Le Domaine du Rayol depuis l’acquisition par le Conservatoire du littoral État des lieux et projet « À cette époque-là, le Domaine avait des allures de réserve de chasse. L’humus encombrait les chemins et les caniveaux, la pergola disparaissait sous les feuillages, une épaisse couche de terreau garnissait son dallage détruit, les chemins se perdaient dans la nature et les squelettes d’arbres gelés par les hivers 85 et 86 avaient transformé le vallon du Figuier en un paysage griffé de bois clair et figé, contrastant sur le fond persistant des chênes, des pins et des mimosas ressuscités. » Voilà la description du Domaine, donnée par Gilles Clément à l’aube de sa transformation. Deux guerres et 80 années séparent la conception du projet initial du projet à mettre en œuvre. Gilles Clément remarque que le lieu reste marqué, bien plus par la conception des Courmes que par les aménagements apportés par les Potez. Pour le paysagiste, cela tient essentiellement à la disposition des bâtiments sur le site, à la force des percées visuelles et à la combinaison des espaces ouverts ou fermés, notamment aux cheminements créés pour relier les différents points du Domaine. Pour Gilles Clément, ces éléments combinés évoquent bien la volonté de mise en place, dès le départ, d’un jardin désormais disparu. Le patrimoine bâti constitue ainsi l’épine dorsale des 6 ha de jardins futurs, à établir dans le respect du lieu et de la mémoire que véhicule l’empreinte architecturale laissée depuis les années 20. Le thème austral s’impose d’emblée ; l’existence de sujets imposants originaires de l’hémisphère sud, eucalyptus et mimosas notamment, fait déjà allusion aux territoires de cette partie du globe. 24 25 Le jardin d’Australie Le grass tree Le grass tree ou black boy, signifiant littéralement « garçon noir » est une herbe à tronc, plus exactement à stipe comme le ­dragonnier, que l’on remarque dans le kwongan australien. Son tronc généralement noirci par les incendies successifs porte une houppe de feuilles au port dressé ; cette silhouette se détache particulièrement sur le fond gris composé par les feuillages de l’eucalyptus, du mimosa, du rince-bouteille et des banksias. Lorsque la plante fleurit, une inflorescence s’élance depuis le sommet de l’arbre. Son allure et la couleur du tronc lui ont ainsi valu d’être baptisé black boy par les Européens ; le black boy offrait le profil d’un aborigène armé de sa sagaie. Les Aborigènes l’appellent balga et on le nomme désormais plus équitablement grass-tree en hommage au bouquet d’herbe de son sommet. Le feu, s’il épargne le tronc protégé d’une écorce peu combustible, consume généralement les gaines et les extrémités foliaires, mais endommage rarement les tissus de croissance du cône végétatif et de la base des feuilles. Ces toupets de feuilles servent ainsi d’abri contre le feu aux insectes et autre petits animaux qui rampent à l’intérieur des gaines et des pétioles puis quittent leur abri après l’incendie. Le tronc, d’où émerge l’inflorescence en forme de cierge pour Xanthorrhoea, peut mesurer plusieurs mètres de haut. La floraison intervient après l’incendie, lorsque le grass tree régénère ses feuilles ; la tige florale de Xanthorrhoea peut alors atteindre 3 mètres. Il entre ainsi dans la catégorie des espèces à rejet. Le grass tree est un monocotylédone à croissance très lente et on convient que le tronc grandit d’un mètre par siècle. L’écorce exsude naturellement une résine de couleur jaune caramel qui se craquelle en vieillissant. Cette résine mélangée à du charbon de bois réduit en poudre, du sable fin et de la cire d’abeille produit une colle dont se servaient les aborigènes pour fixer les pointes de javelots. Certaines tribus moulaient d’ailleurs la résine en pains qu’ils troquaient avec les clans ne possédant pas de grass tree sur leur territoire. En Australie, la résine entre toujours dans la composition de ­colorants rouges et de vernis pour la menuiserie et l’ébénisterie. Les Aborigènes utilisaient également les tiges florales pour la fabrication des hampes des javelines, les pointes étant en bois dur, ou comme baguettes de frictions pour obtenir du feu. Les bases tendres des feuilles se consommaient comme légume. 94 95 Ci-contre : tige florale de Xanthorrhoea pressii. Le jardin d’Afrique du Sud Aloe morlothii et jeunes chasmanthes. Les feuilles les plus anciennes d’A morlothii restent attachées à la plante et protègent sa base du froid comme un tampon thermique. 114 115 Les puyas et les cactus cierges Avec les colonnes de cactus cierges et les puyas à fleurs énormes, le Chili aride de la région côtière apparaît telle une vaste colline sèche d’où émergent de grandes sentinelles. Les puyas sont des broméliacées, tout comme les ananas, et sur les sols rocheux ils forment des landes à l’image de celle recomposée au Domaine du Rayol ; leurs feuilles épineuses, à rosettes, façonnent des fourrés impénétrables. La taille des tiges florales varie d’une espèce à l’autre ; les hampes des dominantes retenues pour le jardin du Chili, Puya alpetris aux fleurs bleues et Puya mirabilis aux fleurs jaunes, ­n’atteignent qu’un mètre de hauteur. Ces deux plantes s’associent aux cactus cierges, les quiscos du Chili, qui émergent de la lande ; leurs tiges extrêmement épineuses la dominent du haut de leur dizaine de mètres. Ce sont d’ailleurs les épines, de la taille d’une aiguille à tricoter, qui abreuvent la plante en eau ; orientées vers le bas, elles condensent, la nuit, la vapeur d’eau et amènent les gouttes de rosée par glissement au pied de la plante pour y désaltérer ses racines. Rapportés du Chili, les cactus du Domaine proviennent de boutures récoltées dans les Andes à 3 000 mètres d’altitude et seraient ainsi résistantes aux gels éventuels de notre hiver européen. La lande à puyas du matorral côtier ­d’altitude a pris place, à l’extrême est du Domaine, sur un coteau très évocateur du relief chilien. Ci-contre : Puya alpetris en fleurs et cactus cierges. Page de droite : Puya alpetris, détails de fleurs et de feuilles. 127 Le jardin d’Amérique aride 140 Le jardin d’Amérique aride Le désert Caractéristiques Climat désertique, tropical sec. Plantes élues Les agaves, Agave sp, Le coussin de belle-mère, Echinocactus grusonii, Les figuiers de Barbarie, Opuntia sp, Les cactus cierges, Pachycereus sp, Le yucca, Yucca rostrata. Les régions du monde régies par le climat méditerranéen avoisinent, à l’un de leur extrême, des régions arides caractérisées par une longue saison chaude et sèche et des précipitations très faibles ou même nulles ; le désert du Sahara limite le bassin méditerranéen, celui de l’Atacama le Chili, le Kalahari l’Afrique du Sud, le grand désert de Victoria, l’Australie du Sud et le désert de Gila la Californie. Les caractéristiques du climat méditerranéen permettent cependant d’acclimater des plantes de ces milieux arides. La Basse Californie, territoire du Mexique est significative de l’Amérique aride. Olmèques, Zapotèques, Mayas, Toltèques, Mixtèques et Aztèques se sont disputés successivement la suprématie des territoires de l’actuel Mexique. Le premier millénaire de notre ère a été marqué par ­l’épanouissement de la civilisation Maya et les Aztèques fondèrent Tenochtilàn, l’actuelle Mexico, vers 1325. En 1519, Cortès aborde l’île de Cozumel au large des côtes du golfe du Mexique et en 1521, l’empire Aztèque est officiellement anéanti par les Espagnols. L’indépendance acquise en 1821 autorise la naissance du nouvel état du Mexique. Son nom vient de la langue nahualt, Méxihco, « le lieu du centre de la lune », terme par lequel les Mexicas désignaient la capitale de leur état. Le nahualt, utilisé dans l’empire aztèque, est toujours parlé par 1,5 million de personnes dans le centre du Mexique. Au Domaine du Rayol, le jardin d’Amérique aride consacré aux paysages des régions semi-désertiques d’Amérique a été réalisé sur une parcelle pentue afin de favoriser le ruissellement des eaux pluviales hivernales ; il emprunte au Mexique ses plantes emblématiques. Dans ce jardin, les plantes sont capables de résister à de fortes chaleurs et à une sécheresse prolongée ; des tissus coriaces et aquifères, des épidermes cireux et velus les caractérisent. Le paysage de référence est celui du désert de la Basse Californie du Mexique, dominé par les yuccas, les agaves et les cactus cierges. Dans les déserts tropicaux de la péninsule de la Basse Californie et du centre du Mexique, la végétation fait en effet la part belle aux arbrisseaux et plantes succulentes ; les arbres sont absents du paysage. Le jardin d’Amérique aride accueille une collection de cactus dont le peyolt aztèque, Lophophora williamsii, aux fameuses propriétés hallucinogènes ; c’est l’alcaloïde de la plante, la mescaline, qui en est la cause. On peut également y observer de jeunes cactus cierges dont Pachycereus pringlei et Trichocereus pasacana, tous deux originaires de basse Californie. À terme, leur tige cylindrique atteindra environ quinze mètres de haut. Quant aux coussins de belle-mère, Echinocatus grusonii, ils ont pour berceau l’état d’hidalgo du centre du Mexique ; une fois centenaires, leur diamètre mesurera 80 centimètres. Ce sont, en tout, 2 500 espèces de cactus qui se partagent le territoire américain en adoptant les formes les plus variées ; le Domaine du Rayol n’en accueille que quelques-unes ! 141 Le jardin marin Le jardin marin Le biome marin méditerranéen Le biome marin méditerranéen représente 1 % de l’océan mondial, Il s’étend sur une surface de 2,5 millions de km2, soit 5 fois la superficie de la France, Sa profondeur moyenne est 1 370 mètres, sa profondeur maximum étant de 5 124 mètres, Son taux de salinité est de 37,5 g/l, contre 8 g/l en mer baltique et 42 g/l en mer rouge, Sa température est de 13° C en profondeur alors qu’en surface elle oscille entre 10 et 30° C Patrimoine végétal 12 000 espèces marines y sont recensées, soit 6 % des espèces mondiales, 28,6 % de ces espèces sont endémiques, donc exclusives à la Méditerranée, 50,2 % sont d’origine atlantique, 16,8 % d’origine atlantico-pacifique, 4,4 % d’origine indo-pacifique. Caractéristiques Fonds sableux Fonds rocheux Herbier de posidonie Plante élue La posidonie, Posidonia oceanica 162 Au Domaine du Rayol, le jardinier paysagiste, Gilles Clément, a souhaité introduire la mer comme composante à part entière des jardins méditerranéens, en « attribuant au fond de la mer le vocabulaire de jardin marin ». « Le mot jardin suppose jardinage, c’est-à-dire, au préalable, surveillance et compréhension. Il oblige à la sauvegarde et à l’amélioration des richesses dont il a toujours été dit que l’homme dépendait. » nous dit-il. Le vocabulaire du jardin en étant transposé sous la surface de l’eau, permet de porter un autre regard sur le fond de la mer ; la prairie de posidonie, la pergola marine, la grotte du congre, la passe des nacres, le parterre d’oursins, deviennent autant de paysages et de milieux naturels à pénétrer, non plus en marchant cette fois mais en nageant et plongeant. Il n’est pas question de jardiner, au sens strict, le jardin marin, mais d’accentuer les dispositifs naturels en place ; limiter les pollutions, les dégradations mécaniques comme les ancrages de bateaux et les exploitations abusives représentent les objectifs de gestion du domaine marin. Le jardin marin se découvre ainsi en compagnie d’un guide, à partir de la plage de la baie du Figuier, point de départ du sentier marin. La promenade s’effectue sous l’eau et chaque visiteur est dûment équipé d’une combinaison de plongée, d’un masque, d’un tuba et de palmes. L’objectif est de dévoiler au public les paysages sousmarins et la vie aquatique de la frange littorale en le sensibilisant aux différentes menaces écologiques dont ce milieu fait l’objet. Le jardin marin de la baie du figuier est le théâtre de 3 biotopes : l’herbier de posidonie, les fonds sableux et les fonds rocheux. Quelques tombants de coralligènes y sont observés, mais ce milieu est peu représentatif du jardin marin du Domaine. Découverte du jardin marin avec un animateur en été. 163 Le jardin marin Et, si les feuilles de l’herbier abritent des algues épiphytes, elles sont aussi l’habitat privilégié du bryozoaire des posidonies, Electra posidoniae, là encore endémique. Ces animaux microscopiques se déploient sur les feuilles, en colonies allongées, plates et épineuses. Electra posidoniae est un bryozoaire très commun aux zoïdes en forme de boîtes obturées par un opercule à charnière qui filtre l’eau. Des poissons planctonophages comme la castagnole et les mandoles exploitent aussi, le jour, l’eau aux abords de l’herbier. La nuit venue, ils y dorment et deviennent la proie de prédateurs piscivores nocturnes, comme le congre et les rascasses qui se déplacent, pour l’occasion, depuis les fonds rocheux en quête de cette aubaine. On peut ainsi dire que l’herbier abrite une grande variété d’espèces très différentes aux stratégies d’adaptation variées. Et ajouter que ces espèces ne sont cependant qu’une partie des quelques milliers qui habitent la Méditerranée. Cette mer d’ailleurs où, conséquence de la rareté du plancton et des algues, la majorité des poissons sont carnivores et se partagent les trois autres grands milieux méditerranéens : les fonds rocheux, les substrats sableux et les graviers et coralligènes constitués d’algues rouges calcifiées. Au Rayol, quelques rares tombants de coralligènes sont observés, laissant les fonds rocheux et les substrats sableux se partager le milieu maritime. Groupe de castagnoles (Chromis chromis). Feuilles de posidonies grignotées par les saupes et pelliculées d’algues et autres bryozoaires. Les ascidies sont des tuniciers, cousines des éponges, mais qui ne possèdent que deux siphons : le buccal inhalant et le cloacal rejetant. On y trouve également, mais cette fois dans les rhizomes dégagés car elle aime la lumière, la gorgone blanche, Eucinella singularis, une autre espèce endémique de la Méditerranée. La gorgone, comme les méduses, les anémones de mer ou les coraux sont des cnidaires dont la bouche est entourée de tentacules armés de cellules urticantes qui ne servent pas qu’à brûler les baigneurs malchanceux. Destinées en effet à la défense, elles favorisent aussi ­l’attaque en permettant d’étourdir et de capturer les proies. 180 Les substances urticantes peuvent être assez puissantes et occasionner des piqûres dangereuses, notamment celles de certaines méduses tropicales. La gorgone blanche se caractérise par sa forme en branche ramifiée blanchâtre. Elle croît lentement, de quelques centimètres par an jusqu’à atteindre quelques dizaines de centimètres. Un autre grand mollusque herbivore, l’aplysie, Aplysia depilans, grande limace marine à corps épais et charnu, apprécie l’herbier. Deux grandes paires de tentacules ornent l’avant tandis que le corps est équipé de parapodes aliformes qui autorisent sa propulsion. On le surnomme le « lièvre des mers » et on peut l’observer, à la période de reproduction, en de vastes regroupements. 181