Dossier mt 2013 ; 19 (1) : 42-51 Rationnel pour l’utilisation de la simulation en éducation médicale Jean-Paul Fournier1,3, Morgan Jaffrelot2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 1 Centre de simulation médicale, Faculté de médecine de Nice-Sophia Antipolis, 28 avenue de Valombrose, 06107 Nice Cedex 2, France 2 Centre de simulation en santé, (Cesim santé), 29238 Brest, Cedex, France 3 Laboratoire de Pédagogie de la santé EA 3412, Université Paris 13-Sorbonne Paris Cité, France <[email protected]> Les auteurs ont effectué une revue de la littérature récente pour documenter le rationnel du développement de la simulation en éducation médicale. Après avoir précisé les modèles conceptuels utilisés, notamment le modèle de Kolb et la deliberate practice, l’utilisation de la simulation est décrite en apprentissage préclinique, puis clinique, notamment en anesthésieréanimation, médecine d’urgence, chirurgie, gynéco-obstétrique et pédiatrie. Les expériences montrant une amélioration de la qualité des soins dans ces domaines sont discutées. La simulation a un impact particulièrement net dans l’entraînement au travail en équipe, qui est l’un de ses axes forts et un domaine particulièrement important pour son développement. Les perspectives et les limites sont soulignées. L’intérêt potentiel de la simulation en évaluation est confronté aux multiples difficultés méthodologiques qu’elle suscite. Mots clés : simulation, éducation médicale, évaluation L’ Tirés à part : J.-P. Fournier 42 – les bases conceptuelles de l’utilisation de la simulation en éducation médicale ; – l’utilisation de la simulation dans différents domaines et/ou spécialités, et notamment dans l’apprentissage multiprofessionnel qui constitue un domaine majeur de l’enseignement par simulation [8] ; – les perspectives et les limites de l’enseignement par simulation. Le monde de la simulation La simulation médicale a été récemment définie comme : « l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soins, dans le but d’enseigner des procédures Pour citer cet article : Fournier JP, Jaffrelot M. Rationnel pour l’utilisation de la simulation en éducation médicale. mt 2013 ; 19 (1) : 42-51 doi:10.1684/met.2013.0391 doi:10.1684/met.2013.0391 mt enseignement par simulation suscite actuellement un grand engouement en France [1]. De multiples raisons, dont notamment les développements technologiques récents (réalité virtuelle, etc.), y participent. Les autorités de santé s’y intéressent, en particulier dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) [1]. Le volume des publications qui lui sont consacrées croît de façon exponentielle [2]. Plusieurs métaanalyses sont venues confirmer son efficacité en absolu, sans toutefois formellement démontrer sa supériorité sur les méthodes d’apprentissage plus traditionnelles [3-7], ou son impact sur la qualité des soins [3, 5]. Cette revue se propose de décrire le rationnel de l’utilisation de la simulation en éducation médicale. Seront successivement abordés : – les différents types de simulateurs disponibles ; Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. diagnostiques et thérapeutiques, de répéter des processus, des concepts médicaux ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels » [1]. Il s’agit donc d’une mise en situation dans un environnement reconstruit où l’apprenant devra réaliser une ou des actions. On peut schématiquement en décrire cinq aspects, éventuellement associables (modèles hybrides) [9]. céreuses [11]. Quelques-uns sont spécifiquement conçus pour les professionnels de santé. Ils n’ont pas montré, à ce jour, d’efficacité supérieure aux simulateurs plus classiques [12]. Ils ont, en revanche, un avantage considérable : leur coût. On peut en rapprocher les jeux vidéo du commerce, qui pourraient participer à l’acquisition de certaines habiletés procédurales en cœliochirurgie ou en endoscopie [12]. Simulateurs procéduraux Ce sont les plus anciens et les plus classiques. Une multitude de simulateurs est disponible, permettant l’entraînement à des procédures plus ou moins sophistiquées : sutures, cathétérisme veineux, etc. Patients standardisés Il s’agit de patients porteurs d’une pathologie chronique se prêtant à une simulation d’examen clinique (ex., cirrhose et palpation du foie), d’adultes sains, voire d’acteurs. Tous sont entraînés à interagir avec les étudiants de façon reproductible (standardisée). L’utilisation de patients standardisés a fait l’objet d’une conférence de consensus en 1992 [13]. Mannequins haute-fidélité Ils sont en pleine expansion et bénéficient des récents progrès technologiques (connexion en Wifi, programmes pharmacologiques sophistiqués, reconnaissance de codebarres de « médicaments » injectés, etc.). Ils sont pilotés par ordinateur et permettent de reproduire fidèlement de nombreuses situations aiguës, la variation des paramètres vitaux en fonction de l’histoire naturelle du cas ou des interventions thérapeutiques des étudiants. Certains sont équipés de modules pharmacologiques sophistiqués leur permettant de « réagir » en fonction des interventions pharmacologiques. Ils peuvent s’intégrer dans des environnements médicaux reconstitués (salle d’urgence, bloc opératoire) où « tout est vrai sauf le patient ». Simulateurs fonctionnant en réalité virtuelle Ils permettent l’apprentissage de gestes sophistiqués (fibroscopie, cœliochirurgie, etc.). Ils disposent de programmes éducatifs sophistiqués permettant à l’étudiant de s’autoévaluer. Les étudiants peuvent s’entraîner à des gestes élémentaires, réaliser une procédure complètement, faire varier le niveau de difficulté de réalisation de telle ou telle procédure. Patients virtuels et jeux sérieux (serious games) Ils utilisent les mêmes principes que les jeux vidéo. Ils sont déjà utilisés par les industries de service (banques, assurances) et les militaires, mais peu en éducation médicale. Les jeux sérieux sont des programmes informatiques attrayants comportant un objectif stimulant, agréables à utiliser, incluant un système d’évaluation de la performance, permettant à l’utilisateur d’appliquer ou d’utiliser des habiletés, des connaissances ou des attitudes utiles dans la réalité [10]. L’étudiant apparaît sous forme d’un avatar (médecin, par exemple), évoluant dans un environnement reconstitué, interagissant avec d’autres avatars (patient, infirmière). Certains sont destinés au grand public ou à des patients atteints d’affections chroniques ou can- Ces multiples systèmes tendent à remplacer des modèles plus anciens (apprentissage sur animal ou cadavre) qui gardent encore quelques indications. Quoi qu’il en soit : – les différents types de simulateurs sont complémentaires et ne correspondent pas à l’acquisition des mêmes compétences ; – ils peuvent être utilisés simultanément ou séquentiellement ; – les simulateurs sont au service des intentions des enseignants, et un même simulateur pourra être utilisé dans des indications, et avec des objectifs différents : ainsi un tampon d’injection peut permettre l’apprentissage technique de tel ou tel type d’injection (sous-cutanée, intramusculaire). Placé sur le bras d’un « vrai » patient, il permet l’apprentissage de la communication lors de la réalisation d’une injection. Bases conceptuelles L’enseignement par simulation fait appel à plusieurs concepts éducatifs, dont au moins cinq sont directement utilisés. Le modèle de Kolb (1984) Dans ce modèle, Kolb [14] postule que les apprenants évoluent selon quatre modèles : divergent, assimilateur, convergent et accommodateur selon la part réciproque qu’ils accordent à expérience versus théorisation, et action versus réflexion. Les apprenants passent par les quatre stades. Il est facile de faire correspondre ces différentes étapes avec les étapes clés de la simulation : préparation (scénario, environnement) pour le modèle divergent, debriefing pour le modèle assimilateur, décontextualisation pour les modèles convergent et accommodateur. mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 43 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dossier Deliberate practice [5, 15] Ce concept est partagé par d’autres formes d’apprentissage : échecs, musique, sports de haut niveau, etc. Cette théorie implique un fort engagement de l’étudiant dans l’analyse de son activité et la répétition des tâches afin d’atteindre des objectifs clairement définis à l’avance et l’obtention d’un niveau de maîtrise. La correction de ses erreurs grâce à la rétroaction est un élément constitutif important. Cette théorie convient à certains apprentissages, en particulier psychomoteurs, qui doivent être ensuite intégrés au sein d’une compétence professionnelle. Elle implique au moins neuf éléments : – apprenants fortement motivés ; – tâches et objectifs d’apprentissage clairement identifiés ; – niveau de difficulté approprié ; – activité ciblée répétitive ; – évaluation selon des critères rigoureux, précis et didactiques ; – retour par les enseignants ; – apprentissage actif (les étudiants analysent leurs expériences, leurs erreurs, leurs stratégies d’apprentissage) ; – évaluation en vue d’atteindre un niveau de maîtrise ; – puis, passage à une autre tâche ou une autre unité d’enseignement. Andragogie [16] Il s’agit de l’éducation des adultes, à distinguer de celle des enfants (pédagogie). Les concepts sont tirés de l’enseignement post-scolaire et peuvent être résumés en cinq points : – nécessité de savoir pourquoi ils apprennent ; – motivation ; – acquisition de nouvelles connaissances, bâties sur les connaissances antérieures ; – enseignement devant tenir compte de la diversité des expériences des apprenants ; – implication active des apprenants dans le processus éducatif. Apprentissage en contexte authentique [17, 18] Ce concept stipule au moins un environnement réaliste [18]. L’authenticité de contexte d’apprentissage ne se résume pas à la fidélité de l’environnement. L’authenticité du contexte implique que le problème à résoudre soit crédible, pertinent (adapté aux objectifs d’apprentissage), et que la tâche à accomplir pour le résoudre soit complète (intégrant les aspects relationnels, éthiques, procéduraux, etc.) [17]. Des données récentes sont venues confirmer ces concepts : les transferts de connaissances à la pra- 44 tique sont favorisés par la fidélité des simulateurs utilisés et des contextes (re)créés [19]. L’adjonction des facteurs de stress augmente la performance des étudiants sur un modèle d’arrêt circulatoire [20]. Retour après séance (debriefing) C’est la phase essentielle d’une séance de simulation, qui est en fait bâtie pour introduire le debriefing qui la suit directement [21]. Les séances de simulations sont habituellement organisées en trois phases : définition des règles de fonctionnement (briefing), mise en situation et debriefing. Cette dernière phase correspond au temps d’analyse et de rétroaction (feedback). Les enseignants qui souhaitent préparer leurs étudiants au transfert des apprentissages réalisés lors de la séance de simulation vont profiter de ce temps pour extrapoler, à partir des faits observés, ce que seraient leurs actions ou comportements dans d’autres contextes. Pour ce faire, ils vont analyser les raisons qui ont poussé les étudiants à adopter telle ou telle attitude, à prendre telle ou telle décision, à réaliser tel ou tel geste, à mener une procédure de telle ou telle manière, sans porter de jugement sur le processus observé. L’évaluation est ici formative, afin de permettre aux étudiants et enseignants d’adapter leurs stratégies d’enseignement/apprentissage. L’absence de debriefing obère gravement l’efficacité des séances de simulation [21]. C’est un point capital de la qualité des séances de simulation, tant pour les enseignants [18], que pour les étudiants [22]. Ces derniers en font d’ailleurs un des points clés de la qualité de l’apprentissage en stages cliniques [23]. Il peut s’appuyer sur des enregistrements audio-vidéo de la session. Il nécessite des enseignants spécialement entraînés, experts dans leur domaine, à même d’articuler les connaissances acquises en simulation avec les connaissances antérieures, y compris en sciences fondamentales, de favoriser la réflexion dans l’action [17], et de gérer la dynamique de groupe [21]. De multiples guides et recommandations existent. Le modèle de Rudolph et al. a l’avantage de la simplicité et de la validité [24]. Au terme de ces deux premières parties, un certain nombre d’idées se dégage [18] : l’enseignement par simulation a des points forts : des simulateurs de plus en plus sophistiqués/réalistes, permettant l’acquisition et le maintien de connaissances/compétences, extrapolables à la vraie vie. L’impact didactique est mesurable et les simulateurs sont utilisables pour l’évaluation. La simulation favorise le travail en équipe. Elle impose des conditions sine qua non : formation des enseignants, intégration dans le curriculum, debriefing, deliberate practice. Ces points forts convergent largement avec les attentes des étudiants [22], qui soulignent l’impact de la possibilité de travailler mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 en groupes, d’améliorer la communication au sein du groupe dans une approche multiprofessionnelle et le gain de confiance en soi [22]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Utilisation de la simulation en éducation médicale L’enseignement par simulation a acquis récemment une grande popularité parmi les étudiants, enseignants et institutions. À l’inverse des différents courants d’enseignement classiques (approche traditionnelle, approche par problème, etc.), la simulation mobilise des compétences cognitives, techniques, voire des aspects émotionnels [8, 20]. Cette multiplication des canaux d’informations est susceptible de renforcer les apprentissages [8]. De plus, elle permet d’enseigner et d’évaluer d’autres aspects des compétences cliniques que l’aspect purement cognitif : communication, professionnalisme, travail en équipe [8]. Aux États-Unis, l’Accreditation Council for General Medical Education (ACGME) en fait une composante indispensable de l’apprentissage pré-gradué [25]. La simulation est une technique d’enseignement et non une fin en soi. Ne pas l’intégrer dans un curriculum d’enseignement, en l’associant à d’autres techniques d’apprentissage constituerait une erreur majeure [18, 22]. Les quelques études qui ont comparé simulation et méthodes traditionnelles n’ont pas montré de supériorité nette de la simulation [26, 27]. À l’inverse, quand la simulation a été intégrée dans un curriculum, les étudiants dont la formation incluait la simulation s’avéraient bien plus performants [28]. Utilisation de la simulation dans les sciences fondamentales Plusieurs types de simulateurs ont été utilisés. Les plus séduisants sont les simulateurs haute-fidélité [2933]. Ils sont particulièrement utilisés en physiologie [29-32] et pharmacologie [32, 33]. Les étudiants préfèrent cet apprentissage à l’enseignement classique [33] et démontrent un meilleur niveau de performance qu’avec l’enseignement traditionnel [33]. Ces simulateurs peuvent être utilisés très précocement dans le curriculum [29, 30]. Les simulateurs sont classiquement utilisés en petits groupes ; ils peuvent également être utilisés avec succès avec des grands groupes [34]. Gordon et al. [35] ont comparé les deux approches : enseignements traditionnels (cours, conférences) versus enseignement traditionnel et simulation : à la fin de l’enseignement, les étudiants des deux groupes atteignaient le même niveau de performance. En revanche, à un an, les étudiants du groupe simulation avaient un niveau de performance significativement supérieur [35]. Utilisation de la simulation au cours de l’apprentissage clinique De multiples simulateurs permettent aux étudiants de maîtriser telle ou telle technique, avant de les utiliser sur les patients, à la satisfaction de ces derniers [36]. Des modèles plus sophistiqués permettent de modéliser l’examen pulmonaire ou cardiovasculaire, qu’étudiants et résidents maîtrisent de moins en moins [37]. L’entraînement sur le simulateur d’examen cardiovasculaire développé à Miami (Harvey® ) permet d’obtenir une amélioration significative de la performance aux examens écrits [38], et surtout de généraliser cette amélioration aux patients réels [39]. Les patients virtuels permettent également aux étudiants d’améliorer leur performance lors de l’interrogatoire et, plus généralement, leur aptitude à la communication [40]. Utilisation de la simulation en anesthésie, réanimation et médecine d’urgence Les simulateurs sont largement utilisés en anesthésie, réanimation et médecine d’urgence, et ce depuis longtemps [8]. Schématiquement, la simulation est utilisée dans deux indications : – les situations cliniques pour lesquelles la rapidité et la qualité des décisions médicales conditionnent la survie des patients, par exemple, la prise en charge de l’arrêt cardiorespiratoire ; – les procédures techniques complexes : par exemple, l’intubation orotrachéale ou le cathétérisme veineux central échoguidé. L’arrêt cardio-respiratoire constitue un modèle séduisant où la simulation renforce l’adéquation de la prise en charge des patients avec les recommandations établies [41]. En matière de gestes techniques complexes, le contrôle des voies aériennes est acquis plus facilement qu’avec un apprentissage traditionnel (rappels anatomiques, vidéo, etc.), et surtout maintenu plus longtemps [42]. Qui plus est, la simulation permet de familiariser les professionnels de santé à des techniques particulières : alternatives à l’intubation (masque laryngé, etc.), intubation sous fibroscopie. Surtout, le groupe de Barzuk [43] a pu mettre en évidence l’impact de l’apprentissage par simulation sur la qualité des soins en matière de cathétérisme veineux central échoguidé : les internes formés en simulation génèrent significativement moins de complications (piqûres artérielles, pneumothorax, infection, prolongation de la durée d’hospitalisation) [43, 44]. Enfin, ce groupe a pu également démontrer l’impact économique d’une telle approche [45]. Ces points ont un impact majeur mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 45 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dossier et justifient l’intérêt institutionnel (hôpitaux, instituts de formation) pour la simulation [1]. Lors de la prise en charge des cas simulés, les erreurs commises sont les mêmes que celles réalisées dans la réalité [46-48]. On peut donc raisonnablement considérer d’extrapoler la généralisation à la vraie vie [46-48]. Un tel impact, supposé ou réel, justifie que la simulation soit également utilisée comme technique d’évaluation, avec toutes les difficultés méthodologiques que cela implique (voir infra) [49, 50]. Une telle approche débouche également sur la certification et la recertification des professionnels comme aux États-Unis [8] et en Israël [51], avec comme corollaire, la nécessité d’accréditer les centres de simulation [52, 53]. Utilisation de la simulation en chirurgie La chirurgie a considérablement bénéficié des progrès technologiques et notamment de la réalité virtuelle qui permet de « réaliser » de A à Z une intervention complète par voie cœlioscopique. L’apprentissage sur simulateur fait partie intégrante du curriculum chirurgical de l’ACGME [25]. Cet enseignement doit être obligatoire et non facultatif [54]. Les différents exercices font l’objet d’un score (temps de réalisation, choc entre les différents instruments, etc.) qui a un impact favorable sur l’apprentissage [55]. Plusieurs échelles sont utilisées. L’Objective Structured Assessment of Technologic Skills (OSATS) a été validée dans cette indication [56]. Elle permet notamment de distinguer les praticiens par leur niveau d’expérience [56]. En termes d’efficacité, l’apprentissage sur simulateur permet d’acquérir des compétences précises [57], d’autant plus que l’entraînement sur simulateur a été débuté plus tôt dans le cursus [58, 59]. Par rapport au curriculum traditionnel, les résidents formés sur simulateur « gagnent » du temps : les résidents de première année atteignent le niveau de compétence des résidents de deuxième année, etc. [59]. Surtout, l’apprentissage sur simulateur améliore la performance au bloc opératoire [60-64]. Simulation en obstétrique et pédiatrie C’est un des plus anciens exemples d’entraînement à un acte technique sur simulateur : la « machine » de madame Du Coudray (1712-1790) était utilisée avec succès dès le XVIIIe siècle. Les simulateurs actuels permettent l’entraînement aux différentes phases de l’accouchement, mais aussi à des procédures plus sophistiquées (amniocentèse échoguidée, détermination du mode de présentation fœtale, etc.) [8]. Enfin, très récemment, ont été mis sur le marché des 46 simulateurs haute-fidélité permettant de monitoriser la « parturiente » et l’« enfant » lors de l’accouchement et immédiatement après. C’est un domaine où l’enseignement par simulation a un impact direct en termes de qualité des soins : l’entraînement sur simulateur permet de réduire significativement le taux de complications néonatales après dystocie de l’épaule [65]. Les simulateurs haute-fidélité materno-fœtaux permettent l’entraînement à la gestion de situations obstétricales urgentes avec prise en charge maternofœtale, aussi bien sur l’aspect technique, que sur la prise en charge en équipe multiprofessionnelle. Une revue récente souligne l’efficacité d’une telle approche, débouchant sur une amélioration des pratiques en périnatalogie [66]. De fait, deux aspects particuliers vont émerger : – les étudiants formés sur simulateur gagnent en confiance en soi et, plus accessoirement, améliorent leurs scores à l’examen final [67] ; – surtout, cette confiance en soi et les connaissances acquises persistent jusqu’à une année après les séances de simulation, quel que soit le niveau de formation initiale [68]. En pédiatrie, la simulation a longtemps reposé sur l’utilisation de patients standardisés [8]. Plus récemment, les progrès technologiques ont permis d’utiliser des simulateurs haute-fidélité pour l’apprentissage en néonatalogie. Plusieurs études sur simulateur ont souligné l’insuffisance de conformité des pratiques aux recommandations établies [69] et l’amélioration de ces pratiques après simulation [69]. Cette approche est très prometteuse [70]. Simulation et travail multiprofessionnel C’est un concept directement issu de l’industrie aéronautique qui évalue l’impact des facteurs humains dans les situations à fort stress ou à haut risque. La communication à l’intérieur du groupe est fondamentale et rend compte de près de 70 % des événements sentinelles [71]. Il s’applique particulièrement à des situations telles que les urgences, le bloc opératoire, les services de soins intensifs ou de réanimation [72, 73]. La qualité du travail en équipe multiprofessionnelle est directement corrélée à la qualité des soins [72, 73]. De ce fait, c’est devenu un enjeu majeur en éducation médicale [74] et la simulation paraît particulièrement performante dans cette optique [71-78], y compris avec des étudiants [79]. Les scénarios évaluent les facteurs humains et leur impact sur les décisions et le devenir des « patients ». Ils permettent d’identifier les lacunes habituellement observées : défaut de communication au sein de l’équipe, mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. absence de leader, désorganisation de l’activité du groupe, et donc de la prise en charge, décisions inadéquates [71-73, 75-78]. Dans cette optique, certains scénarios peuvent délibérément pousser les équipes à l’erreur, afin d’en identifier les mécanismes, et pouvoir les corriger [80, 81]. Le défaut de communication au sein du groupe est particulièrement ressenti par les infirmières [82]. Plusieurs points sont essentiels : identification des besoins, et donc détermination des objectifs d’apprentissage [71, 74-76], entraînement au travail en équipe [74-76], en centre de simulation ou sur le lieu de travail [75], mais dans tous les cas dans un environnement réaliste qui conditionne le transfert en clinique [17, 19, 71], multiplication des outils de formation (patients standardisés, jeux de rôle, simulateurs hautefidélité, etc.) [71, 74, 75], instructeurs entraînés, eux aussi d’horizons professionnels variés (médecins, psychologues, etc.) [75], mesure de l’impact [71, 74, 75] utilisant des outils dédiés [76], et surtout un debriefing [71, 74, 75]. L’importance du debriefing est capitale, qu’il soit administré par un enseignant, ou « auto-administré » aux membres de l’équipe après visualisation de l’enregistrement vidéo de la séance [83]. Simulation et développement professionnel continu Perspectives et limites La simulation comme outil d’évaluation Alors que la simulation est couramment utilisée comme technique d’apprentissage, son utilisation comme technique d’évaluation est beaucoup plus récente. Les patients standardisés sont utilisés depuis 2004 pour le Clinical Skills Assessment de l’United States Medical Licensing Examination et par l’Educational Council for Foreign Medical Graduates. L’utilisation de simulateurs haute-fidélité ou fonctionnant en réalité virtuelle est encore plus récente [87]. Deux récentes revues [49, 50] résument les problèmes que pose cette approche, au moins d’un point de vue docimologique. On peut les résumer à trois aspects. Que veut-on (peut-on) évaluer ? Il s’agit d’identifier les objectifs à évaluer, adaptés au niveau d’expertise attendue des étudiants [88], de déterminer la(les) technique(s) de simulation les plus adéquate(s) (par exemple, les patients standardisés pour la communication, les simulateurs haute-fidélité pour la gestion d’une situation aiguë), et de préparer les scénarios correspondants. L’organisation matérielle de cette approche doit également prendre en compte les limitations technologiques de chacun des simulateurs utilisés [49]. Établissement des scores : impératifs de validité et fidélité La simulation occupe une place de choix dans le DPC [1, 8]. Force est d’admettre que l’impact sur la qualité des soins des formations post-universitaires est limité [84]. Néanmoins, trois éléments indépendants sont prédictifs de leur efficacité [85] : – les interventions in vivo sont plus efficaces que les versions papiers ou projetées ; – les interventions utilisant plusieurs supports sont plus efficaces que celles qui n’utilisent qu’un support ; – enfin, les expositions multiples sont plus efficaces qu’une intervention unique. La simulation répond à deux, voire à ces trois points. Néanmoins, la logistique qu’elle suppose en limite actuellement l’impact dans cette optique [8]. Une telle approche reste malgré tout séduisante [86]. De fait, plusieurs sociétés savantes ont défini des recommandations pour l’équipement et l’organisation des centres de simulation, avec à la clé une procédure d’accréditation [8]. Une telle approche ouvre la voie à la certification, voire une recertification par simulation. Une telle approche est utilisée pour l’anesthésie aux ÉtatsUnis [8], en Israël [51] et en Nouvelle-Zélande [8]. Elle est également utilisée aux États-Unis en médecine interne et médecine générale [8]. Cette approche répond à trois impératifs : – mesure de la performance par établissement de scores : les check-lists et l’évaluation globale sont les plus utilisés [49, 50]. Les premières sont établies à partir de données de la littérature scientifique, sont objectives, et facilement utilisables à condition d’un entraînement suffisant. Elles peuvent être pondérées. De multiples exemples sont disponibles en chirurgie [56], anesthésiologie [48, 78, 89], ou travail multiprofessionnel [76]. Ces check-lists permettent l’obtention de scores valides et fidèles [49, 50]. Les plus performantes permettent de distinguer les étudiants par leur niveau d’expérience [48, 56, 89]. Elles ont des limites évidentes [49, 50] : construction subjective (choix des items), induction de comportement stratégique des étudiants en cas de diffusion, défaut de prise en compte de la vitesse de réalisation d’un geste, ou surtout de la séquence de gestes. L’approche globale (global rating) est une évaluation holistique de la performance globale. La subjectivité attendue des évaluateurs peut être limitée par un entraînement suffisant [49], en les cantonnant à leur domaine d’expertise [90], ce qui impose qu’ils soient médecin dans le cas qui nous intéresse. Cette approche est spécialement adaptée à la mesure de tâches multidimensionnelles ou complexes comme le travail d’équipe, par exemple [49]. Elles ont enfin l’avantage de pouvoir prendre en compte des mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 47 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dossier 48 approches inappropriées habituellement non identifiées par les check-lists [49]. Ces deux approches sont régulièrement associées [49, 50]. Quand elles ont été comparées, check-lists et approche globale ont fourni des scores significativement corrélés [48, 78, 89, 91] ; – généralisation : du fait de leur nature (trop limitée) et de leur nombre (trop faible), les scénarios préparés peuvent faire obtenir des scores peu ou pas généralisables. En cas de nombre insuffisant, la fidélité (la reproductibilité des scores) sera incorrecte. En cas de situations insuffisamment représentatives, l’évaluation sera biaisée et ne fournira pas une base adéquate pour l’estimation de la compétence dans le domaine considéré [50]. Ce point, majeur, implique donc la préparation d’un nombre suffisant de scénarios, reproduisant des situations représentatives, avec un nombre d’évaluateurs suffisants [50]. Le nombre de cas conditionne donc la représentativité des situations et limite le biais de la spécificité de cas [50] ; – extrapolation : les responsables de l’évaluation cherchent à tester le jugement professionnel et les habiletés à la résolution de problèmes dans un contexte réaliste, le plus proche possible de la réalité. Une telle approche impose un temps d’évaluation allongé et peut limiter l’établissement des scores et la généralisation. La solution de cette quadrature du cercle consiste en l’introduction d’assez de réalisme et de complexité pour obtenir une estimation valide de la performance des étudiants, tout en maintenant un nombre de cas et une durée d’évaluation suffisants pour assurer une évaluation et une généralisation suffisantes [50]. Objectivement, l’extrapolation peut être faible et difficile à mettre en évidence [9295]. L’évaluation par simulation estime certes un niveau de compétence à un moment donné (comme n’importe quelle autre technique d’évaluation au demeurant), cependant, les erreurs effectuées au centre de simulation par des anesthésistes ou des étudiants sont reproductibles (donc extrapolables) dans la vraie vie [46-48]. Validation des scores C’est la vérification de la validité des scores, en d’autres termes que les scores obtenus reflètent le seul niveau de performance des étudiants [50]. Ce point est particulièrement important pour les étudiants obtenant des scores faibles. Il faut éliminer tout biais : manipulation incorrecte du simulateur, temps de test trop court, instructions incorrectes, défaut de corrélation inter-juges, grille insuffisante, etc. Une autre approche consiste à comparer les scores obtenus en simulation et dans d’autres évaluations (épreuve écrite, par exemple) balayant le même domaine de connaissances, ou en vérifiant que l’évaluation par simulation détecte bien les étudiants par niveau de compétence : les internes obtiennent de meilleurs scores que les étudiants [50], etc. On a vu que quelques modèles le réalisaient [48, 56, 89]. Au total, l’évaluation par simulation est séduisante pour sa validité, avec son extrapolation à la certification [8, 51], voire à la recertification [1]. Le prix à payer, indispensable, est lourd en termes de planification, d’organisation et d’infrastructures. Ainsi, le Clinical Skills Assessment nécessite 12 stations avec des patients standardisés, un observateur par station un enregistrement vidéo systématique, mais peut être utilisé à grandes échelles dans cinq centres répartis aux États-Unis [95]. Simulation et implications médico-légales De façon anecdotique, on a pu reconstituer en centre de simulation des cas de malpractices pour la cour [8]. De façon bien plus intéressante, on peut reconstituer en centre de simulation le déroulement d’un cas utilisé pour une réunion de morbi-mortalité [1]. Aux États-Unis, les assurances privées s’intéressent de près aux centres de simulation, dont l’impact peut limiter les complications hospitalières. Plusieurs compagnies proposent des réductions du montant de la prime aux praticiens suivant une formation post-universitaire en centre de simulation [8]. Pour certains actes spécifiques, les praticiens ne sont assurés qu’après validation en centre de simulation [96]. Limites Elles sont essentiellement représentées par les coûts de matériels et d’infrastructures et surtout les personnels [8, 97]. Les premiers peuvent être résolus par divers moyens : subventions, formations payantes, mise en commun de matériels, etc. [97]. Les personnels doivent être formés, leur formation entretenue, et doivent disposer de temps réservé. C’est le problème majeur des centres de simulations. Dans certains domaines (formation procédurale), des internes et/ou des étudiants encadrés peuvent fournir une solution partielle à ce problème crucial [98]. Au final, la simulation médicale suscite un engouement mérité, tant que des enseignants, que des étudiants, voire des institutions. Cet engouement est justifié par des données, certes encore limitées, qui documentent son efficacité et son impact sur la qualité des soins. En termes d’outil d’évaluation, elle suscite de nombreuses difficultés, du concept-même à l’organisation pratique, dont aucune n’est objectivement insoluble. Conflits d’intérêts : J.P.F. et M.J. ont colligé la littérature, rédigé et revu le texte. Il n’y a aucun conflit d’intérêts. Références 1. Granry JC, Moll MC. État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé. Haute Autorité de santé, 2012. mt, vol. 19, n◦ 1, janvier-février-mars 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 2. McCaghie WC, Issenberg SB, Petrusa ER, Scalese RJ. A critical review of simulation-based medical education research: 2003-2009. Med Educ 2010 ; 44 : 50-63. 20. DeMaria S, Bryson EO, Mooney TJ. Adding emotional stressors to training in simulated cardiopulmonary arrest enhances participant performance. Med Educ 2010 ; 44 : 1006-15. 3. Cook DA, Hatala R, Brydges R, et al. Technology-enhanced simulation for health professions education. A systematic review and meta-analysis. JAMA 2011 ; 306 : 978-88. 21. 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