Mise au point Le cœur de l’hyperthyroïdie A. Boulogne*, O. Leroy**, J.L. Wémeau* ✎ L’hyperthyroïdie induit d’importantes modifications hémodynamiques (augmentation du travail cardiaque, diminution des résistances vasculaires systémiques, expansion volémique) ayant une traduction clinique dans la plupart des cas et pouvant même se compliquer de décompensation cardiaque. ✎ Les hormones thyroïdiennes potentialisent les effets cellulaires des catécholamines, ce qui contribue à expliquer la ressemblance entre l’hyperthyroïdie et l’état hyperadrénergique. ✎ Selon une étude récente, la maladie de Basedow peut se compliquer d’atteinte myocardique (infiltrat lymphocytaire) potentiellement responsable de défaillance cardiaque. L e cœur est un organe cible privilégié des hormones thyroïdiennes et il est d’ailleurs utilisé depuis longtemps comme reflet de leur action. Les mécanismes, très divers, par lesquels ces hormones influencent le fonctionnement cardiaque sont de mieux en mieux connus. Par ailleurs, il faut souligner la forte prévalence des manifestations, voire des complications, cardio-vasculaires qui dominent la sémiologie de la thyrotoxicose. Le dépistage et le traitement éventuel de ces troubles sont * Clinique endocrinologique Marc-Linquette, CHRU de Lille. ** Service de réanimation et maladies infectieuses de l’hôpital Dron, CH de Tourcoing. ✎ L’AC/FA est la complication la plus fréquente (15 % des hyperthyroïdies). Sa survenue est favorisée par l’âge (25 % après 60 ans) et une cardiopathie sousjacente. ✎ Le risque de complications thromboemboliques de l’AC/FA est présent et potentialisé par l’âge, l’ancienneté de l’arythmie et la présence d’une autre cardiopathie emboligène. ✎ En cas de mauvaise tolérance du patient, un traitement symptomatique transitoire des manifestations cardiaques (tachycardie, éréthisme) peut s’avérer utile en attendant la restauration de l’euthyroïdie. Les bêtabloquants, pour diverses raisons, restent la référence dans cette indication. des éléments importants de la prise en charge des sujets. Volontairement, nous excluons de cet exposé la pathologie induite par l’amiodarone, du fait de sa spécificité. Les actualités concernent la description, très récente, de cas de myocardites auto-immunes associées à la maladie de Basedow et la réalisation d’essais thérapeutiques par l’hormone thyroïdienne chez le sujet insuffisant cardiaque. Physiopathologie La thyrotoxicose induit des modifications profondes du fonctionnement cardiaque et de l’état hémodynamique. ● On observe une accélération de la fréquence cardiaque et une augmentation de la contractilité des fibres myocardiques. Ces deux phénomènes se conjuguent pour produire une élévation du débit cardiaque qui peut atteindre jusqu’à 300 % de sa valeur de base (1). Les effets inotropes et chronotropes positifs des hormones thyroïdiennes correspondent pour partie à une réponse réflexe du cœur à la diminution des résistances vasculaires (dont le mécanisme est précisé plus loin) puisque le débit cardiaque se réduit chez les sujets hyperthyroïdiens auxquels on administre des substances vasoconstrictrices (alphabloquants) (2). Le maintien prolongé de cet hyperdébit est pérennisé par les effets directs des hormones thyroïdiennes sur la physiologie cardiaque. – I1 existe une action “électro-physiologique” des hormones thyroïdiennes. Elles augmentent la vitesse de dépolarisation, diminuent la durée des potentiels d’action et celle de la période réfractaire effective du myocarde auriculaire et du nœud auriculo-ventriculaire (3). Cela participe à la tachycardie sinusale et également à la tendance aux arythmies supraventriculaires caractérisant la thyrotoxicose. L’augmentation de la vitesse de dépolarisation coïncide avec celle de la vitesse de relaxation. Or, la FT3 participe à ce mécanisme en agissant sur les échanges calciques intracellulaires, le calcium servant de médiateur entre l’influx nerveux et les myofibrilles. Sur le plan biocellulaire, l’hormone thyroïdienne pénètre dans le cytosol en traversant la membrane plasmique puis atteint le noyau où elle se lie à son récepteur, formant un complexe se fixant sur 1’ADN et permettant l’activation de la transcription des gènes cibles. Par ailleurs, l’un de ces gènes code pour une enzyme particulière du réticulum sarcoplasmique, la “SERCA” (SarcoEndoplasmic-Reticulum-Calcium-ATPase) de type 2a, responsable de la recapture du calcium par le réticulum, ce qui contribue à l’augmentation de la vitesse de relaxation. De façon complémentaire, on assiste à une inhibition par l’hormone thyroïdienne de l’expression génomique de la protéine 22 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point “phospholamban”, dont l’action s’oppose à celle de la SERCA en maintenant le calcium au niveau cytoplasmique (4). Les principaux effets génomiques connus des hormones thyroïdiennes sur la sphère cardiovasculaire sont résumés dans le tableau I. Tableau I. Effets génomiques cardiaques des hormones thyroïdiennes. - Augmentation de l’expression de la SERCA 2a. - Diminution de l’expression de la protéine “phospholamban”. - Augmentation des chaînes lourdes de myosine. - Augmentation de l’expression de l’ATPase des chaînes lourdes de myosine. – L’hypercontractilité des fibres myocardiques est directement liée à l’augmentation de la fréquence cardiaque puisqu’il existe une corrélation positive entre pulsation et force de contraction. À ce sujet, il est intéressant de noter que l’hormone thyroïdienne augmente l’expression du gène des chaînes lourdes de myosine et de leur ATPase (5). Cependant, l’hypertrophie cardiaque que l’on peut rencontrer dans la thyrotoxicose, et qui est susceptible de s’associer à une augmentation du poids du cœur de 30 à 50 %, n’est pas seulement le fait des hormones thyroïdiennes : elle dépend davantage d’une adaptation intrinsèque au surcroît de travail occasionné par l’hyperhormonémie, puisque l’administration de bêtabloquants, par leur simple action inotrope négative, suffit à inverser cette tendance (6). – De plus, la FT3 n’exerce pas seulement des effets génomiques dont le délai d’action est de 6 à 24 heures. En effet, les hormones thyroïdiennes sont capables de produire des modifications du fonctionnement cellulaire de façon plus rapide, grâce à une action plus directe, mais encore mal connue, sur la membrane plasmique, le réticulum sarcoplasmique ou encore la mitochondrie. Ces modifications intéressent notamment les transports du calcium, du sodium et du glucose à travers la membrane plasmique, qui sont accélérés, ainsi que le métabolisme mitochondrial avec, en particulier, une augmentation du flux de magnésium et des phosphorylations oxydatives (7). ● Les hormones thyroïdiennes ont une action vasodilatatrice très précoce, qui précède l’élévation de la fréquence et du débit cardiaques. Les mécanismes sont loin d’en être élucidés. I1 existe une action directe sur la fibre musculaire lisse vasculaire puisque l’effet vasodilatateur s’observe dès les premières heures suivant l’administration de T3 (8). On suppose également la participation de mécanismes indirects renforçant cet effet comme, par exemple, l’augmentation de la libération de NO et d’autres facteurs vasodilatateurs à partir des cellules endothéliales. La réponse vasomotrice apparaît aussi médiée par l’acétylcholine, puisque l’injection d’atropine a pour conséquence d’abolir partiellement l’augmentation du flux sanguin enregistrée au niveau de l’avant-bras en situation d’hyperthyroïdie (9). I1 en résulte, chez le sujet thyrotoxicosique, une diminution spectaculaire des résistances vasculaires périphériques, de l’ordre de 50 à 70 % (10). Cela entraîne une diminution de la pression artérielle diastolique et, on l’a vu, une augmentation réflexe du débit cardiaque. Ainsi est assurée une meilleure perfusion des principaux organes (foie, cœur, muscle, etc.) dont les besoins en 02 et autres substrats sont accrus. ● Les hormones thyroïdiennes favorisent l’expansion volémique, qui peut atteindre + 25 % chez le sujet hyperthyroïdien. Ce phénomène est principalement lié à une augmentation de la réabsorption rénale du sodium, conséquence d’une diminution de la pression de perfusion glomérulaire provoquée par la chute des résistances systémiques. Cette situation stimule la libération de rénine et 1’activation du système rénine-angiotensinealdostérone (1). Parallèlement, on observe une augmentation de la masse érythrocytaire Tableau II. Conséquences hémodynamiques de l'hyperthyroïdie. ⇓ ↑ FT4 et FT3 ↑ Fréquence cardiaque et contractilité myocardique ⇓ Vasodilatation et ↓ des résistances vasculaires ⇓ ↓ Pression artérielle diastolique ⇒ ↓ Perfusion rénale ⇓ Hyperaldostéronisme secondaire ↑ EPO ⇓ ↑ Débit cardiaque Expansion volémique par l’intermédiaire d’une plus grande production d’érythropoïétine rénale (11). ● On constate une similitude entre certaines actions des hormones thyroïdiennes et celles des catécholamines. La thyrotoxicose, de même que les états hyperadrénergiques, entraîne notamment palpitations, tachycardie, intolérance à l’effort avec hypercontractilité et hypertrophie cardiaques. Cette observation suggère une possible interaction entre ces deux systèmes hormonaux. – La réalisation chez des sujets hyperthyroïdiens de dosages sériques (12) et urinaires (13) de catécholamines a révélé une sécrétion et une excrétion normales d’adrénaline alors que les taux de noradrénaline pouvaient être diminués dans le sang et les urines par rapport aux sujets euthyroïdiens (résultat inconstant). On note l’effet inverse en état d’hypothyroïdie, avec une tendance à l’augmentation de la sécrétion et de l’excrétion de noradrénaline, alors que les taux d’adrénaline restent non modifiés. Il en ressort, d’une part, que le statut thyroïdien n’a pas d’influence sur le fonctionnement de la médullosurrénale et, 23 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point d’autre part, que les signes “adrénergiques” accompagnant l’élévation des hormones thyroïdiennes ne sont pas dus à une augmentation de la production de noradrénaline. Néanmoins, des études sur la réponse à l’exposition au froid ont montré que les hormones thyroïdiennes potentialisent la réponse de la plupart des tissus aux catécholamines. Les mécanismes cellulaires en cause sont de mieux en mieux connus et concernent plusieurs niveaux : membranaire, intracellulaire et intranucléaire. – L’hyperthyroïdie induit une augmentation de la densité des récepteurs bêta-adrénergiques à la surface des cellules (14). Ces récepteurs sont couplés à l’adényl-cyclase par l’intermédiaire de protéines G stimulatrices, ce qui aboutit, lorsque le système est activé, à une production d’AMPcyclique comme second messager à la base des effets cellulaires. Le nombre des récepteurs bêtaadrénergiques peut doubler (effet génomique des hormones thyroïdiennes). – Au niveau cytoplasmique, il a été démontré que l’augmentation du taux d’AMPc, produit en réponse à une stimulation adrénergique, est telle qu’elle ne peut s’expliquer par la simple surexpression des récepteurs. On en déduit une probable action de la T3, d’une part, stimulant l’activité de l’adényl-cyclase (peut-être par l’inhibition de certaines protéines G) et, d’autre part, inhibant celle de la phosphodiestérase (15, 16). – Cette cascade d’événements se trouve encore amplifiée par une action synergique des hormones thyroïdiennes sur le génome par rapport au message médié par l’AMPc. Cette découverte découle de l’étude d’une enzyme, la PECK (phospho-énol-pyruvate carboxykinase) qui joue un rôle stimulateur sur la néoglucogenèse et dont la traduction est augmentée par l’AMPc en réponse à l’adrénaline et au glucagon via une zone cible de 1’ADN appelée AMPc Response Elements (CRE). Or, il s’avère que ce CRE se trouve en association étroite (17) avec une zone de réponse aux hormones thyroïdiennes (TRE). On en déduit un rôle directement potentialisateur des hormones thyroïdiennes sur les effets géniques de l’AMPc. Tableau III. Mécanismes par lesquels les hormones thyroïdiennes potentialisent l’action des catécholamines. 1) Effet membranaire : augmentation du nombre des récepteurs β-adrénergiques à la surface des cellules. 2) Effet intracellulaire : participation des hormones thyroïdiennes à la production d’AMPc par coactivation de l’adénylcyclase et inhibition de la phosphodiestérase. 3) Effet intranucléaire : amplification des effets géniques de l’AMPc produit par stimulation adrénergique (association entre TRE et CRE). Présentation clinique classique Signes cliniques classiques Les palpitations constituent la manifestation fonctionnelle cardiaque la plus fréquente, présente chez environ 85 % des sujets. Elles correspondent, dans la plupart des cas, soit à la tachycardie de repos permanente perçue par le sujet, soit à l’éréthisme cardiaque. Plus rarement, dans 10 à 15 % des cas, elles sont le symptôme d’un trouble du rythme. Les patients signalent également volontiers une intolérance à l’effort (65 %). Le retentissement cardiaque de la thyrotoxicose n’est probablement pas seul en cause dans ces phénomènes et l’on retient comme cofacteur l’atteinte des muscles squelettiques et respiratoires. Enfin, l’interrogatoire peut encore révéler la présence de douleurs thoraciques de type angineux (jusqu’à 3 à 5 % dans certaines séries), reflétant parfois une authentique ischémie myocardique précipitée par l’hyperactivité cardiaque, ce d’autant plus facilement qu’il existe des lésions coronariennes sous-jacentes. Ce symptôme n’est pas l’apanage des sujets âgés ou à risque vasculaire, il s’observe aussi chez les patients plus jeunes, potentiellement par le biais d’un spasme coronaire (18-20). La tachycardie sinusale de repos est le signe le plus constant, observé dans plus de 90 % des cas si l’on prend comme valeur seuil une fréquence de 90 battements par minute. Cette tachycardie peut être très importante (120 bpm) et elle est encore exagérée par l’effort. Les autres signes d’hyperkinésie cardiaque, rencontrés dans 75 % des cas, sont un choc de pointe ample et des bruits du cœur bien frappés, notamment le B1. Certains éléments cliniques sont liés à l’hyperdébit et à l’éréthisme cardio-circulatoire qui en découle. Ainsi, à l’auscultation, peut-on percevoir un souffle systolique d’éjection dans environ la moitié des cas, que l’on retrouve aussi parfois en regard des principaux axes artériels. Le pouls radial est classiquement bondissant et il n’est pas rare de constater une hyperpulsatilité carotidienne. Sur le plan tensionnel, on note une baisse de la pression artérielle diastolique, du fait de la diminution des résistances vasculaires périphériques, tandis que la pression systolique est maintenue ou parfois augmentée, surtout chez la personne âgée, par perte des composantes élastiques normales de la paroi artérielle. La pression différentielle s’en trouve élargie alors même que la pression moyenne reste stable, voire diminue légèrement. L’examen peut encore détecter des complications d’ordre rythmique, l’auscultation découvrant des extrasystoles isolées ou des bruits rapides et irréguliers traduisant une arythmie installée. Un peu à part sont les œdèmes des membres inférieurs, assez rares Tableau IV. Incidence des manifestations cliniques cardiovasculaires de l’hyperthyroïdie. • Tachycardie régulière de repos : 90 % • Palpitations : 85 % • Hyperkinésie (bruits du cœur bien frappés, choc de pointe ample) : 75 % • Intolérance à l’effort : 65 % • Diminution de la pression diastolique (fréquence ?). • Œdèmes des membres inférieurs (modérés) : 5 à 20 % • Arythmie (AC/FA, extrasystoles) : 15 % • Angor : < 5 % 24 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point (5 à 20 % des séries), modérés et souvent en rapport avec la rétention sodée. Ils sont rarement témoins d’une défaillance cardiaque et, dans ce cas, sont plus importants et s’associent aux autres signes habituels (orthopnée, râles sous-crépitants pulmonaires, B3, hypotension, etc.) (1, 10, 18). Complications cardiaques classiques de la thyrotoxicose ment, 15 % des sujets présentant une AC/FA de découverte récente sont hyperthyroïdiens (3). L’âge est un facteur prédisposant à cette complication qui devient plus fréquente après 60 ans, mais reste exceptionnelle avant 40 ans. Chez le sujet jeune, on observe volontiers des formes paroxystiques parfois asymptomatiques. La fréquence cardiaque est souvent rapide du fait de l’augmentation de la vitesse de conduction de l’influx électrique (26). Or, on sait qu’une tachycardie chronique soutenue peut altérer en soi la contractilité cardiaque par le biais d’une diminution de l’aptitude des myocytes ventriculaires à réguler le taux cytosolique de calcium, ce qui prélude à de possibles dysfonctions systolique et diastolique. En situation de thyrotoxicose, le débit cardiaque au repos est potentiellement proche de son maximum, ce qui laisse une faible marge de réponse à l’effort dans les situations de stress (infectieux ou chirurgical notamment) ou encore pendant la grossesse (10). En fait, la contractilité du ventricule gauche, déjà importante en base, ne peut augmenter suffisamment dans ces situations et, parallèlement, les résistances vasculaires périphériques (d’emblée diminuées par l’excès d’hormones) ne peuvent s’abaisser davantage. La post-charge et la contractilité cardiaque se prêtant donc peu aux adaptations physiologiques, le débit cardiaque de l’hyperthyroïdien s’avère faiblement modulable. Cela explique que l’on puisse rencontrer dans cette population d’authentiques défaillances cardiaques, même en l’absence de troubles du rythme (hormis la tachycardie sinusale) ou de cardiopathie préalable. Ce cas de figure reste néanmoins très rare et il est à distinguer des états œdémateux congestifs, secondaires à une rétention hydrosodée s’accompagnant d’une hypervolémie et d’une augmentation des pressions de remplissage veineux et répondant bien au traitement diurétique. La plus fréquente est la fibrillation auriculaire. Globalement, ce trouble du rythme s’observe dans 15 % des hyperthyroïdies et, inverse- Les accidents thrombo-emboliques constituent une autre complication possible des Signes électrocardiographiques (21-23) Aucun n’est spécifique de l’hyperthyroïdie. La tachycardie sinusale est très fréquente et elle est de loin le paramètre le plus souvent modifié. Il n’est pas rare non plus de constater une augmentation de l’amplitude des ondes P et T. On peut rencontrer aussi une fréquence accrue d’extrasystoles supra- et même ventriculaires. Les autres anomalies sont plus rares : arythmie atriale (15 %) correspondant le plus souvent à une fibrillation auriculaire mais aussi parfois à un flutter, défaut de conduction intraventriculaire et modifications du segment ST traduisant en général une ischémie. Les tachycardies ventriculaires sont exceptionnelles. Données de l'écho-doppler cardiaque (24, 25) Cet examen permet d’étudier, de façon non invasive, les fonctions à la fois diastolique et systolique. L’hyperthyroïdie s’accompagne d’un raccourcissement des temps systolique (contraction isovolumique, période prééjectionnelle et éjection ventriculaire) et diastolique (relaxation isovolumique) traduisant une activation globale de la fonction cardiaque. Ces modifications sont observées même en cas d’hyperthyroïdie mineure dite “infraclinique”, ce qui témoigne de la bonne sensibilité de ce moyen d’évaluation. troubles du rythme. Leur prévalence est estimée à environ 15 % et semble également plus fréquente chez la personne âgée, surtout en cas de cardiopathie coexistante (27). La thyrotoxicose favorise la survenue de douleurs pouvant traduire une réelle ischémie. Cela s’explique, d’une part, par une augmentation de l’utilisation d’O2 par le myocarde pouvant atteindre 34 % par unité de masse et, d’autre part, par le raccourcissement du temps diastolique consacré, entre autres, à la perfusion coronarienne (28). La survenue d’une fibrillation est ici encore un facteur aggravant. L’hyperthyroïdie ne paraît cependant pas augmenter le risque d’infarctus du myocarde de façon significative. Comme complications rythmiques plus rares, on retiendra essentiellement le flutter auriculaire, les tachycardies jonctionnelles et les arythmies ventriculaires. Ces dernières, définies par l’apparition de plus de 100 extrasystoles à QRS larges par 24 heures, se voient volontiers dans les goitres multinodulaires toxiques (33 % des cas dans une étude prospective contrôlée) alors qu’elles épargnent les sujets Basedowiens (même étude) (29). Ce résultat surprenant reflète en fait la différence d’âge de ces deux groupes (59 ans versus 37 ans) et non un mécanisme physiopathologique propre à une étiologie donnée. I1 existe une association non fortuite entre la survenue d’une pathologie mitrale (dégénérescence, prolapsus) et la présence d’une thyropathie auto-immune (maladie de Basedow et thyroïdite de Hashimoto notamment), ce qui expose le patient aux risques classiques de régurgitation valvulaire, d’endocardite et de troubles du rythme (3). De même, une étude récente a démontré la possibilité d’une atteinte myocardique autoimmune chez les patients atteints d’une maladie de Basedow (30). Onze sujets présentant une défaillance cardiaque ont 25 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point bénéficié d’une biopsie endomyocardique du ventricule droit. L’histologie a révélé deux cas de myocardite lymphocytaire. Le cas le plus démonstratif concernait un patient présentant par ailleurs une orbitopathie qualifiée de “sévère”. L’autre cas s’observait chez un patient indemne d’ophtalmopathie. I1 s’agit de cas très rares de localisations extrathyroïdiennes de la maladie de Basedow mais qui illustrent bien le caractère potentiellement plurifocal de l’affection. Hyperthyroïdie pendant la grossesse (31) Les signes cliniques cardio-vasculaires rencontrés durant la grossesse normale présentent des similitudes avec ceux de la thyrotoxicose : tachycardie, éréthisme cardiovasculaire, diminution de la pression artérielle et rétention hydrosodée. De façon attendue, on observe une addition des effets de la grossesse et de l’hyperthyroïdie, avec principalement une augmentation marquée du débit cardiaque et une chute des résistances vasculaires systémiques. I1 en découle une majoration du risque de défaillance cardiaque dans cette population, même en l’absence de cardiopathie sous-jacente. que chez les sujets jeunes (34). La tachycardie n’est retrouvée que dans 50 à 60 % des cas. Sur le plan fonctionnel, le patient signale une dyspnée d’effort ou une orthopnée dans deux tiers des cas, des palpitations (40 %) et, différence importante par rapport aux sujets jeunes, des manifestations angineuses non exceptionnelles (20 %). La pauvreté des signes cliniques objectifs lors de l’examen s’explique peut-être par une diminution de l’activité adrénergique dans cette population. En revanche, les complications sont ici beaucoup plus fréquentes, avec notamment une incidence très augmentée des arythmies supraventriculaires, estimée à environ 25 % des cas après 60 ans (35). Trois mécanismes principaux expliquent cette caractéristique : la diminution du seuil de fibrillation avec l’âge, un diagnostic plus tardif de l’hyperthyroïdie et une augmentation de la prévalence des cardiopathies, en particulier ischémiques et dégénératives. Par ailleurs, on a constaté que le risque thrombo-embolique associé à la fibrillation auriculaire était majoré de façon marquée par l’âge (10 à 40 % des séries) de même que celui de défaillance cardiaque (36). Celle-ci peut être à prédominance droite ou globale. Même si les troubles du rythme en sont la cause principale dans ce contexte, elle peut également être provoquée directement par la thyrotoxicose en cas de cardiopathie sous-jacente. Hyperthyroïdie chez la personne âgée On estime que la thyrotoxicose concerne 0,5 à 4 % des personnes dites “âgées” (32). L’âge est donc un facteur prédisposant à cette pathologie puisque 35 % des cas d’hyperthyroïdie se produisent chez des personnes de plus de 60 ans. Les goitres multinodulaires toxiques arrivent en tête de la liste des étiologies dans cette population (33), avec une fréquence estimée entre 23 et 68 % selon les études. La maladie de Basedow occupe la deuxième place (16 à 43 %) ; la surcharge iodée vient ensuite (environ 20 %), suivie de peu par les nodules toxiques isolés (10 à 23 %). L’expression clinique est plus pauvre Hyperthyroïdie infraclinique Cet état se définit sur le plan biologique par une diminution modérée de la TSH alors que les taux de FT4 et de FT3 se situent dans la zone normale. Les étiologies principales sont représentées par les goitres nodulaires toxiques paucisymptomatiques et les thyropathies auto-immunes. On peut en rapprocher le traitement “freinateur” par thyroxine que l’on utilise soit pour le contrôle des goitres euthyroïdiens, soit pour la prévention de la récidive des épithéliomas différenciés chez les sujets thyroïdectomisés. Biondi et al. se sont intéressés aux éventuelles conséquences cardiaques du traitement freinateur chez 20 patients (37). Cette étude a montré une Situations cliniques particulières augmentation de la fréquence et de la contractilité cardiaques, avec parfois une dysfonction diastolique réversible sous bêtabloquants. Une étude réalisée ultérieurement ne confirme pas ces résultats sur une série de sujets asymptomatiques et également soumis à un traitement freinateur, puisque aucune différence significative par rapport aux témoins n’était mise en évidence en matière de fonction cardiaque (nombre d’extrasystoles auriculaires ou ventriculaires, fraction d’éjection moyenne, fonction diastolique et épaisseur du septum interventriculaire) (38). Une troisième étude a révélé une augmentation du risque de fıbrillation auriculaire chez des patients de plus de 60 ans en hyperthyroïdie infraclinique avec une corrélation inverse entre taux de TSH et risque d’arythmie (39). En effet, le taux de fıbrillation à 10 ans était de 28 % en cas de TSH < 0,1 µUI/mL, 16 % si la TSH était comprise entre 0,1 et 0,4 et 11 % dans la population euthyroïdienne. Enfin, il existe une surmortalité parmi les personnes âgées présentant une diminution du taux de TSH, essentiellement en rapport avec la survenue d’événements cardio-vasculaires (40, 48). I1 en ressort que l’hyperthyroïdie, même infraclinique, peut entraîner des conséquences cardiaques néfastes dont l’importance semble dépendre, et ce de façon assez logique, de la durée d’exposition, du degré de freinage de la TSH et surtout du terrain avec, notamment, une plus grande fragilité de la personne âgée. L-thyroxine et traitement de l’insuffisance cardiaque L’hyperthyroïdie est délétère pour la fonction cardiaque. Cela est vrai à différents degrés, conditionnés par le terrain individuel et l’importance de l’hyperhormonémie. Néanmoins, l’augmentation du débit cardiaque constante, et parfois même considérable, observée dans ces situations donne à réfléchir quant à un éventuel intérêt de ces hormones chez le patient euthyroïdien insuffisant cardiaque. Une étude menée en 1996 (41) s’est intéressée aux effets d’un traitement par L-thyroxine sur des sujets atteints 26 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point d’une cardiopathie dilatée primitive. Dix patients ont bénéficié de ce traitement à raison de 100 µg/j pendant 3 mois. L’évolution de leurs performances cardiaques a été comparée à celle de 10 patients témoins recevant un placebo. Il est apparu une différence en faveur du groupe traité efficacement avec une augmentation significative de la fraction d’éjection du ventricule gauche, du débit cardiaque et une diminution des résistances périphériques. Il s’agit là d’un résultat attendu d’après les données physiologiques dont nous disposons. Il est important de noter que, dans cette étude, le bilan thyroïdien des sujets traités retrouvait logiquement une augmentation de la FT4 et une diminution de la TSH en imposant pour un surdosage modéré, mais prévisible, en hormones thyroïdiennes. Le recours aux hormones thyroïdiennes, dans la prise en charge au long cours des insuffısants cardiaques, ne peut toutefois actuellement être légitimé sur les bases de cette étude à cause du risque arythmogène, inhérent à l’état d’hyperthyroïdie, même infraclinique. Il serait donc souhaitable de réaliser une nouvelle étude avec des doses plus faibles (50 µg/j ?), maintenant la TSH à un taux normal pour réduire au maximum le risque d’arythmie et évaluer le bénéfice potentiel d’un tel traitement sur le long terme. Traitement des manifestations cardiaques Le traitement étiologique, celui de l’hyperthyroïdie, est indispensable à la stabilisation des phénomènes et permet, en principe, la normalisation de l’état hémodynamique et des performances cardiaques. Toutes les modalités thérapeutiques peuvent être envisagées (antithyroïdiens de synthèse, iode radioactif, chirurgie ou association), avec une égale efficacité dès lors que l’état euthyroïdien est restauré de façon permanente. L’obtention de ce résultat nécessite généralement un intervalle de quelques semaines, moins du fait de la longue durée d’action de la T4 (une demi-vie de 7 jours) que du délai imposé par la mise en place des stratégies thérapeutiques. I1 est donc justifié de débuter d’emblée un traitement symptomatique lorsque les signes cardio-vasculaires sont mal supportés par le patient. Le traitement bêtabloquant est souvent choisi en première intention. Son emploi est particulièrement intéressant sur le plan physiopathologique car il diminue le travail cardiaque en contrebalançant les effets chronotrope et inotrope positifs des hormones thyroïdiennes et en antagonisant directement l’action des catécholamines sur le myocarde, dont la sensibilité à ces hormones est accrue par l’hyperthyroïdie. La plupart des bêtabloquants non cardiosélectifs possèdent par ailleurs la propriété de diminuer le taux de conversion de FT4 en FT3 (hormone biologiquement plus active), mais cet effet, intéressant théoriquement, ne joue qu’un rôle secondaire en pratique (42). Le propranolol, chef de file de cette classe, reste encore aujourd’hui le plus utilisé dans cette indication, même si les autres représentants montrent une efficacité identique. Les doses nécessaires sont souvent assez importantes (80 à 240 mg/j de propranolol) du fait d’une hypermétabolisation du produit et de l’augmentation du nombre de récepteurs bêta-adrénergiques (43). Lorsque le recours aux bêtabloquants est impossible du fait d’une contre-indication (asthme, BPCO obstructive), il est licite de proposer, en deuxième intention, un traitement par calcium-bloqueur à action bradycardisante (vérapamil, diltiazem) en sachant que celui-ci est moins maniable dans cette indication car il expose le patient à un risque hypotensif plus important à la phase aiguë (44). Les diurétiques de l’anse, dans les situations d’insuffisance cardiaque congestive, peuvent être employés au même titre que chez le sujet euthyroïdien, avec les mêmes modalités de surveillance et d’utilisation. Les digitaliques peuvent apporter leur contribution à la prise en charge des complications cardiaques de la thyrotoxicose. I1 convient d’adapter leur dose car leur efficacité est minorée par une accélération de leur clairance métabolique et par une diminution de leur impact cardiaque (45). Ils constituent donc un recours possible en cas d’insuffisance cardiaque et de trouble du rythme supraventriculaire, éventuellement en association avec le traitement bêtabloquant. Les indications du traitement anticoagulant au cours des fibrillations auriculaires du sujet hyperthyroïdien sont discutées. Dans la pratique courante, la tendance reste à l’anticoagulation systématique. I1 est vrai que l’on est majoritairement confronté à des situations où le risque embolique est jugé significativement élevé et impose une telle conduite (27, 44) : – ancienneté de 1’AC/FA inconnue (exemple : cas où la fibrillation auriculaire constitue le mode de découverte de l’hyperthyroïdie) ; – sujet âgé (limite arbitraire et critiquable : 60 ans) ; – insuffisance cardiaque associée ; – présence d’une autre cardiopathie emboligène (connue ou dépistée à l’échocardiographie), ayant d’ailleurs pu contribuer à la survenue du trouble du rythme. Dès lors, faut-il anticoaguler toute AC/FA ? Les cas litigieux concernent en fait les sujets jeunes, sans facteurs de risque cardio-vasculaire et indemnes de toute cardiopathie, porteurs d’une fibrillation auriculaire dont le caractère récent est établi (survenant par exemple lors d’un moins bon contrôle de la dysthyroïdie). Dans une telle population, le risque embolique est minime, le retour à un rythme sinusal rapide, et on estime que les risques du traitement anticoagulant 27 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 Mise au point Tableau V. Indications thérapeutiques. 1) Plainte fonctionnelle (tachycardie, extrasystoles) : - bêtabloquant en première intention, en l’absence de contre-indication ; - calcium-bloqueur bradycardisant en deuxième intention. 2) AC/FA non compliquée d’insuffisance cardiaque : - rappel : amiodarone formellement contre-indiquée dans l’hyperthyroïdie ; - digitalique en première intention ; - association possible avec bêtabloquant ou calcium-bloqueur bradycardisant si efficacité insuffisante des digitaliques ; - anticoagulation au cas par cas (avis spécialisé). 3) Insuffisance cardiaque : avis spécialisé (éliminer pathologie cardiaque associée) - digitaliques ; - anticoagulation si AC/FA ; - autres mesures si nécessaire (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, diurétiques, etc.). 4) Angor : avis spécialisé (coronaropathie sous-jacente ?) - bêtabloquant ou calcium-bloqueur ; - association avec autres mesures thérapeutiques habituelles. l’emportent sur son hypothétique bénéfice (46). Sous réserve d’un avis spécialisé, il n’apparaît donc pas souhaitable d’instaurer de traitement anticoagulant dans cette situation. D’ailleurs, il semble qu’en cas d’hyperthyroïdie, le risque de complications emboliques soit davantage corrélé à l’âge du sujet qu’à la survenue même d’une AC/FA (47) ! Références 1. Klein I, Ojamaa K. Thyroid hormone and blood pressure regulation. In : Laragh J, Brenner B, eds. Hypertension. New York : Raven Press, 1995 : 2247. 2. Theilen EO, Wilson WR. Hemodynamic effects of peripheral vasoconstriction in normal and thyrotoxic subjects. J Appl Physiol 1967 ; 22 : 207. 3. Hellermann JP, Kahaly GJ. Thyroid hormones and the heart a short synapsis. Merck European Thyroid symposium. Strasbourg : Schattauer éd, 1994 : 139. 4. Dillmann W. Biochemical basis of thyroid hormone action in the heart. Am J Med 1990 ; 88 : 626. 5. Morkin E. Regulation of myosin heavy chains genes in the heart. Circulation 1993 ; 87 : 1451. 6. Klein I. 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Une hyperthyroïdie non ou insuffisamment traitée peut se compliquer d’AC/FA dans 25 % des cas après 60 ans. 3. L'hyperthyroïdie ne donne jamais de troubles de la conduction. 4. Les hormones thyroïdiennes augmentent la libération des catécholamines. 4. Faux. Les hormones thyroïdiennes potentialisent seulement leur action. 3. Faux. On retrouve de façon non exceptionnelle des troubles de la conduction intraventriculaire. 2.Vrai. 1. Faux. De manière générale la pression artérielle systolique n’est pas modifiée et la pression diastolique diminue. Résultats : tions for autoimmune disease in enmyocardial biopsy tissue from eleven patients. Thyroid 2000 ; 10 : 601. 31. Burrow GN. Thyroid function and hyperfunction during gestation. Endocr Rev 1993 ; 14 : 194. 32. Aronow WS. The heart and thyroid disease. Clin Geriatr Med 1995 ; 11 : 219. 33. Manciet G. Aspects particuliers des dysthyroïdies du sujet âgé. La Thyroïde 1992 : 512. 34. Davis PJ, Davis FB. 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