M I S E A U P O I N T Fibrillation auriculaire chronique persistante : faut-il réduire ou faut-il ralentir ? ● C. Sebag*, T. Lavergne** Mots-clés : Fibrillation auriculaire - Fibrillation auriculaire : indications thérapeutiques. C ette question est bien ancienne et se pose en fait depuis que l’on sait influer sur le cours d’une fibrillation auriculaire (FA) par voie médicamenteuse ou par voie électrique. Toutefois, le problème n’est toujours pas résolu. Il existe certes des avantages évidents au maintien du rythme sinusal, mais lorsque celui-ci impose un traitement antiarythmique, le rapport bénéfice/risque de cette stratégie, comparé à celui du maintien de la FA (éventuellement ralentie par un traitement adapté), n’est pas encore bien évalué en termes de morbidité, de mortalité, de qualité de vie et de coût (1). Dans les années à venir, des études multicentriques randomisées pourront peut-être permettre de répondre, au moins partiellement, à la question. ASPECTS ÉVOLUTIFS DE LA FIBRILLATION AURICULAIRE On distingue généralement différents aspects évolutifs de la fibrillation auriculaire (2). ✔ La FA aiguë correspond à un premier accès de FA survenu récemment (moins de 24 heures), qui, après réduction, restera généralement isolé, et qui est très souvent favorisé par une cause aiguë. ✔ La FA chronique comporte elle-même 3 formes : · La FA paroxystique évolue par accès, se terminant spontanément en moins de 7 jours, mais a tendance à récidiver. · La FA persistante durerait spontanément plus de 7 jours ; sa réduction nécessite une intervention thérapeutique, mais elle peut éventuellement récidiver ultérieurement. · La FA permanente a ou non résisté aux tentatives de réduction, et, de toute façon, ne sera volontairement pas réduite. Ainsi, la question de ralentir ou de réduire ne se pose en pratique que pour la FA chronique persistante. * Service de cardiologie, hôpital Antoine-Béclère, Clamart. ** Service de cardiologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. La Lettre du Cardiologue - n° 342 - février 2001 MAINTIEN DE LA FIBRILLATION AURICULAIRE Cette option consiste, si nécessaire, à ralentir la fréquence cardiaque à l’aide de drogues dromotropes négatives au niveau nodal, éventuellement associées, si elles sont trop bradycardisantes, à l’implantation d’un stimulateur cardiaque. Cette technique est généralement suffisante, quitte à utiliser des associations plus ou moins complexes. Toutefois, en cas d’échec ou d’effets secondaires du traitement, on peut être amené à proposer une modulation ou une ablation de la jonction auriculo-ventriculaire, suivie de la mise en place d’un stimulateur cardiaque. Pour l’instant, en France, et de façon purement empirique, cette stratégie résulte de contre-indications de la réduction et/ou du traitement antiarythmique préventif : – Intoxication digitalique, hypokaliémie, hyperthyroïdie, FA postchirurgie cardiaque, mais ces contre-indications ne sont généralement que temporaires. – Présence persistante de thrombus intra-auriculaires gauches à l’ETO. – Surtout, FA multirécidivante avec inefficacité et/ou intolérance aux antiarythmiques, ou lorsque ceux-ci sont contre-indiqués. – Cardiopathie très évoluée, insuffisance cardiaque décompensée (sauf si celle-ci est favorisée ou créée par la FA) ou encore dilatation auriculaire gauche majeure ; toutes ces circonstances majorent considérablement les risques d’échec et/ou d’effets secondaires de la cardioversion et des traitements antiarythmiques au long cours. – Il existe en outre un certain nombre de patients qui supportent très bien leur FA et qui vivent très mal le retour en rythme sinusal, du fait d’une dysfonction sinusale associée ou de salves d’extrasystoles auriculaires gênantes. Plutôt que de leur proposer un pacemaker, il est parfois préférable de les laisser en FA permanente. Certains esprits provocateurs ont même proposé, dans ces cas, l’implantation de “fibrillateurs auriculaires”. – Enfin, chez les sujets très âgés, ou lorsque la FA est ancienne et bien tolérée, le consensus général est en principe de la respecter. RÉDUCTION DE LA FIBRILLATION AURICULAIRE ET MAINTIEN DU RYTHME SINUSAL Cette stratégie consiste à réduire la FA (avec les précautions d’usage, notamment la prévention des accidents thromboembo27 M I S E A U P O I N T liques) par voie électrique ou éventuellement médicamenteuse (si elle est récente), puis à entamer un traitement antiarythmique préventif, sauf s’il s’agit d’un premier accès. En cas d’échec, d’autres possibilités thérapeutiques peuvent être envisagées : – Stimulateur auriculaire simple, surtout si la FA est favorisée par une bradycardie ou des pauses sinusales, ou stimulateur bi-atrial en cas de désynchronisation interauriculaire importante (quoique l’intérêt de ce mode de stimulation sur la prévention des récidives de FA n’ait pas encore été prouvé) (3). – Ablation par radiofréquence en cas de FA focale (4). – Le recours au défibrillateur auriculaire (5) et à la chirurgie antiarythmique auriculaire (6) reste encore exceptionnel. Cette option doit être systématiquement envisagée en cas de premier accès de FA ou d’accès relativement rares, si les risques de récidive sous traitement antiarythmique paraissent modérés et si les risques d’effets secondaires du traitement antiarythmique sont a priori faibles. En cas de récidives, il est classique de s’accorder deux ou trois nouvelles tentatives avec des traitements antiarythmiques bien conduits. Dans certaines situations, il est particulièrement important de rétablir le rythme sinusal : – En cas de cardiomyopathie hypertrophique (CMH), on sait que la FA est souvent hémodynamiquement mal tolérée. – Lorsque le risque thromboembolique est notable et le traitement anticoagulant au long cours est problématique, il faut maintenir le rythme sinusal à visée antithrombotique, objectif qui est toutefois très aléatoire. – Chez les patients porteurs de stimulateurs à visée hémodynamique (stimulateur DDD en cas de cardiomyopathie obstructive ou stimulateur biventriculaire en cas d’insuffisance cardiaque), le passage en FA fait perdre le bénéfice de la contribution auriculaire et de la stimulation ventriculaire si la fréquence cardiaque spontanée est rapide. Le problème de l’insuffisance cardiaque reste difficile à résoudre. C’est une situation dans laquelle le rétablissement du rythme sinusal est particulièrement indiqué, mais c’est aussi souvent un terrain particulièrement exposé aux récidives et aux effets proarythmiques des traitements antiarythmiques, dont le choix est ici de toute façon limité. 28 COMPTE TENU DES CONNAISSANCES ACTUELLES, DE QUEL CÔTÉ LA BALANCE PENCHE-T-ELLE ? Certes, les travaux de l’équipe d’Allessie (7) ont montré que le rétablissement du rythme sinusal, d’autant plus qu’il est précoce, prévient le remodelage auriculaire, lui-même responsable de la pérennisation de la FA. Mais de nombreuses inconnues persistent : Quels sont les risques réels de la cardioversion, en termes de troubles du rythme et surtout d’accidents thromboemboliques ? Ce risque peut-il être sensiblement réduit par la pratique systématique de l’ETO ? Il est certes prouvé qu’une AC/FA persistante et rapide peut induire une myocardiopathie rythmique, et que le rétablissement du rythme sinusal, lorsqu’il est possible, permet souvent une amélioration notable de la symptomatologie fonctionnelle et de la fonction ventriculaire gauche (8). Mais quelle est la part respective du rétablissement de la contribution auriculaire, du ralentissement et de la régularisation des cycles ventriculaires dans cette amélioration ? La réponse n’est pas, à l’heure actuelle, formellement établie, bien que les résultats des études portant sur l’ablation de la jonction nodo-hisienne en cas de TA-FA réfractaires indiquent que les deux derniers facteurs jouent probablement un rôle important. Quelle est actuellement l’efficacité réelle des antiarythmiques dans le maintien du rythme sinusal au long cours ? Des résultats un peu anciens font état de 50 % environ de maintiens du rythme sinusal à un an. L’amiodarone semble avoir une efficacité supérieure à celle des antiarythmiques de classe I, mais au prix d’une toxicité non négligeable lors des traitements prolongés. Ces résultats pourraient même être surévalués, étant donné la fréquence des épisodes asymptomatiques. D’ailleurs, les contrôles holter répétés montrent qu’assez souvent le traitement antiarythmique permet seulement une diminution de la fréquence et de la durée des accès de FA, et non leur éradication complète. Jusqu’à quel point le rétablissement du rythme sinusal permet-il de diminuer le risque thromboembolique ? Certes, la FA, qui favorise la dilatation de l’oreillette gauche et l’activation plaquettaire, multiplie ce risque par 5,5 en l’absence de valvulopathie rhumatismale, et par 18 en cas de valvulopathie La Lettre du Cardiologue - n° 342 - février 2001 M rhumatismale (9). Mais le rétablissement du rythme sinusal permet-il, à terme, de se passer d’un traitement anticoagulant, dont on connaît par ailleurs les risques, surtout chez les sujets âgés ? On a vu que les récidives de FA sous traitement antiarythmique sont loin d’être rares. En outre, un certain nombre d’accidents thromboemboliques peuvent être indépendants de la FA et en rapport avec la cardiopathie sous-jacente ou le terrain vasculaire associé. Qu’en est-il de la fréquence et de la gravité des effets secondaires des traitements associés ? ✔ Antiarythmiques : risque de troubles du rythme ventriculaire, notamment de torsades de pointe, de flutters à transmission ventriculaire rapide ou de bradycardies sévères, ou encore de dépression de l’inotropisme, sans oublier les complications propres de l’amiodarone. ✔ Drogues dromotropes négatives (dont certaines sont également inotropes négatives [bêtabloquants, inhibiteurs calciques]) : elles peuvent aussi induire des bradycardies graves nécessitant la pose d’un pacemaker. L’ablation par radiofréquence de la jonction auriculo-ventriculaire, quant à elle, rend les patients dépendants de leur stimulateur cardiaque, et on sait qu’elle est responsable d’un certain nombre de morts subites. Quel est l’impact de chacune des deux options sur la mortalité ? Certes, l’étude de Framingham a montré que l’existence d’une FA multiplie par deux le risque de mortalité (10). Logiquement, ce risque s’avère d’autant plus élevé que la fraction d’éjection est altérée ; mais il paraît essentiellement lié à la survenue d’accidents vasculaires cérébraux : que devient-il sous traitement anticoagulant bien conduit ? Certaines études [AFASAK (11), BAATAF (12)], font état d’une diminution significative de la mortalité sous traitement anticoagulant. Par ailleurs, il n’est pas prouvé que le rétablissement et le maintien du rythme sinusal sous antiarythmique contribuent à diminuer ce risque. La fameuse méta-analyse de Coplen (13) et l’étude SPAF (14) font état d’une surmortalité chez les patients recevant des antiarythmiques de classe I. Toutefois, la méthodologie de l’étude Coplen est très sujette à caution, et il est certain que bon nombre de patients, avec les nouvelles recommandations, n’auraient maintenant pas reçu ce type d’antiarythmique. Dans l’insuffisance cardiaque, les résultats actuels sont également très parcellaires et parfois contradictoires. Il est en effet impossible à l’heure actuelle de savoir si, sur ce terrain, le maintien du rythme sinusal est associé à une réduction de mortalité. Il semble toutefois que l’amiodarone augmente les chances de se maintenir en rythme sinusal à un an, et que son effet sur la mortalité soit neutre ou légèrement favorable (15, 16). Enfin, il n’y a pas encore de résultats probants concernant les effets de chaque option thérapeutique sur la symptomatologie fonctionnelle et la qualité de vie, le nombre d’hospitalisations et le coût global pour la santé publique. Deux études permettront peut-être de répondre à certaines de ces questions L’étude PIAF (17) : il s’agit d’une étude pilote multicentrique réalisée en Allemagne chez des patients ayant une fibrillation auriculaire de plus de 7 jours et de moins de 360 jours. Les patients sélectionnés sont randomisés en deux groupes : La Lettre du Cardiologue - n° 342 - février 2001 I S E A U P O I N T – Maintien de la FA et contrôle de la fréquence cardiaque par diltiazem, éventuellement associé, en cas d’échec, à d’autres médicaments dromotropes négatifs, voire ablation par radiofréquence de la jonction AV. – Rétablissement du rythme sinusal et maintien de celui-ci par amiodarone. Les deux groupes de patients sont maintenus systématiquement aux anticoagulants. L’étude pilote portant sur 252 patients suivis pendant 12 mois vient de s’achever : des résultats préliminaires ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre les deux options thérapeutiques sur la symptomatologie fonctionnelle. Mais cette étude doit servir de tremplin à une étude de plus grande envergure dans laquelle la morbi-mortalité pourra être évaluée. L’étude AFFIRM (18) : il s’agit d’une très grande étude réalisée aux États-Unis et au Canada chez des patients présentant une FA ayant duré plus de 6 heures et dont la survenue remonte à moins de 6 mois. Elle prévoit l’inclusion de 5 300 patients de plus de 65 ans, ou ayant un autre facteur de risque thromboembolique. Le suivi prévu est de 3 ans. Les patients sont randomisés en deux groupes : – Maintien de la FA et contrôle de la fréquence cardiaque par voie médicamenteuse (toutes les possibilités de traitements, voire d’associations, sont autorisées) ; en cas d’échec, ablation ou modulation de la jonction auriculo-ventriculaire par radiofréquence. Dans ce groupe, le traitement anticoagulant est systématiquement poursuivi. – Maintien du rythme sinusal par traitement antiarythmique (là encore, toutes les possibilités de traitements sont autorisées, et même le recours à des moyens non médicamenteux : stimulation cardiaque, radiofréquence, chirurgie). Dans ce groupe, la poursuite du traitement anticoagulant n’est pas obligatoire. L’intérêt de cette étude est qu’elle laisse, pour chaque stratégie, une assez grande liberté de choix thérapeutiques au praticien. Les résultats de l’étude AFFIRM sont prévus pour le début de l’année 2002. Ils doivent porter sur la mortalité globale, la survenue d’accidents vasculaires cérébraux, la qualité de vie et le coût global. CONCLUSION : RALENTIR OU RÉDUIRE ? Il n’y a toujours pas de réponse univoque à cette question. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte, et tout algorithme décisionnel risque d’être trop simplificateur. Le choix thérapeutique reste encore dicté par le contexte particulier de chaque patient et par l’expérience personnelle du thérapeute. En attendant les résultats des grands essais en cours, qui permettront peutêtre d’apporter quelques réponses sur le sujet... ou de soulever de nouvelles questions. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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