans l’univers peut être retrouvée
lorsque la formalisation s’est accomplie ; le symbole est un mixte
de sujet et d’objet qui a valeur instrumentale pour l’invention ;
dans la magie, le rêve, la fantaisie, il ne peut que se dégrader et
construire illusoirement un faux concret, un monde artificiel
d’apparences »1.
Si, comme l’explique ce passage, les « emplois de l’imaginaire
symbolique » par les arts ou la magie sont naïfs « en une certaine
mesure » 1 qui n’est pas petite si le paroxysme de cette naïveté est
la « maladie mentale » elle1même 1, c’est parce que le symbole est
déjà le résultat d’un devenir de l’image que Simondon nomme ici
« formalisation », et dont l’achèvement ne pourra consister qu’en une
extériorisation à valeur universelle dont le symbole lui1même n’est que la
préparation encore trop rattachée au sujet. Pour le comprendre, il
convient de rappeler d’abord les phases premières de ce devenir
de l’image dont résulte le symbole :
1 il y a d’abord, ainsi que le laissait entendre la thèse générale,
l’image infra1perceptive liée à la motricité du vivant animal. La
courte Première Partie du cours, intitulée « Contenu moteur des
images. L’image avant l’expérience de l’objet », lui est consacrée.
Cette image est une « anticipation endogène venue de
l’organisme »2, mais parce qu’infra1perceptive, elle est a fortiori
extérieure au « sujet conscient ». Par comparaison, on peut déjà
1 Imagination et invention, op. cit., pp. 1371138. Les dernières lignes, cela peut se
laisser deviner, déboucheront sur une justification, originale en tant que telle mais
restrictive et donc nuancée, de la condamnation platonicienne des arts : « la
critique platonicienne des arts comme fauteurs d’illusion s’applique
essentiellement aux arts qui cherchent à retrouver une existence à partir de
symboles, en inversant un devenir dont l’achèvement ne peut être que dans
l’invention » (Ibid., p. 138).
2 Ibid., p. 30. Simondon annonçait déjà en Introduction : « Le niveau primaire
peut être nommé biologique, ou vital : c’est celui qui implique la participation de
tout l’organisme comme moyen d’actualisation, et qui engage cet organisme dans
les situations selon des catégories telles que la relation au prédateur, à la proie, au
partenaire ; l’anticipation est en ce sens une préexistence des coordinations
héréditaires d’actes instinctifs comme l’agression, la fuite, impliquant une
participation de tout l’organisme » (Ibid., pp. 21122).
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annoncer ici que l’invention qui clôt le cycle de l’image sera bien à
nouveau une anticipation ainsi qu’une extériorité par rapport au
sujet, mais l’anticipation sera cette fois celle du sujet conscient, et
l’extériorité, une « concrétisation » ou existence objective de
l’ « objet1image » ;
1 vient ensuite l’image intra1perceptive à laquelle est consacrée la
Deuxième Partie du cours, intitulée « Contenu cognitif des images.
Image et perception ». L’Introduction présentait déjà cette image
intra1perceptive comme impliquant « une participation plus
spécialisée du système nerveux ; au lieu d’engager directement
l’organisme dans chaque situation de rapport au milieu, il
développe un analogue mental de ce rapport primaire.
L’anticipation, au lieu d’être l’éveil d’une activité instinctive, se
manifeste sous forme de motivation et d’anticipation consciente,
de désir, d’état de besoin éprouvé, de plan d’action, avec un
enchaînement d’images qui préparent la rencontre de l’objet »1.
Ces derniers mots ne doivent pas faire oublier que « l’image sert
ici d’instrument d’adaptation à l’objet ; elle suppose qu’il existe un
objet, et non pas seulement une situation »2. C’est pourquoi
Simondon nomme ce niveau « expérience » ;
1 le troisième niveau, auquel est consacrée la Troisième Partie
intitulée « Contenu affectivo1émotif des images. Image a
posteriori, ou symbole », est celui dans lequel « c’est l’effet
affectivo1émotif, la résonance, qui prend la place prépondérante ;
l’image est alors le point remarquable qui se conserve quand la
situation n’existe plus ; on pourrait dire qu’il s’agit ici, dans cette
image a posteriori, d’un souvenir[…]. Mais on doit noter que tout
souvenir n’est pas une image. Un souvenir est une véritable image
a posteriori quand il se manifeste avec une prégnance et une
intensité qui lui confèrent un pouvoir organisateur »3.
Parvenus en ce point, nous retrouvons le stade où peut
apparaître le « monde des symboles », décrit dans le passage
décisif plus haut cité comme résultant d’une « formalisation ». En
effet, les images1souvenirs peuvent, dans leur accumulation, faire
Ibid., p. 22.
Ibid.
3 Ibid., p. 20 (souligné par l’auteur).
1
2
19
naître des contradictions que seul le passage au symbole pourra
redéfinir comme des aspects complémentaires et compatibles :
« Ainsi, pour que l’image1souvenir puisse évoluer au point de
devenir un symbole, il faut qu’elle condense une expérience
intense, accentuée, liant énergiquement l’être vivant au milieu, et
se développant à travers une série d’empreintes successives
qualitativement différentes, irréductibles les une aux autres ; c’est
l’hétérogénéité des empreintes rattachées à une même source qui
donne au symbole sa tension interne, et qui le rend différent
d’une totalisation comparable à celle du portrait composite.[…]
L’image1souvenir est devenue un symbole quand l’orientation, la
direction particulière de la manifestation a perdu son univocité
originelle devant la dualité possible des orientations. Le souvenir
de l’arme tenue en main par le sujet, tout comme celui de l’arme
menaçante dans la main d’un autre, ne donnent que des images.
Mais ces images forment un symbole quend l’arme est en même
temps saisie comme pouvant menacer le sujet et être prise en
main par lui pour menacer autrui »1.
La « formalisation » dont résulte le symbole est donc ce par
quoi ce dernier se détache de l’expérience contradictoire du sujet
pour proposer une cohérence nouvelle et collectivement
partageable. Voilà pourquoi le passage décisif initialement cité
disait du « monde des symboles » qu’il n’était accessible qu’ « en
perdant les attaches du souvenir daté et personnel ». La magie
avait alors ce tort de vouloir « réindividualiser » le symbole, tandis
que l’art visait à l’ « insérer dans le monde objectif » et présentait
en ce sens davantage d’affinité avec l’invention proprement dite
comme achèvement du cycle de l’image – ce qui explique le
traitement de l’ « objet esthétique » à côté de l’invention technique
dans la Quatrième Partie du cours. Mais ce n’est pas le symbole
lui1même qui doit être objectivé, car l’invention ne peut qu’être
une extériorisation qui prolonge la formalisation jusqu’à la dimension de
l’universel. C’est pourquoi l’invention ouvre en fait un nouveau cycle de
rapport au réel, et constitue un « changement de niveau » par
sursaturation du monde des symboles :
1
Ibid., pp. 125 et 136.
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