CABINET Forum Med Suisse No 14 2 avril 2003 338 Controverses sur la procréation médicalement assistée en Europe Herbert Zech, Nicolas Zech Introduction Culture de blastocytes Des ovules sont récoltés dans l’Europe entière pour être fertilisé in vitro, et les embryons qui en sont issus, en fonction des différentes législations, sont implantés dans l’utérus dans les 6 jours. En raison de différentes législations en Europe, certaines techniques sont reconnues comme indication médicale et considérées comme scientifiquement supérieures dans certains Etats, alors qu’elles sont interdites dans d’autres, ce qui, entre autres, signifie que le taux de grossesse par transfert d’embryon varie beaucoup d’un pays à l’autre (tableau 1). En illustrant les différences législatives concernant la culture de blastocytes, les diagnostics préimplantatoires (DPI) et le don d’ovules, nous montrerons où se situent ces différences, quelles conséquences elles entraînent pour les patients en termes de taux de succès, de stress physique, de charge financière. Nous esquisserons les conseils médico-légaux que pourra donner un médecin au couple en Suisse. Le facteur décisif pour la réussite d’une fertilisation in vitro (FIV) avec ou sans injection intracytoplasmatique de spermatozoïdes (IICS) est la qualité des embryons transférés. Seuls 40% des ovules fécondés avec 2 pro-nucléus (PN) au maximum atteignent le stade d’expansion d’un blastocyte au 5e jour après la ponction folliculaire. L’évaluation de la qualité de l’embryon n’est possible que par l’observation de la vitesse de développement et de la morphologie des différents stades embryonnaires. En Suisse et en Allemagne, les deux pays avec la législation la plus restrictive sur la procréation médicalement assistée, seuls 3 ovules choisis au stade pré-nucléus au maximum peuvent se développer en embryons et doivent être implantés, indépendamment de la qualité bonne ou mauvaise de leur développement. Une culture allant au-delà de 2 jours n’a pas de sens, car une sélection n’est licite à aucun moment. Les trois premiers cycles de mitoses de l’embryon précoce dépendent de signaux enregistrés dans l’ovule. Au 3e jour après la ponction Tableau 1. Situation juridique en Europe. A l’étranger sont autorisées beaucoup de pratiques de procréation médicalement assistée qui sont strictement interdites en Allemagne. Liste des abréviations utilisées: IICS: injection intra-cytoplasmatique de spermatozoïdes FIV: fertilisation in vitro DPI: diagnostic préimplantatoire PN: pro-nucléus PCR: polymerase chain reaction Institute für Reproduktionsmedizin und Endokrinologie, Bregenz (A), Meran (I), Niederuzwil (CH) Correspondance: Pr Herbert Zech Römerstrasse 2 A-6900 Bregenz Maternité de substitution Don d’ovule Diagnostic préimplantatoire Transfert de blastocytes Belgique pas interdit oui oui oui Danemark interdit oui oui oui Allemagne interdit interdit interdit pas pratiqué France interdit oui oui oui Grande-Bretagne oui oui oui oui Italie pas interdit oui oui oui Pays-Bas pas interdit oui oui oui Autriche interdit interdit interdit oui Espagne interdit oui oui oui Suède interdit interdit oui oui Suisse interdit interdit interdit pas pratiqué Tchéquie interdit oui oui oui Sources: MPI für ausländisches und internationales Strafrecht, Fribourg. Etat 2001. [email protected] CABINET Forum Med Suisse No 14 2 avril 2003 339 Figure 1. Développement de l’embryon du jour 0 au jour 5 avec diminution des éléments ovulaires et augmentation des produits de l’activation du génome de l’embryon (autorisé à la reproduction par J. Fertil. Reprod. 2/2001). (Embryonale-Entwicklung = Développement de l’embryon) (Eizellbestandteile = Eléments ovulaires) (Embryobestandteile = Eléments embryonnaires). folliculaire, l’embryon se trouve normalement au stade de 8 cellules, les réserves d’énergie originaire de l’ovule diminuent, les produits de l’activation du génome de l’embryon augmentent (figure 1). La culture de blastocytes offre une possibilité excellente, simple, non invasive, de choisir les meilleurs embryons pour le transfert. Elle permet d’identifier à temps les embryons les plus vitaux avec une bonne vitesse de mitoses de ceux qui souffrent d’un blocage de développement [1]. Ce blocage de développement peut être dû à des facteurs paternels (qualité du sperme) ou maternels (qualité de l’ovule) ou secondairement à des problèmes cytogénétiques. Il semble être corrélé avec le moment de l’activation du génome et/ou avec la production de superoxydes toxiques et de radicaux libres pouvant survenir lors de cultures in vitro. H. W. Michelmann écrit dans l’éditorial de la revue «Reproduktionsmedizin» sous le titre «L’échec programmé» [2]: «Les taux de grossesse par embryon transféré sont, en Allemagne et en Suisse, les pays ou la sélection des embryons est interdite sur base de critères morphologiques ou biochimiques, si insatisfaisants (FIV = 22,6%; IICS = 23,5%), qu’il faut sérieusement envisager si l’on doit renoncer à traiter des couples désirant des enfants. Cette question est justifiée, si l’on compare les taux allemands et suisses avec les taux obtenus à l’étranger allant jusqu’à 80% de grossesse par embryon transféré. Il faut en plus garder à l’esprit qu’un traitement par IICS coûte jusqu’à 10 000 DM pour les couples devant l’assumer eux-mêmes sans même obtenir un traitement optimal.» Cette situation est due à la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA) (en Suisse) et la Loi sur la protection des embryons (en Allemagne) avec leurs annexes correspondantes. Ce sont les contraintes de ces législations qui engendrent les dilemmes évoqués dans ces deux pays et qui programment les échecs! Comme le choix de blastocytes en expansion à partir d’un pool d’embryons en voie de développement n’est pas possible en Suisse et en Allemagne, il faudra dans ces deux pays vivre aussi à l’avenir avec des taux de grossesse de moins de 30%! La synchronisation entre l’embryon et la réceptivité de l’utérus est optimale lors d’un transfert au 5e jour. Le nombre des embryons à transférer peut être diminué en raison de leur meilleure qualité. En plus des avantages du choix des meilleurs embryons pour le transfert, la culture des blastocytes ouvre la possibilité d’effectuer au 3e jour une biopsie sur plusieurs cellules dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, permettant de déceler des anomalies et de transférer des embryons normaux après leur développement au stade de blastocyte [3]. «La règle de trois» en Suisse et en Allemagne est la suivante: – culture de seulement 3 zygotes – développement de 3 embryons au maximum – transfert au jour 2 ou 3. Cela signifie: – Un choix d’embryon parmi une culture de blastocyte suivi de diagnostic préimplantatoire n’est pas permis. – Une augmentation significative du taux de grossesse (jusqu’au facteur 2) et du taux d’implantation (jusqu’à 50% par blastocyte) avec le transfert de seulement 1–2 blastocytes n’est pas possible. – Un taux de grossesse de 80% est obtenu avec le transfert de 1–2 embryons au stade de blastocytes. Le risque de triplé lors de transfert de 3 embryons est évité, il suffit même CABINET souvent de transférer un seul embryon. Ce sera le standard de la technique à l’avenir. – Pas de réduction du taux d’avortement et du nombre de cycles de traitement infructueux, réduisant ainsi le fardeau psychique des patients (et le fardeau financies). Diagnostic préimplantatoire (DPI) La méthode actuellement disponible de DPI permet d’analyser les globules polaires des blastomères et de trophoblastes. Elle permet non seulement d’améliorer le taux de grossesse, mais aussi d’éviter des avortements dans de nombreux cas [4]. La Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée n’autorise pas la biopsie de l’embryon, mais autorise la biopsie des globules polaires c’est-à-dire la DPI des ovules. Elle utilise la particularité biologique suivante: une scission asymétrique de l’ovule survient dans sa maturation, dans le sens que l’ovule demeure entier et que chaque fois un set de chromosomes est rejeté comme globule polaire. Le premier globule polaire contient un set double, le deuxième un set simple de chromosomes maternels. Leur présence permet d’affirmer que les scissions de maturation se sont bien effectuées. L’avantage de l’analyse des globules polaires est qu’elle est possible avant la fertilisation, c’est-à-dire avant la conception d’un embryon. Son inconvénient est qu’elle ne permet de déceler que les anomalies maternelles. Elle n’apporte rien en cas d’anomalie Forum Med Suisse No 14 2 avril 2003 paternelle. Elle ne permet pas non plus d’identifier des pathologies génétiques apparaissant lors de la fusion des génomes. Les aberrations chromosomiques des ovules sont responsables pour la majorité des pertes embryonnaires et fœtales [5]. Ces aberrations peuvent être décelées par l’analyse des globules polaires. Le DPI des blastomères permet aussi de déterminer le sexe, ce qui peut être utile, par exemple lors de maladie héréditaire liée au sexe. Grâce aux méthodes d’analyse génétique moléculaire, (par ex. PCR) des pathologies monogénétiques peuvent être décelées tant sur les globules polaires que sur les blastomères, avant même le transfert de l’embryon. L’interdiction suisse de DPI sur embryons incite déjà dans de nombreux cas les couples concernés à recourir au tourisme médical à l’étranger et les incitera probablement encore davantage à l’avenir, quand des techniques améliorées et simplifiées seront disponibles. Les arguments avancés par le Conseil fédéral contre le DPI, à savoir qu’un diagnostic dans cette phase entraînerait une confusion automatique entre une éventuelle pathologie génétique et le rejet d’une vie encore non-née, ne sont guère convaincants. Comment refuser le DPI, qui n’a pas son pareil dans la palette des diagnostics prénataux, alors que l’avortement sciemment effectué d’embryons sains est permis dans le cadre de la loi et doit même être pris en charge par les caisses d’assurance-maladie! L’argument que le DPI est un jugement de vie ou de mort pour la vie en éprouvette décrétant si elle mé- Tableau 2. Quand commence la vie (à protéger)? Différentes perspectives. La vie commence ... selon Aristote (384–322 av. J.-C.), l’embryon masculin a une âme 40 jours après la fécondation, l’embryon féminin après 90 jours lors de la fusion du pronucléus féminin et masculin à la première division cellulaire du zygote, quelques heures après la fécondation à la nidification du blastocyte, le 12e–14e jour après la fécondation quand la formation de jumeaux n’est plus possible (au max. 2 semaines après la fécondation) après 4 semaines, quand le cœur bat après 2 mois, quand le visage du fœtus ressemble à celui d’un primate 8 semaines après la fécondation, des ondes du cerveau, qui ressemblent à des rêves, pouvant être enregistrées après 3 semaines, le fœtus ressemblant à un bébé après 4 mois, les traits individuels du visage devenant perceptibles après 24 semaines environ, le fœtus étant capable de survivre hors de l’utérus (dans les conditions optimales) – comparer avec la date tolérée pour l’avortement: seulement jusqu’à la 20e–21e semaine après 24–27 semaines, le cortex cérébral étant connecté – c.-à-d. la pensée étant théoriquement possible à partir du 6 e mois à la naissance seulement, présence de l’être humain 340 CABINET Forum Med Suisse No 14 2 avril 2003 rite d’être poursuivie ou non est peut-être efficace du point de vue rhétorique; mais les couples atteints de maladies héréditaires ont de la peine à comprendre que l’on refuse le diagnostic de l’embryon avant même l’implantation alors qu’un avortement d’une vie beaucoup plus fermement établie, jusqu’au troisième mois de grossesse, est autorisé! La question de savoir quand la vie (devant être protégée) commence (tableau 2) n’est absolument pas suffisamment approfondie dans ce Tableau 3. Quel peuple, quelle nation est moralement/éthiquement meilleure? Don d’ovule CH A D I F UK B USA – – – + + + + + Culture de blastocytes – + – + + + + + Don de sperme + – (+) + + + + + Avortement + + + + + + + + Peine de mort – – – – – – – + Euthanasie – – – – – – (+) – Lois diverses . . . . dépendant entièrement des lobbys ■ démocratie ■ Quintessence Seul le choix d’embryons à partir d’un grand pool d’ovules fécondés conduit à une véritable amélioration du taux de grossesse (culture de blastocytes). Le diagnostic préimplantatoire dans le cadre de l’analyse des globules polaires donne nettement moins de renseignements que l’analyse de l’embryon. L’interdiction du don d’ovules est considérée par beaucoup de femmes concernées comme une discrimination (par ex. dans le cas de radiations, chimiothérapie, ablation des ovaires pour une femme en âge d’avoir des enfants). Une modification de la Loi fédérale sur la procréation médicalement 341 débat, elle n’est même pas abordée! Don d’ovule Indications au don d’ovule: – ménopause précoce (1% environ des femmes en âge de procréer) – maladies génétiques – maladies auto-immunes – état après traitement oncologique. Le don d’ovule est condamné selon la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée, alors que le don de spermatozoïdes est autorisé. La raison de cette mesure discriminante pour la femme n’est pas mentionnée. Les ovules et les spermatozoïdes sont équivalents du point de vue biologique. Il est cependant bien plus difficile de disposer d’ovules, un seul ovule arrivant à maturité en moyenne lors de cycles non-stimulés et devant être récolté par une opération. Des stimulations pour récolter un seul ovule sont éprouvantes tant physiquement que psychiquement. Des dons d’ovules seraient possibles dans le cadre des «egg-sharings». Ils seraient disponibles quand 2–3 ovules sont récoltés dans le cadre d’une fertilisation in vitro, et l’un d’entre eux pourrait être mis à disposition d’une femme ayant perdu sa fonction ovarienne, par ex. après un traitement oncologique. Cette procédure serait acceptée socialement, mais elle demeure cependant interdite légalement. Ce qui est permis dans la plupart des pays européens, aux USA et outre-mer, est strictement interdit par les lois restrictives en Suisse, en Autriche, en Allemagne et en Suède. Ceci incite les couples concernés, à l’instar de la situation pour le transfert de blastocytes, à recourir au tourisme médical à travers l’Europe et outre-mer. Au vu de ces différentes législations, la question se pose de savoir quel peuple, quelle nation – dans quelles circonstances et sous quelles conditions culturelles – agissent le plus juste- assistée (LPMA) et une adaptation aux expériences internationales seraient déjà appropriées, un an après l’entrée en vigueur de cette loi. Références 1 Gadner DK, Lane M, Calderane I, Leeton J. Environment of the preimplantation human embryo in vivo: metabolite analysis of oviduct and uterine fluids and metabolism of cumulus cells. Fertil Steril 1996;65:349–53. 2 Michelmann HW. Der programmierte Misserfolg: Dilemmasituation der deutschen und schweizerischen Reproduktionsmedizin. Reproduktionsmedizin 2000;16:181–2. 3 Verlinsky Y, Kuliev A. Preimplantation genetics. J. Assist. Reprod. Genet. 1998;15:215–8. 4 Viville S, Ray P, Viville B, Handysi de A, Gerlinger P. Preiimplantation genetic diagnosis: techniques and results. Med Sci 1996; 12:1378–88. 5 Baretton GB, Muller M, Wirtz A, Murken J, Arnholdt H. Numerical chromosoal aberrations in abortion tissues: comparison of conventional and interphase cytogenetics in paraffin sections and nuclear suspensions. Pathologe 1998;19:120–8.