Kinixys erosa - Le Refuge des Tortues

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Résumé
Kinixys erosa est une tortue terrestre inféodée aux
forêts primaires d’Afrique. Elle n’est pas très commune en captivité où sa reproduction est exceptionnelle. Cette note tient compte de l’expérience
de l’un des deux auteurs (D.M) qui maintient cette
espèce en captivité depuis quatre ans.
Mots-clés
Kinixys erosa, Afrique, forêt primaire, comportement, maintenance, captivité.
1. Introduction
La répartition géographique de Kinixys erosa est
liée à celle de la forêt primaire d’Afrique. Elle est
présente dans les pays suivants : Sierra Leone,
Liberia, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun,
Guinée Équatoriale, Gabon, Centrafrique, Congo
Brazzaville, Congo Kinshasa et Ouganda (Villiers,
2006
T
EP
Note sur la maintenance
en captivité de Kinixys erosa (Schweigger,1812)
(Reptilia, Chelonii, Testudinidae)
JÉRÔME MARAN* ET DAVID MANCEAU**
grès FF
on
1958 ; Iverson, 1992 ; Vetter, 2002 ; Luiselli & al.,
2000 ; Maran, 2004 ; Maran & Pauwels, 2005 ;
Chirio, L. & Ineich, I. 2006). Elle vit exclusivement
dans la forêt dense humide sempervirente (PerezVera, 2003). Cette zone géobotanique est caractérisée par l’omniprésence des légumineuses. Le
degré d’hygrométrie est constamment élevé et les
pluies sont abondantes (supérieures à 1600 mm).
La saison sèche ne dure que 1,5 à 2 mois et est
peu marquée. Son milieu de vie est caractérisé par
une humidité importante (presque toujours à saturation) et une luminosité faible (pénombre de la
grande forêt). La Cinixys rongée passe la plus
grande partie de son temps profondément enfouie
dans les vieux troncs en décomposition, dans les
terriers inoccupés ou sous de gros tas de feuilles
mortes. Elle est active principalement la nuit
(Naulleau, 1988 ; Maran & Pauwels, 2005) ou de
jour pendant une averse soutenue. Elle n’hésite
Biotope. Mozaïque forêt savane (Gabon).
Kinixys erosa. Portrait d’un mâle adulte (Gabon).
Photos Jérôme Maran.
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En haut : Kinixys erosa. Femelle adulte dans un milieu
marécageux (Gabon).
Ci-contre :
Nouveau-né encore doté de la dent de l’œuf (Gabon).
Ponte (Gabon). Photos Jérôme Maran.
pas à traverser les savanes pour atteindre une
nouvelle zone forestière. Kinixys erosa se baigne
régulièrement et sa fréquentation des milieux
marécageux est attestée par la présence de sangsues sur ses parties molles. Kinixys erosa n’a pas
fait l’objet d’un commerce important bien qu’elle
ait été fréquemment proposée à la vente. Ses exigences en matière de maintenance, sa discrétion
et son extrême fragilité l’ont quelque peu préservée des appétits lucratifs des marchands de reptiles. Mais c’est vraisemblablement parce qu’elle est
rare dans les principaux pays africains exportateurs de reptiles (Togo, Bénin, Ghana) qu’elle n’a
pas figuré, au même titre que sa cousine la Cinixys
de Bell de l’Ouest (Kinixys belliana nogueyi), au
palmarès des espèces les plus commercées. De
ce fait, peu d’informations sont disponibles sur la
maintenance de cette espèce en captivité où sa
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reproduction a été très rare (Blackwell, 1966 ;
Brown & George, 1994 ; Woods). En revanche, de
nombreux travaux ou témoignages écrits ont permis d’affiner considérablement notre connaissance sur son éco-éthologie et sa répartition (Akani &
al., 2004 ; Broadley, 1989 ; Gramentz, 2001 ;
Lawson, 2000 ; Lawson, 2001 ; Lenglet & Colyn,
1989 ; Luiselli & al., 2000 ; Luiselli, 2003a, 2003b,
2003c, 2004, 2005 ; Luiselli & al., 2003 ; Maran,
2004 ; Maran & Pauwels, 2005 ; Naulleau, 1988).
Kinixys erosa est classée en annexe II de la
Convention de Washington et en annexe B du
règlement communautaire. Depuis les arrêtés du
10 août 2004, son élevage en captivité nécessite
en France l’obtention d’un certificat de capacité.
L’avenir de la Cinixys rongée dépend étroitement
de la préservation de son habitat. Les pressions
anthropiques (déforestation et chasse) fragilisent
ou entraînent sa disparition progressive de certaines régions d’Afrique. C’est dans sa partie occidentale (de la Sierra Léone au Ghana) que son statut est le plus critique (Maran, 2004). Elle y est
considérée comme rare (présence à confirmer au
Togo et au Bénin) ou localisée aux derniers domaines forestiers existants (aires protégées, forêts
galeries, parcs et réserves). Kinixys erosa demeure commune là où les forêts sont le mieux préservées (en Afrique équatoriale : Gabon, Congo
Brazzaville, Congo Kinshasa). L’un des deux
auteurs (D.M) élève depuis plusieurs années un
couple de Kinixys erosa. La finalité de cette note
est de partager cette expérience en espérant
qu’elle soit utile à d’autres particuliers susceptibles
un jour d’élever la Cinixys rongée en captivité.
mm et un poids de 1785 grammes. Le mâle atteint
une longueur de 295 mm, une largeur de 160 mm,
une hauteur de 87 mm et un poids de 2305 grammes. Le dimorphisme sexuel est nettement marqué. Le mâle est plus grand que la femelle. Il
atteint une taille de 375 mm de long (Lenglet &
Colyn, 1989) alors que la plus grande femelle
connue mesure 320 mm (Maran & Pauwels, 2005).
Il est moins large et moins haut. Son plastron est
concave (plat chez la femelle) et sa queue, plus
épaisse à sa base et plus longue, se termine par
une griffe. Il possède aussi une fourche gulaire prononcée utilisée lors des affrontements entre mâles
rivaux.
2.2 Conditions d’élevage
Les tortues sont maintenues dans un terrarium qui
mesure 115 centimètres de longueur, sur 100 centimètres de largeur et 50 centimètres de hauteur.
Des aérations, permettant un renouvellement
régulier de l’air, sont présentes sur le dessus. La
Le couple Kinyx erosa en élevage. Le mâle (à droite)
est probablement originaire du Cameroun, la femelle
du Congo Kinshasa. Photos David Manceau.
2. Méthode
2.1 Spécimens étudiés
Le cheptel se compose d’un couple de tortues
adultes qui est élevé au domicile de l’un des deux
auteurs (D.M). Les deux tortues ont été récupérées
de manière fortuite. La femelle, originaire du Congo
Kinshasa, a été donnée au mois de décembre
2002 par un particulier qui souhaitait s’en défaire.
Le mâle a été confié en décembre 2003 par les
services douaniers de l’aéroport Charles De Gaulle
à Paris. La tortue a été saisie dans les bagages
d’un passager qui revenait d’un voyage au
Cameroun. La femelle mesure 250 mm de long
pour une largeur de 153 mm, une hauteur de 90
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façade est vitrée. Le substrat est composé d’une
couche de terreau recouvert par des plaques de
mousse humide de forêt. Une zone aquatique de
trois centimètres de profondeur occupe un tiers du
terrarium. La température de l’eau oscille entre
24°C le jour et 20°C la nuit. Un câble chauffant de
50 watts est enterré sous le substrat. Il est allumé
dix heures par jour. La température est de 24°C au
sol et de 23°C pour l’air ambiant. Elle s’abaisse la
nuit et se stabilise autour de 20°C. L’hygrométrie
est constamment à saturation (100%) toute l’année. Jusqu’à présent, aucune saison sèche n’a été
reproduite. Le terrarium est dépourvu de spot ou
de néon. La façade vitrée laisse passer la lumière
naturelle qui est de faible intensité. Ainsi, les tortues vivent dans une pénombre sensiblement
égale à celle de la forêt primaire.
2.3 Alimentation
Kinixys erosa possède un régime alimentaire omnivore (Luiselli, 2003a ; Maran, 2004 ; Maran &
Pauwels, 2005). Dans la nature, elle se nourrit de
champignons, végétaux et fruits divers tombés à
terre (notamment des noix de palmes), araignées,
insectes et leurs larves, iules, vers de terre, escargots (Achatinidae : Achatina sp.). Elle ingère aussi
des feuilles et divers débris végétaux (fragments de
feuilles) ou de minéraux (petits cailloux). En captivité, son alimentation est distribuée deux à trois fois
par semaine. Elle se compose de champignons de
Paris, Pleurotes, bananes, mangues, kakis, fruits
de saison, escargots, vers de terre et souriceaux.
Cette espèce apprécie particulièrement l’eau. Le
mâle et la femelle se baignent beaucoup et parfois
s’endorment même dans l’eau.
Kinyx erosa en élevage. Photo David Manceau.
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3. Résultats
3.1 Comportement
Le comportement des tortues demeure identique
toute l’année. Ces dernières passent la majorité de
leur temps dans leur cachette. Elles se déplacent
peu mais de manière quotidienne, surtout le matin,
le soir et la nuit. Aucune agressivité n’a été notée
entre la femelle et le mâle, même au moment des
repas. Ce dernier accompagne souvent sa partenaire dans ses déplacements mais sans lui manifester un quelconque intérêt (pas de tentative d’accouplement).
Les deux tortues ont été élevées séparément dans
un petit terrarium (110x40x40cm) pendant une
année. Les conditions de maintenance (température, substrat, humidité) étaient exactement les
mêmes que celles pratiquées actuellement. Après
cette longue période de quarantaine, elles ont été
réunies dans le terrarium décrit plus haut (voir
« Conditions d’élevage »). Cette vie commune a
occasionné un bouleversement momentané du
comportement des animaux : arrêt brutal de l’alimentation et des déplacements pendant cinq
mois. Passée cette longue période de trouble, les
tortues ont repris une activité normale. Elles se
sont alimentées et ont pris du poids.
30,5 grammes (Maran & Pauwels, 2005). Les nouveau-nés sont caractérisés par des marginales fortement dentelées qui deviennent de plus en plus
lisses avec l’âge.
4. Conclusion
Espèce craintive par excellence, Kinixys erosa a
surtout besoin de tranquillité en captivité. La réussite de son élevage passe avant tout par le respect
de ses exigences écologiques (hygrométrie élevée,
faible luminosité, température peu importante, alimentation équilibrée, mise à disposition d’un point
d’eau et de nombreuses cachettes). Sa reproduction est possible à condition de séparer les tortues
sur une longue période et en les réunissant une à
deux fois par an. La rencontre des deux sexes est
accompagnée par une augmentation soudaine de
l’hygrométrie (par le biais de pulvérisations) de
manière à recréer la saison des pluies. La maintenance groupée de plusieurs tortues dans un même
bac annihile tout processus reproductif. Il faut sans
cesse garder à l’esprit que dans leur biotope d’origine, les Cinixys rongées sont des animaux solitaires qui se rencontrent en de rares occasions.
Si cette note fait état d’une maintenance réussie de
Kinixys erosa en captivité, en revanche elle souligne
l’absence de comportement sexuel (parade,
accouplement et ponte) des tortues élevées. La
phase d’acclimatation terminée, la prochaine étape
consistera à séparer le mâle de la femelle dans des
terrariums distincts pendant plusieurs mois. Nous
espérons ainsi provoquer des accouplements une
fois les tortues réunies dans un même bac. ◗◗
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier les personnes
suivantes (par ordre alphabétique) :
Marc Asensio, Claude Nottebaert, Loïc Rumelard,
Sandrine Serpol et Aline Turbin.
Auteurs
*[email protected] ;
**[email protected]
Liste de discussion sur les Kinixys :
www.group.yahoo/group/kinixys.
Site internet du groupe d’élevage de la FFEPT :
www.ffept.org/GEK
Kinyx erosa. Accouplement en forêt (Gabon). Photo Jérôme Maran.
3.2 Reproduction
Pour l’instant, aucun accouplement et aucune
ponte n’ont été observés. La réussite de la reproduction de cette espèce en captivité semble passer avant tout par une longue période d’adaptation. Dans la nature, les accouplements sont
déclenchés dès que les deux sexes se rencontrent
notamment pendant la saison des pluies. Cette
période est marquée par une activité soutenue des
tortues qui ont, au cours de leurs déplacements
incessants, plus de chance de rencontrer un partenaire. Pendant le coït, le mâle pousse des petits
cris. Les pontes sont étalées sur l’année. Il ne
semble pas que la femelle creuse un trou pour y
enterrer ses œufs. Elle en dépose de 1 à 10 en une
seule fois sous un tas de végétaux. Les œufs,
légèrement aplatis, à coquille dure et uniformément blancs, mesurent de 38 à 45 mm de long
pour une largeur de 36 à 39 mm, une hauteur de
31 mm à 34 mm et un poids compris entre 27 et
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