Escalade et cancer du sein Docteur Pierre BELLEUDY Médecin fédéral, Fédération française de la montagne et de l'escalade La Fédération française de la montagne et de l'escalade est extrêmement investie dans la démarche « sport santé ». Cette fédération regroupe 90 000 licenciés, dont 40 % de femmes. Elle propose six activités, qui sont l'alpinisme, le canyon, la randonnée alpine, la raquette à neige, le ski alpinisme et l'escalade. Nous avons mis en place un comité « sport santé » qui comprend un médecin référent, le vice-président de la fédération, un cadre technique qualifié et une athlète de haut niveau. Cette athlète a la particularité d'être championne du monde d'escalade à 41 ans, après avoir donné naissance à quatre enfants. Nous savons que l'escalade est une discipline très prisée par la population. Parfois, les clubs sont contraints de limiter le nombre de licenciés car ils ne disposent pas des infrastructures et du personnel suffisants pour accueillir toutes les personnes qui souhaitent pratiquer cette discipline. L'escalade présente l'avantage de créer des effets bénéfiques sur le plan psychologique. Cette caractéristique est tout à fait pertinente pour des personnes qui combattent la maladie. La démarche s'adresse à trois catégories de population. La première de ces catégories concerne les sportives pratiquantes, dont les capacités se trouvent limitées en raison de la maladie. La seconde catégorie est celle des femmes qui n'étaient pas sportives, mais qui se voient prescrire une activité « sport santé ». Enfin, la troisième catégorie rassemble toutes les personnes qui souhaitent préserver et maintenir leur santé. L'escalade est une discipline qui sollicite les muscles de la ceinture scapulaire (dorsaux, muscles thoraciques), les fléchisseurs des bras et des avant-bras, ainsi que les fléchisseurs de la main et des doigts. Généralement, l'escalade suppose une contraction isométrique qui produit une anaérobie lactique avec une ischémie locale. L'effort est cependant fonction de l'inclinaison de la voie. Nous pouvons donc conseiller aux femmes qui ont eu un cancer du sein de se diriger vers une pratique douce, modulée, en fonction de leur niveau dans cette discipline. L'apparition d'un lymphœdème après curage ganglionnaire constitue la principale crainte des médecins. Néanmoins, ce dogme est en train de s'effriter. Une récente publication du National Cancer Institute a prouvé que le travail d'un membre supérieur ne pouvait pas induire ou aggraver un lymphœdème. Par ailleurs, nous savons que le repos total du bras est délétère. Une autre étude, réalisée par une équipe avignonnaise, a montré que la pratique d'un sport pouvait provoquer l'apparition de petits lymphœdèmes, mais que ceux-ci pouvaient être pris en charge par une simple contention. Le système lymphatique post-opératoire est extrêmement sensible au risque infectieux. En faisant du sport, les personnes pourront éprouver une gêne liée au retour lymphatique causée par une contraction musculaire intense (effet d'ischémie). Cependant, ce phénomène est soumis à une grande variabilité selon les patients. C'est la raison pour laquelle chaque cas doit être évalué de façon individuelle. Outre cette évaluation, il est nécessaire de prendre en compte l'état de l'épaule et de son articulation. En revanche, les métastases osseuses constituent une contre-indication formelle à la pratique de l'escalade. L’escalade sollicite la musculature scapulaire, dorsale et thoracique mais aussi les groupes musculaires du bras et avant-bras ainsi que de la main. L'escalade sur mur est caractérisée par un effort d'une durée allant en général jusqu'à 4 minutes et d'une intensité très élevée en ce qui concerne principalement les muscles des membres supérieurs. L'essentiel du travail est donc de type anaérobie lactique. Par ailleurs, le type de contraction est à forte dominante isométrique pour les fléchisseurs des doigts et dans une moindre proportion pour les muscles des bras et de la région scapulaire. L’effort étant cependant variable en fonction du profil de la voie (dalle), de sa difficulté… et du niveau du grimpeur. D’autant que l’activité en contraction isométrique prépondérante, tenir les prises, va accentuer l’effet ischémique de blocage de la circulation locale.(2) Nous avons vu combien le maintien d’un flux capillaire et d’une circulation veineuse de retour de bonne qualité était indispensable pour retarder ou éviter d’aggraver un lymphœdème. Sur site naturel, dans une voie facile, et notamment lors de succession de grandes longueurs la composante aérobie va devenir prépondérante, ponctuellement associée à des passages en anaérobie lors d’un effort d’intensité élevé. Au plan mécanique on sera attentif à ce que la patiente conserve une amplitude de mobilité de l’épaule suffisant pour autoriser une pratique sans risque. Il faut noter de surcroît que l’exposition au risque traumatique ou infectieux du membre supérieur n’est pas nulle notamment lors de la pratique en site naturel. L’exposition solaire doit aussi être limitée. Les différentes situations post-thérapeutiques doivent être expliquées aux éducateurs. Nous devrons nous efforcer de positiver l'approche de l'escalade. Les séances doivent être assimilées à un loisir. Il est nécessaire que les patientes trouvent dans l'escalade une discipline plus ludique que la gym au sol. Les éducateurs devront également être vigilants à la progressivité de l'effort, afin que les participantes ne soient pas épuisées après la séance. Nous allons proposer des programmes adaptés, avec des pentes à inclinaison positive, qui permettront de limiter l'effort réalisé par les membres supérieurs. Les participantes apprendront à placer leurs pieds avec précision, à charger les appuis, à optimiser la poussée et le transfert du poids du corps. Cette année, nous allons nous efforcer de recenser et d'accompagner les actions qui sont menées au niveau local. Nous essayerons de faire participer les clubs et les équipes médicales motivés au projet « Octobre rose », qui est le mois de sensibilisation au dépistage du cancer du sein. Questions-réponses avec l’amphithéâtre Docteur Philippe DEJARDIN Ma salle de sport bénéficie depuis plusieurs années d'un mur d'escalade. Celui-ci est utilisé pour la rééducation des personnes qui ont fait une chute. Il n'est pas nécessaire que le mur soit très haut pour que la discipline puisse déjà être bénéfique. Le mur peut également utiliser des prises adaptées aux arthrosiques ou aux personnes souffrant de polyarthrite. En conséquence, le matériel peut être adapté et ne constitue pas un frein à la pratique. Bibliographie, ressources complémentaires Jones Lancet. Diet, exercise, and complementary therapies after primary treatment for cancer. Oncol 2006 7:1017-26 Schmitz KH, Speck RM. Risks and benefits of physical activty among breast cancer survivors who have completed treatment. Women’s Health 2010;6(2):221-38. Carole Maitre – service médical INSEP – sifmed-sports-santé. Activité physique dans l'après cancer du sein Irwin ML, Smith AW, McTiernan A et al. Influence of pre- and post diagnosis physical activity on mortality in breast cancer survivors: the health, eating, activity, and lifestyle study. J Clin Oncol. 2008 ; 26 (24):3958-64. O. Guidi . Les filières aerobie en escalade. Revue EPS n°276, 1999 Dr Pierre Belleudy Médecin fédéral, Fédération française de la montagne et escalade. Médecin instructeur secours en montagne, urgentiste en milieu périlleux et catastrophe. Médecin généraliste, orientation pédiatrique puis gérontologique. Membre du réseau ONCO paca Résumé Quand nous avons suggéré à notre correspondant de chirurgie gynécologique de proposer la pratique de l’escalade aux femmes suivies après un cancer du sein l’accueil a été immédiatement favorable. Notre confrère avait bien intégré les avantages d’une activité sportive en terme d’amélioration de la qualité de vie, de tolérance au traitement et de prévention tertiaire. Il était au fait des évolutions récentes dans la prise en charge du lymphœdème après curage ganglionnaire. Le dogme des interdits d’effort n’était plus d’actualité. Il était donc intéressé qu’une fédération sportive, avec ses clubs locaux, viennent en relais de sa prescription. L’escalade en complément dans l’arsenal thérapeutique mis a sa disposition. Pourquoi choisir l’escalade ? Cette activité sportive est-elle compatible avec les séquelles de la chirurgie ? Et selon quelles conditions. Quels effets positifs attendus ? Enfin quelles consignes donner aux coachs sportifs qui vont prendre en charge ces patientes ?