LES ORCHIDÉES DU PAYS MESSIN Les journées d`été nous

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L E S ORCHIDÉES DU PAYS MESSIN
par
M.
W I L F R I D
D E L A F O S S E
Les journées d'été nous invitent à parcourir les bois et les
coteaux ensoleillés de notre belle région messine. La nature est en
pleine floraison. Nous sommes en juin ; c'est le mois des Orchidées.
Profitons-en et gravissons les pentes de nos charmants coteaux qui
dominent la rive gauche de la Moselle. Nous découvrirons ensemble
les particularités de structure, les adaptations aux différents milieux,
les caractères parfois étranges des Orchidées (les botanistes disent
aussi les Orchidacées). Pour beaucoup de personnes, ce sont des
plantes des pays chauds, des forêts tropicales; ce sont alors les
espèces que l'ont peut admirer chez les fleuristes ou dans les serres
chaudes de notre Jardin Botanique.
Evidemment, chez nous, les Orchidées ne peuvent avoir toute
la splendeur des espèces exotiques ou équatoriales. Il manque à
ces « filles de l'air » les chauds rayons du soleil, mais si elles sont
moins brillantes, nos espèces indigènes, malgré leur petitesse, n'en
sont pas moins gracieuses et originales, avec leurs nombreuses
variétés de formes et de couleurs.
Sur les flancs de notre côte de Moselle, de préférence dans
les endroits les moins fréquentés par les troupes d'enfants et les
campeurs, vous découvrirez, à l'orée des bois ou dans une clairière,
YOrchis tacheté. Il va me permettre de vous présenter la famille :
Une tige droite, la hampe, porte des fleurs roses lilas, piquetées de
points plus foncés, et disposées en un bel épi allongé. Le long de
la tige s'étale une série de feuilles luisantes et lancéolées, glabres
et simples à fines nervures parallèles. Dans le cas particulier, les
feuilles sont maculées de brun. Avec les fleurs, elles font de cette
Orchidée une espèce facile à identifier.
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LES ORCHIDÉES DU PAJYS MESSIN
Regardons plus attentivement la fleur, qui caractérise l'Orchidée. Chez la plupart des plantes, les deux enveloppes florales sont
de couleur différente; le calice est vert et la corolle est de couleur
variée. Dans le cas des Orchidées, il n'en est pas de même, car
calice et corolle sont de même couleur. Les Orchidées ressemblent
ainsi aux grandes familles qui ont donné les Lis, les Tulipes, les
Narcisses, les Iris et les Glaïeuls — et, comme elles, leurs fleurs
sont du type trois, c'est-à-dire qu'elles ont, comme dans un Lis, trois
sépales et trois pétales.
Le sépale médian et les deux pétales latéraux sont rapprochés
à la partie supérieure et forment une sorte de casque. La partie
inférieure de la fleur est alors formée par le pétale du milieu, plus
développé, ou labelle, et les sépales de côté, qui simulent des ailes.
Le labelle contribue par la richesse de son coloris et la variété de
ses formes à rendre les Orchidées remarquables. Il facilite aussi la
détermination des espèces et des genres. Chez l'Orchis, le labelle
est découpé et présente un éperon, sorte de prolongement en tube
renfermant un liquide sucré ou nectar dont les insectes sont très
friands.
Mais, ce qui vraiment est le plus caractéristique dans la fleur
d'Orchidée ne peut être vu qu'après un examen attentif. Tout
d'abord, elle ne contient qu'une étamine, située sous le casque. En
réalité, il se forme au début trois étamines (toute la fleur est du
type trois), mais deux d'entre elles avortent. Une seule parvient
donc à son complet développement. A maturité, elle met en liberté
non pas du pollen en poudre comme le font les étamines des autres
fleurs, mais deux petites boules de grains de pollen agglomérés
ou pollinies ; chacune a la forme d'une massue dont le « manche »
se termine par une sorte de petit disque collant qui joue un rôle
dans la pollinisation par les insectes. Les deux pollinies sont réunies
au niveau des deux disques.
Quant au pistil, il comprend un ovaire, situé sous la fleur, et
soudé aux autres parties; il est allongé et tordu sur lui-même.
L'ovaire contient un grand nombre d'ovules, des milliers, et très
petits que l'on a comparés à de la sciure de bois. Un style surmonte l'ovaire et se termine par un stigmate visqueux. L'étamine
fertile est soudée au style en formant une sorte de colonne que les
botanistes désignent sous le nom de gynostème. Le pollen doit féconder l'ovaire, mais, par suite de la particularité de la fleur des
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Orchidées, la pollinisation indirecte, par l'intermédiaire des insectes, est obligatoire. Ceci nous explique que la floraison de certaines
Orchidées exotiques, cultivées dans les serres, se prolonge quelquefois pendant plus de trois mois, c'est-à-dire beaucoup plus longtemps que dans leur pays d'origine, où elles se flétrissent peu de
temps après la fécondation. Or, dans nos cultures, la fécondation
n'est pas possible, les insectes pollinisateurs n'ayant pas été introduits avec les plantes.
Nous venons d'observer certaines caractéristiques de la fleur
de notre Orchidée. Il fait beau ; la terre est sèche. Mettons-nous à
plat ventre et attendons. Bientôt, un Bourdon vient se poser sur le
labelle d'une fleur d'un Orchis tacheté pour atteindre l'éperon rempli de nectar. Pénétrant dans la fleur la tête en avant, il ressort
presque aussitôt, coiffé de deux aigrettes. Ce sont les pollinies qui
adhèrent à la tête de l'insecte par leurs disques collants. Puis, le
Bourdon vole vers d'autres fleurs, tandis que les pollinies s'inclinent
et deviennent horizontales, si bien que, quand l'insecte plonge dans
l'éperon d'une nouvelle fleur, la pollinie arrive sur la surface
gluante du stigmate et s'y trouve retenue. La pollinisation est faite.
C'est cette aventure sentimentale des Orchidées qui inspira Maurice
Maeterlinck dans son Intelligence des fleurs. Darwin nous la décrit,
en 1862, dans son ouvrage De la fécondation des orchidées par les
insectes. Il est facile de reproduire expérimentalement cette pollinisation avec la pointe d'un crayon que l'on introduit à l'intérieur
de la fleur d'une Orchidée. Quand on retire le crayon, il porte les
pollinies fixées par leur base.
La pollinisation effectuée, la fécondation s'opère et le développement continue : l'ovaire grossit et devient le fruit, tandis que
les ovules se transforment en graines.
Le fruit de l'Orchis tacheté est une capsule qui s'ouvre par
six fentes découpant trois valves. En s'écartant, les valves laissent
échapper les graines. C'est à l'automne, sur les hampes desséchées
d'Orchis, que l'on trouve les grappes de capsules. Quand elles sont
ouvertes, les graines sont disséminées par le vent.
Si nous déterrons un pied d'Orchis Morio, opération qui
demande certaines précautions, on trouve d'abord quelques petites
racines et au-dessous deux tubercules arrondis : l'un de couleur
claire, ferme et surmonté d'un bourgeon, l'autre, qui est ridé et de
couleur brune. Ses réserves ont été utilisées à la formation de la
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tige et des fleurs. Le premier, gorgé de nourriture, contenant de
nombreuses réserves, passera l'hiver dans le sol. Il sera le seul survivant de toute la plante et produira au printemps suivant une nouvelle tige. Il assure la continuité de l'espèce. Ce tubercule renflé
est un bel exemple de « prévoyance » chez les végétaux. Les bulbes
d'Orchis contiennent une sorte de tapioca, le salep, qui a une certaine valeur alimentaire.
Les glucosides des tubercules des Orchis ont été employés en
injections contre diverses maladies infectieuses (Les cobayes injectés montrent une plus grande résistance à la tuberculose.)
Les tubercules résultent de la soudure des racines qui se sont
épaissies et rapprochées. On trouve tous les cas intermédiaires chez
les différentes espèces d'Orchidées. Les Listères et les Céphalanthères sont à racines. Quand la soudure est incomplète, les tubercules
sont digités ou palmés et ressemblent curieusement à deux mains,
dont l'une est blanche et grasse et l'autre noire et ridée, la main de
Dieu et la main du diable, disent les profanes. Ces tubercules digités
se rencontrent chez l'Orchis tacheté.
Après cette étude indispensable, partons en exploration dans
notre belle région. Visitons les bois et leurs lisières, les prairies et
les pelouses sèches, les tourbières et les marais...
Parmi la trentaine d'espèces d'Orchidées que l'on peut trouver
dans la région messine sur les soixante-seize espèces françaises, les
principaux genres sont les Orchis et les Ophrys.
Le genre Orchis, caractérisé par un labelle à éperon, est le
plus nombreux de toute la famille des Orchidées.
L'Orchis tacheté est peut-être le plus répandu; il se rencontre
dans tous les terrains. C'est ainsi qu'on le trouve aussi bien sur la
rive droite que sur la rive gauche de la Moselle, par exemple dans
les bois de Courcelles-Chaussy, Silly-sur-Nied, Hayes, Villers-Bettnach. Il en existe une variété à fleurs blanches.
L'Orchis Morio ou Orchis bouffon, à la hampe purpurine,
plus rarement rosée ou blanche, en épi court, se rencontre dans les
prés humides, dans les vallons de la rive gauche de la Moselle :
Norroy-le-Veneur, Marange-Silvange, Morhange, Ranguevaux sont
ses principales stations. Ses tubercules sont entiers, tandis que ceux
de l'Orchis à larges feuilles, qui vit dans les mêmes habitats, a les
tubercules palmés.
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L'Orchis mâle à l'épi allongé est très fréquent dans les bois
des collines de la rive gauche. Prenons la direction de Scy et gravissons les flancs du Saint-Quentin jusqu'aux glacis du fort. Après
avoir reconnu les deux stations de Buis qui avaient tant intéressé
M. le conservateur Noël, nous atteignons le col de Plappeville, et
de là, sur les coteaux herbeux jusqu'à Châtel-Saint-Germain, partons à la recherche de l'Orchis pyramidal, qui n'est pas rare dans
le Pays messin. Ses fleurs, d'un pourpre vif, odorantes, sont en épi
court globuleux, très caractéristique. Leur long éperon reçoit la
visite de la trompe d'un papillon Acontia qui se garnira des pollinies et prendra un curieux aspect. On l'appelait autrefois la
«. maladie des cornes ». On peut répéter le phénomène à l'aide d'un
crin de Florence.
L'Orchis singe est assez commun aux lisières des bois et sur
les coteaux de Lorry, Saulny, Châtel, Vaux, Rozérieulles, Novéant.
Chaque fleur, finement mouchetée de rose, rappelle très curieusement l'aspect d'un petit singe suspendu. La grappe s'épanouit du
sommet à la base de la hampe, qui est haute de 30 à 40 centimètres.
L'Orchis militaire fleurit au contraire de bas en haut. Il se
rencontre également au bois de Châtel, à Rozérieulles, à Vaux, dans
la vallée de la Mance, dans la montée d'Ancy à la Croix SaintClément. Cette jolie Orchidée, assez commune, répandue dans le
Pays messin, est facilement reconnaissable à son casque rose cendré,
légèrement lilacé, et à son lobe médian fendu.
L'Orchis à deux feuilles est fréquent dans les bois ombragés
d'Ars, de Moyeuvre, Neufchef et sur le versant est du Saint-Quentin.
Son éperon arqué, très long et étroit, est visité par la trompe des
Sphinx crépusculaires. Ses fleurs blanches, légèrement verdâtres,
sont odorantes; elles exhalent, surtout le soir, une odeur douce et
agréable de fleur d'oranger. Il en est de même de l'Orchis moucheron, qui est encore une fort belle espèce. Elle se rencontre dans
les mêmes stations que l'Orchis singe et l'Orchis militaire, mais elle
fleurit un peu plus tard (fin juin-début juillet) ; les fleurs, petites,
sont d'un beau rose tendre ou violettes purpurines, et l'éperon est
beaucoup plus long que l'ovaire.
L'Orchis pourpre, de grande taille, pouvant atteindre 80 centimètres de hauteur, est, si je puis dire, la « reine de nos Orchidées
indigènes ». Sa hampe porte des fleurs pourprées piquetées de
points plus foncés. Assez répandu dans les bois des environs de
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Paris, il est plus rare dans la région immédiate de Metz, mais se
rencontre en exemplaires isolés sur les hauteurs de Saulny, Rozérieulles, Châtel, Vaux et Gorze. Vous pourrez le trouver dans les
forêts bordant la vallée du Conroy.
Les Ophrys sont de charmantes petites plantes qui diffèrent
des Orchis par leur ovaire non tordu sur lui-même et leur labelle
sans éperon. Les tubercules sont arrondis, à peine enfoncés dans le
sol; les fleurs sont peu nombreuses, mais d'aspect très curieux et
présentent les formes les plus bizarres : tantôt elles ressemblent à
une mouche, tantôt à une abeille, à un bourdon ou une araignée,
d'où les noms d'Ophrys mouche, Ophrys abeille... Ophrys araignée...
L' artiste peut y trouver des motifs de décoration déjà stylisés.
« Cette fleur, qui est presque une mouche, cet insecte qui fleurit et vient d'une graine au lieu de venir d'un œuf, cette fleur qu'il
semble entendre bourdonner et sur laquelle les abeilles ne se posent
pas, la croyant sans cesse occupée par une mouche »... c'est l'Ophrys
mouche que nous décrit ainsi Alphonse Karr, dans son Voyage
autour de mon jardin. Elle est assez commune sur nos coteaux secs,
où elle fleurit en juin. Les fleurs, assez petites, ont un labelle
velouté d'un noir marron, avec une tache centrale quadrangulaire
d'un gris bleuâtre, qui figure l'abdomen de l'insecte. Les deux
pétales latéraux représentent les ailes, et les deux sépales de côté,
très étroits, rappellent les antennes.
L'Ophrys araignée est l'espèce d'Ophrys la plus fréquente dans
notre région. On la trouve au Saint-Quentin, sur les hauteurs de
Novéant, Dornot, Ancy, Ars, Vaux, Lessy. Ses fleurs sont d'un
jaune verdâtre, avec labelle velouté jaunâtre sur les bords, rappelant
l'abdomen renflé de certaines araignées.
L'Ophrys abeille rivalise comme éclat et comme étrangeté avec
les Orchidées des tropiques. Le labelle forme l'abdomen, les autres
pétales et les sépales sont rosés et forment les ailes, tandis que stigmate et étamine figurent la tête et le thorax. Si nous regardons la
fleur de côté, nous apercevons un oiseau dressé sur le bord de son
nid. Le bec vert est la pointe du gynostème.
L'Ophrys frelon ressemble beaucoup à l'Ophrys abeille et ne
le cède en rien à la beauté du précédent. Il est assez répandu sur
nos collines calcaires et herbeuses.
Tous nos Ophrys indigènes se rencontrent en effet sur les
coteaux secs de la rive gauche de la Moselle, plus fréquents au sud
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qu'au nord : Saint-Quentin, Lessy, Plappeville, Ancy, Vaux, vallées
de Montvaux et de la Mance. Il en existe aussi plusieurs stations
entre les vallées de l'Orne et de la Fensch, entre autres au nord de
Moyeuvre, sur la droite d'un petit vallon allant de la vallée du
Conroy à la ferme de Tréhémont.
Avec les Orchis et les Ophrys, nos Orchidées messines comprennent encore différents genres, comme l'Aceras Homme pendu dont
les fleurs, d'un vert jaunâtre avec des raies brunes, représentent des
petits pantins suspendus, semblables à ceux que les enfants découpent dans du papier. Ses feuilles, séchées à l'ombre, dégagent un
parfum de vanille qui embaume le linge (présence de coumarine).
C'est aussi le cas de la plupart des Orchis. Une belle station existait
avant la guerre à la Croix de Scy; elle est complètement disparue,
mais l'Aceras Homme pendu se trouve toujours à Sainte-Ruffine,
Vaux, Châtel-Saint-Germain, Saulny.
Le Listère ovale est une plante de peu d'apparence, fort
commune dans les bois frais, les forêts ombragées. Sa tige porte
deux grandes feuilles opposées largement ovales, et se termine par
une grappe assez lâche de petites fleurs verdâtres, dont le labelle
fendu pend comme un tablier. Le Listère n'a pas de tubercules,
mais des racines allongées. Ses fleurs sont visitées par de très petits
insectes (généralement des Hyménoptères), qui viennent lécher le
nectar dans un sillon situé au milieu du labelle; ils interviennent
dans la pollinisation en transportant les pollinies qui, dans ce cas,
se collent sur la tête de l'insecte grâce à une gouttelette visqueuse
tombée d'une petite nacelle renversée au passage. « Les fleurs de
la Listère, nous dit Faideau, sont parfois le théâtre de sombres
drames. Certains insectes lilliputiens voulant avoir, eux aussi, leur
part du gâteau, imitent les gros bonnets de la corporation et se
lancent sur le sillon sucré; mais au bout de leur course, la gouttelette jaillit, leur recouvrant entièrement la tête et, en durcissant
rapidement à l'air, rend inutiles leurs efforts pour s'évader; ils
périssent misérablement, faute d'avoir su mesurer leurs forces »...
« Les araignées, que le besoin rend observatrices, sont, tout aussi
bien que les naturalistes, au courant des faits et gestes des insectes,
et la grappe des Listères est couverte de leurs toiles. »
Dans la vallée de Gorze, le long des talus sablonneux, vous
trouverez une curieuse Orchidée, le Loroglosse à odeur de bouc ; son
odeur est franchement détestable, le langage populaire l'a sur11
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nommé le Satyre fétide. Sa tige, très haute, dépasse les herbes. Elle
est presque entièrement couverte de fleurs jaunâtres, striées de
pourpre. Le labelle, de couleur pâle, s'étire en une longue bandelette tire-bouchonnée. L'ensemble de tous ces rubans, flottant au
vent, donne à la plante la physionomie la plus fantastique de toutes
les Orchidées. On la rencontre ça et là ; ses stations sont de plus en
plus restreintes, elle est en voie de régression.
L'Epipactis rouge pousse sur les coteaux calcaires secs, comme
ceux d'Ancy, Novéant. Sa tige, lavée de rouge, porte des feuilles
ovales, espacées sur toute sa longueur. Ses fleurs, pendantes et pourprées, forment un épi allongé. Dans les bois humides et ombragés
se trouve une espèce voisine à grandes feuilles, tandis que l'Epipactis des marais, plus rare et plus localisé, affectionne, comme son
nom l'indique, les marécages.
Les Céphalanthères, qui tirent leur nom de la forme de leur
anthère, n'ont pas de tubercules, mais des racines fibreuses; leurs
feuilles sont espacées le long de la tige. Les fleurs, disposées en
épi lâche, sont grandes et blanches chez l'espèce la plus commune,
que l'on trouve dans les bois calcaires ombragés.
Désirez-vous connaître les Orchidées rares du Pays messin ?
Rendez-vous alors à Faux-en-Forêt, près de Rémilly, où, dans la
tourbière calcaire, parmi les roseaux et les carex, vous aurez peutêtre la chance de trouver le fameux Liparis de Lœsel, découvert
autrefois par l'abbé Barbiche, et maintenant en voie de disparition,
ou alors, quittant le Pays messin, vous rechercherez le Goodyera
rampant, observé pour la première fois en Lorraine en 1892, dans
une forêt de Pin sylvestre, près de Bitche (par l'abbé Schatz).
Le Limodore à feuilles avortées a été signalé à Novéant, Gorze
et Châtel par Holandre.
Et si vous trouvez quelque part, en Moselle, le Cypripedium
Sabot de Vénus, auquel s'attache une légende, signalez-le à la
Société d'histoire naturelle de la Moselle... vous aurez fait une
découverte. Cette jolie plante prestigieuse, au gros labelle jaune
pâle rayé de pourpre en forme de sabot, et les autres pièces florales
d'un brun rougeâtre, rappelle les Orchidées exotiques, mais sa
beauté a fait sa perte; elle existait dans le Toulois, au val de Pas-
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sey autrefois; elle survit encore sur le plateau de Langres; vous
en verrez des variétés cultivées et fleuries dans les serres du Jardin
Botanique de Metz.
Souvent, aussi, le botaniste est bien embarrassé pour déterminer l'espèce d'Orchidée qu'il rencontre. C'est que l'exemplaire
ne répond pas toujours à la description classique. Il peut s'agir
d'un hybride résultant du croisement facilité par l'intervention des
insectes entre deux espèces qui poussent dans le voisinage.
La plupart du temps, les hybrides se reconnaissent à leurs
caractères intermédiaires et à la présence des parents dans le même
habitat. Les espèces du genre Orchis s'hybrident facilement entre
elles. Ainsi Orchis incarnata et Orchis latifolia dans nos prairies
de la vallée de Montvaux, à Woippy, à Jouy. L'Orchis pourpre et
l'Orchis militaire donnent l'hybride le plus fréquent.
Le grand botaniste alsacien Emile Walter s'était spécialisé
dans la difficile étude des hybrides, et l'on peut en voir de nombreux exemplaires au Jardin Botanique du Saut-du-Prince-Charles,
au col de Saverne, dont il fut le fondateur.
Il est une Orchidée assez commune dans les bois couverts de
tous les terrains et qui ressemble à une Orobanche. C'est la Néottie
nid d'oiseau. Elle se développe dans la demi-obscurité de nos sousbois frais (Peltre) et vit en société avec le Muguet, le Sceau de
Salomon, l'Ail des ours, l'Aspérule odorante, c'est-à-dire, en général, avec les plantes de l'association du Hêtre. Chez elle, tout est de
même nuance, une couleur terne jaune brunâtre. Ses fleurs sont très
nombreuses, disposées en épi serré.
De toutes nos Orchidées, que nous avons vues jusqu'ici, elle
se distingue par deux caractères très nets : l'absence de chlorophylle (et par suite de couleur verte) et la réduction des feuilles.
Elle vit aux dépens du terreau ou de l'humus où elle trouve des
substances organiques toutes formées. Si l'on déterre une Néottie,
on observe des racines courtes et épaisses, serrées les unes contre
les autres et enchevêtrées. Elles rappellent vaguement la disposition
des matériaux qui forment un nid d'oiseau, d'où son nom.
Si l'on examine au microscope une coupe faite dans l'extrémité des racines, on y reconnaît la présence, à l'intérieur, de
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filaments de champignons (comme les filaments de moisissures).
Ils sont la cause de la forme bizarre des racines de la Néottie. Il
y a là un exemple intéressant montrant le rapport étroit qui existe
entre deux organismes : un champignon et une orchidée. C'est un
cas de symbiose.
Depuis les magnifiques recherches de Noël Bernard sur la
Néottie nid d'oiseau, on sait que les Orchidées ont des champignons
dans leurs racines et que leur présence est la cause de la tubérisation. Avant Noël Bernard, on ignorait aussi comment se faisait
la germination des Orchidées, et leur culture par graine était
pratiquement impossible. C'est encore la Néottie nid d'oiseau qui
lui procura l'observation décisive : Au cours d'une de ses promenades dans la forêt de Fontainebleau, il rencontra un pied de cette
Orchidée qui, après la floraison, s'était courbée en terre, si bien
que le fruit s'était ouvert dans le sol. En examinant avec soin, il
constata que les graines avaient germé sur place. Poursuivant
l'étude microscopique des jeunes plantules, il put s'assurer qu'elles
étaient envahies par des filaments de champignons. Noël Bernard
a prouvé expérimentalement qu'une espèce particulière de champignons était nécessaire à la germination. Sans le champignon, les
graines ne germent pas.
La découverte allait permettre aux horticulteurs de réaliser
de nombreux semis, intéressants pour obtenir, à la suite de croisements, des variétés nouvelles. De plus, ses travaux ont apporté des
notions nouvelles sur la signification de la symbiose et des
connaissances sur la phagocytose chez les végétaux.
Cet exposé, un peu long sans doute, et je m'en excuse, mes
chers confrères, je me suis efforcé de le rendre aussi peu technique
que possible ; et j'aurais désiré plutôt vous le présenter sur le
terrain.
J'ai cherché surtout à vous donner un aperçu sur ces plantes
attachantes par les caractères de leurs fleurs, mais aussi par les
problèmes qu'elles posent, par leurs rapports avec les insectes et
leurs nombreuses adaptations aux milieux les plus divers : coteaux
calcaires, pelouses sèches et bois, hêtraies et couverts de conifères,
prairies humides et marais tourbeux.
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Mais il faut constater, avec regret, la disparition de certaines
espèces et même de nombreuses stations. Chaque région de France
doit protéger ses richesses naturelles et tout ce qui fait la parure
de ses sites. J e suis persuadé que vous joindrez vos efforts aux nôtres
et que vous ferez respecter les espèces rares ou peu représentées
dans notre flore messine. Je compte aussi sur le Service forestier
de la Moselle. Et si j ' a i pu vous faire connaître, admirer et aimer
les Orchidées, j'aurai la satisfaction d'avoir donné un attrait de
plus à vos promenades d'été. Partez à la découverte des Orchidées
du Pays messin.
Juin 1956.
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