Dégénérescences de structures projectives complexes sur les surfaces, d’après D. Dumas Frédéric Paulin 4 février 2012 Résumé Le but de ces notes est d’exposer les jolis résultats de David Dumas [Dum2] sur les dégénérescences de structures projectives complexes sur les surfaces, avec une pincée de topologie de Gromov équivariante. 1 Structures projectives complexes sur les surfaces Un excellent survol concernant cette partie est [Dum1]. Soient Σg une surface (réelle, lisse) compacte connexe orientable de genre g ≥ 2 et e Σg → Σg un revêtement universel de Σg , de groupe des automorphismes de revêtement 1 Γ (muni de la topologie discrète). 1.1 Définitions Rappelons que le groupe de Lie complexe PSL2 (C) = SL2 (C)/{± id} agit fidèlement et holomorphiquement sur la droite projective complexe P1 (C) = C ∪ {∞} par les homographies z 7→ az+b cz+d , et que le stabilisateur de l’ouvert H = {z ∈ C : Im z > 0} est PSL2 (R) = SL2 (R)/{± id}. Une structure projective complexe sur une surface S est une (G, X)-structure sur S où X = P1 (C) et G = PSL2 (C), c’est-à-dire un atlas maximal de cartes de S à valeurs dans X dont les applications de changement de cartes sont des (restrictions d’)éléments de G. Un isomorphisme de structures projectives complexes est un homéomorphisme qui envoie atlas sur atlas par précomposition. En particulier, le groupe des homéomorphismes de S agit (à droite) sur l’ensemble des structures projectives complexes sur S par précomposition des cartes. Pour toute structure projective complexe sur Σg , il existe un couple (D, ρ) où ρ : Γ → PSL2 (C) est un morphisme de groupes, appelée sa (représentation d’)holonomie et 1. La bonne manière de définir un groupe fondamental, même si le choix de point base est remplacé par un choix de revêtement universel ! 1 e g → P1 (C) est une immersion ρ-équivariante 2 , qui est localement un isomorphisme D:Σ de structures projectives complexes, appelé son application développante. Par analycité, l’application développante D détermine la représentation d’holonomie ρ, mais il est utile pour cette exposition de mettre en avant le couple (D, ρ). Ce couple est uniquement défini modulo l’action de PSL2 (C) où g ∈ PSL2 (C) agit par (D, ρ) 7→ (D ◦ g, gρg −1 ). Voir par exemple [Thu] pour ces notions. Nous noterons CP1 (Σg ) le quotient de l’ensemble des structures projectives complexes sur Σg par le groupe Diff 0 (Σg ) des isotopies 3 de Σg . Ainsi CP1 (Σg ) est identifié à l’ensemble des classes de couples (D, ρ) où ρ : Γ → PSL2 (C) est un morphisme de groupes et D : e g → P1 (C) est une immersion ρ-équivariante, modulo l’action de PSL2 (C) définie par Σ g ·(D, ρ) = (D ◦g, gρg −1 ). Nous noterons [D, ρ] la classe de (D, ρ). Nous munirons CP1 (Σg ) de la topologie quotient de la topologie produit des topologies compactes-ouvertes. Notons T (Σg ) l’espace de Teichmüller de Σg , c’est-à-dire le quotient de l’ensemble des structures de surface de Riemann sur Σg par le groupe des isotopies de Σg , muni de la topologie quotient de la topologie C∞ sur les sections du fibré des endomorphismes du fibré tangent réel de Σg (données par les multiplications par i). Nous noterons [X] la classe dans T (Σg ) d’une structure de surface de Riemann X sur Σg . Puisque les homographies sont holomorphes, toute structure projective complexe sur une surface S définit une structure de surface de Riemann sur S, dite sous-jacente. D’où une application continue d’affaiblissement de structure CP1 (Σg ) → T (Σg ) . Si X est une structure de surface de Riemann sur Σg , nous noterons CP1 (X) la fibre au-dessus de [X] pour cette application. Le groupe modulaire 4 Mod(Σg ) = Diff + (Σg )/ Diff 0 (Σg ) de Σg agit naturellement (à droite) sur CP1 (Σg ) et sur T (Σg ) par passage au quotient des précompositions de structures. L’application d’affaiblissement de structure ci-dessus est Mod(Σg )-équivariante, et admet une section continue équivariante dite fuschienne, par le théorème d’uniformisation (en uniformisant par le disque les structures complexes sur Σg ). Après avoir introduit les objets utiles, nous allons donner un paramétrage de l’espace CP1 (Σg ), qui montrera en particulier qu’il est homéomorphe à R12g−12 . 1.2 Différentielles quadratiques holomorphes Nous renvoyons par exemple à [Abi, Gar, Nag, Hub] pour le contenu de cette partie. Soit Y une surface de Riemann. Une différentielle quadratique holomorphe sur Y est une section holomorphe φ du fibré vectoriel holomorphe KY2 des 2-formes holomorphes sur Y , c’est-à-dire la donnée pour toute carte locale (U, z) de Y d’une application holomorphe φU,z : U → C telle que si (V, w) est une autre carte locale, alors φV,w (w)dw2 = φU,z (z)dz 2 sur U ∩ V . Nous noterons par abus encore φ l’application φU,z pour toute carte locale (U, z) de Y . 2. Si E et F sont deux ensembles munis d’une action d’un groupe G, une application f : E → F est dite G-équivariante (ou ρ-équivariante si ρ : G×F → F est l’action de G sur F ) si pour tous les x ∈ E et g ∈ G, nous avons f (gx) = gf (x). Si l’action de G sur F est triviale, nous dirons aussi que f est G-invariante 3. Une isotopie de Σg est un difféomorphisme de Σg isotope à l’identité (ou, de manière équivalente, homotope à l’identité, ou encore, agissant par conjugaisons sur les groupes fondamentaux de Σg ). 4. “Mapping class group” en langue anglo-saxonne. 2 Si Y est compacte connexe de genre g, le théorème de Riemann-Roch implique que la dimension de l’espace vectoriel complexe Q(Y ) des différentielles quadratiques holomorphes sur Y est 3g − 3. Cet espace vectoriel est alors muni d’une norme naturelle Z kφk = |φ| , Y car dans une carte locale, |φ| = |φ(z)| |dz 2 | est proportionnelle à la mesure de Lebesgue de la carte. Une différentielle quadratique holomorphe sur la surface lisse Σg est la donnée d’une structure de surface de Riemann X sur Σg et d’une différentielle quadratique holomorphe φ sur X. Le groupe des difféomorphismes de Σg agit naturellement sur l’ensemble des différentielles quadratiques holomorphes sur Σg . Nous noterons Q(Σg ) le quotient de cet ensemble par le groupe Diff 0 (Σg ) des isotopies de Σg , muni de la topologie quotient de la topologie produit des topologies compactes-ouvertes. La première projection (X, φ) 7→ X induit une application d’oubli continue Mod(Σg )-équivariante Q(Σg ) → T (Σg ) . Les espaces Q(Σg ) et T (Σg ) admettent (voir par exemple [Gar, Nag, Hub]) des structures de variétés holomorphes, pour lesquelles le groupe Mod(Σg ) agit par biholomorphismes, qui font de l’application d’oubli ci-dessus un fibré vectoriel holomorphe, la fibre au-dessus de [X] ∈ T (Σg ) étant Q(X). Puisque l’espace de Teichmüller est homéomorphe à R6g−6 (voir par exemple [FLP]), l’espace topologique Q(Σg ) est homéomorphe à R12g−12 . Nous aurons besoin de propriétés géométriques des différentielles quadratiques holomorphes. Fixons dans la fin de cette partie un élément φ ∈ Q(Y ) non nul. En particulier, l’ensemble φ−1 (0) de ses zéros est discret (donc fini si Y est compacte). Si x0 ∈ Y n’est pas un zéro de φ, alors il existe 5 une carte locale (U, z) de la surface de Riemann Y au voisinage de x0 telle que z(x0 ) = 0 et φ = dz 2 sur U . Une telle carte locale est uniquement définie modulo l’action du groupe des z 7→ ±z + z0 . Ainsi φ définit une structure de surface de demi-translation sur Y − φ−1 (0), c’est-à-dire un atlas maximal de cartes holomorphes de Y dont les applications de changement de cartes sont (des restrictions d’applications) de la forme z 7→ ±z + z0 . Nous renvoyons par exemple à [Mas, Zor, GL] pour plus d’informations sur les surfaces de demi-translation. Puisque ces transitions de cartes préservent la métrique euclidienne, ceci munit Y − φ−1 (0) d’une structure plate (d’une métrique riemannienne à courbure sectionnelle constante nulle). La norme kφk est égale à l’aire riemannienne totale de cette structure plate. Si x0 ∈ Y est un zéro d’ordre k ≥ 1 de φ, alors il existe une carte locale (U, z) de la surface de Riemann Y au voisinage de x0 telle que z(x0 ) = 0 et φ(z) = z k dz 2 . La surface plate Y − φ−1 (0) admet ainsi une singularité conique d’angle (k + 2)π en x0 . Nous noterons dφ la distance sur Y définie par cette structure plate à singularités coniques (borne inférieure des longueurs euclidiennes des chemins entre deux points qui sont C 1 par morceaux et ne passent qu’un nombre fini de fois par les singularités). Notons que pour tout t > 0, nous avons √ dtφ = t dφ . (- 1 -) 2 5. Dans une carte locale (V, w) en x0 , écrire φ R= φ(w)dw , choisir une détermination de x p voisinage ouvert connexe U de x0 , et poser z(x) = x0 φ(w) dw pour tout x ∈ U . 3 √ φ sur un Petit aparté sur les feuilletages mesurés. Un feuilletage mesuré d’une surface est un feuilletage F de dimension 1 de cette surface privée d’une partie discrète A, muni d’une mesure transverse µ, c’est-à-dire pour tout arc transverse I de F d’une mesure µI sur I, de support total et sans atome, qui sont invariantes par le pseudo-groupe d’holonomie transverse (si h : I → J est une application d’holonomie entre deux arcs transverses, alors h∗ µI = µJ , voir le dessin de gauche ci-dessous), à singularités de type selle à au moins 3 branches en tout point de A (voir le dessin de droite ci-dessous). F h(y) y h(x) x J I Les transformations z 7→ ±z + z0 préservent les droites horizontales. Les cartes locales de la structure de surface de demi-translation définissent donc, en prenant les images réciproques des droites horizontales, un feuilletage de dimension 1 de Y − φ−1 (0), dont les feuilles locales sont les composantes connexes des courbes d’équation Im z = c pour c ∈ R, qui en tout zéro d’ordre k ≥ 1 de φ admet une singularités de type selle à k + 2 branches. Les transformations z 7→ ±z + z0 préservent les mesures de Lebesgue sur les droites verticales. Tout arc transverse au feuilletage par droites horizontales de R2 peut être découpé en un nombre fini de sous-arcs que l’on peut pousser par holonomie le long des feuilles sur un arc vertical. Les cartes locales (U, z) de la structure de demi-translation définissent donc une mesure transverse µφ pour ce feuilletage : si c : [0, 1] → U est un chemin transverse par morceaux, d’image contenue dans U , sa mesure transverse est Z 1 Im z ◦ c(t) dt . 0 Nous noterons (Fφ , µφ ) ou Fφ par abus ce feuilletage mesuré, que nous appellerons le feuilletage horizontal de φ. Notons que pour tout t > 0, nous avons √ (Ftφ , µtφ ) = (Fφ , t µφ ) . (- 2 -) Nous noterons MFg l’ensemble des classes d’équivalence de feuilletages mesurés de Σg pour la relation d’équivalence engendrée par l’action des isotopies et des mouvements de Whitehead d’écrasements de connexions de selle ou leurs inverses (bien définies à isotopie près, voir le dessin ci-dessous). Nous le munissons de la topologie quotient de la topologie C∞ des feuilletages et la topologie vague (faible-étoile) des mesures transverses. Nous renvoyons par exemple à [Gar] pour le résultat suivant, qui dit qu’à structure complexe sous-jacente fixée, une différentielle quadratique holomorphe non nulle est caractérisée par son feuilletage horizontal. 4 s− s s+ Théorème 1.1 (Hubbard-Mazur) Soit X une structure de surface de Riemann sur Σg . L’application de Q(X) − {0} dans MFg définie par φ 7→ Fφ est un homéomorphisme. 1.3 Dérivée schwarzienne et paramétrage de CP1 (Σg ) par Q(Σg ) La dérivée schwarzienne d’une immersion holomorphe entre surfaces de Riemann est son obtruction à être localement projective (voir la jolie introduction [OT2] et [OT1] pour une excellente présentation). Elle est fondamentale en analyse complexe (par exemple pour définir la structure de variété holomorphe de l’espace de Teichmüller, voir [Gar, Nag, Hub], pour l’uniformisation, voir l’excellent livre d’auteur multicéphale [Sai], et pour d’autres aspects des fonctions univalentes, voir [Leh]) et en systèmes dynamiques (en version réelle) [BM, dMvS, KS]. Soient Ω un ouvert de C et f : Ω → P1 (C) une application holomorphe localement injective. La dérivée schwarzienne de f est la différentielle quadratique holomorphe sur Ω définie par f 00 (z) 0 1 f 00 (z) 2 Sf = − dz 2 . f 0 (z) 2 f 0 (z) Cette formule n’est pas tellement importante (sauf pour la résolution de l’équation différentielle schwartzienne Sf = φ), les propriétés fondamentales de la dérivée schwarzienne sont les suivantes, où f et g sont holomorphes localement injectives : • la dérivée schwarzienne est l’obtruction à être localement projective : Sf = 0 si et seulement si f est localement restriction d’homographies ; • la dérivée schwarzienne vérifie la propriété de cocycle S (f ◦ g) = g ∗ (Sf ) + Sg . e la structure de surface de Soit X une structure de surface de Riemann sur Σg , notons X 6 e g , identifiée par exemple (par uniformisation) au demi-plan ouvert Riemann relevée sur Σ e → P1 (C) est une représentation d’holonomie d’une structure supérieur H de C. Si D : X projective complexe sur Σg de structure complexe sous-jacente X (qui est donc holomorphe localement injective), de représentation d’holonomie ρ, alors SD est une différentielle e invariante par l’action de Γ : par les deux propriétés quadratique holomorphe sur X, e et ρ(γ) par homographies sur précédentes, puisque γ ∈ Γ agit par homographies sur X P1 (C), nous avons γ ∗ (SD) = S (D ◦ γ) = S (ρ(γ) ◦ D) = SD . Donc φe = SD passe au quotient en une différentielle quadratique holomorphe φ = [SD] sur X. La classe d’isotopie de celle-ci ne dépend pas du choix du représentant (D, ρ) dans 6. Le choix d’une identification, bien définie modulo homographie, est indifférent par les propriétés ci-dessus de la dérivée schwarzienne 5 son orbite sous PSL2 (C), toujours par les deux propriétés des dérivées schwarziennes. Ceci définit donc une application CP1 (X) → Q(X) . e Le théorème de dépendance continue de solutions d’équations différentielles (ici SD = φ) montre que cette application est un homéomorphisme. Le choix d’une section continue σ : T (Σg ) → CP1 (Σg ) permet de recoller ces homéomorphismes lorsque la structure complexe sous-jacente varie, pour obtenir un homéomorphisme Mod(Σg )-équivariant CP1 (Σg ) ' Q(Σg ) qui rend commutatif le diagramme suivant : ∼ CP1 (Σg ) −→ Q(Σg ) & . T (Σg ) . 2 Auprès de mon arbre 7 Les survols recommandés pour cette partie sont [Sha1, Sha2, Mor, Bes2, Pau3, Chi]. Découverts par Bruhat-Tits (voir par exemple [Tit]) et popularisés par Morgan-Shalen [MS1, MS2], les arbres réels sont les espaces métriques uniquement connexes par arc, dans lequel tout arc est isométrique à un intervalle de R. La définition équivalente qui nous sera le plus utile dans ces notes est celle d’espace métrique géodésique 0-hyperbolique. Rappelons qu’un espace métrique X est géodésique si pour tous les x, y ∈ X, il existe un segment géodésique d’extrémités x et y, c’est-à-dire un chemin isométrique c : [a, b] → X tel que c(a) = x et c(b) = y. Un tel segment géodésique n’est pas forcément unique, mais son image sera notée [x, y]. Pour tout δ ≥ 0, un espace métrique géodésique X est δhyperbolique si pour tous les x, y, z ∈ X et tous les segments géodésiques [x, y], [y, z], [z, x], chacun d’entre eux est contenu dans le δ-voisinage fermé de la réunion des deux autres. n Par exemple, pour tout √ n ≥ 2, l’espace hyperbolique réel HR (à courbure sectionnelle constante −1) est ln(1 √ + 2)-hyperbolique (avec constante optimale). Ainsi, tout espace CAT(−1) est ln(1 + 2)-hyperbolique. Rappelons qu’un espace CAT(−1) (respectivement CAT(0)) est un espace métrique géodésique dont les triangles géodésiques sont plus pincés que ceux du plan hyperbolique réel (respectivement plan euclidien), c’est-à-dire tel que pour tous les x, y, z ∈ X et tous les segments géodésiques [x, y], [y, z], [z, x], si x, y, z dans H2R (respectivement R2 ) sont tels que d(x, y) = d(x, y), d(y, z) = d(y, z), et d(x, z) = d(x, z), alors pour tout p ∈ [x, y], si p ∈ [x, y] vérifie d(x, p) = d(x, p), alors d(p, z) ≤ d(p, z). Nous renvoyons à [BH] pour tout complément d’information sur les espaces CAT(−1) et CAT(0). Les triangles géodésiques des arbres réels T sont tellement pincés que ce sont des tripodes, et en particulier, un arbre réel est CAT(−1). z z y T x X y x H2R 7. “Auprès de mon arbre, je vivais heureux”, Georges Brassens. 6 R2 Soit X un espace CAT(0). Un rayon géodésique dans X est une application isométrique de [0, +∞[ dans X, et une droite géodésique dans X est une application isométrique de R dans X. Nous notons ∂∞ X le bord à l’infini de X, c’est-à-dire l’ensemble des classes d’équivalence de rayons géodésiques pour la relation être à distance de Hausdorff finie , muni de la topologie quotient de la topologie compacte-ouverte. Nous munissons la réunion disjointe X∪∂∞ X de l’unique topologie métrisable, induisant les topologies précédentes sur X et sur ∂∞ X, telle qu’une suite (xi )i∈N dans X converge vers un point à l’infini ξ ∈ ∂∞ X, classe d’un rayon géodésique ρ, si et seulement si la suite de segments géodésiques entre ρ(0) et xi qui stationne en xi converge vers ρ pour la convergence uniforme sur les compacts des applications continues de [0, +∞[ dans X. Si X est propre 8 , alors X ∪ ∂∞ X est compact, et appelé la compactification géodésique de X. Soit γ une isométrie de X. Nous noterons encore γ l’unique extension continue de γ à X ∪ ∂∞ X. La distance de translation de γ est `(γ) = inf d(x, γx) . x∈X L’isométrie γ est • elliptique si elle admet un point fixe (de manière équivalente si la borne inférieure définissant `(γ) est atteinte et si `(γ) = 0) ; • hyperbolique si la borne inférieure définissant `(γ) est atteinte et si `(γ) > 0 ; il existe alors une (image de) droite géodésique sur laquelle γ agit par translation de distance `(γ), appelée l’axe de translation de γ ; si X est CAT(−1), il est unique, c’est l’ensemble des points x de X tels que d(x, γ 2 x) = 2d(x, γx) : cette caractérisation, qui ne fait intervenir qu’un nombre fini d’éléments du groupe Γ et les distances entre un nombre fini de points, sera très utile ; • parabolique sinon. Ce cas n’arrive pas dans les arbres réels, ni pour les isométries polyédrales des complexes polyédraux hyperboliques par morceaux CAT(−1), comme les immeubles hyperboliques (voir par exemple [BH, GP]). Si X est CAT(−1) et propre, alors `(γ) = 0 et γ admet un unique point fixe dans ∂∞ X. Soit ρ une action isométrique d’un groupe Γ sur X. Nous appellerons fonction distance de translation, et noterons `ρ (ou `X par abus quand ρ est sous-entendue) l’application de Γ dans [0, +∞[ définie par `ρ : γ 7→ `(ρ(γ)) . Notons que pour toute isométrie γ de X, nous avons `γργ −1 = `ρ . Si T est un arbre réel, une action ρ d’un groupe sur T est dite minimale (au sens des arbres) si elle n’admet pas de sous-arbre non vide propre invariant. Cette terminologie est très mauvaise, on prendra bien garde de ne pas la confondre avec la notion d’action minimale sur un espace topologique en systèmes dynamiques (signifiant que toute orbite est dense), mais elle est hélas usuelle. Si ρ n’a pas de point fixe global (ou de manière équivalente si sa fonction distance de translation n’est pas identiquement nulle), alors T admet un unique sous-arbre invariant minimal, qui est la réunion des axes de translation de T . On fera attention que le complété d’un arbre réel est encore un arbre réel (et que les actions isométriques de groupes s’étendent), mais qu’un arbre réel muni d’une action 8. Un espace métrique est propre si ses boules fermées sont compactes 7 minimale d’un groupe n’est en général pas complet (ou que l’unique sous-arbre invariant minimal, s’il n’y pas de point fixe global) n’est pas forcément fermé). Comme le passage de l’arbre minimal à l’arbre complet et réciproquement est canonique, il n’y a trop de souci à se faire quand même ! Petit aparté sur la topologie des observateurs. Pour la culture, introduisons aussi une définition due à Favre-Jonsson [FJ] et Coulbois-Hilion-Lustig [CHL]. Si T est un arbre réel, notons T̂ obs la réunion du complété de l’espace métrique T et de son bord à l’infini ∂∞ T , munie de la topologie des observateurs, qui est la topologie engendrée par l’ensemble des parties de cette réunion de la forme C ∩ ∂∞ C où C est une composante connexe du complémentaire d’un point du complété de T . Par construction, cette topologie est moins fine que celle de la compactification géodésique du complété de T , mais a les mêmes parties connexes. Notons que pour tout x dans T , toute suite dans T − {x} qui sort de toute union finie de composantes connexes du complémentaire de x conv erge vers x. Il est immédiat de vérifier, en utilisant des ultrafiltres, que T̂ obs est compact. C’est en fait une dendrite. 9 10 Nous aurons besoin de la notion suivante, introduite par Morgan-Otal [MO]. Soient T et T 0 deux arbres réels. Une application continue f : T → T 0 est un morphisme d’arbres réels si tout segment géodésique de T peut être subdivisé en un nombre fini de segments géodésiques I1 , . . . , Ik en restriction auxquels f est isométrique. La composition de deux morphismes d’arbres réels est un morphisme d’arbres réels. 9. La terminologie de topologie des observateurs est due à V. Guirardel. 10. Une dendrite est un espace topologique métrisable compact, localement connexe par arcs, uniquement connexe par arcs. 8 Ainsi, comme un mètre pliant peut être plié sur un segment, 11 un morphisme f : T → T 0 “plie” T sur T 0 . e1 Par exemple, un arbre réel T sans point terminal 12 est un immeuble affine de type A (ou encore de type (A = R, WAff = Isom(R)) suivant la terminologie de [KL] et [Par1], dont les appartements (du système maximal d’appartement) sont les droites géodésiques. La rétraction de l’immeuble T sur l’un de ses appartements définie par le germe de cet appartement en un de ses point, ou par l’un de ses points à l’infini (voir [Par1]), est un morphisme d’arbres réels. Exemple 1. Soit K un corps valué non archimédien, c’est-à-dire un corps muni d’une valeur absolue non archimédienne, c’est-à-dire une application | · | : K → [0, +∞[ telle que |x| = 0 si et seulement si x = 0, et, pour tous les x, y ∈ K, |xy| = |x| |y| et |x + y| ≤ max{|x|, |y|} . Soit V l’espace vectoriel K2 . Une norme ultramétrique sur V est une application n : V → [0, +∞[ telle que n(x) = 0 si et seulement si x = 0, et, pour tous les x, y ∈ K, n(λx) = |λ| n(x) et n(x + y) ≤ max{n(x), n(y)} . Elle est adaptable (ou cartésienne) de volume 1 s’il existe une base (e1 , e2 ) de V adaptée à n, c’est-à-dire telle que n(e1 ) n(e2 ) = 1 et pour tous les λ1 , λ2 ∈ K, nous ayons n(λ1 e1 + λ2 e2 ) = max{ |λ1 | n(e1 ), |λ2 | n(e2 ) } . Nous renvoyons par exemple à [BGR] pour des compléments sur les normes ultramétriques. L’ensemble TK des normes ultramétriques cartésiennes de volume 1, muni de l’action de SL2 (K) définie par (g, n) 7→ n ◦ g −1 et de la distance n0 (e1 ) d(n, n0 ) = log n(e1 ) pour toute base (e1 , e2 ) de V adaptée à n et à n0 , est un arbre réel, appelé l’arbre de Bruhat-Tits de SL2 (K) (voir [BT1, BT2, GI, Par1]). Par exemple, si K est égal à Cp , le complété d’une cloture algébrique de Qp , la dendrite obs T̂K est la droite projective de Berkovich de Cp (voir [Ber, FJ, BR]). e g → Σg et Γ comme dans le préambule. Soient F un Exemple 2. Soient g, Σg , Σ f le feuilletage mesuré de Σg obtenu par relèvement. feuilletage mesuré de Σg , et F f, notons |c| e sa mesure transverse Pour tout chemin c transverse par morceaux à F F totale (somme des mesures transverses de chacun de ses morceaux transverses). Nous f la quantité e g pour F appellerons pseudo-distance transverse entre deux points x et y de Σ δFe (x, y) = inf { |c|F } , c 11. “folding rule” en langue anglo-saxone 12. Un point terminal d’un arbre réel T est un point x de T tel que T − {x} est connexe. 9 f allant de x où la borne inférieure porte sur les courbes c transverses par morceaux à F à y. C’est clairement une pseudo-distance, c’est-à-dire qu’elle vérifie tous les axiomes des distances sauf celui de séparation : deux points distincts peuvent être à pseudo-distance f. nulle, par exemple s’ils sont dans une même feuille de F Bien sûr, il est possible de définir une telle pseudo-distance aussi sur Σg , mais elle n’a guère d’intérêt en général : par exemple, si F a une feuille dense dans Σg (ce qui est la situation générique), alors la pseudo-distance transverse δFe est nulle. L’arbre dual à F est l’espace métrique quotient canonique eg/ ∼ , TFe = Σ où ∼ est la relation d’équivalence x ∼ y si et seulement si δFe (x, y) = 0, muni de la distance quotient δFe ([x], [y]) = δFe (x, y) où x et y sont n’importe quels représentants des classes [x] e g muni de la structure uniforme définie par la et [y]. C’est le plus gros quotient séparé de Σ eg → T e pseudo-distance δFe , voir [Bourb] pour plus d’information. Nous noterons πFe : Σ F e g , qui est isométrique pour la pseudo-distance la projection canonique. L’action de Γ sur Σ δFe , passe au quotient en une action isométrique de Γ sur TFe . Nous rassemblons dans la proposition suivante les propriétés des arbres duaux, dus à Morgan-Shalen [MS1, MS2], Gillet-Shalen [GS] et Morgan-Otal [MO], voir aussi [LP] pour une généralisation. Nous appellerons par abus feuille singulière d’un feuilletage mesuré d’une surface toute union connexe par arcs maximale de feuilles et de singularités. f est propre, et pour tous les Proposition 2.1 (1) Toute feuille et feuille singulière de F e g , nous avons π e (x) = π e (y) si et seulement si x et y appartiennent à la x et y dans Σ F F même feuille ou la même feuille singulière. (2) L’espace métrique TFe est un arbre réel, et l’action isométrique de Γ sur TFe est minimale (au sens des arbres). f s’injecte par π e dans T e . (3) Tout arc transverse à F F F (4) Pour tout arbre réel T muni d’une action isométrique de Γ, toute application Γe g → T qui est constante sur les feuilles et isométrique sur tout arc équivariante fe : Σ f (muni de la pseudo-distance transverse) transverse ne contenant pas de singularité de F induit par passage au quotient un morphisme d’arbres réels Γ-équivariant f : TFe → T . Cette dernière assertion dit les “pliages” de f ne peuvent avoir lieu qu’aux images dans f. En particulier, si F f n’a que des singularités à 3 branches, alors TFe des singularités de F f est une isométrie. Notons Acyc (Γ) l’ensemble des classes d’isométries équivariantes d’actions isométriques minimales de Γ sans point fixe global sur des arbres réels, dont les stabilisateurs de segments géodésiques non triviaux sont cycliques. Nous le munirons plus tard d’une topologie. Le résultat suivant (voir [Sko]) dit qu’un feuilletage mesuré de Σg est caractérisé, à isotopie et mouvement de Whitehead près, par son arbre dual. Théorème 2.2 (Skora) L’application de MFg dans Acyc (Γ) qui à la classe d’un feuil letage mesuré F associe la classe de son arbre dual TFe , est un homéomorphisme. 10 3 En route vers l’infini 13 Les ultrafiltres (introduits par H. Cartan) sont un moyen magique de choisir une des valeurs d’adhérences de suites et d’éviter des arguments d’extraction (par ailleurs délicats dans des espaces pas forcément métrisables). Certes, leur existence utilise l’axiome du choix, mais qui veut la fin veut les moyens. Soit ω un ultrafiltre 14 sur N, non principal (c’est-à-dire contenant le filtre de Fréchet des complémentaires de parties finies). Rappelons qu’étant donné un espace topologique E et un élément x ∈ E, on dit une suite (xi )i∈N dans E converge vers x suivant le filtre ω si pour tout voisinage V de x, il existe un élément I de ω tel que xi ∈ V pour tout i ∈ I, et on note x = limω xi . Proposition 3.1 Soient Y un espace topologique et (xi )i∈N une suite dans Y . (1) Pour toute valeur d’adhérence ` de (xi )i∈N dans Y , il existe un ultrafiltre non principal ω sur N tel que limω xi = ` (voir [Bourb, Chap. I, §7, Prop. 8]). (2) Si Y est compact 15 , pour tout ultrafiltre non principal ω sur N, il existe un et un seul ` ∈ Y tel que limω xi = `, et ` est une valeur d’adhérence de (xi )i∈N (voir [Bourb, Chap. I, §9, n˚1]). Rappelons que l’espace [−∞, +∞] est compact, donc toute suite réelle a une limite suivant ω dans cet espace. Suite à l’interprétation logique par van der Dries et Wilkie [DW] de son article [Gro1], Gromov a introduit dans [Gro2] une notion de limite d’actions isométriques sur des espaces métriques variables. Nous nous restreindrons au cas des suites, bien que les suites généralisées soient un outil plus puissant. Soient Γ un groupe fixé et (Xi , di , ∗i , ρi )i∈N une suite d’espaces métriques (Xi , di ) pointés en ∗i munis d’une action isométrique ρi de Γ (ne préservant pas forcément le point base), telle que pour tout γ ∈ Γ, lim di (∗i , ρi (γ)∗i ) < +∞ . ω Cette condition est vérifiée par exemple si l’image du point base par tout élément fixé du groupe reste à distance bornée du point base. Considérons l’ensemble Y X∞ = {x = (xi )i∈N ∈ Xi : lim di (∗i , xi ) < +∞} ω i∈N pointé en ∗∞ = (∗i )i∈N , muni de la pseudo-distance (qui en est bien une), d∞ (x, y) = lim di (xi , yi ) ω où x = (xi )i∈N et y = (yi )i∈N , et de l’action diagonale α∞ de Γ définie par α∞ (γ)(xi )i∈N = ρi (γ)xi i∈N , 13. “En route vers l’infini et au-delà”, Buzz l’éclair. 14. Un filtre est un ensemble non vide de parties non vides, stable par intersections finies et passage à la surpartie (bref qui vérifie les mêmes axiomes que l’ensemble des voisinages d’un point), et un ultrafiltre est un filtre maximal (pour l’inclusion). 15. Il est important, comme nous l’a appris N. Bourbaki, de supposer qu’un espace métrique localement compact est séparé (“Hausdorff” en langue anglo-saxonne). 11 qui est isométrique pour la pseudo-distance d∞ . Alors l’ultralimite (Xω , dω , ∗ω , ρω ) de la suite (Xi , di , ∗i , ρi )i∈N suivant ω est l’espace métrique quotient canonique Xω = X∞ / ∼ où x ∼ y si et seulement si d∞ (x, y) = 0, muni de la distance quotient dω ([x], [y]) = d∞ (x, y) , où [x], [y] sont les classes d’équivalence de x, y ∈ X∞ , pointé en la classe d’équivalence ∗ω de ∗∞ , muni de l’action isométrique quotient de Γ définie par ρω (γ)[x] = [ρ∞ (γ)x] . Dans la suite, nous noterons [xi ] la classe d’équivalence d’un élément (xi )i∈N ∈ X∞ . Cette ultralimite est en fait une limite suivant le filtre ω de la suite considérée, pour la topologie suivante (voir [Pau1]). Rappelons qu’une correspondance R entre deux ensembles E et F est une relation R ⊂ E × F dont les deux projections sont surjectives. Soient Γ un groupe et E un ensemble d’espaces métriques munis d’une action isométrique de Γ (ou un ensemble de classes d’isométrie équivariante de tels objets). Pour tout X dans E , pour toutes les parties finies K de X et P de Γ, et pour tout > 0, notons VK,P, (X) l’ensemble des X 0 ∈ E tels qu’il existe une partie finie K 0 dans X 0 et une correspondance R entre K et K 0 telle que ∀ x, y ∈ X, ∀ x0 , y 0 ∈ X 0 , ∀ γ ∈ P, si x R x0 et y R y 0 , alors | d(x, γy) − d(x0 , γy 0 ) | < . Alors l’ensemble des VK,P, (X), pour les parties finies K de X et F de Γ, et les > 0, est un système fondamental de voisinages de X pour une topologie sur E , appelée la topologie de Gromov équivariante. Cette topologie n’est en général pas séparée : par exemple, si une suite (Xi )i∈N converge vers X, alors elle converge aussi vers tout sous-espace Γ-invariant de X (nous utiliserons ceci plus tard). Il est immédiat de vérifier que (Xω , dω , ρω ) est une limite de la suite (Xi , di , ρi )i∈N suivant le filtre ω pour cette topologie. Ainsi, toute suite d’actions qui ne bougent pas trop des points bases a une limite ! L’essentiel du travail de convergence est ramené à trouver des points bases qui, quitte à renormaliser les distances, ne sont pas trop bougés par les éléments de Γ. Bien sûr, il reste aussi à étudier les propriétés des limites obtenues, et c’est souvent la partie la plus importante du travail. Nous résumons dans le résultat suivant les propriétés immédiates des ultralimites. Proposition 3.2 (1) L’espace métrique Xω est complet. (2) Si fi : Xi → Yi est une application (λi , i )-quasi-isométrique (respectivement λi lipschitzienne) 16 , si λ = limω λi < ∞, = limω i < ∞ et limω d(fi (∗i ), ∗i ) < ∞, alors l’application fω = limω fi : Xω → Xω définie par [xi ] 7→ [fi (xi )] est (λ, )-quasiisométrique, et donc isométrique si (λ, ) = (1, 0) (respectivement λ-lipschitzienne). (3) Si Xi est géodésique pour tout i, alors Xω aussi. (4) Si Xi est géodésique δi -hyperbolique pour tout i, si δ = limω δi < ∞ alors Xω est géodésique δ-hyperbolique, et donc un arbre réel si δ = 0. 16. Pour tous les λ ≥ 1 et ≥ 0, une application f : X → Y entre deux espaces métriques est λlipschitzienne si d(f (x), f (y)) ≤ λ d(x, y) pour tous les x, y ∈ X, et elle est (λ, )-quasi-isométrique si 1 d(x, y) − ≤ d(f (x), f (y)) ≤ λ d(x, y) + pour tous les x, y ∈ X. λ 12 Par exemple, si (X, d) est un espace métrique, si (λi )i∈N est une suite dans ]0, +∞[ tendant vers +∞ (dite suite des scalaires) et (∗i )i∈N est une suite dans X (dite suite des points d’observation), alors l’ultralimite (Xω , dω , ∗ω ) = lim (Xi = X, di = ω 1 d, ∗i ) λi (Γ est ici le groupe trivial) est appelée un cône asymptotique de X. Dyubina-Polterovich [DP] ont montré que tous les cônes asymptotiques de toutes les variétés riemanniennes complètes simplement connexes de dimension au moins 2 et à courbure sectionnelle au plus −1 (en particulier ceux de l’espace hyperbolique réel H3R ) sont isométriques à un même arbre réel. Une description de celui-ci est l’ensemble Tuniv des applications f : [0, af [ → [0, 1] où 0 < af < +∞, f (0) = 0, f est localement constante à droite (c’est-à-dire pour tout t ∈ [0, af [ , il existe > 0 tel que f|[t,t+[ est constant), muni de la distance d(f, g) = af + ag − 2 sup{t ≥ 0 : ∀ s ∈ [0, t], f (s) = g(s)} . Tout arbre réel de cardinal au plus celui de R se plonge isométriquement dans Tuniv (voir par exemple [MNO]). 4 La compactification de Morgan-Shalen revisitée Soit Γ un groupe de type fini. Nous allons décrire une compactification d’un espace X de classes de représentations de Γ dans un groupe topologique G, due à Thurston [FLP] si Γ est un groupe de surface, G = PSL2 (R) et X est l’espace de Teichmüller, due à Morgan-Shalen [MS1] si G = SL2 (C) et X est la variété des caractères de représentations de Γ dans G, en suivant l’approche métrique de Bestvina [Bes1] et [Pau1] (voir aussi [Pau4]), et la présentation optimale de Parreau [Par3]. Nous dirons qu’une action isométrique de Γ sur un espace métrique CAT(−1) est complètement réductible si pour tout ξ ∈ ∂∞ X fixé par Γ, il existe η ∈ ∂∞ X − {ξ} fixé par Γ. Cette définition est due à Serre [Ser] et Parreau [Par2], et nous renvoyons à cette dernière référence pour la bonne notion dans les espaces métriques CAT(0). 13 Soient X un espace métrique CAT(−1) propre (par exemple le modèle du demi-espace supérieur de l’espace hyperbolique réel X = H3R ) et G un groupe topologique localement compact agissant (à gauche) sur X par isométries, proprement, avec quotient G\X compact (par exemple G = PSL2 (C) agissant sur X = H3R par l’extension de Poincaré des homographies de P1 (C) = C∪{∞} = ∂∞ H3R , voir le début de la partie 5). Tout morphisme de groupes ρ de Γ dans G est une action isométrique de Γ dans X, et en particulier `ρ désigne sa fonction distance de translation sur X. Notons • PΓ l’ensemble quotient de l’ensemble [0, +∞[Γ −{0} des fonctions non nulles de Γ dans [0, +∞[ , par l’action de R∗+ définie par (λ, f ) 7→ λf , munie de la topologie quotient de la topologie produit (qui est métrisable car Γ est dénombrable mais pas localement compacte si Γ est infini) ; • A (Γ) l’ensemble des classes d’isométrie équivariante des actions isométriques, sans point fixe global, complètement réductibles, minimales de Γ sur les arbres réels T , muni de la topologie de Gromov équivariante ; • X (Γ, G) l’ensemble quotient de l’ensemble des morphismes de groupes ρ : Γ → G complètement réductibles, modulo l’action par conjugaison 17 de G, muni de la topologie quotient de la topologie de la convergence simple. L’ensemble X (Γ, Isom(X)) des classes d’isométrie équivariante des actions isométriques de Γ sur X peut aussi être muni de la topologie de Gromov équivariante, et nous le noterons alors X 0 (Γ, Isom(X)). • θ1 : X (Γ, G) → PΓ l’application [ρ] 7→ [`ρ + 1], θ10 : X 0 (Γ, Isom(X)) → PΓ l’application [ρ] 7→ [`ρ + 1], et θ2 : A (Γ) → PΓ l’application T 7→ [`T ]. Considérons le diagramme suivant. L’application [ρ] 7→ [`ρ ] n’est définie que sur le complémentaire dans X (Γ, G) du sousespace X0 (Γ, G) des classes des représentations dont la fonction distance de translation sur X est nulle. C’est pour cela que nous ajoutons un 1 aux fonctions distance de translation, ce qui ne change pas l’asymptotique projectivement, même si travailler avec des fonctions partiellement définies est possible. Le sous-espace X0 (Γ, G) est compact. En effet, si `ρ = 0, alors ρ(Γ) fixe un point de X ou de ∂∞ X (par la propreté de X et le fait que si γ, γ 0 sont deux isométries paraboliques de X dont les points fixes sont distincts, alors il existe N tel que γ N γ 0 N soit une isométrie hyperbolique). Dans le second cas, la complète réductibilité implique aussi que ρ(Γ) a un point fixe dans X. Comme G agit proprement, ceci montre la compacité de X0 (Γ, G). Notons Out(Γ) = Aut(Γ)/Int(Γ) le groupe des automorphismes extérieurs de Γ (c’està-dire le groupe quotient du groupe des automorphismes de groupes de Γ par son sousgroupe distingué des automorphismes intérieurs h 7→ γhγ −1 pour γ ∈ Γ). Il agit par homéomorphismes sur les espaces X (Γ, G), PΓ et A (Γ), par passage au quotient de la précomposition par un automorphisme d’une fonction de Γ dans un ensemble. 17. Le groupe G agit sur l’ensemble Hom(Γ, G) des morphismes de groupes de Γ dans G par (g, ρ) 7→ {h 7→ gρ(h)g −1 }. 14 Proposition 4.1 Les applications du diagramme précédent sont continues et Out(Γ)équivariantes. Démonstration. Il est immédiat par les propriétés de la topologie quotient que l’application de X (Γ, G) dans X (Γ, Isom(X)) définie par l’action isométrique de G sur X est continue. Il est immédiat que l’application identité de X (Γ, Isom(X)) dans X 0 (Γ, Isom(X)) est continue (il suffit de prendre K 0 = K et R le graphe de idK dans la définition de la topologie de Gromov équivariante). Par commutativité du diagramme ci-dessus, il suffit donc de montrer que la fonction distance de translation dépend continuement de l’action pour la topologie de Gromov équivariante sur les arbres réels ou les espaces CAT(−1) propres. Par définition de la topologie produit sur [0, +∞[Γ , il suffit de le vérifier lorsque Γ est engendré par un élément γ. Soient donc X 0 assez proche de X pour la topologie de Gromov équivariante, et notons `(γ) et `0 (γ) les distances de translation de γ dans X et X 0 respectivement. S’il existe x ∈ X tel que d(x, γx) est petite, alors il existe x0 ∈ X tel que d(x0 , γx0 ) est petite, donc nous pouvons supposer que `(γ) > 0. Comme X est propre ou un arbre réel, ceci implique que γ est hyperbolique dans X. Soit > 0 petit devant `(γ). Soit x un point de l’axe de translation de γ dans X, qui vérifie en particulier d(x, γx) + d(γx, γ 2 x) − d(x, γ 2 x) = 0. Si X 0 est assez proche de X, il existe x0 dans X tel que |d(x0 , γx0 ) − d(x, γx)| < et d(x0 , γx0 ) + d(γx0 , γ 2 x0 ) − d(x0 , γ 2 x0 ) < . Comme X est CAT(−1) propre ou un arbre réel, ceci implique que γ est aussi hyperbolique dans X, et que x0 est à distance au plus 0 (qui tend vers 0 quand tend vers 0) de l’axe de translation de γ dans X 0 . D’où en notant y 0 la projection orthogonale de x0 sur cet axe, |`0 (γ) − `(γ)| = |d(y 0 , γy 0 ) − d(x, γx)| ≤ |d(x0 , γx0 ) − d(x, γx)| + 20 ≤ + 20 , ce qui montre le résultat. Cet argument montre que les axes de translation sont des limites d’axes de translation : si (Xω , dω , ∗ω , ρω ) est l’ultralimite d’une suite (Xi , di , ∗i , ρi )i∈N avec Xi un arbre réel ou un espace CAT(−1) propre, si fω : R → Xω est un paramétrage isométrique de l’axe de translation de γ ∈ Γ dans Xω , alors il existe I ∈ ω tel que pour pour tout i ∈ I, γ est hyperbolique dans Xi et il existe un paramétrage isométrique fi : R → Xi de l’axe de translation de γ dans Xi tel que fω = limω fi . Bien que nous n’en aurons pas vraiment besoin dans la suite, faisons quelques remarques sur les objets apparaissant dans le diagramme précédent. Remarques. (1) Notons PA (Γ) l’espace topologique quotient de A (Γ) par l’action de R∗+ par multiplication de la distance par un scalaire, c’est à dire l’espace des classes d’homothétie 18 équivariante des actions isométriques, sans point fixe global, complètement réductibles, minimales de Γ sur les arbres réels T , muni de la topologie quotient de la topologie de Gromov équivariante. Il résulte de résultats de Culler-Morgan [CM] et [Pau2] (dont la propriété de continuité ci-dessus) que l’application θ2 induit par passage au quotient un homéomorphisme de PA (Γ) sur son image. (2) Parreau [Par2] a montré que si X est un espace symétrique (donc dans notre cas un espace hyperbolique réel, complexe, quaternionique ou le plan hyperbolique sur les 18. Une homothétie entre deux espaces métriques X et Y est une bijection f : X → Y telle qu’il existe λ > 0 tel que d(f (x), f (y)) = λ d(x, y) pour tous les x, y dans X. 15 octonions, mais les résultats de [Par2] sont bien plus généraux) alors X (Γ, G) est le plus gros quotient séparé de l’espace topologique quotient Hom(Γ, G)/G (toujours pour l’action par conjugaison de G sur l’ensemble Hom(Γ, G) muni de la topologie de la convergence simple), au sens suivant. • Pour tout ρ ∈ Hom(Γ, G), il existe ρss dans l’adhérence G · ρ de l’orbite de ρ par G qui est complètement réductible. • Pour tous les ρ, ρ0 ∈ Hom(Γ, G) complètement réductibles, nous avons G · ρ ∩ G · ρ0 6= ∅ si et seulement si G · ρ = G · ρ0 . Ainsi nous avons une application bien définie et surjective π : Hom(Γ, G)/G → X (Γ, G) qui à [ρ] associe [ρss ]. • L’application π est continue et la topologie induite sur X (Γ, G) par l’inclusion de X (Γ, G) dans Hom(Γ, G)/G coı̈ncide avec la topologie la plus fine rendant continue π. • L’espace X (Γ, G) est séparé (donc localement compact) et toute application continue G-invariante de Hom(Γ, G) dans un espace topologique séparé Y factorise par π. Ces énoncés font sens sous les seules hypothèses que nous demandons sur (X, G), et il est donc naturel de se demander pour quelles conditions sur (X, G) ils sont vérifiés, en particulier lorsque X est un immeuble hyperbolique ou un arbre régulier, qui ont souvent de jolis sous-groupes fermés G d’automorphismes. Comme remarqué par Parreau [Par3], le problème est beaucoup plus délicat pour les espaces CAT(0) propres (une indication qu’il convient de se méfier est la non unicité des axes de translations) : par exemple, l’espace topologique X (Z, Isom(R2 )) n’est pas séparé. (3) Un lien entre l’espace topologique X (Γ, G) et les quotients algébro-géométriques a la Mumford (dont les variétés des caractères de Culler-Shalen et Morgan-Shalen), est le suivant, voir [Lun, RS, Bre, Par3]. Par variété algébrique affine V définie sur un sous-corps k de C, nous entendrons dans ces notes un sous-ensemble d’un CN où N ∈ N, lieu des zéros communs d’une famille de polynômes complexes à coefficients dans k. L’ensemble de ses k-points est l’ensemble V (k) des zéros dans k N de ces polynômes. Son anneau des fonctions est l’ensemble des polynômes qui s’annulent sur V . Un fermé de Zariski de V est le lieu dans V des zéros communs d’une famille de polynômes complexes de CN . Soit G un groupe algébrique affine connexe réductif défini sur K = R ou K = C. Soient G = G(K)0 et X un espace symétrique de G (par exemple K = C, G = PGL2 , G = PSL2 (C) et X = H3R ). Si G est un sous-groupe algébrique défini sur K de SLN (C) ⊂ CN et S est une partie génératrice finie de Γ, par restriction à S, le sous-ensemble Hom(Γ, G) s’identifie à une variété algébrique affine définie sur K contenue dans (CN )S . La théorie géométrique des invariants (voir par exemple [PV]) montre qu’il existe une variété affine complexe Hom(Γ, G)//G définie sur K, dont l’anneau des fonctions est l’anneau des fonctions de Hom(Γ, G) invariantes par G. Alors l’application X (Γ, G) = n G-orbites fermées o n G-orbites Zariski-fermées o −→ Hom(Γ, G)//G = dans Hom(Γ, G) dans Hom(Γ, G) définie par G · ρ 7→ G · ρ, est • un homéomorphisme, si K = C (car sur C, les orbites d’actions algébriques de groupes algébriques sur des variétés algébriques affines sont Zariski-fermées si et seulement si elles sont analytiquement fermées, voir [Bre, Prop. 5.3]) ; 16 • une application continue, à fibres finies, d’image en général contenue strictement dans l’ensemble des points réels de Hom(Γ, G)//G, si K = R. Précisons ce que nous entendrons par compactification dans ces notes (voir [Par3]). Soit X un espace topologique localement compact 19 . Une compactification de X est un b ι) où couple (X, b • X est un espace topologique compact ; b est un homéomorphisme sur son image, qui est ouverte et dense. • ι:X→X b par ι. Si X est muni d’une action continue Nous identifierons X avec son image dans X b nous dirons que cette d’un groupe topologique G et si cette action s’étend continuement X, b et X b 0 sont compactification est G-équivariante. Deux compactifications (équivariantes) X b dans X b 0 valant l’identité isomorphes s’il existe un homéomorphisme (équivariant) de X sur X. Par exemple, toute application continue θ : X − X0 → Y du complémentaire d’un compact X0 dans X à valeurs dans un espace topologique Y , dont l’image est d’adhérence b θ de X, dite associée à θ, en lui rajoutant la compacte, définit une compactification X frontière de l’image de θ, de la manière suivante. Le seul cas dont nous aurons besoin dans la suite est X0 = ∅, mais si nous travaillions avec les applications [ρ] 7→ [`ρ ], cette généralité aurait été utile. b Ale = X ∪ {∞} la compactification d’Alexandrov de X. Pour n’importe quel Notons X compact K de X contenant X0 dans son intérieur (par exemple K = ∅ si X0 = ∅), notons b Ale × Y l’application continue x 7→ (x, θ(x)), et Z = K ∪f (X b Ale × Y ) f : ∂K → X b Ale × Y par f (par exemple Z = X b Ale × Y l’espace topologique recollement de K sur X ◦ ◦ si X0 = ∅). Alors l’application ι de X dans Z, qui envoie x ∈ K sur x ∈ K et x ∈ / K sur Ale b (x, θ(x)) ∈ X × Y , est un homéomorphisme sur son image, dont l’image est d’adhérence b θ compacte. X Si X et Y sont munis d’une action continue d’un groupe topologique G, si X0 est G-invariant, et si θ est G-équivariante, alors cette compactification est G-équivariante. Le résultat suivant est une variante très légère des résultats susmentionnés de Thurston, Morgan-Shalen, Bestvina, l’auteur de ce survol et Parreau. Par exemple, un cas nouveau auquel il s’applique est lorsque X est un immeuble hyperbolique localement fini dont le groupes des automorphismes isométriques G est transitif sur les chambres (voir par exemple [Bourd, GP, HP]). Théorème 4.2 Soient Γ un groupe de type fini, X un espace CAT(−1) propre et G un groupe localement compact agissant sur X par isométries, proprement, avec quotient G\X compact. Alors l’adhérence de l’image de θ1 est compacte et sa frontière est contenue dans la réunion de θ2 (A (Γ)) et de {[ |χ| + 1] : χ ∈ Hom(Γ, R)}. Démonstration. Soit S une partie génératrice finie fixée de Γ. Pour tout ρ ∈ Hom(Γ, G), appelons facteur de dilatation 20 de ρ l’élément de [0, +∞[ défini par λρ = inf max d(x, ρ(s)x) , x∈X s∈S 19. Il ne sert pas à grand chosex d’essayer de compactifier des espaces non localement compact, la compactification de Stone-Čech doit être laissée au rayon de la tératopologie (pour un reprendre un jeu de mots fort à propos de H. Cartan et J. Dieudonné). 20. La norme L2 étant strictement convexe, ce que n’est pas la norme L∞ , il vaut souvent mieux prendre 1 P 2 2 pour facteur de dilatation inf x∈X , mais notre choix suffit (et revient au même) pour s∈S d(x, ρ(s)x) notre usage. 17 et borne inférieure 1-approchée 21 de λρ tout point ∗ρ de X tel que max d(∗ρ , ρ(s)∗ρ ) ≤ λρ + 1 . s∈S Notons que pour tout g ∈ G, nous avons λgρg−1 = λρ . De plus, g ∗ρ est une borne inférieure 1-approchée de λgρg−1 . Pour montrer le théorème 4.2, puisque PΓ est métrisable, il suffit de montrer que toute suite ([ρi ])i∈N dans X (Γ, G) admet une sous-suite dont l’image par θ1 converge vers [`ρ +1] pour un [ρ] dans X (Γ, G) ou vers [ |χ| + 1] pour un χ dans Hom(Γ, R) ou vers [`T ] pour un T dans A (Γ). Supposons tout d’abord que la suite (λρi )i∈N est bornée. Alors puisque l’action de G est cocompacte, quitte à conjuguer ρi dans G, nous pouvons supposer que la suite (∗i )i∈N reste dans un compact de X. Puisque l’action de G sur X est propre et par extraction diagonale, pour tout γ ∈ Γ, la suite ρi (γ) i∈N dans G converge vers un élément ρ(γ) de G. Par continuité de θ1 , nous avons donc lim [`ρi + 1] = [`ρ + 1] ∈ θ1 (X (Γ, G)) , i→+∞ si ρ(γ) ne fixe pas de point à l’infini de X (donc est complètement réductible) ou si `ρ = 0 (la représentation triviale est complètement réductible, de fonction distance de translation nulle). Sinon, soit ξ ∈ ∂∞ X fixé par ρ(Γ). Petit aparté sur les fonction de Busemann. Rappelons (voir par exemple [BH]) que la fonction de Busemann en un point à l’infini ξ 0 d’un espace CAT(0) quelconque X 0 est βξ0 : (x, y) 7→ lim d(x, c(t)) − d(y, c(t)) t→+∞ X0 où c : [0, +∞[ → est n’importe quel rayon géodésique de point à l’infini ξ 0 . Elle est bien définie et vérifie les propriétés de cocycle et d’invariance βξ0 (y, x) = −βξ (x, y), βξ0 (x, y) + βξ0 (y, z) = βξ0 (x, z), βαξ0 (αx, αy) = βξ0 (y, x) pour tous les x, y, z ∈ X 0 et pour toute isométrie α de X 0 . Si ρ0 est une action isométrique d’un groupe Γ sur X 0 qui fixe ξ 0 , pour tout x0 ∈ X 0 fixé, l’application γ 7→ βξ (x0 , ρ(γ)x0 ) est donc un morphisme de groupes de Γ dans R, dont la valeur absolue est égale à `ρ0 . 21. Le lemme suivant permet de supposer que la borne inférieure définissant λρ est atteinte, mais nous n’en aurons pas besoin. Lemme 4.3 Si ρ ∈ Hom(Γ, G) est complètement réductible, la borne inférieure définissant λρ est atteinte en au moins un point ∗∗ρ de X, et si `ρ 6= 0, alors λρ > 0. Notons qu’alors g ∗∗ρ atteint la borne inférieure définissant λgρg−1 , pour tout g ∈ G. 1 Démonstration. Pour tout n ∈ N, soit xn ∈ X tel que maxs∈S d(x, ρ(s)x) ≤ λρ + n+1 . Si (xn )n∈N converge vers x ∈ X, le résultat en découle en posant ∗∗ρ = x, qui n’est pas fixe par Γ si `ρ 6= 0, donc pas fixe par S, donc λρ > 0. Sinon, quitte à extraire, puisque X est propre, la suite (xn )n∈N converge vers ξ ∈ ∂∞ X, qui est fixe par S donc par Γ. Puisque ρ est complètement réductible, il existe η ∈ ∂∞ X différent de ξ fixe par Γ. Le groupe Γ agit donc par translations sur la géodésique entre ξ et η. Prenons ∗∗ρ n’importe quel point de cette géodésique. Il réalise la borne inférieure définissant λρ et n’est pas fixe par Γ si `ρ 6= 0, donc λρ > 0. 18 Il existe donc χ ∈ Hom(Γ, R) un caractère additif réel (non trivial) de Γ tel que `ρ = |χ|. D’où lim [`ρi + 1] = [`ρ + 1] = [ |χ| + 1] . i→+∞ Supposons maintenant, quitte à extraire, que la suite (λρi )i∈N est strictement positive et converge vers +∞. Pour tout γ ∈ Γ, si kγk = kγkS est la longueur minimale d’un mot en S ∪ S −1 représentant γ, nous avons, par l’inégalité triangulaire, d(∗ρi , ρi (γ)∗ρi ) ≤ kγk max d(∗ρi , ρi (s)∗ρi ) ≤ kγk (λρi + 1) . s∈S (- 3 -) Fixons un ultrafiltre non principal ω sur N. Considérons le cône asymptotique (Xω , dω , ∗ω , ρω ) = lim (Xi = X, di = ω 1 d, ∗i , ρi ) λi pour la suite de scalaires (λi = λρi )i∈N tendant vers +∞ et la suite de points d’observation (∗i = ∗ρi )i∈N (qui sont envoyés à distance uniformément bornée par tout élément de Γ, pour la distance renormalisée, d’après l’inégalité (- 3 -)). Remarquons que la distance de translation de ρi sur l’espace métrique renormalisé (Xi , di ) est λ1ρ `ρi . i Par la proposition 3.2 (4), l’espace métrique (Xω , dω ) est un arbre réel, et l’action ρω n’a pas de point fixe global, parce que la renormalisation 22 de la métrique fait qu’un point de Xi qui l’est le moins est déplacé d’une distance au moins 1 par au moins un des éléments de la partie génératrice S. Nous pouvons donc considérer l’unique sous-arbre invariant minimal T de Xω , et `T = `Xω sa fonction distance de translation. Par le fait que les ultralimites sont des limites pour la topologie de Gromov équivariante, par la continuité de la fonction distance de translation pour la topologie de Gromov équivariante (voir la démonstration de la proposition 4.1), nous avons lim θ1 ([ρi ]) = lim [`ρi + 1] = lim [ ω ω ω 1 (`ρ + 1)] = [`Xω ] = [`T ] . λρi i Ainsi si T n’a pas de point fixe global à l’infini, alors l’action de Γ sur T est complètement réductible, et limω θ1 ([ρi ]) ∈ θ2 (A (Γ)), ce qui montre le résultat par la proposition 3.1 (car toute valeur d’adhérence d’une suite dans un espace métrisable est limite d’une sous-suite). Si T admet un point fixe global à l’infini, l’aparté ci-dessus sur les fonctions de Busemann montre que `T est égale à la fonction distance de translation d’une action isométrique (par translations) sans point fixe global de Γ sur l’arbre réel R (donc complètement réductible et minimale). Par conséquent, la limite limω θ1 ([ρi ]) appartient aussi à θ2 (A (Γ)), ce qui conclut. Remarques. (1) Lorsque X (Γ, G) est localement compact, la compactification de l’espace X (Γ, G) définie par l’application Out(Γ)-équivariante continue θ1 d’image relativement compacte, est une compactification Out(Γ)-équivariante de X (Γ, G), que nous c(Γ, G) dans la suite. noterons X (2) Nous dirons que l’action de G sur X est Γ-semi-simplifiable si pour tout ρ ∈ Hom(Γ, G) dont l’action sur X fixe un point à l’infini ξ ∈ ∂∞ X, il existe η ∈ ∂∞ X − {ξ} et ρ0 ∈ Hom(Γ, G) fixant ξ et η tel que `ρ0 = `ρ . 22. Nous voyons ici qu’il est important de ne pas renormaliser par un facteur trop grand, car sinon des phénomèmes de perte d’information par écrasement excessif apparaissent. 19 C’est par exemple le cas • si X est un espace symétrique et G = Isom(X) ou G = Isom(X)0 est la composante neutre de son groupe des isométries, • ou si G n’a pas d’isométrie parabolique, comme pour le groupe des automorphismes isométriques d’un immeuble hyperbolique localement fini. La démonstration ci-dessus montre que si l’action de G sur X est Γ-semi-simplifiable, alors la frontière de θ1 (X (Γ, G)) est contenue dans θ2 (A (Γ)). c(Γ, G) − X (Γ, G) de la Si l’action de G sur X est Γ-semi-simplifiable, le bord X c(Γ, G) est donc homéomorphe (de manière Out(Γ)-équivariante) à un compactification X sous-espace compact de PA (Γ), par la remarque (1) suivant la proposition 4.1. Si l’action de G sur X est Γ-semi-simplifiable, le remplacement de θ1 par l’application [ρ] 7→ [`ρ ] partiellement définie sur le complémentaire du compact X0 (Γ, G) produit une compactification isomorphe. (3) Lorsque G = SL2 (C) (respectivement G = PSL2 (C)) agissant non fidèlement (rec(Γ, G) est spectivement fidèlement) sur H3R , la compactification Out(Γ)-équivariante X isomorphe à la compactification Out(Γ)-équivariante de Morgan-Shalen de la variété des caractères Hom(Γ, SL2 )// SL2 (C) (respectivement Hom(Γ, PGL2 )// PGL2 (C) ), par définition de celle-ci, que nous ne rappelons pas ici (voir [MS1]) et par la remarque (3) suivant la proposition 4.1. 5 Les surfaces d’Epstein-Schwarz-Dumas Décrivons maintenant l’outil principal de l’article [Dum2], qui développe un travail d’Epstein [Eps]. Notons |dz|2 + dt2 H3R = (z, t) ∈ C× ]0, +∞[ , t2 le modèle du demi-espace supérieur de l’espace hyperbolique réel de dimension 3, dont le bord à l’infini est ∂∞ H3R = C ∪ {∞} = P1 (C). Le groupe PSL2 (C) agit continuement et fidèlement sur la compactification géodésique H3R ∪ ∂∞ H3R (transitivement sur ∂∞ H3R ), a b l’élément ± de PSL2 (C) agissant par l’homographie z 7→ az+b cz+d sur P1 (C) et par son c d 2 ac extension de Poincaré (z, t) 7→ (az+b)(cz+d)+t , |cz+d|2t+t2 |c|2 sur H3R . Les horosphères 23 |cz+d|2 +t2 |c|2 de H3R centrées en ∞ sont les plans horizontaux C × {t} où t > 0, et celles centrées en z ∈ C sont les sphères euclidiennes contenues dans H3R et tangentes à C en z. 23. Si X est un espace métrique CAT(0), l’horosphère centrée en ξ ∈ ∂∞ X passant par x ∈ X est {y ∈ X : βξ (x, y) = 0} où β est la fonction de Busemann introduite ci-dessus. 20 ∞ horosphère centrée en ∞ x a d b extension de Poincaré c γx γb γc C Tx1 H3R γa γd horosphère centrée en z x v z ϕx (v) Pour tout point x de H3R , notons Sx = Tx1 H3R la sphère unité de l’espace tangent à H3R en x, et ϕx : Sx → ∂∞ H3R le difféomorphisme qui à un vecteur tangent unitaire v en x associe le point à l’infini v+ du rayon géodésique de vecteur vitesse v en son origine x (voir le dessin ci-dessus à droite). Pour toute isométrie γ de H3R , nous avons ϕγx ◦ γ = γ ◦ ϕx . L’application ϕx est conforme 24 pour la structure conforme sur Sx définie par sa métrique riemannienne sphérique, et celle sur ∂∞ H3R = P1 (C) définie par sa structure de surface de Riemann (qui coı̈ncide avec celle définie par la métrique riemannienne sphérique de S2 dans le modèle de la boule de Poincaré, ou celle définie par la métrique riemannienne euclidienne en tout point de R2 = ∂∞ H3R − {∞} ). Pour tout point a de ∂∞ H3R et tout produit scalaire B dans la structure conforme sur Ta (∂∞ H3R ), l’ensemble ∗ 2 H(a, B) = x ∈ H3R : (ϕ−1 x ) dsT 1 H3 (a) = B x R des points x de H3R où l’image de la métrique riemannienne de Tx1 H3R par le difféomorphisme ϕx coı̈ncide au point a avec B, est une horosphère, comme on le voit en se ramenant par isométrie au cas où a = ∞, l’ensemble H(a, B) étant invariant par les translations horizontales, mais non invariant par les homothéties de rapport λ > 0 différent de 1. Si Ω est une surface, et (Hζ )ζ∈Ω une famille d’horosphères paramétrée par Ω, une enveloppe de cette famille est une application continue Θ : Ω → H3R telle que pour tout ζ ∈ Ω, nous avons Θ(ζ) ∈ Hζ . En général, on demande aussi que Θ est de classe C1 et Tζ (Tζ Ω) ⊂ TΘ(ζ) Hζ (sans demander que Θ soit une immersion), mais nous n’en aurons pas besoin dans ce qui suit. 24. Une structure conforme sur un espace vectoriel réel est une classe d’homothétie de produits scalaires. Une telle structure permet de définir l’angle de deux vecteurs non nuls, par la formule usuelle cos ∠(u, v) = hu,vi . Un isomorphisme linéaire conforme est un isomorphisme linéaire qui préserve les angles entre kuk kvk vecteurs non nuls. Une structure conforme sur une variété réelle lisse M est une section lisse du fibré projectif du fibré des formes bilinéaires symétriques sur M , qui à tout point x de M associe une structure conforme sur l’espace vectoriel Tx M . Un isomorphisme conforme est un difféomorphisme préservant les angles. Par exemple, une métrique riemannienne sur une variété définit une structure conforme, en prenant en chaque point la classe d’homothétie du produit scalaire riemannien. Une surface de Riemann M porte une structure conforme canonique, qui la détermine, en prenant en chaque point x ∈ M la classe d’homothétie d’un produit scalaire rendant orthogonal X et iX pour tout X ∈ Tx M . Le bord à l’infini d’un espace symétrique de rang 1 porte une structure conforme invariante par son groupe des isométries, mais pas de structure de variété riemannienne invariante. 21 Rappelons qu’une métrique riemannienne σ sur une surface de Riemann X est dite conforme si dans toute carte locale (U, ζ) de X, elle s’écrit σU,ζ (ζ)|dζ|2 où σU,ζ : U → ]0, +∞[ est lissex. Proposition 5.1 (Epstein) Soient Ω une surface de Riemann, σ une métrique conforme sur Ω, f : Ω → P1 (C) une application holomorphe localement injective. Alors il existe une unique application lisse Θ = Θf,σ de Ω dans H3R telle que pour tout ζ ∈ Ω, nous avons ∗ 2 2 Θ(ζ) ∈ x ∈ H3R : (ϕ−1 . x ◦ f ) dsT 1 H3 (ζ) = σ(ζ)|dζ| x R Démonstration. En tout point ζ0 ∈ Ω, nous pouvons supposer, quitte à faire agir une isométrie de H3R , que z0 = f (ζ0 ) appartient à la carte affine C de P1 (C). L’image par la restriction de f à un voisinage assez petit U de ζ0 de la métrique conforme σ s’écrit ∂η eη(z) |dz|2 où η est lisse. En notant ηz = ∂η ∂z et ηz = ∂z , on peut montrer que pour tout ζ ∈ U , si z = f (ζ), alors Θ(ζ) = z + 4 ηz (z)e−η(z) 2 , eη(z) + 4 e−η(z) ηz (z)ηz (z) eη(z) + 4 e−η(z) ηz (z)ηz (z) convient. Par unicité, si Γ est un groupe d’automorphismes de Ω, qui agit par isométries de la métrique conforme σ, si ρ : Γ → PSL2 (C) est un morphisme de groupes tel que f ◦ γ = ρ(γ) ◦ f pour tout γ ∈ Γ, alors l’application Θ est ρ-équivariante. Par ce qui précède, cette application Θ est une enveloppe de la famille des horosphères ∗ ds2 2 paramétrée par ζ ∈ Ω. Il est fort utile pour {x ∈ H3R : (ϕ−1 ◦ f ) (ζ) = σ(ζ)|dζ| 3 x T 1H x R les calculs que cette application soit lisse (même si ce n’est pas toujours une immersion), ce qui n’est pas si fréquent pour des enveloppes. Par exemple, le bord de l’enveloppe convexe dans H3R d’une partie fermée ayant au moints deux points de P1 (C) (comme l’ensemble limite d’un groupe kleinien), qui est une enveloppe de la famille de ses hyperplans d’appuis, n’est pas lisse en général. 0 D Ω C Par exemple, si Ω est un domaine de Jordan de C, si σ est sa métrique de Poincaré (et si f : Ω → P1 (C) l’inclusion), alors l’application Θ donne une jolie surface dans l’espace hyperbolique. Si Ω est le disque ouvert unité D, en regardant la valeur de Θ en 0 et en utilisant l’invariance par le groupe des autormophismes de P1 (C) préservant D, l’image de Θ est le plan hyperbolique de bord à l’infini le cercle unité. e celle relevée sur Σ eg. Soient X une structure de surface de Riemann sur Σg et X e son relevé par le revêtement universel holomorphe Soient φ ∈ Q(X) et φe = π ∗ φ ∈ Q(X) e → X. Soient Dφ une application développante, de représentation d’holonomie ρφ , de π:X e → P1 (C) la structure projective complexe définie par φ (l’immersion holomorphe Dφ : X 22 e est une est solution de l’équation différentielle schwarzienne Sf = φ). Remarquons que |φ| −1 e e métrique conforme sur la surface de Riemann Ω = X − φ (0), puisqu’elle s’écrit en carte e e e L’application Θφ = Θ locale |φ(z)| |dz|2 avec |φ(z)| > 0 en dehors des zéros de φ. e Dφ ,|φ| ainsi construite sera appelée l’application de Epstein-Schwarz-Dumas de φ. 6 Dégénérescences de structures projectives complexes, d’après D. Dumas e g → Σg un Soient Σg une surface compacte connexe orientable de genre g ≥ 2 et Σ revêtement universel de Σg , de groupe des automorphismes de revêtement Γ. Fixons une e la structure de surface de Riemann structure de surface de Riemann X sur Σg , et notons X e g relevée. Notons G = PSL2 (C). Rappelons que sur Σ • Q(Σg ) est le fibré vectoriel holomorphe sur T (Σg ) des classes d’isotopies de différentielles quadratiques holomorphes sur la surface lisse Σg , dont la fibre au-dessus de [X] est l’espace vectoriel normé complexe Q(X) de dimension 3g − 3 des différentielles quadratiques holomorphes sur la surface de Riemann X ; • CP1 (Σg ) est l’espace des classes d’isotopie de structures projectives convexes sur Σg , c’est-à-dire des classes de couples (D, ρ) où ρ : Γ → PSL2 (C) est un morphisme de e g → P1 (C) est une immersion ρ-équivariante, modulo l’action de groupes et D : Σ PSL2 (C) définie par g · (D, ρ) = (D ◦ ρ, gρg −1 ), muni de la topologie quotient de la topologie produit des topologies compactes-ouvertes. Le résultat suivant est une compilation de résultats de Poincaré, Hejhal [Hej] et GalloKapovich-Marden [GKM]. Théorème 6.1 L’application θ3 : CP1 (Σg ) → X (Γ, G) définie par [D, ρ] 7→ [ρ] est un homéomorphisme local tel que (1) son image est l’ensemble des G-orbites des φ ∈ Hom(Γ, G) non élémentaires 25 qui se relèvent en une représentation de Γ dans SL2 (C) par la projection canonique SL2 (C) → PSL2 (C) ; (2) sa restriction à toute fibre de CP1 (Σg ) → T (Σg ) est une application injective continue propre. Considérons le diagramme suivant. 25. Une représentation de Γ dans le groupe des isométries d’un espace CAT(−1) X est élémentaire si elle préserve un point ou une paire de points de X ∪ ∂∞ X. Notons qu’une représentation non élémentaire est en particulier complètement réductible. 23 Le but de cette partie est d’étudier la compactification Mod(Σg )-équivariante de l’espace CP1 (Σg ) définie par l’application Mod(Σg )-équivariante continue θ3 : CP1 (Σg ) → c(Γ, G) qui à [D, ρ] associe [ρ] ∈ X (Γ, G), qui est à valeurs dans un espace compact. X Elle induit une compactification de Q(X), qui est la compactification Qbhol (X) de Q(X) c(Γ, G), à valeurs dans un espace comdéfinie par l’application continue hol : Q(X) → X pact, qui à φ ∈ Q(X) associe la classe de la représentation d’holonomie ρφ d’une structure projective complexe intégrant φ. Notons Qbray (X) la compactification de Q(X) par ses rayons vectoriels, dont le bord s’identifie avec la sphère unité Q 1 (X) de l’espace vectoriel normé Q(X), qui n’est autre que la compactification définie par l’application continue θ : Q(X) → Q(X) définie par φ φ 7→ arctan kφk kφk (qui vaut 0 en 0 et d’image la boule unité ouverte de Q(X), qui est relativement compacte). Un problème de Gallo-Kapovich-Marden, dont nous allons donner la réponse apportée par Dumas, est de comparer ces deux compactifications Qbhol (X) et Qbray (X). Ce problème est à mettre en parallèle avec le fait de comparer le bord de Teichmüller (qui s’identifie avec Q 1 (X)) de l’espace de Teichmüller T (Σg ) pointé en un élément [X] (paramétré aussi par Q(X)), avec son bord de Thurston PMFg , qui est l’espace quotient de MFg par l’action de R∗+ définie par λ(F , µ) = (F , λµ) (voir [KT] et l’introduction de [Pau5] pour un survol). Ces deux compactifications coı̈ncident sur une partie générique (les éléments de PMFg représentés par les feuilletages mesurés uniquement ergodiques), mais ne coı̈ncident pas partout. Il est naturel de penser qu’il pourrait en être de même dans le cas que nous étudions. Rappelons qu’à toute différentielle quadratique holomorphe φ ∈ Q(X) non nulle, dont e g , est associé nous noterons φe le relevé au revêtement universel Σ e e • la distance dφe sur Σg , qui fait de (Σg , dφe) un espace métrique CAT(0) dont la courbure strictement négative est concentrée aux zéros de φe (voir la partie 1.2) ; fφ de φe sur Σ e g , sa pseudo-distance transverse δ f , • le feuilletage horizontal F e = F Fφ φ et l’arbre dual TFf obtenu en rendant séparé cette pseudo-distance (voir la partie 2) ; φ • la norme kφk de φ, c’est-à-dire l’aire totale de la surface plate à singularités coniques associée à φ (voir la partie 1.2) ; • la classe [ρφ ] de la représentation d’holonomie ρφ : Γ → PSL2 (C) d’une structure projective complexe intégrant φ (voir la partie 1.3), dont le facteur de dilatation est λρφ = inf x∈H3 maxs∈S d(x, ρφ (s)x) (voir la partie 4). R e − φe−1 (0) → H3 l’application d’Epstein-Schwarz-Dumas de φ, qui est Γ• Θφ : X R e par automorphismes de revêtement et sur H3 équivariante pour les actions de Γ sur X R par ρφ (voir la partie 5). Le cœur de l’article de Dumas [Dum2] est le résultat suivant. Sa démonstration repose sur un calcul de la première et la seconde forme fondamentale de l’application de Epstein-Schwarz-Dumas, pour laquelle nous renvoyons à [Dum2]. Pour tout > 0 et tout e pour la distance d e. Une φ ∈ Q(X), notons N (Z) le -voisinage d’une partie Z de X φ e Remarquons géodésique pour d e est non singulière si elle ne passe pas par un zéro de φ. φ que si une géodésique c pour dφe est horizontale, alors sa mesure transverse totale |c|Fφ pour le feuilletage horizontal est nulle. 24 Théorème 6.2 (Dumas) Soient X une structure de surface de Riemann sur Σg . e − N5 (φe−1 (0)), d e) → (H3 , d 3 ) est (i) Pour tout φ ∈ Q(X), l’application Θφ : (X R HR φ 2-lipschitzienne. (ii) Pour tout > 0, il existe A > 0 tel que pour tout φ ∈ Q(X), pour tout segment e pour d e, si géodésique c non singulier entre deux points x et y de X φ q dφe(c, φe−1 (0)) ≥ A 1 + dφe(x, y) , alors (1 − ) |c|Fφ − ≤ dH3 (Θφ (x), Θφ (y)) ≤ (1 + ) |c|Fφ + . R Le résultat suivant s’obtient alors assez facilement. Corollaire 6.3 (Dumas) Soit (φi )i∈N une suite dans Q(X) telle que kφi k → +∞ et φi e kφi k → φ ∈ Q(X). Soit x0 ∈ X un point d’un axe de translation non singulier d’un élément γ0 ∈ Γ pour la distance dφe. (1) Il existe p κ > 0 tel que pour tout i ∈ N, nous avons 1 a) κ λρφi ≤ kφi k ≤ κ λρφi , p b) il existe (au moins) un point ∗i ∈ H3R tel que d(∗i , Θφi (x0 )) ≤ κ kφi k, qui atteint la borne inférieure définissant λρφi . (2) Pour tout segment géodésique non singulier c pour dφe, pour tout > 0, pour tout i assez grand, l’application Θφi : (c, δFf ) → (H3R , √ 1 dH3 ) est une (1 + , )-quasiφ kφi k R géodésique. Γ (3) Soit T ∈ A (Γ) tel que θ2 (T ) soit une valeur d’adhérence dans P de la suite θ1 ([ρφi ]) i∈N . Alors à homothétie de T près, il existe un morphisme d’arbres réels Γéquivariant de l’arbre dual TFf dans T . φ Si les zéros de φ sont simples (ce qui est le cas générique), alors ce morphisme d’arbres réels est une isométrie, car il est injectif sur les images des géodésiques non singulières non horizontales par (2), et ne peut pas plier aux singularités, car deux points près d’un zéro simple peuvent être poussés le long de feuilles pour être joint par une géodésique non singulière verticale. Ainsi, la suite θ1 ([ρφi ]) i∈N converge vers la classe d’homothétie de la fonction distance de translation de l’arbre dual de φ. Démonstration. Les assertions (1) et (2) se déduisent assez facilement du théorème 6.2, voir [Dum2]. Par exemple, (2) découle de (ii) appliqué à φi en multipliant les inégalités par √ 1 . Nous ne montrons que la troisième. kφi k Soit ω un ultrafiltre non principal sur N tel que limω θ1 ([ρφi ]) = θ2 (T ), qui existe par la proposition 3.1 (1). Considérons le cône asymptotique 1 (Xω , dω , ∗ω , ρω ) = lim (Xi = H3R , di = p dH3 , Θφi (x0 ), ρφi ) ω kφi k R p pour la suite de scalaires ( kφi k )i∈N tendant vers +∞ et la suite de points d’observation (Θφi (x0 ))i∈N (qui sont envoyés à distance uniformément bornée par tout élément de Γ pour la distance renormalisée, d’après l’inégalité (- 3 -) et l’assertion (1)). Par la proposition 3.2 (4), l’espace métrique (Xω , dω ) est un arbre réel, et l’action ρω n’a pas de point fixe global, 25 comme dans la démonstration du théorème 4.2, car la suite (∗i )i∈N défini un point ∗ω dans Xω par l’assertion (1) b). e − φe−1 (0) → Xi Par le théorème 6.2 (1), la suite d’applications Θφ : X converge i i i∈N e − φe−1 (0) → Xω . Celle-ci est constante vers une application continue Γ-équivariante Θω : X fφ et isométrique sur tout arc transverse (muni de la pseudo-distance sur les feuilles de F transverse) par la proposition 3.2 (2) et le théorème 6.2 (2). Par la proposition 2.1 (4), elle induit donc par passage au quotient un morphisme d’arbres réels Γ-équivariant f : TFf → φ Xω . Si Xω n’a pas de point fixe global l’infini, alors T est, à homothétie près, le sous-arbre minimal de Xω , et par minimalité (au sens des arbres) de TFf , l’image de f est contenue φ dans TFf . Sinon, à homothétie près, nous avons T = R par complète réductibilité, et φ il existe un morphisme d’arbres réels Γ-équivariant de Xω dans T = R (rétraction de l’immeuble qu’est le sous-arbre minimal de Xω sur un de ses appartements passant par un point à l’infini fixe), comme vu dans la démonstration du théorème 4.2. Le résultat s’en déduit par composition de morphismes. Références [Abi] W. Abikoff. Real analytic theory of Teichmüller space. 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