Crise aiguë thyrotoxique - Thyrotoxic storm

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diabétologie
Urgences en endocrinologie,
et maladies métaboliques
Crise aiguë thyrotoxique
Thyrotoxic storm
M. Klein*
Définition
La crise aiguë thyrotoxique (CAT)
est une exacerbation aiguë d’une
hyperthyroïdie pouvant mettre en
péril le pronostic vital. Elle est
généralement fatale en l’absence de
traitement. La mortalité de cette
complication reste comprise entre
10 et 30 % malgré le traitement.
Cadre de survenue
La CAT peut survenir dans trois
circonstances :
■ elle correspond à l’évolution spontanée d’une hyperthyroïdie méconnue
ou négligée, éventualité rare ;
■ elle est secondaire à un événement
qui interfère avec l’état hyperthyroïdien, exacerbant la symptomatologie
de façon brutale, paroxystique.
• Cet événement peut, lui-même,
représenter une épine irritative thyroïdienne :
– geste chirurgical thyroïdien ;
– irathérapie, ces deux circonstances
ne se rencontrant plus guère compte
tenu d’une meilleure préparation des
patients ;
– arrêt d’un traitement par antithyroïdiens ;
– traumatisme thyroïdien (palpation
trop vigoureuse) ;
– surdosage en hormones thyroïdiennes.
• Cet événement peut correspondre
à une pathologie extrathyroïdienne :
– infection ;
– poussée auto-immune ;
– complication aiguë d’un diabète ;
* Service d’endocrinologie, CHU de Nancy.
120
– traumatisme physique (fracture,
intervention chirurgicale extrathyroïdienne, etc.) ;
– stress psychologique ;
– complication cardiovasculaire
(infarctus du myocarde, décompensation cardiaque aiguë, accident
vasculaire cérébral, etc.) ;
– toxémie gravidique.
La pathogénie de la CAT peut, dès
lors, refléter une libération brutale
d’hormones thyroïdiennes ou témoigner d’une activation délétère du
système nerveux sympathique qui
potentialise l’effet des hormones
thyroïdiennes.
Diagnostic positif
Clinique
Souvent la symptomatologie correspond à une majoration des symptômes habituels d’hyperthyroïdie :
■ asthénie majeure ;
■ symptômes cardiocirculatoires :
• Tachycardie sinusale très rapide
ou tachyarythmie par fibrillation
auriculaire qui peut décompenser
un angor latent ou se compliquer
d’insuffisance cardiaque aiguë.
• Symptomatologie cardiaque hyperdynamique :
– hypertension artérielle systolique
avec pouls bien frappé ;
– éclat de B1, renforcement de la
composante pulmonaire de B2, souffle
systolique fonctionnel témoignant
du haut débit.
• Extrémités chaudes et érythémateuses, ce qui, dans un contexte
d’insuffisance cardiaque, doit faire
évoquer un débit élevé ;
■ symptômes divers :
• Tremblements.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
• Sueurs (qui peuvent être profuses,
ce qui doit attirer l’attention).
• Hyperthermie, quelquefois fièvre
pseudo-infectieuse.
Régulièrement, la symptomatologie
d’hyperthyroïdie, modeste, passe au
second plan, ce qui peut faire errer
le diagnostic lorsque d’autres symptômes dominent la scène :
■ des symptômes de la sphère
digestive :
• Nausées, vomissements, diarrhée.
• Hépatomégalie.
• Ictère de pronostic péjoratif.
■ des symptômes neurologiques :
• Faiblesse musculaire proximale ou
tableau myasthéniforme.
• Troubles des fonctions supérieures :
– fluctuation de l’humeur ;
– delirium ;
– stupeur ;
– coma.
C’est dans ces formes cliniques piégeuses, survenant généralement chez
des personnes âgées, que les symptômes thyroïdiens peuvent faire totalement défaut, y compris le goitre
qui peut être calme. C’est dans ce
contexte de difficultés diagnostiques
que certains ont élaboré des critères
diagnostiques qui ont été résumés
dans le tableau.
Biologique
Les dosages de TSH, T4L et si nécessaire de T3L, permettent de faire le
diagnostic d’hyperthyroïdie. La TSH
est effondrée, les hormones thyroïdiennes augmentées. Toutefois, leurs
valeurs ne diffèrent pas de celles
observées au cours des hyperthyroïdies tout venant et ne permettent pas
de diagnostic de gravité. Il ne faut
pas attendre leur résultat pour instaurer le traitement si le diagnostic
Première partie : thyroïde – parathyroïde
de CAT est évoqué. La glycémie et
la calcémie peuvent être élevées, et
le bilan hépatique peut témoigner
d’une cholestase.
nomènes de toxicité sympathique,
un phéochromocytome, un delirium
tremens et une encéphalopathie
toxique ou infectieuse.
Diagnostics différentiels
Conduite à tenir
Devant l’association d’une altération des fonctions supérieures, de
manifestations cardiovasculaires et
d’une fièvre, il conviendra d’évoquer
systématiquement un syndrome malin
des neuroleptiques, un syndrome
sérotoninergique, une intoxication
par les anticholinergiques, des phé-
Tableau. Critères diagnostiques de crise
thyrotoxique.
Température (°F)
Score
99-100
5
100-101
10
101-102
15
102-103
20
103-104
25
> 104
30
avec t°C = 5/9 (t°F-32)
Tachycardie
90-110
5
110-120
10
120-130
15
130-140
20
> 140
25
Insuffisance cardiaque congestive
absente
0
peu intense
5
modérée
10
sévère
15
Fibrillation auriculaire
10
Troubles des fonctions supérieures
absence
0
agitation
10
delirium
20
crise comitiale, coma
30
Troubles digestifs
absents
0
troubles fonctionnels
10
ictère
20
Cause déclenchante
0
0
+
10
Probabilité d’une crise thyrotoxique
Score :
> 45 = très vraisemblable
25-44 = probable
< 25 = peu vraisemblable
Prévention
Le traitement préventif repose sur le
repos et la prise en charge rapide et
efficace de l’hyperthyroïdie dès son
diagnostic. Le traitement symptomatique par les -bloquants a, en cela,
révolutionné la prise en charge des
hyperthyroïdies réduisant de façon
considérable le risque de CAT. Dans
certaines circonstances, le risque
demeure toutefois non négligeable.
Il s’agit tout particulièrement des
traitements radicaux de l’hyperthyroïdie qui peuvent l’exacerber. C’est
pourquoi il faut veiller tout particulièrement à la préparation soigneuse
à la thyroïdectomie par :
– antithyroïdiens de synthèse (ATS) ;
– -bloquants ;
– Lugol.
Préparation soigneuse à l’irathérapie :
– ATS ;
– -bloquants.
Éviter salicylés et hydantoïnes qui
déplacent la T4 de la thyroxin-binding
globulin.
Traitement curatif
Dès le diagnostic posé, il convient de
conditionner le patient et de l’acheminer sans délai en unité de soins
intensif ou en réanimation. Le traitement comportera dès lors sur trois
volets : traitement symptomatique,
traitement de l’hyperthyroïdie et traitement de la cause déclenchante.
Traitement des effets systémiques
– Le traitement de l’hyperthermie
repose sur des vessies de glace, du
paracétamol, voire de la chlorpromazine (25-100 mg/j). En revanche,
l’aspirine qui déplace la T4 de la
TBG est contre-indiquée.
– La déshydratation sera corrigée
par des boissons abondantes ou des
perfusions correctrices des troubles
ioniques en fonction de l’état de
conscience du patient.
– Une nutrition orale ou parentérale
apportera quotidiennement 2 000 à
3 000 calories et un supplément
polyvitaminique (vitamines B, en
particulier).
– Un traitement sédatif par diazépam
ou chlorpromazine sera instauré. Le
phénobarbital qui stimule le métabolisme hépatique de la T4 peut être
utile.
– Toute hypercalcémie sera corrigée.
– Les traitements cardiovasculaires
feront appel aux associations digitalodiurétiques, à une anticoagulation préventive et à une oxygénothérapie.
– Un traitement corticoïde par dexaméthasone ou méthylprednisolone
i.v. aura un triple intérêt : prévenir
une insuffisance surrénalienne fonctionnelle, lutter contre l’hypercalcémie et inhiber la conversion de T4
en T3.
Le traitement antithyroïdien agit
à plusieurs niveaux :
■ Inhibition de la synthèse des hormones thyroïdiennes : le médicament
de choix est le propylthiouracile
(PTU) qui n’est disponible qu’à la
pharmacie centrale des hôpitaux. Il
a l’avantage d’inhiber la conversion
de T4 en T3. La dose de charge est
de 900 à 1 200 mg par voie orale ou
sonde nasogastrique. Après déconditionnement, la voie rectale peut être
proposée chez les patients aux
vomissements incoercibles. La dose
d’entretien est de 200 mg toutes les
4 à 6 heures ou de 300 à 400 mg
toutes les 8 heures. Le carbimazole
est l’alternative principale à la posologie de 120 mg/j, soit un comprimé
toutes les 4 heures.
■ Inhibition du relargage des hormones en réserve : ce traitement
recourt aux iodures qu’il convient
de débuter 2 heures après les ATS.
Peuvent être utilisés une solution
orale de Lugol fort à la posologie de
30 gouttes/j en 3 à 4 prises, soit 3 à
4 fois 30 gouttes/j de solution de
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005
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diabétologie
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et maladies métaboliques
Lugol à 1 % ou encore une solution
d’iodure de sodium à raison de 1 g
toutes les 8 heures en perfusion i.v.
Comme alternatives, on peut recourir à une solution saturée d’iodure
de potassium à raison de 5 gouttes
toutes les 6 heures ou, dans les pays
où ils sont encore disponibles, les produits de contraste radiographiques
utilisés pour les cholécystographies
(ipodate, acide iopanoïque).
■ Traitement dirigé contre les effets
périphériques des hormones thyroïdiennes.
– Inhibition de la conversion de T4
en T3 : le PTU a été évoqué précédemment. Les -bloquants (propranolol, aténolol ou métoprolol) et
les glucocorticoïdes partagent cette
même capacité à inhiber la conversion de T4 en T3. Ainsi, la dexaméthasone est proposée aux posologies
de 2 à 5 mg toutes les 6 heures per
os, i.v. ou i.m. Ipodate et acide iopanoïque ne sont plus disponibles en
France.
– Blocage -adrénergique : ce traitement permet de lutter contre les
effets de l’hyperadrénergie secondaire à l’hyperthyroïdie. Le chef de
file est le propranolol à la posologie de
20 à 120 mg toutes les 4 à 8 heures
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per os ou 0,5 à 1 mg/mn à la seringue
électrique pour un total de 2 à 10 mg
toutes les 3 à 4 heures. Si une insuffisance cardiaque est à craindre, le
recours à l’esmolol, -bloquant de
demi-vie très courte, peut être envisagé avec prudence, à la dose de
charge de 500 g/kg/mn et à la dose
d’entretien de 50 à 200 g/kg/mn.
La réserpine (2,5 mg toutes les
4 heures) et la guanéthidine (30 mg
toutes les 6 heures) ne sont plus
guère utilisées.
■ Soustraction de l’excès d’hormones thyroïdiennes circulantes :
en l’absence de réponse rapide des
autres traitements, ou si le malade
est comateux ou présente certaines
étiologies particulières, les techniques d’épuration extrarénale peuvent être envisagées : plasmaphérèse,
hémofiltration, dialyse péritonéale.
Chaque épuration de 60 ml/kg permet l’extraction de seulement 20 %
du pool d’hormones thyroïdiennes.
Il convient de réaliser au moins
deux séances à 24 heures d’intervalle pour être efficace.
■ Traitements d’exception
– Place de la chirurgie de sauvetage :
ses indications sont devenues exceptionnelles. Elle est généralement pré-
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parée par une épuration extrarénale.
Les CAT secondaires à une surcharge
iodée représentent l’indication quasi
exclusive. Elle reste grevée par une
mortalité de 10 à 42 %.
– Carbonate de lithium : ce traitement est réservé aux contre-indications des traitements habituels. Des
posologies de 200 à 300 mg/6 h
permettent de maintenir la concentration sérique aux alentours de
1 mEq/l.
Traitement étiologique
Il correspond au traitement de la
cause déclenchante, par exemple
antibiothérapie, équilibre d’un diabète, etc.
Références
■ Goldberg PA, Inzucchi SE. Critical issues in
endocrinology. Clin Chest Med 2003;24:583-606.
■ Ringel MD. Management of hypothyroidism
and hyperthyroidism in the intensive care unit. Crit
Care Clin 2001;17:59-74.
■ Scholz GH et al. Is there a place for thyroidectomy in older patients with thyrotoxic storm
and cardiorespiratory failure? Thyroid 2003;13:
933-40.
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