tribunes Essais cliniques en situation d’urgence, ne régressons pas par Philippe Juvin L a Commission européenne a publié en juillet 2012 son nouveau projet de règlement relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Je soutiens ce projet de règlement, qui se fonde sur les principes d’harmonisation et de simplification des procédures et qui garantit, dans le même temps, un haut niveau de protection des patients et de fiabilité des données. Il est urgent de réviser la directive 2001/20/CE. En effet, la recherche clinique européenne se meurt. Elle doit faire face à de nombreux dysfonctionnements : diminution de plus de 25% du nombre de demandes d’essais cliniques entre 2007 et 2011, diminution du nombre de patients inclus dans les essais cliniques, tendance croissante à la délocalisation de la recherche clinique européenne vers des pays tiers, augmentation de la charge administrative et des coûts liés à l’évaluation et à la conduite des essais cliniques multicentriques. L’une des principales avancées de ce projet de règlement est la rédaction d’un article spécifique sur les essais cliniques en situation d’urgence (article 32 du projet de règlement). Dans la législation française, ces cas sont couverts depuis 1988 et repris par la loi Jardé de 2012, loi qui va même plus loin puisqu’elle couvre les cas d’urgence « vitale immédiate » et permet une dérogation supplémentaire. En droit français, l’article L-1122-1-1 du Code de la santé publique (CSP) dispose qu’il est obligatoire de recueillir le consentement préalable libre, éclairé et écrit du patient avant la conduite de toute recherche biomédicale. Cependant, l’article L-1122-1-2 prévoit des dispositions dérogatoires au principe du consentement préalable pour les essais cliniques en situation d’urgence. Il autorise les médecins à inclure un patient dans un protocole de recherche en situation d’urgence sans son consentement préalable. En contrepartie, le législateur a assorti cette dérogation de plusieurs conditions protectrices. Les dispositions dérogatoires prévues par le CSP sont indispensables pour le maintien de la recherche biomédicale en situation d’urgence qui ne peut se plier aux règles du consentement préalable. Il est en pratique la revue du trombinoscope l Avril 2013 Philippe Juvin quasi impossible de respecter les dispositions de l’article L-1122-1-1 du CSP, et ce pour deux raisons principales. Tout d’abord, l’état des patients qui se trouvent pour la plupart hors d’état de consentir. En outre, il y a une inadéquation entre la fenêtre d’inclusion des patients dans un protocole de recherche en situation d’urgence souvent très courte (de quelques minutes à quelques heures seulement) et la procédure d’information et de recueil du consentement, nécessairement plus longue. Il y a une inadéquation entre la fenêtre d’inclusion des patients dans un protocole de recherche en situation d’urgence souvent très courte [...] et la procédure d’information et de recueil du consentement, nécessairement plus longue À la lecture de l’exposé des motifs, l’approche du règlement européen semble très positive pour le maintien de la recherche clinique européenne en situation d’urgence. Néanmoins, après une lecture plus approfondie, plusieurs dispositions de l’article 32 du projet de règlement me semblent être problématiques et en complète contradiction avec les situations d’urgence auxquelles doivent faire face les investigateurs en réanimation. En pratique, le maintien de ces dispositions dans le texte final représenterait un recul inacceptable pour la France. Je citerai les deux plus problématiques. L’article 32.1 b) dispose qu’un essai clinique en situation d’urgence peut être conduit sans le consentement préalable du participant si « aucun représentant légal n’est disponible ». Or, cette disposition est trop restrictive car elle ne prend pas en compte les cas d’urgences vitales immédiates, cas dans lesquels même lorsque la famille est présente, l’urgence est telle qu’il est techniquement impossible pour l’investigateur de solliciter le consentement de la famille. L’article 32.1 e) dispose qu’un essai clinique en situation d’urgence peut être conduit s’il « comporte un risque minimal, et impose une contrainte minimale pour le participant ». Cette disposition est irréaliste. Limiter les cas de recherches en situation d’urgence à celles ne comportant qu’un risque minime ne prend pas en compte les situations concrètes auxquelles doivent faire face les médecins en réanimation. Cette disposition exclurait de façon automatique toutes les recherches sur des produits innovants. Les médicaments utilisés dans le cadre de l’urgence sont forcément associés à des risques plus que minimes, puisqu’il s’agit de maintenir les fonctions vitales dans un contexte de défaillance majeure. Pour ces cas d’urgence, il est indispensable de prendre en compte la balance risques/bénéfices. L’enjeu sur les essais cliniques en situation d’urgence étant de taille, je ferai tout mon possible, au cours des négociations, pour que ce projet de règlement s’aligne sur la loi Jardé de 2012. 29