L’ascension de la Chine À l’aube d’un printemps chinois ? Dans un pays que l’on considère être l’atelier du monde, l’ascension de la Chine est loin de faire l’unanimité auprès de l’opinion publique, car l’idéologie du Parti communiste chinois semble contraire aux principes des droits et libertés chères aux populations occidentales. De l’admiration à la méfiance, le seul consensus chez les spécialistes est la perception que la Chine poursuit son ascension parmi les grandes puissances mondiales. KIM GAUTHIER GERVAIS Candidate à la maitrise en Étude internationales Université Laval [email protected] Dans un pays que l’on considère être l’Atelier du monde, l’ascension de la Chine est loin de faire l’unanimité auprès de l’opinion publique, car l’idéologie du Parti communiste chinois semble contraire aux principes des droits et libertés chères aux populations occidentales. De l’admiration à la méfiance, le seul consensus chez les spécialistes est la perception que la Chine poursuit son ascension parmi les grandes puissances mondiales. compréhension de la part de la communauté internationale qui conçoit mal comment un peuple d’environ 1,4 milliard d’habitants puisse accepter des conditions contraires à celles préconisées dans un système démocratique. Ainsi, nombreux sont ceux qui critiquent l’écart démesuré entre les riches des zones côtières et les pauvres du Centre et l’Ouest du pays. Les disparités économi- Constitution, ni dans les lois du pays, cette institution fondamentale repose sur un système qui compile le lieu de résidence de tous les citoyens chinois. Aujourd’hui, les déplacements sont désormais tolérés pour satisfaire les besoins de main-d’œuvre, mais l’obtention des prestations de l’État est toujours soumise à l’autorité administrative du lieu d’enregistrement d’origine. Des initiatives, notamment concernant l’accès à la scolarité des enfants ayant quitté leur zone administrative, ont été mises en place par la Loi sur l’instruction obligatoire de 2006. Elle garantit le droit des enfants migrants à intégrer les écoles de leur lieu de résidence effectif et à profiter des mêmes conditions que les autres élèves. Or, malgré les mesures provisoires, ces règlements administratifs de gestion territoriale ont pour effet de limiter radicalement les droits des citoyens en déplacement. en juillet 2011). Ainsi, une politique largement critiquée depuis son instauration, fondée sur l’incitation et la mise en place de règlementations , aura permis un contrôle efficient de la croissance démographique de la Chine. Par ailleurs, dans une Chine qui vieillit au même rythme qu’elle évolue (221 millions de citoyens âgés de plus de 60 ans d’ici 2015), la politique de l’enfant unique soulève désormais des doutes. Avec l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, Mao a mis en place une politique nataliste dans le but d’augmenter le poids démographique de la Chine à l’échelle mondiale. On appelait d’ailleurs les femmes ayant plus de dix enfants les « mamans d’honneur ». Dès 1978, avec la prise de pouvoir de Deng Xiaopin, l’État prend des mesures draconiennes pour gérer l’accroissement de la population et adopte une politique de contrôle des naissances. Une dernière observation reste possible : dans un climat de liberté limitée, le pouvoir doit s’appuyer davantage sur les réformes économiques et sur la croissance pour légitimer ses actions. « La légitimité du parti dépend de la prospérité, non de l’idéologie », voilà ce que prône l’actuel gouvernement de Hu Jintao. Bien que l’accroissement des inégalités de revenus, la corruption et la hausse du chômage paraissent alarmants, le monde entier participe au progrès économique de la Chine. Ce parcours unique reflète une idéologie basée sur la stabilité politique. La spécialiste des pays émergents et économiste auprès du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, Françoise Lemoine, souligne qu’ : « il ne faut pas oublier que le 1er octobre 1949 célèbre ce que les communistes chinois appellent la Libération [et non la Révolution] ». L’avenir de la Chine Tenter de comprendre la Chine, c’est la considérer à la lumière d’une approche holistique qui prend en compte sa spécificité. Faut-il donner le temps à la Chine de gérer sa transition avant de la blâmer pour sa passivité quant à la mise en oeuvre de réformes en faveur de la reconnaissance des droits fondamentaux? Alors que certains Chinois sont engagés dans une bataille visant à faire respecter leurs droits et libertés, d’autres sont encore tentés de privilégier une réponse rapide aux besoins prioritaires de la population. Tenter de comprendre comment la Chine a réussi à se tailler une place de choix dans le système international, là où d’autres ont échoué, c’est saisir l’état actuel d’un monde multipolaire en pleine évolution. Un socialisme aux couleurs chinoises Le communisme est l’idéologie dominante en Chine depuis la victoire de Mao sur les forces du Kuomintang en 1949. Après l’échec de la révolution culturelle, le gouvernement chinois se détournera du système stalinien, sans toutefois se départir du monopole économique. Malgré cela, depuis 1978, la Chine est engagée dans une transition complexe d’une doctrine maoïste de lutte des classes à l’ouverture à l’économie du marché. Aujourd’hui, force est de constater que l’emprise du Parti communiste chinois sur les principaux leviers économiques et politiques façonne la réalité du pays. M. Qu Xing, président de l’Institut chinois des relations internationales, perçoit dans les réformes en cours un mouvement « qui fait passer [la Chine] de l’économie planifiée à l’économie de marché. » Il considère que la gouvernance du Parti communiste chinois est salutaire puisqu’il la conçoit comme étant le reflet de la volonté du peuple et qu’elle permettra à terme de maintenir la stabilité, l’unité et l’harmonie du pays. C’est dans ce contexte que le nouveau modèle économique a été mis en place et que l’on parle aujourd’hui de « socialisme aux couleurs de la Chine ». Cette particularité du modèle de gouvernance chinois s’illustre par ce dicton : « Le peuple est comme l’eau qui peut porter un bateau, mais aussi le renverser ». En conséquence, l’État s’attribue le rôle de médiateur de manière à fournir un équilibre entre le gouvernement et le peuple pour ainsi éviter le désordre social. Le rôle de l’État : pour le meilleur et pour le pire Cette Chine qui affirme défendre les intérêts de son peuple, génère beaucoup d’in- JJD.COM ques et sociales sont telles que des millions de Chinois vivent toujours sous le seuil de la pauvreté et n’ont pas accès à l’eau potable. À l’ombre des grosses villes telles que Pékin et Shanghai, les paysans délocalisés ont peine à survivre malgré la stratégie de développement rural et les réformes économiques en général qui tardent à améliorer les conditions des populations désœuvrées. De fait, l’adoption du système capitaliste a eu pour effet d’améliorer petit à petit le niveau de vie des Chinois, mais aussi de creuser les inégalités. Or, l’exode rural amène plus de 10 à 20 millions de paysans dans les centres urbains par an. Les villes continuent ainsi de prendre de l’expansion malgré le climat inégalitaire et où l’État est incapable de répondre aux demandes sociales. Comme l’État redoute d’être confronté à une migration interne incontrôlable, il maintient le système de domiciliation (Hukou), la clé de voute du système maoïste créé en 1958. N’apparaissant ni dans la Volume 6 - Numéro 4 - Décembre 2011 Bien que cette politique heurte les valeurs de certains, elle aurait permis d’éviter la naissance de 400 millions de personnes depuis sa mise en place. Un fait intéressant lorsque l’on considère que ce nombre équivaut à 11 fois et demie la population actuelle du Canada (près de 35 millions d’habitants www.regardcritique.ulaval.ca 7