Critique et pratique Par Guillaume Babin et Pierre-Louis Nadeau, résidents 1 en médecine interne, en collaboration avec le Dr François Lauzier Critique et Pratique fait école. Des résidents en fin de première année de spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un récent article d’intérêt dans leur domaine. Le responsable de cours, le Dr Michel Cauchon, ainsi que des cliniciens enseignants de diverses spécialités ont contribué à la révision des travaux de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochains mois. Encore une exacerbation aiguë de MPOC… S’agit-il d’une embolie pulmonaire ? RÉSUMÉ COMMENTAIRE Objectif Pertinence de l’étude Des études antérieures ont montré qu’environ 50 à 70 % des exacerbations de MPOC sont de nature infectieuse, que 10 % d’entre elles sont précipitées par des facteurs environnementaux et que jusqu’à 30 % demeurent sans cause précise1. Les patients atteints de MPOC sont à risque plus élevé de maladie thromboembolique étant donné leur mobilité réduite et leurs comorbidités2. De plus, la symptomatologie d’une EP est non spécifique et s’apparente parfois à une exacerbation d’une autre origine3. Chez cette population fragile, un diagnostic manqué ou un retard dans l’instauration de l’anticoagulothérapie peut avoir des conséquences cliniques majeures4. Ces dernières années, la venue de l’angio TDM a permis d’améliorer le diagnostic d’EP chez les patients ayant des anomalies de ventilation et de perfusion à la scintigraphie, tels les patients atteints de MPOC. Cependant, l’angio TDM comporte certains risques, comme l’exposition aux radiations5, les risques d’allergie et de néphrotoxicité aux produits de contraste6. Dans ce contexte, une meilleure connaissance de la prévalence et des facteurs de risque d’EP chez les patients avec exacerbation de MPOC permettrait de mieux cibler ceux pour qui une investigation supplémentaire est nécessaire. Cette étude visait donc à déterminer la prévalence d’EP chez les patients avec une exacerbation aiguë de leur MPOC nécessitant ou non une hospitalisation. Déterminer la prévalence d’embolie pulmonaire (EP) chez les patients avec une exacerbation aiguë de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) nécessitant ou non une hospitalisation. Conception Revue systématique avec méta-analyse. [email protected] [email protected] Médecine interne Article de référence Rizkallah J, Man SFP, Sin DD. Prevalence of Pulmonary Embolism in Acute Exacerbation of COPD. A systematic Review and Meta-analysis, Chest, mars 2009; 135 : 786-93. Références 1. Sapey E, Stockley RA. COPD exacerbations : 2. Aetiology. Thorax 2006; 61: 250-48. 2. Pineda LA, Harthwar VS, Grant BJ. Clinical suspicion of fatal pulmonary embolism. Chest 2001; 120 : 791-5. 3. Tapson VF. Acute pulmonary embolism. N Engl J Med 2008; 358 : 1037-52. 4. Hill RD, Raskob GE, Brant RF et coll. The importance of initial heparin treatment on long-term clinical outcomes of antithrombotic therapy : The emerging theme of delayed recurrence. Arch Intern Med 1997; 157 : 2317-21. 5. Brigitte AHA van der BruggenBogaarts et coll. Radiation Exposure in Standard and High-Resolution Chest CT Scans. Chest January 1995; 107 : 113-5. 6. Katzberg RW, Barrett BJ. Risk of iodinated contrast material induced nephropathy with intravenous administration. Radiology 2007; 243(3) : 622-8. Source des données Articles de langue française et anglaise sélectionnés à partir des banques de données suivantes : Medline (de 1949 à avril 2008), Embase (de 1980 à avril 2008), Cinahl (de 1982 à avril 2008). Les mots-clés recherchés étaient « pulmonary embolism », « PE », « thromboembolism » ou « venous thromboembolism » associés aux mots « COPD », « COPD exacerbation », « emphysema » ou « bronchitis ». Les bibliographies des articles ont été explorées afin d’identifier d’autres études pertinentes. Sélection des études Les études présentant toutes les caractéristiques suivantes étaient incluses : 1) devis transversal ou prospectif; 2) estimation de la prévalence d’embolie pulmonaire durant l’exacerbation de la MPOC; 3) inclusion de patients de 18 ans et plus sans autre cause évidente d’exacerbation; 4) inclusion de patients avec un diagnostic de MPOC basé sur les symptômes cliniques et la spirométrie; et 5) utilisation de l’angiographie tomodensitométrique (angio TDM) ou de l’angiographie pulmonaire conventionnelle pour le diagnostic d’EP dans les 48 heures suivant l’évaluation initiale du patient. Les études présentant les caractéristiques suivantes étaient exclues : 1) devis rétrospectif; 2) diagnostic d’EP basé exclusivement sur le résultat d’une scintigraphie ventilation-perfusion, de l’autopsie, ou sur la présence d’une thrombose veineuse profonde (TVP); et 3) publication des résultats uniquement sous forme de résumé. Extraction des données Les données suivantes ont été extraites : 1) lieu, date, centre et devis de l’étude; 2) contexte clinique (urgence ou hospitalisation); 3) nombre, âge et sexe des patients; 4) antécédents médicaux des patients (néoplasie, antécédents de TVP ou EP, thrombophilie, traumatisme récent, chirurgie, immobilisation, paralysie, insuffisance cardiaque, gravité de la MPOC); 5) toute histoire familiale d’EP ou de TVP; 6) médication à domicile (entre autres contraceptifs oraux et hormonothérapie de remplacement), usage du tabac et l’oxygénothérapie; 7) résultats des tests de fonctionnement respiratoire et des gaz artériels; 8) symptomatologie initiale (dyspnée, douleur thoracique, hémoptysie, toux, syncope); 9) données de l’examen physique; 10) résultats des radiographies pulmonaires, des électrocardiogrammes et des tests diagnostiques pour l’EP; 11) prévalence de TVP et d’EP; et 12) mortalité. Synthèse des données Vous voulez répondre efficacement à vos questions cliniques ? Vous désirez apprécier de façon critique la qualité de l’information scientifique ? Inscrivez-vous aux modules interactifs d’autoapprentissage des habiletés de lecture critique et de gestion de l’information d’InfoCritique en visitant le infocritique.fmed. ulaval.ca et en cliquant sur Développement professionnel continu dans le menu de gauche. InfoCritique vous permet d’obtenir 18 heures de crédits de DPC. 30 | L’actualité médicale | 13 janvier 2010 Parmi les 2407 articles identifiés, seules cinq études ont été retenues pour un total de 550 patients. L’âge moyen des patients variait entre 56 et 71 ans. Les études ont été réalisées principalement en Europe et aux ÉtatsUnis. Au total, la prévalence estimée d’embolie pulmonaire était de 19,9 % (intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] : 6,7-33 %). Chez les patients admis à l’hôpital, la prévalence était plus élevée, soit 24,7 % (IC 95 % : 17,9-31,4 %), comparativement aux patients évalués à l’urgence et dont la prévalence était de 3,3 %. Conclusion Près d’un patient sur cinq évalués à l’hôpital pour une exacerbation aiguë de leur MPOC pourrait être atteint d’EP. Cette possibilité diagnostique doit être soulevée, surtout chez les patients nécessitant une hospitalisation et en présence de facteurs de risque d’EP. Importance des résultats Cette méta-analyse suggère une prévalence globale d’embolie pulmonaire de 19,9 % et de 24,7 % chez les patients hospitalisés, comparativement à 3,3 % chez les patients vus à l’urgence puis libérés. Critique de la méthodologie Cet article traite d’une question clinique précise. Le processus de sélection des articles est bien décrit et les auteurs ont consulté plusieurs bases de données. Bien que les critères d’inclusion et d’exclusion soient précisés, on ignore si le processus de sélection et la cueillette des données ont été réalisés en duplicata par deux investigateurs indépendants. Les auteurs n’ont pas évalué le biais de publication. Il est par ailleurs difficile de généraliser les résultats puisque la prévalence variait énormément d’une étude à l’autre. L’hétérogénéité observée pourrait s’expliquer d’une part par le petit nombre de patients dans les études originales et, d’autre part, par des différences importantes entre les études en ce qui concerne les caractéristiques des participants, des modalités diagnostiques et du contexte de soins. Par exemple, une étude ayant recruté des patients à l’urgence atteints de MPOC modérée à sévère a démontré une prévalence d’EP de seulement 3,3 %, tandis qu’une autre étude évaluant uniquement les patients admis avec exacerbation aiguë, sans facteur précipitant évident (et dont environ 30 % avaient une histoire de néoplasie), a démontré une prévalence d’environ 25 %. Enfin, il a été démontré que l’angio TDM ne peut faire la différence entre des thrombus « in situ » et des phénomènes emboliques. Puisqu’une ambiguïté demeure quant à la signification clinique de ces thrombus, cela pourrait entraîner une surestimation de la prévalence d’EP. ? Décision Points forts Points faibles Mise en perspective selon l’état des connaissances Les cliniciens peuvent s’interroger sur la véritable prévalence d’embolie pulmonaire chez les patients avec exacerbation aiguë de leur MPOC, particulièrement chez les patients ayant une atteinte importante et des exacerbations fréquentes. Bien que les règles de prédiction clinique de thromboembolie veineuse couramment utilisées n’aient pas été spécifiquement validées chez les patients atteints de MPOC et que cette méta-analyse n’ait pas clairement mis en évidence des facteurs prédictifs cliniques, l’utilisation des règles de prédiction demeure utile pour identifier les patients ayant une probabilité modérée ou élevée d’embolie pulmonaire nécessitant une investigation. Pour l’instant, le clinicien doit évaluer les risques de l’angio TDM et de l’anticoagulation empirique par rapport aux bénéfices du diagnostic Contribution à la prise de décision clinique et du traitement précoces de cette pathologie potentielleCette méta-analyse, malgré ses limitations, met en lumière la prévament mortelle. Une étude lence élevée d’embolie pulmonaire chez les patients ayant une examulti­centrique à large échelcerbation aiguë de MPOC, en particulier lorsque celle-ci nécessite le demeure nécessaire pour une hospitalisation et que la probabilité clinique est modérée à évaluer la prévalence réelle élevée. d’EP chez les patients atteints de MPOC.