A. La présentation des trois parties de la philosophie dans les livres

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LA CITÉ DE DIEU :
LA RELIGION CHRÉTIENNE COMME « VRAIE PHILOSOPHIE »
ISABELLE BOCHET
et beatitudinis largitorem
esse dixerunt5. »
« Quand [Porphyre] dit que même la philosophie la plus vraie ne lui a pas encore fait connaître un
système proposant la voie universelle du salut, il montre assez, me semble-t-il, que cette
philosophie professée par lui n’est pas la plus vraie ou ne possède pas une telle voie. Et comment
pourrait-elle être la plus vraie sans proposer cette voie1 ? »
« Quicumque igitur philosophi de Deo summo et uero ista senserunt, quod
et rerum creatarum sit effector
et lumen cognoscendarum
et bonum agendarum,
quod ab illo nobis sit
et principium naturae
et ueritas doctrinae
et felicitas uitae6… »
« Eux aussi, les sages de ce siècle, déclarent que la philosophie est utile pour supporter les maux.
Mais, au dire de Cicéron, les dieux ne donnent la vraie philosophie qu’à un petit nombre ; et c’est,
dit-il, le don le plus précieux qu’ils aient fait aux hommes et qu’on puisse faire aux hommes. C’est à
ce point que nos adversaires eux-mêmes sont contraints d’avouer, de quelque manière, que la philosophie, non la première venue, mais la vraie, ne s’acquiert pas sans une grâce divine2. »
« … de uno Deo huius uniuersitatis auctore, qui non solum super omnia corpora est
incorporeus, uerum etiam super omnes animas incorruptibilis,
principium nostrum,
lumen nostrum,
bonum nostrum7… »
A. La présentation des trois parties de la philosophie
dans les livres VIII et XI de la Cité de Dieu
1) Le livre VIII de la Cité de Dieu
« Platon […] a divisé la philosophie en trois parties : une partie morale qui se rapporte surtout à
l’action ; une autre, naturelle, qui est réservée à la contemplation ; une troisième, rationnelle, qui
distingue le vrai du faux3. »
« … aliquid tale de Deo sentiunt ut in illo inueniatur
et causa subsistendi
et ratio intellegendi
et ordo uiuendi… »
« …unum uerum optimum Deum, sine quo
nulla natura subsistit,
nulla doctrina instruit,
nullus usus expedit :
ipse quaeratur, ubi nobis serta sunt omnia ;
ipse cernatur, ubi nobis certa sunt omnia ;
ipse diligatur, ubi nobis recta sunt omnia4. »
« … Platonicis philosophis cedant, qui uerum Deum
et rerum auctorem
et ueritatis inlustratorem
––––––––––––
1. De ciu. Dei X, 32, 1, BA 34, p. 546-549 (= fr. Smith 302 aF).
2. De ciu. Dei XXII, 22, 4, BA 37, p. 652-653 (qui cite, selon A. GRILLI, le fragment 111 de
l’Hortensius).
3. De ciu. Dei VIII, 4, BA 34, p. 242-243 :
4. De ciu. Dei VIII, 4, BA 34, p. 244-245.
« … isti Deo cognito repperunt ubi esset
et causa constitutae uniuersitatis
et lux percipiendae ueritatis
et fons bibendae felicitatis. »
« … ab uno uero Deo atque optimo
et naturam nobis esse qua facti ad eius imaginem sumus,
et doctrinam, qua eum nosque nouerimus,
et gratiam, qua illi cohaerendo beati simus8. »
2) Le livre XI de la Cité de Dieu
« Nous croyons, nous maintenons, nous proclamons fidèlement que le Père a engendré le Verbe,
c’est-à-dire la Sagesse par qui tout a été fait, son Fils unique […] et que le Saint-Esprit est à la fois
l’Esprit du Père et du Fils9… »
« Autant qu’il est permis d’en juger, de là vient la division en trois parties de l’étude de la sagesse,
telle que les philosophes ont voulu l’établir, ou plutôt telle qu’ils l’ont pu observer (car elle n’a pas
été instituée par eux : ils l’ont simplement découverte). La première partie fut appelée physique, la
seconde logique, la troisième éthique (ces noms ayant pour correspondants latins dans les écrits de
nombreux auteurs : partie naturelle, rationnelle, morale : nous en avons déjà dit un mot au huitième
livre). Non qu’il s’ensuive que ces philosophes aient eu dans cette triade quelque idée de la Trinité
en tant que Dieu, bien que Platon, – le premier, dit-on, à découvrir et à mettre en vogue cette
division – ait vu en Dieu seul l’auteur de toutes les natures, le donateur de l’intelligence,
l’inspirateur de l’amour source d’une vie vertueuse et heureuse. Certes, sur la nature des choses, sur
les moyens de discerner la vérité, et sur le bien final où doit tendre tout notre agir, les divers
philosophes ont varié de sentiments. Mais l’ensemble de leurs recherches n’en porte pas moins sur
ces trois grandes questions générales. Ainsi, bien qu’en chacune de ces trois grandes questions
––––––––––––
5. De ciu. Dei VIII, 5, BA 34, p. 248-249.
6. De ciu. Dei VIII, 9, BA 34, p. 262-263.
7. De ciu. Dei VIII, 10, 1, BA 34, p. 266-267.
8. De ciu. Dei VIII, 10, 2, BA 34, p. 266-267.
9. De ciu. Dei XI, 24, BA 35, p. 104-107.
LA RELIGION CHRÉTIENNE COMME « VRAIE PHILOSOPHIE »
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générales, chacun professe des opinions divergentes, nul pourtant n’hésite à reconnaître que la
nature a une cause, la science une méthode, la vie un sens10. »
« … Parce que, en fait, notre nature, pour exister, a Dieu comme auteur (auctorem),
il est certain que, pour goûter la vérité, nous devons l’avoir lui-même comme maître
(doctorem)
et l’avoir lui-même encore, pour être heureux, comme dispensateur d’une douceur
intérieure (suauitatis intimae largitorem11). »
« … La Trinité tout entière se révèle à nous dans ses œuvres. Et c’est d’elle que la cité
sainte, qui est là-haut dans les saints anges, tire
et son origine
et sa forme
et sa béatitude.
Demande-t-on d’où vient son existence ? C’est Dieu qui l’a fondée !
D’où lui vient sa sagesse ? C’est par Dieu qu’elle est illuminée !
D’où lui vient sa béatitude ? C’est Dieu dont elle jouit !
En subsistant en lui elle a son degré d’être,
en le contemplant elle a sa lumière,
en s’unissant à lui elle a sa joie.
Elle est,
elle voit,
elle aime :
dans l’éternité de Dieu elle a sa vigueur,
dans la vérité de Dieu elle brille,
dans la bonté de Dieu elle se réjouit12 ! »
B. Une clé pour la structure des livres XI à XXII de la Cité de Dieu ?
1) Les livres XI à XIV et la physique
«… il est nécessaire que les mêmes êtres reviennent toujours et s’écoulent en revenant toujours les
mêmes, soit que le monde demeure en sa mutabilité, quoique éternel et néanmoins créé sans début
temporel, soit qu’il disparaisse et renaisse incessamment par des révolutions répétées et destinées à
se répéter sans fin13 ».
« Suivons donc la voie droite qui est pour nous le Christ et sous la conduite de ce Sauveur,
détournons de l’inepte et chimérique circuit des impies et notre intelligence et le chemin de notre
foi14 ».
––––––––––––
10. De ciu. Dei XI, 25, BA 35, p. 108-111.
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ISABELLE BOCHET
2) Les livres XIX à XXII et l’éthique
« Reste la partie morale, l’éthique comme on la désigne en grec, qui s’enquiert du souverain bien,
celui auquel nous rapportons tous nos actes et que nous recherchons non pour un autre, mais pour
lui-même, celui dont la possession termine toute recherche ultérieure de béatitude. Voilà pourquoi
on l’appelle aussi la fin : car c’est pour lui que nous voulons les autres biens, mais lui, nous ne le
voulons que pour lui-même15. »
« Si l’on me demande quelle est la réponse de la cité de Dieu à chacune de ces questions et,
d’abord, ce qu’elle pense sur les fins des biens et des maux, elle répondra que la vie éternelle est le
souverain bien, la mort éternelle au contraire le souverain mal ; pour acquérir la première et éviter la
seconde, nous devons bien régler notre vie. Selon ce qui est écrit : “Le juste vit de la foi”, puisque
nous ne voyons pas encore notre bien, nous devons donc le chercher au moyen de la foi et bien
vivre ne nous vient pas non plus de nous-mêmes, si, croyant et priant, nous ne sommes aidés par
celui qui nous a donné cette foi par laquelle nous croyons avoir besoin de son aide16. »
« Voilà pourquoi nous pourrions dire de la paix, comme nous l’avons dit de la vie éternelle, qu’elle
est pour nous la fin de nos biens17 ».
« Là, nous nous reposerons et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous
louerons. Voilà ce qui sera à la fin, sans fin. Et quelle autre fin que de parvenir au royaume qui
n’aura pas de fin18 ? »
3) Les livres XV à XVIII et la logique
« Il me semble maintenant devoir défendre l’histoire, pour montrer que l’Écriture n’est pas
incroyable, quand elle raconte qu’une ville fut construite par un seul homme […]. Ceux qui s’en
étonnent remarquent trop peu que l’écrivain de l’histoire sacrée n’était pas obligé de nommer tous
les hommes qui ont pu exister alors, mais seulement ceux que demandait le plan de son travail19. »
« Sont-ce là de faibles présages de la vérité que nous voyons accomplie dans le Christ20 ? »
« Moïse, notre vrai théologien, ce véritable prédicateur de l’unique vrai Dieu21 »
« Ces divergences entre philosophes, et d’autres presque innombrables, quel peuple, quel sénat,
quelle puissance ou autorité autorité publique de la cité impie ne s’est jamais soucié de les discerner
pour approuver les unes et les adopter, pour réprouver les autres et les rejeter ? […] Ce n’est donc
pas en vain qu’une telle cité s’appelle mystiquement Babylone. Babylone signifie confusion. […]
Mais cette nation, ce temple, cette cité, cette république, ces Israélites dépositaires des paroles de
––––––––––––
15. De ciu. Dei VIII, 8, BA 34, p. 258-259.
16. De ciu. Dei XIX, 4, 1, BA 37, p. 60-63.
17. De ciu. Dei XIX, 11, BA 37, p. 96-97.
11. De ciu. Dei XI, 25, BA 35, p. 112-113.
12. De ciu. Dei XI, 24, BA 35, p. 108-109.
13. De ciu. Dei XII, 18, 1, BA 35, p. 208-209.
18. De ciu. Dei XXII, 30, BA 37, p. 718-719.
19. De ciu. Dei XV, 8, BA 36, p. 62-65.
20. De ciu. Dei XVI, 33, BA 36, p. 298-299.
14. De ciu. Dei XII, 21, 3, BA 35, p. 222-223.
21. De ciu. Dei XVIII, 37, BA 36, p. 614-615.
LA RELIGION CHRÉTIENNE COMME « VRAIE PHILOSOPHIE »
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Dieu, jamais ils n’ont confondu dans une égale tolérance les faux et les vrais prophètes ; ils
reconnaissaient et retenaient comme auteurs véridiques des saintes Lettres ceux qui s’accordaient
entre eux sans aucune divergence. C’étaient là leurs philosophes, ces “amants de la sagesse”, leurs
sages et leurs théologiens, leurs prophètes, leurs maîtres de vertu et de piété22. »
« Tout ce que certains philosophes ont pu voir de vrai parmi leurs erreurs et qu’ils se sont efforcés
d’inculquer en de laborieuses démonstrations : que Dieu a fait ce monde, qu’en sa très sage
providence il le gouverne, tout ce qui concerne la beauté de la vertu, l’amour de la patrie, la fidélité
aux amis, les bonnes œuvres et les bonnes mœurs, sans savoir d’ailleurs à quelle fin il faut rapporter
tout cela ni de quelle manière : en des paroles prophétiques, c’est-à-dire divines, quoique par des
hommes, toutes ces vérités ont été, dans cette cité, recommandées au peuple, non imposées en des
batailles d’arguments, de sorte que quiconque en discuterait, aurait à craindre de mépriser, non
l’intelligence d’un homme, mais la parole de Dieu23. »
« Les Grecs n’ont aucune raison de s’enorgueillir de leur sagessse comme surpassant, sinon par la
noblesse, du moins par l’antiquité, notre religion où est la vraie sagesse24. »
« Le Christ, maître de Pierre pour la doctrine (in doctrina) qui mène à la vie éternelle, est aussi luimême notre maître (magister25). »
C. La nécessité de « célébrer la Pâque »
1) « Un chrétien n’usant pas dans ses discussions de termes qu’il n’a pas appris… »
« Un chrétien, ignorant leurs ouvrages, n’use pas dans ses discussions de termes qu’il n’a pas
appris, de sorte qu’il n’appelle pas naturelle avec les Latins, physique avec les Grecs, cette partie de
la philosophie qui traite de l’étude de la nature ; rationnelle ou logique celle qui recherche comment
on peut atteindre la vérité, morale ou éthique celle qui traite des mœurs, des fins bonnes à
poursuivre, des fins mauvaises à éviter ; ce chrétien n’ignore pas pour autant que nous tenons du
Dieu unique, véritable et très bon, une nature selon laquelle nous sommes faits à son image, une
doctrine qui nous apprend à le connaître et à nous connaître, une grâce qui nous rend heureux en
nous unissant à lui26. »
« Porphyre dit encore que des oracles divins ont répondu que les télètes de la lune et du soleil ne
nous purifient pas, ce qui montrerait que l’homme ne peut être purifié par les télètes d’aucun dieu.
Quels télètes en effet purifient si ceux de la lune et du soleil ne le font pas, eux qui passent pour
tenir le premier rang parmi les dieux du ciel ? Le même oracle, dit-il ensuite, a déclaré que les
principes peuvent purifier, sans doute de peur qu’après avoir dit que les télètes du soleil et de la
––––––––––––
22. De ciu. Dei XVIII, 41, 2-3, BA 36, p. 628-629.
23. De ciu. Dei XVIII, 41, 3, BA 36, p. 630-631.
24. De ciu. Dei XVIII, 37, BA 36, p. 614-615.
25. De ciu. Dei XVIII, 44, BA 36, p. 688-689.
26. De ciu. Dei VIII, 10, 2, BA 34, p. 266-267.
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ISABELLE BOCHET
lune ne purifient pas, on n’aille croire à la vertu purifiante des télètes de quelque autre de la foule
des dieux. Or quels sont ces principes pour un platonicien comme Porphyre ? Nous le savons. Il
parle en effet de Dieu le Père et de Dieu le Fils qu’il appelle en grec l’intellect ou l’entendement
paternel. De l’Esprit Saint, il ne dit rien ou ce qu’il en dit n’est pas clair : je ne comprends pas, il est
vrai, quel est cet autre dont il dit qu’il tient le milieu entre les deux autres27. »
« Les philosophes parlent en des termes libres (liberis uerbis) et, dans les sujets les plus difficiles à
comprendre, ils ne craignent pas d’offenser les oreilles religieuses. Mais à nous il convient de parler
selon la règle fixée, de peur qu’une trop grande liberté dans les mots (uerborum licentia)
n’engendre une opinion impie sur les réalités qu’ils désignent28. »
« Tu proclames le Père et son Fils que tu appelles l’Intellect ou l’Intelligence paternelle ; et celui
qui est entre les deux, désignant ainsi l’Esprit Saint, croyons-nous : selon votre habitude, tu les
appelles trois dieux. Sur ce point, tout en usant de termes indisciplinés (uerbis indisciplinatis), vous
n’en voyez pas moins d’une certaine manière et comme à travers les ombres d’une représentation
floue, le but où il faut tendre29. »
« L’Écriture, non par le hasard des courants d’idées, mais bien en vertu d’une disposition de la
souveraine Providence, surpassant par sa divine autorité toutes les littératures de toutes les nations,
s’est assujettie toutes les catégories d’intelligences humaines30. »
2) De la lecture des philosophes à la lecture de l’Écriture : la Pâque du Christ
« Pourquoi […] refusez-vous d’être chrétiens, sinon parce que le Christ est venu humblement et
que vous êtes orgueilleux ? […] Pourquoi […], sinon, je le répète, parce que le Christ est humble et
que vous êtes orgueilleux »31.
3) Un parallèle significatif avec la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée
« Si Platon a divisé en trois parties – physique, éthique et logique – l’ensemble de la philosophie,
[…] tu peux trouver chez les Hébreux aussi cette présentation tripartite de l’enseignement, étant
donné que les mêmes réalités ont fait l’objet de la philosophie chez eux aussi avant la naissance de
Platon32. »
––––––––––––
27. De ciu. Dei X, 23, BA 34, p. 504-505.
28. De ciu. Dei X, 23, BA 34, p. 506-507.
29. De ciu. Dei X, 29, 1, BA 34, p. 528-529.
30. De ciu. Dei XI, 1, BA 35, p. 30-31.
31. De ciu. Dei X, 29, 2, BA 34, p. 532-537.
32. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Préparation évangélique XI, 1, 1, SC 292, p. 54-57. Même affirmation
en XI, 3, 10, p. 62-63.
s,+ rrJ T
ftvGvs-i-,N
L,4 VR,4TE ]IELIGION
Le fait chrétlen et sa III. 3. I{ais ce que . je puis
dlffuslon unlverselle. affirmer à coup sùr, n'en déplaise
à tous ceux qui slobstinent à aimcr lcs livres dc ces philosophes, c'est qu'à i'ère chrétienne la question ne €e Poss
de la relifion à laquelle il faut adhérer de.préférence
plùs
-à
tout autre eù qui conduit en fait à la vérité. et au
bonheur. Supposons que Platon lui-même soit. enco:e
vivant et qu'il-ne repousse
supposono qu'&u temps où
pas mes questions.; ou
plutôt,
il vivait un de ses disciplea
I'ait interrogé. Platon cherchait à lui persuader que la
vérité sê voit non par les yeux du corps, mais par lc seul
esprit i que toute âme s'attachant à elle y trouve son
bonheur et sa perfection i quc rien n'cmpôche tant de la
percevoir qu'une vie de plaisirs et que les images trompcuses des objets sensiblcs, imprimées en nous, au
moye.n
du corps, par ce mond.e
sensible.
et
sources des
erreurs et opinions diverscs i qu'il faut en conséquence
guérir son esprit, pour qu'il puisse flxer ses regards sur
lra forme immuable des choses et sur la beauté toujours
é,gale et en tout semblable à elle-même que ni I'espace
nè divise, ni le temps ne transforme, mais qui garde
intactes son unité et son identité et dont les hommes
n'admottcnt pas I'existence, bicn qu'clle soit sculcr à êtrc
vraiment et absolument i eue toutes les autres choses
naissent, meurcnt, s'écoulent, s'en vont et pourtant,
dans la mesure où elles sont, subsistent grâce au Dieu
éternel. qui les a façonnées par sa vérité i que, parmi
elles, seul l'être raisonnable et intelligent a reçu le privilège de trouver ses délices dans la contemplation de
l'éternité divine, de s'y transformer et de s'y enrichir
jusqu'à mériter la vie éternelle ; mais,'tant qu'il s'afiecte
d'amour.et de d.ouleur pour des ohoses qui naissent et
passent, tant que, livré à I'entraînement de cette vie
ôt des sens du corps, il se dissipe en de vaines images,
cet être ne peut que railler ceux qui affirment I'existence
d'un être invisible à nos yeux, inaccessible à toute imagination, mais perceptible à.I'esprit seulement et à l'in.
telligence. Supposons, tandis que son ll{aître lui prêchait
cetté doctrine, que le disciple lui ait demandé : ( Àu cas
oir un homme grand et divin persuaderait aux foules
de croire au moins à ces vérités, si elles sont incapables
de les comprendre ou si ceux qui en sont capables, même
dégagés des fauqses croyances de la masse, étouffent
le poids des erreurs communes, le jugeriez-vous
digne des honneurs divins? r, Platon eût répondu, je
cràis,'que c'était æuvre impossible à un homme, à moins
que par hasard la force même de Dieu et sa sagesse
n'eussent soustrait quelqu'un à la loi de la nature et,
après l'avoir eclairé non par I'enseignement des horRmes,
dais, dès Ie berceau, par une illumiuation intime, Dê'
l'eussent doué tl'un ch-arme si vif, d'un ascendant si
fort, d'une dignité enfi.n. si haute que', détaché de tout
ce que désirent les méchants, patient à endurer toùt ce
qu'iis redoutent, accomplissant tout ce_qu'ils admirent,
iÎ convcrtît le genre humain, à force d'amour et d'autorité, à une tài si salutaire. Quant aux honneurs dus
à cet homme, inutile de le consulter : il n'est que de
calculer les honneurs dus à la Sagessc de Dieu, puisquc
c'est son action et sa conduite qui ont valu à cet homme,
pour le véritable salut dg. genre humain, un mérite
sous
personnel immense et qui dépasse l'homme.
4. Or, Ia littérature et les monuments le proclament,
cela est' arrivé. D'un pays unique au mondc, I'e seul
fût ad.oré Ie Dieu unique et oir d'ût naître un homme
tel que je viens de dirc_, iont partis à travers Ie moud.e
entiôr des messagers choisis qui par leurs miracles ct
Icur prédication ônt ali_rlmé ltartout les feux du divin
o*oo'r. Après avoir solidemi'nt étâbli Ia doctrine du
saiut,, ils ônt laissé à leurs succcssours -dcs.pays tout
oir
illumjnés. Bicn plus (pour ne pâs parler des-événernents
passés, auxquel-s on peut ne pas ajoutcr foi), aujourâ'hoi môme ôir urrnonce parmi les nations et les peuples :
< Au con1l,nencernent éta,{t Ie Verbe et I'e Verbe était auec
Dieu et le Verbe était Dieu; iI était au conTnlencement
auec Dieu; per lui tout a été lait et sans lui rien n'a éLé
(Jean r, 1-3). Pour que l'âmc connaisse ce Verbe,
l'aime et trouve en lui la joie qui la guérisse et rende
lait>
I'esprit assez clairvoyant pour s'emplir d'une si éclatante lumière, on dit aux avarcs : ( Ne aous drnassez
p,oint ile trésors sur la terre, oit, la teigne et la rouîIle les
détruisent, où Les aolcurs les d,étcrrent et lcs aolent; nutis
ni la teiEæ tr,i
la rouillc, ne détruisent, ot) les uoleurs ne d,éterrenl ni ne
aol,ent; car là où est ton trésor, .Ià est aussi ton c@ur >
(Matth. vr, 19-21) ; on dit aui voluptueux : < Qui sème
ilans Ia, cho,ir, de la chair moissonnera la corruption; qui
sèmn dans I'es7trit, de I'espr,it moissonnera la tie éterwlle n
(Gal. vr,8) ; aux orgucillcux: o Qui s'élèae sera abaissé
et qui s'abaisse, éIeué t (Luc, xrv, 11) ; aux emporbés :
{rTu as rEu un soufl,et? Tenils I'autre ioue> (Matth.v,39) ;
aux querelleurs : u Aimcz uos ennernis t (Ibid,. 44) ; aux
superstitieux : ( Le royaume dn, Dieu est au-iled,ans de
i)ov,ts D (Lu.c xvtt,21) ; aux curieux : < Ne cherchez Ws ce
qui se aoil, mais u qyi ne se aoit pas, ryr_ry qui se aoit
passe, ce qui np se oo,tl pas est éternel , (U Cor. rv, 18) ;
à tous enfi.n : N'airnez pas lc monile, ni lcs choses d,u
nwruIe, wr tout ce qu'il !1 a ilans Ic, mond,e est conwitise
de h.choir, conuoitise iles yeur et ambiticin ilu silclc t
(I Jean rr, 15-16).
anurssez-uous des tré,sors dans le ciel, oit,
<<
6. Ces maximes aujourd.'hui sont,, par le monde entier,
lues aux fouled, écoutées evec respeôt et empressement.
Apràs tout le s-âng,.tous les bûchers, toutes les croix des
martyrs, les Eglises n'en ont que poussé des rejetons
plus nombreux et abondants jusque chez les peuplades
barbares. Des milliers de jeunes gens et de jeunes filles
dédaignent
le mariage et vivent dans la chasteté
sans
que personne en soit surpris, alors qu-e Platon, pour
eD
avoir fait autant, dit-on, fuù à ce point intimidé par les
idées perverses de son temps qu'il sacriût 4 la nature
pour. abolir ce passé comme une faute. Maintenant, ces
maximes regoivent un tel accueil qu'il serait monstrueux
de les attaquer, comme il l'était autrefois de ies soutenir.
A cette promesse, à cet engagement répondr pâr toute
la terre habitée, le don des mystères chrétiens. Chaque
jour ces maximes sout lues daus les églises et expliquées
par les prêtres; ceux qui tâ,chent de les pratiquer se
frappent la poitrine ; on s'engage dans cette voie en si
grand nombre que les hommcs de toute classe, délaissant richesses et honneurs de ce monde pour consacrer
leur vie entière au seul Dieu souverain, remplissent des
îles autrefois désertes et la solitud.e d.e i.ombreuses
contrées. Dans les villes et les cités, enfin, dans les bourgs,
les villages, la campagne même et les domaines particuliers, on accepte et on désire ouvertement se détourner
des biens terrestres vers le Dieu unique et véritable,
à tel point que chaque jour, par le monde entier, d.'uue
seule voix ou pre_,lque, le genre humain répond : << Les
c@urs sont en haut, près d,u Seigneur >. Pourquoi, dès
lors, bâiller encore à i'orgie d'hier et chercher dans des
cadavres de bêùes des paroles divines? Et pourquoi, si
l'on en vicnt à la discussion, se dot't"'er pour idéal d'avoir
sa,ns ccsse lc nom de Platon sur les lèvres, plutôt que le
cceur lsmpli de la vérité?
Les phllosophes
palens IV. S. Ceux donc qui regar-
èn lace du christlanisme.
dent commc inutile ou mauvais
le mépris de ce monde sensible, la purification morale de
l'âme et sa soumission ssmplète au Dieu souverain,
sont à réfuter autrement, si tôutefois cela vaut la peine
de discuter avec cux. Quant à ceux qui accord.ent que
c'est un idéal désirable, qu'ils reconnaissent le Dieu
dont I'action a répaud.u universellement ces croyanoes
et qu'ils ne lui résistent pas ! Ils le feraient sans doute,
s'ils en étaient capables ; faute de quoi ils ne pourraient
échappcr à l'accusation de mauvaise foi. Qu'ils se rend.ent
à l'auteur dc ce fait ; quo Ia curiosité ct la prétention
vaine ne les enp&hent'pas de teco''t'aître la difiéreuce
qu'il y a entre ies faibles hypothèses de quelques Penseurs et la manifestation d.u salut et de la réparation
universelle. Car,. si les grands ho--es dont ils se ré-
clament revenaicnt à la vic pour trouvcr les églises
pleines, ies temples vides, Ie genre humain convié, non
plw à convoitér d'éphémères biens temporels, mais,
dans I'espérance d'une vie éternelle, à rechercher les
biens intellcctuels de l'esprit et répondant avec empres-
soit au desir de ce qu'il a dédaigné, soit au
qu'il a enduré.
pas osé prêcher aux foules. Nous avons cédé au courant
qui les entraînaiù au lieu de les &mener à notre foi et à
avait daigné assuner, a, été un enseignement molal.
sement, ils diraient peut-être, s'ils étaient tels que Ie
rapporte leur histoirc : tr Voilà l'idéal que nous n'&vons
notrc résolution
r.
?. Si donc ces grands hommes pouvaient revivre notrc
vie, ils reconnaîtraient à coup sûr d'oir vient cette
influence clui a si aisémcnt transformé I'humanité ct,
au prix de- quelques changements dans leur langage et
leur manière de voirl, ils deviendraient chrétiens, comme
la plupart des platoniciens des dernières générations
et âe la nôtre. Mais si, obstines dans leur orgueil et
leur mauvaise foi, ils refusaie.nt d'en convenir et de sc
convertir, je ne sais s'jls pourraient, ainsi souilles et
englués, reprendre leur vol vers l'idéal mêm9 qu'ils
désignaient aux aspirations et aux désirs de l'homme.
Quant au troisième vice, la curiosité à consulter les
démons (celui surtout qui détourne d.u salut chrétien
les paiens à qui nous avons afiaire aujourd'hui), je ne
penJc pas, tant il cst puéril, qu'il eût été un obstaclc
pour des esprits de cette trcmpe.
L'æuyre salutalre du
XVI. 80. Dieu a miile m&: phllosophie des nières de soigner les âmes selon
mæurs' de la nature, de l'opportunitd des circonstances
la raison'
qoË'di.po.e B& merveilleuse saChrist
iI ne convient de parler qu'entre personnes
d'une piété parfaite. En tout cas jamais il n'a pris mesure plus bienfaisante en faveur de I'humanité que lorsque
sa Sagesse en personn€, le X'ils unique consubstantiel et
coéternel à son Père, a bien voulu assumer l'homme
tout enùier et que u la Yerbe s'est lait ch.air et o habité
parmi nol.Ls), (Jean.r, 14). Il a montré ainsi aux charnels,
incapables de bonsid.érer spirituellement la vérité,
esclaves des sens corporels, quelle haute place tient
dans la création la uature humaine. Rn efiet, il s'est
rnontré aux homrnes non seuleurent sous forme visible.
(ce qu'il aurait pu fairc dans uu corps céleste mis à la
mesure de notre regard), mais en vrai homme, cùt il lui
fallait assumer précisément la nature qu'il devait libérer.
De plus, pour que nul sexe ne pût se croire méprisé du
gesse et dont
Créateur,
il
se
fit homme et naquit d.'une femme.
31. II n'a rien fait de force, mais tout par conseils et
Icgonsl. L'ancienne servitude était révolue,'le jour de la
Iiberté avait lui : il devenait opportun aubant que salutaire cle rappelcr à l'homme I'excellence du libre arbitre
qu'il avait rcçu à sa création. Par ses miracles, il conquit
lâ foi dcs homrnes au Dieu qu'il était i par sa passion,
àr, l'homme qu'il assumait. Àin.si, parlant aux foules en
I)ieu, il repoussa sa mère qu'on lui annonçait, et pourtant,
dit l'évangile, il fut un enfant soumis à ses parents.
Sa scicncc tnotrtrait Ic Dieu, sou âge, l'homme. De même
près clc changcr l'cau en vin il parle on Dieu | << lentnre,
retirez-uous. Qu'y a-t-il entre uous et nzoi? Ce n'est pas
encore nnn heure n (Jcan, rr, 4) ; rnais, cette heure venue,
l'hcurc dc tttottrir etr hotntnc, du haut dc la croix il
reconnut sa mère et la rccomnanda au disciille qu'il
chérissait entre tous. Les foules, pour leur perte, convoitaient la richcs.se, complice du plaisir : il voulut être
pauvre. Elles étaicnt avidcs de prestige et de pouvoir :
il
refusa.la royauté. Ellcs faisaient grand. cas de Ia fécon-
dité charnelie : il dédaigna toute union et postérité de
ce genre. Leur fol orgueil avait horreur des outrages :
il supporta totrtcs sortcs cl'outragcs. Unc injusticc, à lcurs
ycui, étrrit intolérable : quelle injustice plus criante qqe,
juste et innocent, d'ôtre condamné? Les douleurs du
ôorps étaicnt mauclitcs : ii fut fouetté et torturé. I\{ourir
leui f,ris:rit pcur : il fut condamné à mort. La mort en
croix passail pour la suprôme ignominic : ii fut mis en
croix. Tout ce dont le désir Dous empêchait de bien viwe,
il l'a déprécié en s'en privant. Tout ce dont la crainte
faisait dévier notre marche à la vérité, il l'a écaûé en le
subissant. Car il n'est âucun péché qui ne se ramène
refus, de ce
32. Ainsi toute sa vie sur terre, par l'humanité qu'il
Sa résunection a bien montré que rien ne périt dans Ia
nature humaine, puisque Dieu sauve toute chose ; comrirent tout est au service du Créateur, soit pour châtier
le péché, soit pour Iibérer l'homme, et combien il est
facilc au. co{ps dc servir l'âme, lorsqu'elle-même est
soumise à Dieu. Dans ces conditions, non seulement
aucune substance n'est un mal (chose absolument im1rcs=
sible), mais elle n'est âtteinte d'aucun mal, car le mal
ne vient que du péché et de sa sanction. Telle est Ia
doctrine chréticnne de la nature, objet d'une foi sans
réserve pour les simples et, aux yeux des sages, pure de
toute erreur.
XYII. 33. Quant à sa, méthode d'enseignement,
tantôù direct et tantôt ûguré, ugant de la parole, du
geste et du signe sacré, adapté à toute âme pour sa
formation théorique et pratique, ne réalise-t-elle pas
l'idéal d'une discipline de la raisonl?
En efiet, I'exposé des mystères se réfère aux paroles
tout ir fait clairôs. Mais s'il-n'y avait rien que de^tout à
fait clair, on n'aurait plus ni ardeur à chercher, ni joie
à découwir la vérité. Et s'il y avait des signes sacrés
dans I'Ecriture, sans qu'ils portént la marque à'e la vérité,
aurait pas plein accord entre la connaissance et
l'action. En fait, la piété commence par la crainte et
s'achève dans Ia charité : c'est pourquoi, au temps de la
servitude, sous l'ancienne loi, le peuple était tenu par la
il n'y
.
crainte et soumis à quantité de signes sacrés. Il lui
fallait cela pour desirei la grâce de Dieu dont les chants
des prophètes annonçaienl la venue. I\{ais, après sa,
venue, quand la Sagesse même de Dieu eut àssumé
l'homme qui nous appela à la liberté, il rr'y eut plus
gu'91 petit nombre de signes sacrés porterirs d.e sdlut,
établis comme lien social- des peuplei chrétiens, c,est-
à-diqe de la multitude libre soumise au Dieu unique. Les
nombreux signes sacrés imposés au peuple hébreï, cette
foule asservie au même Dlieu uniqùe, ont été abrogés
en pratique,.to.ut en restant objcts^de foi et d,interpiétation. Ainsi, à présent, ils ne servcnt plus à licr -tles
esclaves, mais à former des esprits Iibreil.
84. I{ais
si I'on vient, soutenir que les deux Testaments
ne sauraient avoir le même Dieu pour auteur, sous prétexte que notre peujtle n'est pâs soumis aux mômes
signes sacrés que les Juifs d'autrefois et.d'aujourd'hui,
pourquoi ne pas soutc.nir aussi qu'un mêrne maîtrc de
maison n'est pas tout à
fait
clans son
droit s'il donne tel
ordre à ceux d.e ses gens pour qui il juge préférable une
discipline stricte et tel autre à ceux qu'il daigne adopter
pour ses fils? Si I'on s'étonne de ce que les exigences
morales, moinclres dans l'ancienne loi, sont plus strictes
dans l'Évangile et que l'on estime e.n consôqueoc" qu"
les unes et les autres ne se réfèrent pas au même Dieu,
pourquoi ne pas s'étonner également de ce qu'un même
médecin fasse appliquer te.l traitement par ses infirmiers
à des tempéraments faibles eù applique lui-même tel
autre à de plus robustes, pour rétablir ou ma.intenir leur
santé? Tout en restant, e.lle-même, sans varier le moins
dtt mondc dans sri naturc, la
méclccine varic scs pres-
criptions selon les malades, parce que notre santé varic.
Ainsi la Providence divine, elle-môme absolument
immuable, emploie cependant dcs procédés divcrs pour
venir en aide à la créature muable et, d'après les maladies, prcscrit ou défend ici telles actions eù là telles
autres, afin que 'les créatures défaillantes, c'est-à-dire
penchanb vers le néant, soient arrachées à l'infirmité
qui entraîne leur mort ct à Ia morb mêne, ct fcrmement
réta,blies clans leur condition naturclle.
T.o. J-
c{-'o' 1. > cfcn , Vft I
cisE
Tl?s-3s -lff.
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