Compte rendu du déjeuner Contrat Social avec le Père Henri Madelin, jeudi 16 octobre 2008 Participants : Pierre Cabon, Jean Marc Daniel, Claude Vimont, Gilles Brac de la Perrière, Alain Raab, Yves Oltramare, Philippe Brisac, Robert Audousset, Bertrand Krieger, Yves Chartier, François Eck. Le Père Henri Madelin (HM), ancien directeur du centre Sèvres, ancien provincial de la compagnie de Jésus, ancien rédacteur en chef de la revue Études est actuellement supérieur du centre jésuite chargé de suivre les problèmes européens, directement rattaché au Saint-Siège. Après avoir été à ce titre en poste à Strasbourg où se trouve le siège du Conseil de l’Europe (L’Europe des « 4 5 ») il réside à Bruxelles siège de l’Europe des 27. Il note que le statut du Vatican est celui d’un État à la différence des ONG. D’entrée de jeu HM tient à souligner l’importance des rôles joués par Robert Schuman et de Jean Monnet dans la construction d’une Europe où le stylo s’est substitué au canon pour trouver des solutions aux problèmes. Ce faisant depuis sa naissance l’Union Européenne apparaît comme un modèle de paix de solidarité, un espace où la parole, l’échange et la négociation priment sur la force… même si parfois quelques tensions peuvent apparaître (ex de la question des « roms » entre l’Italie et la Roumanie). On a réussi à construire un ensemble réunissant quelque 500 millions d’individus vivant dans la paix de ses frontières unique dans le monde si l’on excepte bien sûr l’ensemble nord-américain. Ce sont des morceaux de l’humanité qui sont sortis de la guerre ! Comment tracer une frontière ? Les approches susceptibles d’être retenues pour traiter des frontières de l’Europe sont multiples, mouvantes et complémentaires. Elles sont d’abord culturelles avant d’être plus géographiques dans une période plus récente : — l’empire romain à l’origine a ses frontières (le limes) qui s’étendent à la Turquie à l’Afrique du Nord et à l’Écosse ; — le traité de Tordesillas effectue un partage du nouveau monde entre l’Espagne et le Portugal sous l’autorité du Pape. — le traité de Berlin de 1878 fournit un autre exemple sur des frontières purement artificielles en Afrique et dont les conséquences délétères perdurent. Il insiste par ailleurs sur l’importance du fait religieux et notamment sur le rôle décisif de l’Europe des monastères et des Universités. Certes la Réforme a créé un fossé entre catholiques et protestants, mais il ne faut pas en exagérer les conséquences pour l’Europe. Comme il est souligné par Yves Oltramer la Suisse est un pays indépendant au cœur de l’Europe parce que cette indépendance facilitait les relations entre l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Il ne faut pas perdre de vue que les protestants ne sont que 17 % à Genève même si le titre d’évêque de Genève est rejeté par les Genevois. Il reste qu’un jour plus ou moins prochain la Suisse rejoindra l’Europe HM voit dans la conception anglaise une corrélation forte entre l’ouverture des frontières, celle des marchés et l’absence d’intégration politique. C’est pourquoi la Turquie leur paraît devoir faire partie de l’Europe. Allant plus loin les Américains verraient même l’Irak rejoindre l’Europe comme la Turquie ! Alain Raab insiste beaucoup sur les rôles de la langue et des structures mentales pour mieux comprendre comment se forment ou peuvent se former de vastes ensembles regroupant des populations au départ distinctes. Trois langues — basque, hongrois et finnois — se distinguent nettement des autres langues parlées en Europe et selon A. Raab les Chinois par de nombreux cotés ont une structure mentale relativement proche de celle des Européens ! L’arrivée des pays européens de l’Est a tué le français à Bruxelles souligne HM et la position de la Grèce a été bouleversée par l’arrivée de ces mêmes pays. HM s’est convaincu que l’entrée de la Turquie dans l’Europe serait à terme un facteur positif. Il estime du reste qu’il y a des musulmans depuis très longtemps à l’intérieur de l’Europe. Une alliance turcophone regroupant les pays du sud de la Caspienne permettrait de contenir la pression de la Russie. Le pape Benoît XVI a déclaré, il convient de le rappeler, que la Turquie pouvait rejoindre l’Europe à condition qu’elle respecte la liberté. L’Europe aujourd’hui : — à l’Ouest, rien sinon peut-être l’Islande ; — au Nord, la Norvège mais encore faudrait-il qu’elle soit candidate pour entrer. Les pays du nord redoutent la bureaucratie de Bruxelles et souffrent d’un déficit démographique qui à terme peut devenir grave. Le remède ne peut venir que d’un apport d’immigrés. — à l’Est des promesses ont été faites aux pays des Balkans. Malgré le Kosovo la Serbie voudra saisir sa chance d’entrer dans l’Europe dont l’image est excellente. Beaucoup d’autres désirent entrer à commencer par la Turquie : population importante, armée solide dans l’Otan, chemin de transit du pétrole et du gaz, noyau d’une future grande entité turcophone englobant plusieurs pays situés au sud de la Russie, pays musulman mais laïc très choyé par les États-Unis. Sans parler de l’Ukraine avec une Crimée et sa zone militaire très russes ! Il faut être accueillants mais faire comprendre aux postulants que nos légitimes exigences ne peuvent être satisfaites rapidement : ce peut être parfois l’affaire d’une génération ! Pour HM l’Union pour la Méditerranée est un grand projet actuellement bloqué par le comportement d’Israël dans ses relations avec les Palestiniens. Elle peut aider les pays du Maghreb à résister à la pression des fondamentalistes de l’Islam. Elle serait par ailleurs un contrepoids démographique à la dépopulation européenne.