ethique de la finance et l`exemple de la finance islamique

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Master 2 Analyse économique et développement International
Développement durable dans les PED et en transition
ETHIQUE DE LA FINANCE
ET L’EXEMPLE DE LA FINANCE ISLAMIQUE
Nodira Akhmedkhodjaeva
Mohamed Choukri
Arthur Vaillant
TABLE DES MATIERES
Introduction
I. Les fondements éthiques de la finance ……………………………………. 5
A. La notion de responsabilité : le fondement de l’éthique financière ………… 5
1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers ………………………….. 5
2. Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance…………………... 6
B. Une responsabilité mal définie car mal perçue……………………………...
C. Instruments de confiance……………………………………………………
7
9
II. Les finances éthiques……………………………………………………….. 10
A. Les racines chrétiennes de la finance éthique ……………………………… 10
1. L’émergence par les exclusions sectorielles……………………………… 10
2. Activisme et évolution ……………………………………………………. 11
B. Le développement de la finance islamique…………………………………
1. Histoire de la finance islamique……………………………………………
2. Les principes de base………………………………………………………
3. L’actualité de la finance islamique…………………………………………
4. Les instruments financiers…………………………………………… …..
12
12
12
13
15
III. Finance éthique et finance islamique : convergence possible? ………… 17
A. Le développement durable dans la finance éthique et la finance islamique …17
B. Finance éthique, Finance Islamique et ISR : quelle convergence ?................ 18
1. Convergence avec l’ISR………………………………………………… 19
2. Finalités et principes moraux……………………………………………. 19
3. Exclusions sectorielles…………………………………………………… 20
4. Exclusions normatives et Global Compact……………………………… 20
5. Partage…………………………………………………………………..
21
6. Compatibilité et complémentarité………………………………………
22
Conclusion………………………………………………………………. ..
23
Bibliographie………………………………………………………………
24
2
Introduction
Le monde est en train de changer de paradigme géo financier. La crise financière asiatique et
russe et également le 11 Septembre 2001 ont contribué à remettre en cause un certain nombre
de fonds d’investissement dits « à risques ». Mais, plus importante encore, a été la crise dite
des « subprimes », qui est, en fait, une crise bien plus profonde que celle de l’immobilier à
risque américain, et qui est en train de transformer profondément la physionomie de la finance
mondiale. A l’occasion de cette crise, un double paradigme est en train d’être remis en cause.
Le premier de ces paradigmes concerne l’allocation de l’épargne mondiale. Jusqu’à la fin des
années 1990, les choses étaient apparemment simples. La croissance mondiale était
relativement limitée et les déséquilibres budgétaires et de balance des paiements relativement
faibles. Au tournant du millénaire, la situation a radicalement changé, la mondialisation de
l’économie commençant à faire sentir ses effets. Le « double déficit » américain (déficit
budgétaire et commercial) n’a fait que se creuser, pendant que les pays émergents (et les
BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - en particulier) ont accumulé des réserves de change
grâce à l’amélioration de leur compétitivité industrielle et la hausse des prix des matières
premières, tirés par la forte croissance mondiale. Ce double déséquilibre s’est, pendant
quelques années, neutralisé, les excédents des uns (les émergents et les pays pétroliers)
servant à financer le déficit des autres (principalement les Etats-Unis). Cet équilibre précaire
s’est opéré grâce, en partie, à une liquidité mondiale abondante, favorisée par la croissance
rapide des pays à fort taux d’épargne (notamment les BRIC).
La crise dite des subprimes remet en cause cet équilibre « sur la lame d’un rasoir ». Et ce à un
double niveau. D’abord parce que cette crise fait craindre à un ralentissement durable, voire à
une récession, de l’économie américaine, avec les risques que cette évolution comporte en
matière de creusement du déficit budgétaire américain. Ensuite parce que cette crise, bancaire
au départ, financière par la suite, ne pourra pas ne pas avoir d’impact sur l’économie réelle, en
particulier sur les pays émergents dont la croissance récente a été tirée par les exportations
vers les pays du Nord. Ce ralentissement de la croissance des pays émergents, qui ne
disposent pas d’un marché intérieur suffisamment étoffé pour prendre le relais des
exportations (ralentissement dont il est trop tôt à ce jour pour mesurer l’ampleur), se traduira
par une moindre capacité de ces pays à dynamiser la croissance mondiale et à assurer
l’équilibre des flux mondiaux d’épargne et d’investissement. Un nouvel équilibre financier
international se devra donc d’être défini dans les années à venir.
A ce premier paradigme s’en ajoute un second. Ce deuxième paradigme, que la crise des
subprimes remet en cause, est celui du business model des banques. Les grandes banques,
quelque soient leurs statuts, ont, à des degrés divers, largement nourri leur croissance, au
cours des dernières années, sur le développement des activités de marché, et en particulier des
activités de titrisation. Le ralentissement de la croissance de ces activités est inéluctable,
même si, là encore, l’ampleur du phénomène est difficile à définir avec précision à ce stade de
la crise. Ce qui est certain c’est que les autorités de régulation bancaire vont encourager avec
moins de vigueur que par le passé les opérations de transferts de risque. De leur côté, les
banques elles-mêmes, face à l’assèchement de certains marchés (comme le marché des LBO à
fort effet de levier et certains marchés de titrisation) et face aux tensions exercées sur la
liquidité bancaire, vont être amenées à réviser, en partie au moins, leur business model. Et ce,
alors même que l’aversion au risque des investisseurs, quasi-nulle jusqu’à fin 2007, va
augmenter de manière significative. Sans, bien sûr, qu’il soit possible de dire, à ce stade,
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jusqu’où et jusqu’à quand. Mais cette incertitude n’enlève rien au caractère inéluctable d’une
modification durable des stratégies bancaires.
La crise financière actuelle met en lumière des investissements et des placements dits
« éthiques » qui résistent bien à la tempête que nous traversons et il parait donc intéressant de
s’y attarder en cherchant à comprendre pourquoi ils sont moins vulnérables et comment ils
sont structurés. L’Investissement Socialement Responsable (ISR) et la finance islamique
appartiennent tous deux à cette catégorie de la finance éthique. Ces deux concepts
d’investissement sont encore largement méconnus mais ils ont au moins deux points
communs : ils font appel à des paramètres extra financiers et sont considérés, par les
principales places financières mondiales, comme des axes de développement très attractifs.
Afin de mieux comprendre les questions et les enjeux éthiques de la finance, nous étudierons
dans une première partie ses fondements puis aborderons ensuite la genèse de la finance
éthique pour étudier les bases éthiques de la finance islamique. Nous nous interrogerons enfin
sur la convergence possible entre l’ISR et la finance islamique.
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I. Les fondements éthiques de la finance
A. La notion de responsabilité : le fondement de l’éthique financière
1. Rôle et responsabilité des opérateurs financiers
La finance se définit comme une activité de service. En tant que service, elle a pour fonction
de garantir la fluidité des transactions indispensable à l'activité économique en permettant la
meilleure utilisation possible des capitaux disponibles. L'explosion récente des activités
financières, qui se sont développées beaucoup plus rapidement que le reste de l’économie,
leur a permis d’acquérir une certaine autonomie, voire d’établir leur domination sur
l’économie dite “ réelle ”. Cette émancipation s’est accompagnée de l’isolement accru de la
finance sur les plans à la fois conceptuel et professionnel. Ce nouvel état de fait ouvre des
opportunités indéniables, mais il est aussi porteur de conséquences redoutables.
Ainsi, les événements récents (fonds spéculatifs, crises asiatique et russe, etc. ...) ont montré
sans ambiguïté le caractère crucial de la responsabilité des acteurs individuels et
institutionnels opérant sur les marchés financiers. Le recours aux effets de levier permet aux
banques et autres acteurs de la sphère financière de s’engager (et se désengager) pour des
sommes largement supérieures à celles qu’ils reçoivent de leurs clients (ou dont ils disposent
en fonds propres). De ce fait, les marchés financiers sont capables de transformer une
récession en une dépression économique ou du moins de précipiter cette dernière, avec tous
les risques que cela peut comporter sur les plans individuel et collectif.
Les sommes mobilisées sur les marchés financiers, sans commune mesure avec leurs corrélats
dans l’économie réelle, fondent la responsabilité majeure des marchés financiers à la fois en
temps normal et en temps de crise. Les enjeux sont énormes, et les acteurs financiers se
doivent d’inspirer par leur comportement la confiance des autres acteurs économiques afin de
favoriser la bonne marche de l’économie en temps ordinaire et de ne pas provoquer de
panique en temps de crise.
La responsabilité des opérateurs financiers ne se résume toutefois pas aux aspects de court
terme consistant à préserver la confiance et à éviter les mouvements de panique
incontrôlables. Leur responsabilité comporte aussi des éléments de long terme : si les marchés
financiers dysfonctionnent, il convient d’y apporter les réformes nécessaires. En ce sens, les
acteurs financiers se doivent aussi de promouvoir la recherche d’innovations financières ou
économiques permettant un meilleur fonctionnement du système et une meilleure intégration
du bien commun dans les décisions financières. Si le secteur financier n’est pas responsable
de tous les biens ou de tous les maux affectant l’économie, il n’en reste pas moins qu’il porte
une responsabilité majeure dans le processus d’allocation des ressources tant au niveau macro
que micro-économique. Trois questions clés doivent donc être posées : Qui est le sujet
responsable ? Devant qui est-il responsable ? Comment se manifeste la relation de
responsabilité ?
L'effort de questionnement et de définition doit être mené par et pour tous les opérateurs actifs
sur les marchés financiers. Il convient donc de ne pas limiter le questionnement sur la
responsabilité aux individus, mais de l'étendre aussi aux institutions. Ces deux ordres de
responsabilité sont complémentaires. Que l'on se place dans la perspective de l'intérêt bien
compris des détenteurs de capitaux individuels ou institutionnels ou que l'on se préoccupe de
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la dimension éthique des métiers et des pratiques de la finance ou encore du bien de la
collectivité, la nouvelle situation exige une définition des responsabilités incombant aux
acteurs du monde financier.
Si la finance est une activité de service, il importe de préciser également avec clarté quels
services elle rend, à qui, avec quelle contrepartie et au nom de quels objectifs. A défaut d’une
telle clarification, la finance prend le risque de perdre tout ancrage et de flotter au gré des
mouvements de la psychologie des masses avec les conséquences redoutables que l'histoire
des grands krachs économiques et des paniques boursières a illustrées.
Il convient également de définir les principaux enjeux de responsabilité, notamment
l’importance de la confiance pour réorienter durablement les activités financières vers leur
finalité première.
2. Enjeux de responsabilité dans le domaine de la finance :
La responsabilité dans le domaine de la finance ne relève pas seulement de l’éthique privée,
elle passe par l’établissement et le maintien de relations de confiance entre les opérateurs, les
détenteurs des capitaux et leurs utilisateurs, ainsi qu’entre les opérateurs eux-mêmes. Cette
confiance est la pierre angulaire de la poursuite du bien commun qui intègre les intérêts bien
compris des opérateurs individuels et institutionnels avec les intérêts de la communauté.
Nous avons relevé 5 points principaux nécessaires pour satisfaire à cette condition :
- L’exigence de véracité : elle prend toute son importance dans le contexte actuel où les
institutions financières peuvent de plus en plus difficilement se définir par une seule fonction,
à l’instar des conglomérats globaux qui prônent le « global service ». Le client doit savoir
avec le moins d’ambiguïté possible avec quel type d’opérateur financier il fait affaire. Traiter
avec une banque traditionnelle ou avec un courtier n’implique pas les mêmes attentes et
l’opérateur financier a ici le devoir de se montrer sous son vrai jour. La rapidité des
changements renforce le devoir de l'opérateur financier de veiller à ce que le client sache
quelles sont ses attributions et ses responsabilités. L’image doit donc correspondre à la réalité,
si l’on veut que la confiance préside à la relation entre le client et le gestionnaire.
- Le souci de la durée : au contraire des autres échanges économiques qui se caractérisent par
leur ponctualité, la relation d’investissement s’inscrit dans la durée.
La finance contemporaine repose sur un paradoxe fondateur : la sécurité à long terme est
conditionnée par la possibilité de « sortie » à court terme, laquelle suppose la liquidité. La
stabilité du système financier repose sur le maintien de l'équilibre entre ces deux termes :
sécurité et durée. Or, l’extension des marchés et des circuits d’investissement tend à occulter
la dimension de la durée nécessaire au profit de l’illusion de la sécurité. L'accélération et
l'irrationalité des transactions financières rendent la conciliation des deux termes toujours plus
difficile. L’écart croissant entre la rentabilité des investissements financiers et celle des
capitaux investis dans l’économie réelle peut s’expliquer par le même phénomène.
L’obsession de la liquidité et la recherche effrénée de la rentabilité financière à court terme
qui seraient, aux dires de certains, créatrices de richesse, induisent des effets matériels et
psychologiques sur l’économie réelle et sur les détenteurs de capitaux. Ces effets ne sont pas
suffisamment pris en compte dans les processus de décisions financières. Il y a dès lors
nécessité de trouver d’autres modalités (que la recherche effrénée de la liquidité) pour rétablir
le lien de confiance entre les acteurs dont la collaboration est indispensable à la bonne marche
de l’économie et à la stabilité du système financier. Le souci de la durée exige une définition
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claire des responsabilités incombant aux acteurs impliqués. Les contrats financiers sont
actuellement trop évasifs à ce propos : qui est vendeur ou créancier et qui est acheteur ou
débiteur, de quoi est-on vendeur ou acheteur et quelles sont les responsabilités que chacun des
agents doit assumer au moment où le respect des engagements contractuels pose problème ?
- L’intégrité de rémunération : le mode de détermination des rémunérations doit éviter
d’inciter l’opérateur à la tromperie du client en le poussant à privilégier certains types
d’opérations aux dépens d’autres. Il convient aussi de ne pas rechercher à gagner plus que ce
qui est stipulé dans le contrat ou ce que l’on peut raisonnablement attendre du contrat. Cela ne
revient pas à prôner une illusoire absence de rémunération qui agirait comme un leurre, mais à
dire que l’information à propos des commissions et ristournes de toutes sortes doit être
aisément accessible au client.
Le respect des intérêts du client est ici une priorité que les systèmes de rémunération se
doivent de respecter, même si cela peut diminuer les performances de l’institution. Cette
exigence est d’autant plus fondamentale qu’elle est difficile à respecter à l’intérieur
d’institutions financières aux ramifications multiples. En effet, au sein d’une même
institution, la tentation est grande pour les diverses subdivisions d’utiliser la base de clientèle
ou les informations détenues et obtenues par d’autres subdivisions pour la conduite
d’opérations propres.
- Transparence et asymétrie de compréhension : on parle beaucoup de la nécessité de
transparence de l’information dispensée au client, mais cette exigence est illusoire en tant que
telle. De fait, l’asymétrie d’information est le pendant nécessaire de la spécialisation et de
l’expertise des opérateurs financiers et la transparence de la communication entre deux
personnes aux compétences inégales ne peut à elle seule instaurer un comportement plus
responsable. L’aspect de confiance est ici beaucoup plus important: il ne s’agit pas
simplement de livrer des informations brutes dans l’optique d’une illusoire transparence, mais
de faire en sorte d’éviter les abus de pouvoir liés à l’inévitable asymétrie des compétences. A
ce titre, il arrive que la confiance entre l’institution financière et le client ait besoin d’être
confirmée par le recours à des tiers, tels que les sociétés fiduciaires, les agences de notation
ou les organes de révision.
- Le respect des règles du marché : le marché est un mécanisme fragile, dont la
manipulation peut s’avérer périlleuse quand la recherche d’un avantage particulier nuit à
l’intérêt général ou à la poursuite du bien commun. Il en va ainsi de la tentation d’influencer
sciemment les cours, d’utiliser les prix du marché dans les opérations hors marché pour ne pas
affecter ce dernier, d’utiliser de façon imprudente l’information dérivée du marché,
notamment lorsqu’elle sert à fixer le niveau de revenu de l’opérateur.
B. Une responsabilité mal définie car mal perçue
L’extension récente de la finance s’est traduite par une spécialisation sans précédent des
professions financières accompagnée par la diversification accrue des activités conduites au
sein d’une seule et même institution. Ceci se manifeste par une spécialisation des procédures
individuelles parallèlement à leur intégration dans des institutions de plus en plus complexes.
Sous l’influence de cette double évolution, les financiers peinent à articuler leur responsabilité
en termes éthiques, alors même que l’impact de leurs décisions ne cesse d’augmenter.
La combinaison des quatre facteurs suivants tend à dissimuler aux opérateurs financiers la
perception claire des conséquences de leurs actions :
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• Les financiers opèrent dans un monde technologiquement coupé des réalités de l’économie
réelle. L’usage de cette technologie très poussée tend à créer un monde en apparence virtuel, à
l’écart des conséquences bien réelles des opérations financières. Les financiers restent trop
souvent enfermés dans cet univers du signe et du virtuel ;
• L’univers des financiers est institutionnellement et culturellement distant des autres secteurs
économiques et cet éloignement rend difficile la prise en compte des effets induits par les
opérations financières sur les autres acteurs de l’économie ;
• Ils utilisent des modèles et paradigmes très raffinés mais qui, comme tout modèle, ne
peuvent suffire à épuiser la complexité du monde dans lequel ils opèrent. En ce sens, ces
instruments sont nécessairement réducteurs et leur absolutisation par les acteurs du monde
financier comporte des conséquences redoutables ;
• Le marché financier se présente sous les traits d'un marché quasi-parfait au sens d'un idéal
théorique qui réduit l'acteur individuel à l'insignifiance. Parfois certains de ces acteurs
individuels s'emparent de cette image en se défaussant de leur responsabilité par la formule
"ce n’est pas moi, c'est le marché !". Il s'agit d'une perversion car tous savent bien qu'ils
profitent des imperfections de ce marché et que son comportement supposé idéal relève d'une
hypothèse théorique dont les limites sont bien connues de tous les opérateurs.
La distance que ces quatre facteurs contribuent à faire surgir tend à effacer la conscience de
responsabilité de l’acteur financier, qui perçoit dès lors son univers en termes de fatalité
systémique. Dans un tel cadre, la liberté de l’acteur individuel est artificiellement confinée à
l’utilisation des modèles. Hors de ce système dont la pérennité apparaît comme une fatalité,
l’acteur se perçoit comme totalement incompétent et, par conséquent, impuissant. La
référence au système contribue donc à occulter la responsabilité bien réelle de l’opérateur
financier.
On se retrouve devant un paradoxe : une responsabilité massive du fait des montants engagés
et une conscience évanescente de cette responsabilité du fait de l’isolement technologique et
institutionnel de l’acteur financier.
Comment faire pour percer ce voile et inciter le financier à mieux assumer sa responsabilité
objective, que l’attitude de fatalisme, ou d’espérance systémique, tend trop souvent à
masquer. Nous sommes ici dans un domaine où l’expérimentation hasardeuse n’est ni
souhaitable ni possible et les propositions avancées doivent nécessairement intégrer cet
aspect. Ainsi, les recettes toutes faites ne peuvent convenir et il faut distinguer différentes
formes de responsabilité correspondant aux diverses sortes d’entreprises, de métiers ou de
fonctions à l’intérieur du monde financier :
• Les acteurs dits « institutionnels », c’est-à-dire les fonds de pension ou fonds de placement
et les assurances, chargés de la gestion des fonds qui leur sont confiés par leurs clients;
• Les banquiers qui collectent l’épargne auprès du public et la gèrent notamment en octroyant
des crédits ;
• Les courtiers ou autres intermédiaires actifs sur le marché, qui négocient sur les marchés
boursiers pour le compte de tiers ou en utilisant leurs fonds propres ;
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• Les gestionnaires de trésorerie des entreprises dont la fonction consiste à établir le lien entre
le temps financier et le temps industriel ;
• Le secteur public en tant qu’émetteur d’obligations permettant de financer diverses activités
des collectivités publiques.
Chacune de ces fonctions est porteuse d’un degré égal de responsabilité, mais la particularité
de chaque métier induit la nécessité d’une interprétation spécifique de cette responsabilité.
Cette question se pose avec une acuité particulière pour les grandes sociétés actives
simultanément dans plusieurs fonctions et qui, de ce fait, regroupent en leur sein une vaste
palette de métiers. Dans ces circonstances, le passage de la responsabilité des divers métiers
exercés au sein d’une institution à celle de l’institution elle-même devient de plus en plus
problématique.
En dépit de cette difficulté supplémentaire, la question de fond reste la même : comment
inciter ces acteurs à opter pour un comportement responsable ?
C. Instruments de confiance
La mise en place de procédures adéquates est souvent invoquée à juste titre, mais il convient
de ne pas perdre de vue les aspects plus substantiels relatifs à la contribution des opérateurs
financiers au bien commun :
- Les relations personnelles : la confiance peut s’établir sur les liens personnels tissés entre
clients et opérateurs. Ceci implique d’une part que les opérateurs soient spontanément animés
par ces principes dans un esprit d’honnêteté et de loyauté, d’autre part que les institutions
dans le cadre desquelles ils agissent les respectent.
- Les chartes et codes déontologiques : l’élaboration ou la signature de codes
déontologiques peuvent avoir un effet doublement positif si elles sont conduites dans le souci
authentique des considérations mentionnées plus haut. Par rapport à l’extérieur, de tels
documents tendent à éveiller la confiance des clients et partenaires par l’engagement
explicite à respecter certains principes de conduite. A cet effet, il convient de donner une
publicité appropriée à l'adoption d'une charte.
Sur le plan interne, l’élaboration de chartes devrait susciter la discussion entre collaborateurs
sur les aspects éthiques de leur activité. Elle aboutit à la clarification des objectifs de
l’institution et incite donc les opérateurs individuels à susciter et à sauvegarder le lien de
confiance dans leurs activités professionnelles. Dans ce sens, la pratique consistant à adopter
la charte la plus connue sans solliciter la discussion approfondie à l’intérieur de l’institution
représente une occasion manquée.
- La réglementation des marchés financiers dont il est beaucoup question aujourd’hui place
la finance au coeur du débat public, ce qui se justifie compte tenu de son poids actuel. De fait,
la mise en place d’une réglementation des marchés financiers peut exercer un double effet
bénéfique : elle situe avec précision les limites légales que ne doit pas dépasser la pratique
financière et elle indique le chemin vers une meilleure prise en compte des impératifs
éthiques. La responsabilité des Etats sur les plans réglementaire et pédagogique ne saurait
donc être sous estimée.
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Il convient également de développer au niveau multilatéral des politiques appropriées
garantissant le respect des règles de conduite. Dans ce cadre, les pratiques couramment
proposées par les institutions multilatérales consistant à privatiser les gains et à mutualiser les
pertes ne sont pas satisfaisantes.
- Au-delà des procédures : le recours à des procédures de type légal ou déontologique
constitue indéniablement un instrument précieux dans l'optique du développement d’activités
financières plus respectueuses des préoccupations éthiques. Au-delà du souci des procédures,
il semble qu’il y ait place pour promouvoir une meilleure prise en compte des aspects éthiques
dans les décisions financières. De fait, le recours à l’éthique ne saurait être un remède
temporaire justifié seulement lors de récessions ou de dépressions économiques. Afin de
promouvoir des aspects plus fondamentaux tels qu’une allocation des ressources plus juste et
une meilleure prise en compte du bien commun dans le cadre des activités financières, la
sensibilisation et la formation des opérateurs financiers aux aspects éthiques de leurs activités
s’imposent comme une nécessité incontournable. La relation de confiance, qui est au
fondement des transactions financières et de la stabilité des marchés financiers, nécessite le
respect permanent d’un certain nombre de principes allant dans le sens d’une meilleure
compréhension par les divers acteurs impliqués de leurs objectifs et attentes réciproques.
Les investissements que l’on appelle communément éthiques sont également une piste à
explorer et à développer, d’autant plus que leurs performances financières sont souvent
excellentes.
Dans cette deuxième partie nous nous intéresserons donc à ces investissements et instruments
financiers qui apportent chacune des solutions aux différents enjeux éthiques soulevés
précédemment, notamment celle de responsabilité et de confiance, principalement au travers
du prisme de la finance islamique.
II. Les finances éthiques
Il est admis que l’Investissement socialement responsable (ISR) tel qu’il est pratiqué
aujourd’hui trouve ses origines dans des approches motivées par la religion chrétienne, qu’elle
soit catholique ou protestante. De façon naturelle, les congrégations religieuses ont voulu
mettre leurs investissements en adéquation avec leurs principes. Deux types de stratégie ont
dominé les débuts de l’Investissement responsable : les exclusions sectorielles et
l’actionnariat actif. Les groupes religieux chrétiens ont cependant été à l’initiative d’autres
approches ISR, même si d’autres institutionnels plus importants en masse d’encours ont
depuis pris le relais.
A. Les racines chrétiennes de la finance éthique
1. L’émergence par les exclusions sectorielles :
Dès 1760, John Wesley, fondateur du Méthodisme (courant du protestantisme évangélique) a
insisté sur le lien entre éthique et utilisation de l’argent. Pour lui, l’investisseur doit agir non
pas en propriétaire, mais en régisseur de biens, et ne doit pas créer de la richesse en nuisant à
son prochain.
Aux Etats-Unis le « Pioneer Fund », premier fonds socialement responsable, a été lancé en
1928 à l’initiative du Conseil Fédéral des Églises Américaines. Sa politique d’investissement
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excluait les sociétés dont les activités étaient en relation avec l’alcool, le tabac et la
pornographie, des secteurs que l’on retrouve encore aujourd’hui sur la liste noire des fonds
ISR dits éthiques.
L’accès à ce fonds est cependant restreint, et il faut attendre 1971 pour voir le premier fonds
commun de placement éthique accessible aux investisseurs particuliers, le Pax World Fund.
Outre l’exclusion traditionnelle du tabac ou des jeux d’argents, ce fonds visait à permettre aux
investisseurs d’éviter l’investissement dans des entreprises susceptibles de tirer profit de la
guerre du Vietnam, « Pax » signifiant paix en latin.
En Europe le premier produit d’investissement éthique a été lancé par une association
suédoise de lutte contre l’alcoolisme (Swedish temperance society), sous la forme d’un fonds
nommé « Ansvar ». À l’instar du fonds Pioneer, il était cependant réservé aux sympathisants
du mouvement.
Au Royaume-Uni, les exclusions éthiques font partie des règles d’investissement de l’Église
anglicane dès 1948 et la création des Church Commissioners. Un organe similaire est créé par
l’Église méthodiste en 1960.
En France, les deux premiers fonds éthiques ont été lancés à l’intention des investisseurs
religieux chrétiens. La société financière Meeschaert et l’association Éthique et
Investissement (initiée par un groupe de religieuses économes générales de leur congrégation)
lancent ainsi en 1983 le fonds Nouvelle Stratégie 50, qui exclut notamment les secteurs du
tabac, de l’armement, de l’alcool, de la pornographie et des jeux d’argent. La société de
gestion, très orientée vers une clientèle chrétienne, retiendra ces critères d’exclusion pour ses
autres fonds ISR.
2. Activisme et évolution :
Les premières résolutions concernant l’investissement socialement responsable (ISR) ont été
marquées à la fin des années 60 par aux Etats-Unis par un activisme des groupes d’églises et
des associations étudiantes concernant la guerre du Vietnam. Un autre sujet de prédilection a
été l’apartheid en Afrique du Sud : les activistes religieux au Royaume-Uni ont mis en cause
la banque Barclays et la compagnie pétrolière Royal Dutch / Shell. Leurs efforts visaient
notamment à convaincre des investisseurs institutionnels de se désinvestir de ces compagnies,
ce qui a conduit Barclays à se retirer partiellement d’Afrique du Sud en 1985.
Aujourd’hui, les encours ISR détenus par les Églises et congrégations religieuses sont très
marginaux par rapport à ceux des investisseurs institutionnels comme les assureurs, les
organismes de prévoyance ou les institutions de retraite. Ces derniers ne partagent pas
vraiment, surtout en France, leur vision de ce que doit être la prise en compte de critères
extra-financiers. Paradoxalement, l’investissement responsable, tel qu’il a été développé ces
dix dernières années par la plupart des sociétés de gestion en France, affiche même une
certaine aversion pour les approches éthiques. Cette aversion répond à deux facteurs : les
problèmes de gestion financière que pose l’exclusion de certains titres ou secteurs et la
difficulté de trouver une éthique commune dès qu’on s’adresse à des investisseurs qui ne sont
pas réunis par la même conviction religieuse. Les offreurs ont largement préféré mettre
l’accent sur une approche de développement durable concentrée sur les enjeux
Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG).
Ceci dit la demande de certains investisseurs, plutôt en Europe du Nord, et les campagnes
d’ONG comme Amnesty International, ont, même en France, abouti à la généralisation d’au
moins une exclusion d’ordre éthique, celle qui s’applique aux armes controversées (mines
antipersonnel et bombes à sous munition).
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B. Le développement de la finance islamique
1) Histoire de la Finance Islamique
L’apparition de la finance islamique s’est faite avec la création des premières banques
islamiques (la Banque Islamique du Développement en 1974, la Banque Commerciale de
Dubaï en 1975). D’une part le flux abondant des rentes pétrolières, le phénomène de
surliquidité venus avec le développement de l’industrie de pétrole, surtout accentué par le
« choc pétrolier » des années 1970, et le mouvement panislamiste ont mis en évidence la
nécessité de créer des institutions financières adaptées spécialement pour la région. Ces
années ont été celles également d’une demande croissante de la population croyante, qui ne
voulaient plus déposer leurs actifs dans banques aux instruments financiers conventionnels.
2) Principes de base
La finance islamique vise à developper une offre financière conforme aux règles de la réligion
d’Islam : Shariah (Charia). Le produit financier censé être conforme à la Shariah porte la
certification de « fatwa ».
Ces lois s’appuient sur les écritures du Coran (Qu’ran) et des préceptes du Prophète (Haddis)
et représentent un code des principes moraux et des règles de comportement pour les
musulmans dans leur vie privée et sociale, y compris les relations commerciales et
économiques. Pour les grands principes autours des relations à l’argent on retrouve :
L’interdiction de l’intérêt (rhiba) : le gain résultant juste du fait du prêt d’argent est vu
comme une sorte d’exploitation (« zulm ») de la personne en situation relativement
défavorable vis à vis du prêteur.
Le principe d’«al-Ghunm bi al-Ghurm» : le partage des profits et des pertes (PPP ou
en anglais «profit and loss sharing (PLS)») entre l’investisseur et le bénéficiaire.
L’interdiction du hasard (maysir) et de la spéculation (gharar). Les conditions du
contrat entre deux parties doivent refléter des taux d’intérêt bien prescrits. Toutes les
spéculations autour les hypothèses des taux possibles futures sont interdites (comme en cas de
« futures » contrat).
La garantie de l’actif réel et tangible («asset backing») : tout investissement doit avoir
la base du capital réel et ne doit pas être spéculatif.
L’exclusion sectorielle des affaires répréhensibles du point de vue éthique et religieux
(haram) par exemple les jeux d’argent, d’alcool, du tabac, la pornographie, l’armement.
La loi financière islamique est donc orientée de manière à créer une culture où les agents
économiques dépensent et redistribuent seulement les fonds dont ils disposent vraiment. Ces
principes fondent la base éthique de la finance islamique comme une éthique d’affaires, avec
12
une orientation vers le bien-être de la société en général, le partage des risques, l’intégrité et
l’équité. Par exemple le principe de l’aumône (Zakat), selon lequel l’entrepreneur ou
l’institution financière doit redistribuer une partie de son profit (2.5%) annuellement parmi les
personnes les plus pauvres, vise à adoucir les inégalités dans la société.
«Les musulmans doivent chercher à gagner des surplus, dans la mesure où ils ont reçu des
talents à faire fructifier. Mais les surplus doivent être utilisés non pas pour l’élévation de soi,
mais pour des buts socialement responsables qui plaisent à Allah»
Ainsi, la finance islamique se distingue à la base comme le service de la gestion et de la
répartition des fonds monétaires, qui vise à la fois l’accumulation de la richesse,
l’amélioration de la vie et l’atténuation des inégalités sociales.
3) L’actualité de la finance islamique
Actuellement, le marché des finances islamiques est un des plus grands marchés du monde,
estimé à près de 729 milliards des dollars en 2007 et un taux de croissance considérable de
37 % par rapport à 2006.
Graphique 1
Ce marché regroupe les banques commerciales, aussi que les banques d’investissement ; les
compagnies de « takaful » (l’assurance mutualiste islamique) ; organismes de l’émission de
«sukuk » (les titres financiers) et des fonds d’investissement respectueux des principes de
l’Islam.
13
La majorité (à peu près ¾) du capital est apportée par les activités des banques
d’investissement et commerciales et le marché de Sukuk faisant la grande partie du reste.
Les institutions clés sont situées principalement en Iran (37%), l’Arabie Saoudite (14%),
Malasie (10%), Kuwait (10%), Emirats Arabes Unis (8%), Bahrain (6%) et les autres pays
arabes, asiatiques, européens (15%).
Table 1
Répartition géographique des encours islamiques (banques, fonds; takaful)
Fin de l'année 2007, en milliards des dollars
Pays
Iran
S.Arabia
Malaysia
Kuwait
UAE
Bahrain
Qatar
UK
Turkey
Others
Total
Somme
235
92
67
63
49
37
21
18
16
40
639
%
37%
14%
10%
10%
8%
6%
3%
3%
2%
6%
Parmis les pays du Nord, le Royaume Uni est le leader en intégration des produits financiers
conformes à la « Shariah » au sein de leurs banques, et possède le plus grand nombre de
« Sharia compliant » succurcales
dans les principales régions islamiques (Islamic Bank of
Britain, HSBC Amanah...). Aujourd’hui, parmi les pays qui s’intéressent de près à cette forme
de finance éthique et de son potentiel de marché on retrouve la France et le Japon. Ces deux
pays cherchent activement à faire des réformes réglementaires et législatives pour faciliter
l’intégration et la légitimité des produits financiers islamiques dans leurs «champ juridique ».
En France par exemple, la volonté affichée par la place de Paris de se rapprocher des pays du
Golf et d’attirer les capitaux de la finance islamique commence à produire ses premiers effets.
En 2009, la réponse formelle d’agrément obtenue par plusieurs structures financières
islamiques devrait leur permettre d’ouvrir leurs portes incessamment (Qatar Islamic bank,
Kuwait Finance House, Al Baraka).
Les institutions financières islamiques ont aussi connues les conséquences de « credit
crunch » et de la crise financière et économique de 2008 avec comme conséquence une
diminution de l’émission de Sukuk ainsi qu’une baisse des cours de ses fonds. Mais les
conséquences étaient moindres que celles rencontrées par le secteur financier conventionnel,
grâce à la non participation des acteurs financiers islamiques à des fonds qui ne respectent pas
ses principes ainsi que le meilleur contrôle des risques et de la répartition de son portefeuille
d’actifs.
14
4) Les instruments financiers
Pour respecter l’éthique musulmane, les banques islamiques et les filiales islamiques des
banques conventionnelles ont développé les instruments juridico-financiers suivants:
- « la moudaraba»
- « la moucharaka»
- « la mourabaha »
- « l’ijara »
- « l’istisna»
La moudaraba permet à un promoteur de mener un projet grâce à des fonds avancés par des
apporteurs de capitaux dont la clé de répartition des gains et des pertes est fixée dans le
contrat (en rapport avec le principe de l’interdiction du hasard (« maysir »)). Les apporteurs
de capitaux supportent entièrement les pertes, et les promoteurs ne perdant que le fruit de leur
travail.
Principe de fonctionnement de la Moudaraba
CAPITAL FINANCIER
REMUNERATION (1)
Projet
Investisseur
(Rab el Mal)
(Investissement, société)
RENDEMENT (2)
Entrepreneur
(Moudarib)
CAPITAL HUMAIN
(savoir-faire, expertise)
(1) Part des bénéfices en cas de profit ; sinon rien.
(2) Part des bénéfices en cas de profit ; en cas de perte, l’investisseur assume l’intégralité des pertes.
Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré
Selon La Banque Islamique de Développement (BID), c’est une « forme de partenariat où une
partie apporte les fonds et l’autre (moudarib) l’expérience et la gestion. Le bénéfice réalisé est
partagé entre les deux partenaires sur une base convenue d’avance, mais les pertes en capital
sont assumées par le seul bailleur de fonds».
Son application est modulable dans la mesure où une participation dégressive est envisageable
grâce à un instrument technique islamique de financement des projets, fondé sur la
« participation au capital » et assorti de différents types d’arrangements pour la répartition des
pertes et profits. Les partenaires (entrepreneurs, banquiers, etc.) contribuent aussi bien au
15
capital qu’à la gestion des projets. Les bénéfices sont répartis selon des coefficients préétablis
en fonction du niveau de participation au capital.
S’agissant de la moucharaka, les partenaires apportent les fonds, mais seulement l’un d’entre
eux dispose de la charge de la gestion du projet. Concrètement, les Banques Islamiques ont
développé la moucharaka mutanaquissa qui consiste à participer au financement de
l’acquisition notamment d’un bien immeuble (d’habitation). Une grande partie des fonds
(90%) est apportée par la banque et le reste (10%) par le particulier. Le remboursement obéit
à un tableau d’amortissement qui comprend, outre le capital principal, les bénéfices tirés par
la banque pour cette opération.
Principe de fonctionnement de la Moucharaka
TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L’ACTIF
PAIEMENT À TERME
(100+x, marge)
Acheteur
Vendeur
PAIEMENT AU COMPTANT(100)
Intermédiaire
Financier
Acheteur
TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L’ACTIF
Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré
Un autre mécanisme est la mourabaha. C’est un «contrat de vente, entre un vendeur et un
acheteur, par lequel ce dernier achète les biens requis par un acheteur et les lui revend à un
prix majoré. Les bénéfices (marge bénéficiaire) et la période de remboursement (versements
échelonnés en général) sont précisés dans un contrat initial».
Concernant l’ijara, c’est un mode de financement à moyen terme par lequel la banque achète
des machines et des équipements puis en transfère l’usufruit au bénéficiaire pour une période
durant
laquelle
elle
conserve
le
titre
de
propriété
de
ces
biens.
Un autre aspect de ce contrat est assimilé à une opération de crédit-bail à l'issue de laquelle le
titre de propriété revient au bénéficiaire.
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Figure 4 - Principe de fonctionnement de l'Ijara
TRANSFERT DE LA PROPRIÉTÉ DE L’ACTIF
PAIEMENT DE LOYER
AVEC OPTION D’ACHAT
Vendeur
Acheteur
Intermédiaire financier
PAIEMENT AU COMPTANT
LOCATION DE L’ACTIF
Source : Paris Europlace, Rapport Jouini et Pastré
S’ajoute à cet ensemble de contrat, l’istisna qui s’apparente en un mode de financement à
moyen terme. C’est un contrat de fabrication (ou de construction) aux termes duquel le
participant (vendeur) accepte de fournir à l’acheteur, dans un certain délai et à un prix
convenus, des biens spécifiés après leur fabrication (construction) conformément au cahier
des charges.
III. Finance éthique et finance Islamique :
convergence possible
A. Le développement durable dans la finance éthique et la finance
islamique
Le développement durable est désormais au centre de nombreuses réflexions (politique,
environnement, finance, …). Rares sont les domaines qui échappent à une analyse construite
en termes de développement durable. Pour autant, le concept même de développement
durable est souvent mal connu, car compris de manière incomplète.
Il s’agit de produire plus, au service du plus grand nombre, de mieux répartir les richesses et
de lutter contre la pauvreté, tout en préservant la nature. Enfin, dans chacune des dimensions
économique, social et environnementale, on retrouve une exigence transversale de solidarité
entre les générations. Parmi les objectifs fixés, certains sont à traiter à l’échelle de la planète
(rapports entre les nations, les individus, les générations), d’autres relèvent des autorités
publiques au sein des Etats ou dans chaque grande zone économique, et d’autres enfin
relèvent de la responsabilité des entreprises.
Les entreprises sont en effet des actrices à part entière du développement durable. Elles
peuvent y participer principalement de trois manières :
- le développement économique par leurs investissements.
- la réduction des inégalités sociales (conditions de travail, salaires…)
- consommation soutenable des ressources naturelles, et réduction de la pollution.
17
Le développement durable se décline, pour l’entreprise, sous la forme de la responsabilité
sociale – ou sociétale – (RSE).Elle signifie que les entreprises, de leur propre initiative,
intègrent volontairement des préoccupations sociales et écologiques dans leurs activités
commerciales et dans leurs relations avec les parties prenantes. Cette démarche leur permet de
développer à cours et moyen terme un avantage économique sur le marché et à plus long
terme de garantir une certaine profitabilité et viabilité.
Enfin, le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises agiront comme
des catalyseurs de financements (notamment par appel public à l’épargne) comme en
témoigne le succès de l’investissement socialement responsable (ISR).
En examinant la conjonction entre la finance éthique et la finance Islamique, on se posera la
question si cette dernière rejoigne bien des thématiques de développement durable et de
responsabilité sociale. En effet la finance Islamique inspirée de la loi islamique (la Shariah)
vise à promouvoir le bien être de tous les hommes qui doivent être fort matériellement et
moralement afin de pouvoir répondre aux besoins essentiels sans dépense excessive. Elle
insiste aussi sur la préservation des générations futurs (descendance), des ressources et de
l’environnement. Ainsi, l’accomplissement de ces objectifs requiert des interactions
dynamiques entre les processus socio-économiques et les priorités environnementales. Par
conséquent la finance islamique propose bien des directives rejoignant ce qu’on appelle
aujourd’hui le développement durable.
Elle propose aussi un modèle de responsabilité sociale des entreprises fondé sur des principes
moraux et éthiques plus durables prenant un sens plus large se basant sur une initiative morale
et religieuse. L’entrepreneur n’est plus uniquement guidé par la maximisation des profits,
mais aussi, et surtout, par la poursuite du bonheur suprême, dans cette vie et au-delà. Cette
recherche du bonheur conduit naturellement l’entrepreneur à reconnaître sa responsabilité
sociale et morale vis-à-vis des consommateurs, employés, actionnaires et société civile. Nous
pouvons à la fin dire que la finance propose un modèle de responsabilité sociale plus
approfondi que les modèles proposés par les théories économiques classiques. De plus, à
travers le principe de vice-gérance, l’Islam, envisage les entreprises comme des intendants,
non pas uniquement des ressources financières des actionnaires, mais aussi des ressources
économiques de la société toute entière. Cela implique un besoin inéluctable pour les
entreprises de faire pénétrer dans la conduite de leurs activités les meilleures pratiques de
responsabilité sociale, qu’il s’agisse de pratiques environnementales ou de toute autre
initiative sociale.
Marginales et largement méconnus, l’ISR et la finance islamique continuent à se développer
dans la tempête et de résister aux spectaculaires contreperformances de certaines catégories de
placements.
B. Finance éthique, Finances Islamique et ISR : quelle convergence ?
Ces deux concepts d’investissement ont au moins trois points communs :
- Ils font appel à des paramètres extra-financiers.
- Ils sont considérés, par les places financières (Londres et Paris), comme des axes de
développement attractifs.
- Ils prennent leur source dans une demande de transcription à l’univers financier de
convictions religieuses d’investisseurs, particuliers ou institutionnels.
18
Pour essayer de montrer les conjonctions pouvant exister entre finance éthique et finance
islamique on tentera de répondre aux questions suivantes :
- Leur mécanismes sont-ils complémentaires et de quelle façon ?
- Les fondements religieux de la finance islamique sont-ils comparables à ceux qui ont fait
naître la finance notamment le protestantisme et/ou le catholicisme ?
1) Convergence avec l’ISR
Ayant examiné les fondamentaux religieux de l’ISR et de la finance islamique ainsi que leurs
mécanismes communs et leur toutes récentes offres de produits financiers, on constate pour la
première fois, une certaine convergence des deux concepts. La finance islamique intègre des
composantes éthiques et extra-financières qui peuvent constituer des points de convergence
avec l’ISR. En se concentrant sur les aspects extra-financiers de cette approche, on constate
qu’il existe une convergence avec l’ISR dans la finalité sociétale et dans l’exclusion
d’activités jugées non éthiques, mais que la finance islamique est un système financier à part
entière. Néanmoins, des décalages importants peuvent apparaitre entre la théorie et la
pratique.
2) Finalités et principes moraux
La finance islamique a pour finalité d’améliorer la condition de l’homme, d’établir l’équité
sociale et de prévenir l’injustice dans les échanges commerciaux. C’est d’ailleurs là l’origine
de l’interdiction de l’intérêt et de son remplacement par un système de partage des profits et
des risques.
Ces objectifs concordent bien avec ceux de l’ISR tel qu’il s’est développé ces dernières
années, à savoir le développement durable dans ses piliers économique et social.
Le pilier environnemental n’est pas absent non plus de la finance islamique : un des
fondements de l’islam est que l’homme remplit un rôle d’intendance de la création divine.
Ainsi, la création de Dieu, qui ne se limite pas à la nature et l’environnement mais englobe
également les hommes et la société, appartient à Dieu et est confiée à l’homme ; il a donc un
devoir d’administration et de préservation à son égard. De ce fait le gaspillage et la
consommation inutile et superflue sont inacceptables.
Le lien entre religion et éthique des affaires a été plus largement étudié par un groupement
interreligieux réunissant des représentants des trois grandes religions monothéistes
(Christianisme, Islam, Judaïsme), à l’initiative des familles royales britannique et jordanienne
et sous le parrainage du prince Philip, duc d’Édimbourg, du prince Hassan de Jordanie et de
Sir Evelyn de Rothschild.
Il en a été tiré quatre grands thèmes de convergence entre ces trois religions, qui sont :
- la justice,
- le respect mutuel,
- le concept d’intendance confiée par Dieu
- l’honnêteté.
La déclaration (An Interfaith Declaration: A Code Of Ethics On International Business For
Christians, Muslims And Jews) émise par ce groupe de travail, qui se veut un code d’éthique
19
des affaires commun aux trois religions, développe les bonnes pratiques à adopter dans
chacun de ces thèmes, notamment dans la relation avec les parties prenantes.
3) Exclusions sectorielles
Les exclusions sectorielles, à l’origine de l’ISR tel qu’on le connaît aujourd’hui, sont en effet
issues de fondements religieux, protestant et catholique en l’occurrence. Il est donc tout à fait
normale que la liste des secteurs prohibés soit sensiblement la même que dans le cas de la
finance islamique : alcool, pornographie, jeux d’argent, tabac et armement sont des activités
assez largement réprouvées, étant jugées nuisibles pour l’homme et la société. La finance
islamique n’adopte pas spécialement l’approche de sélection ESG (« Best-in-Class » »Best
effort »), mais en revanche elle est tout à fait en ligne avec la finance éthique.
Notons que certaines exclusions sont particulières à la finance islamique, comme celle de
l’industrie financière ou celle de l’industrie des loisirs (musique, cinéma…).Pour ce qui est de
la filière porcine, elle est proscrite dans la mesure où la religion musulmane interdit la
consommation de viande de porc.
4) Exclusions normatives et Global Compact
Les convergences entre les principes de l’islam et ceux du Global Compact sont mises en évidence par
le rapport de « OWW consulting », cabinet de conseil en RSE et ISR. Il note des motivations parfois
différentes ainsi que des exigences plus poussées. Il ne regarde pas pour autant la mise en pratique
beaucoup moins effectives, de ses principes dans la finance islamique. Mais contrairement à ce qui
peut se faire dans le cas de l’ISR, la finance islamique n’exclut pas explicitement les émetteurs
coupables des pires pratiques sociales et environnementales.
Le Pacte mondial, ou Global Compact en anglais, est un pacte proposé par l’organisation des
nations unies, une initiative internationale où il est demandé aux grandes entreprises de se
joindre à la société civile et aux organismes de l'ONU afin de supporter dix principes dans les
domaines de l'environnement, des droits de l'homme, des droits du travail et de la lutte contre
la corruption. Les organismes (entreprises, associations, collectivités locales, etc.) qui
adhèrent au Pacte Mondial s'engagent à progresser par rapport aux 10 principes et à
communiquer annuellement sur leurs progrès auprès des Nations Unies. Ces dix principes
sont inspirés de la déclaration universelle des droits de l'homme, la déclaration relative aux
principes et droits fondamentaux au travail (Organisation internationale du travail), la
déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, la Convention des Nations unies
contre la corruption. Il convient de noter que le Global Compact ne revêt aucun caractère
contraignant et ne fait pas l’objet d’un contrôle des pratiques des signataires.
L’analyse par OWW Consulting de la compatibilité entre la Charia et les principes du Global
Compact révèle qu’en termes de Droits de l’homme La Chariah, en s’appuyant notamment
sur le Coran et les paroles du Prophète, prône des principes tels que la démocratie
(gouvernement par consultation), la justice, l’égalité des races, des religions, des sexes, et le
respect des non-musulmans et de la liberté de religion. Le fait qu’on ne retrouve pas
forcément ces principes dans la pratique, notamment l’égalité des sexes, viendrait plus du fait
de considérations culturelles et régionales que religieuses, ou alors d’une lecture partielle et
erronée des textes religieux. L’islam considère enfin que le rôle de l’État, outre le fait d’agir
en consultation du peuple et avec son consentement, est d’assurer l’indépendance du système
judiciaire et de procurer au peuple des services fondamentaux.
20
En termes de Droits du travail, la liberté d’association n’est pas clairement abordée par la
Shariah, le travail forcé est lui clairement prohibé. Le travail attendu doit être clairement
défini, le travailleur doit être rémunéré de façon juste dès l’accomplissement du travail
demandé, et il ne doit pas tenu de fournir plus que ce dont il est capable. Concernant le travail
des enfants, il est stipulé qu’un contrat de travail doit se faire entre personnes considérées
comme adultes. La discrimination entre les personnes est, elle, décriée dans le dernier sermon
du Prophète, pour qui ce ne sont ni la race, ni la couleur, mais la droiture et l’honnêteté qui
font honneur aux yeux de Dieu.
Pour la question environnementale elle se décline dans la finance islamique par le rôle
d’intendance confié à l’homme dont le devoir est de protéger l’environnement et de réprouver
le gaspillage des ressources naturelles.
En fin concernant la lutte contre la corruption, la finance islamique en se basant sur les
préceptes de l’islam condamne tant le corrupteur que le corrompu et l’intermédiaire. Quant à
la transparence l’islam est très exigent en terme de contrat et transaction.
Cependant selon OWW consulting, un décalage entre la théorie et la pratique est observé pour
l’ensemble de ses principes. Performances que la société de conseil attribue plutôt à des
facteurs socioculturels qu’à des facteurs religieux.
5) Partage
Etant considérée comme une forme d’ISR, la finance de partage consiste à reverser une partie
des bénéfices à des ONG ou des associations humanitaires. La finance islamique quant à elle
la pratique de deux façons :
- La Zakat, un des cinq piliers de l’islam ("aumône"). C’est un impôt obligatoire qui
représente un quarantième (2,5%) des ressources financières, et est destiné aux plus démunis.
Il sert d’une part à purifier le croyant et d’autre part à subvenir aux besoins de la société.
- Le financement de dispositifs de purifications. Ils concernent les opérations financières
présentant une présomption de genèse d’intérêt ou une activité jugée inévitable alors qu’elle
est illicite.
6) Finance Islamique et ISR compatibilité et complémentarité
D’une manière générale la finance islamique et l’ISR ne s’adressent pas à la même clientèle.
La gestion des deux types de fonds, lancés de façon distincte, est localisée dans deux pays
différents (la Suisse pour l’ISR et le Royaume-Uni pour le fonds Charia-compliant). D’autre
part les deux approches financières ne mobilisent pas les mêmes expertises. Elles restent tout
de même compatibles mais ne convergent pas naturellement, peut être du fait de l’absence de
dialogue entre les acteurs des deux finances, mais aussi parce que L’ISR a beaucoup évolué
par rapport à ces origines chrétienne et à développer une certaine prudence vis-à-vis des
finances religieuses. La finance islamique, quant à elle, reste attachée au fondement de
l’islam.
Pour certains acteurs comme ASrIA(Association for sustaitable & Responsible investment in
Asia) l’ISR et la finance islamique ont en commun le fait d’être des alternatives à la finance
traditionnelle, mais les problématiques y sont analysées avec un regard différent.
21
Dans le même ordre d’idées, pour Geoffrey Williams d’OWW Consulting, deux grandes
différences subsistent :
- En matière extra-financière, l’ISR va plus loin que la finance islamique, en ne regardant pas
uniquement le secteur d’activité mais également les pratiques extra-financières. Les
exclusions sectorielles ne sont par ailleurs pas systématiques pour l’ISR : par exemple, les
indices Dow Jones Sustainability Indexes n’excluent pas tous des secteurs comme le tabac.
- L’architecture financière de la finance islamique est très différente de la finance classique
occidentale, à cause de l’interdiction de l’intérêt et du rapport au risque et à l’incertitude. De
ce fait, il n’est pas toujours pertinent, voire possible, d’y associer des critères de sélection
applicables à la finance classique.
Parallèlement, une des sociétés de gestion SAM experte dans l’analyse ESG (critères
Environnementaux, Sociaux et de Gouvernances de sélections des émetteurs) des thématiques
durables et des pratiques des émetteurs, a lancé avec la banque islamique britannique
« Gatehouse » un fond « Charia - compliant » axé sur la thématique de l’eau. Ce projet
constitue une combinaison d’une stratégie ISR à la finance islamique, d’autres projets sont en
cours de réflexion notamment chez le britannique « F&C Investment ».
L’ISR et la finance islamique se rejoignent sur deux principes fondamentaux :
- L’idée que pour l’Islam, l’homme est un intendant qui doit préserver les ressources naturelle
est en phase avec le concept de développement durable tel que défini par le rapport
Brundtland.
- La finalité de la finance islamique qui est l’amélioration des conditions de vie et le bien-être
social est tout à fait convergente avec des thématiques de durabilité comme la thématique de
l’eau.
Si ces "finances" se rejoignent par une finalité globale favorable au bien-être social et à un
respect par l’homme de son environnement, la finance islamique est un système plus normé
qui fournit à la fois de directives financières et extra - financières. Ces dernières, si on les
compare à la finance responsable, convergent plutôt avec la finance éthique et de partage, que
ce soit dans la façon de faire ou dans l’objectif.
La finance islamique reste cependant compatible avec les autres approches de l’ISR : même si
elle n’adopte pas de critères de sélection extra-financière sur les pratiques des entreprises, elle
est en ligne avec les principes du Global Compact des Nations Unies, sur lesquels s’appuient
plusieurs gérants ISR dans le cadre d’exclusions normatives.
Partant, dans la mesure où les deux approches ne sont pas contradictoires dans leur finalité,
elles pourraient être non seulement compatibles, mais aussi complémentaires, la prise en
compte d’enjeux ESG apportant à la fois une valeur ajoutée éthique et financière, notamment
de limitation des risques. L’essor de la finance islamique et celui de l’ISR ne semblent pas
corrélés aujourd’hui, mais il appartient aux acteurs de place, financiers, centres de recherche,
agences de notation, ONG ou même régulateurs, de favoriser leur rapprochement. Cela
permettrait de développer conjointement ces approches qui visent à encourager des pratiques
plus éthiques, responsables et transparentes, et de trouver de nouvelles clientèles, notamment
pour l’ISR dans les pays où il est aujourd’hui absent.
22
Conclusion
Les turbulences financières actuelles, quel que soit leur aboutissement immédiat, sont de
nature systémique. Elles sont le symptôme de la pression croissante qui, année après année,
fragilise les assises matérielles, sociales, intellectuelles et éthiques du système socioéconomique basé sur la liberté politique et économique. Les progrès de la finance ont été en
effet grandement facilités par la justification politique de la dérégulation qui les a
accompagnés, ainsi que par l’expression de la rationalité financière sous forme de « lois » et
autres « théorèmes » couronnés par des prix Nobel. Ces nouvelles vérités « démontrées », ont
progressivement eu raison des résistances morales et éthiques. Au terme de plus de trente
années de progrès de la financiarisation, l’état des fondements du système économique et
social est inquiétant à plus d’un titre. En effet la financiarisation a débouché sur la
prééminence quasi absolue de la transaction au détriment de la relation. Parallèlement, la
patience, la loyauté, la durée et la confiance, piliers de la relation, se sont affaiblies avec pour
conséquence une montée de la méfiance signe avant coureur d’une probable rupture
systémique. Ce constat impose une nouvelle définition des responsabilités de chacune des
parties, la réaffirmation du rôle premier de la finance, la mise en œuvre d’instruments
réglementaires, moraux et éthiques adaptés qui permettront de rétablir la confiance et de
corriger certaines asymétries du système actuels. Ces changements sont autant de clés qui
permettront à la finance de tendre vers un développement plus durable, où l’homme
l’économie et l’environnement serait au cœur de ses préoccupations.
La prise de conscience massive des décideurs politiques et de la société civile doit permettre
le développement des finances éthiques qui ont de belles perspectives devant elles car elles
ont compris que concilier rentabilité financière et rentabilité économique n’étaient pas
antinomiques mais déterminants pour optimiser et pérenniser leurs activités.
Depuis maintenant dix ans, le marché de l’investissement socialement responsable et de la
finance éthique de façon large est en pleine croissance. Aujourd’hui les gérants de fonds
diversifient leurs stratégies de gestion et offrent désormais un panel de fonds particulièrement
orienté vers l’environnement, le social et la gouvernance d’entreprise qui est devenue l’un des
sujets majeurs en cette période crise.
Dans cet environnement, La finance islamique trouvera une place prépondérante, fort d’un
corpus de principes qui fait jurisprudence en ces périodes de remise en cause du système
financier dans sa globalité.
L’évolution de la demande en terme d’implication sociale et environnementale des acteurs de
la finance, devra constituer un axe de progrès nécessaire pour les développeurs de fonds
Shari’a compliant
Enfin, il faudra que les acteurs financiers islamiques (Shari’a Boards, sociétés de gestion,
structureurs, etc.) réfléchissent à harmoniser davantage leur corpus de règles avec certains
critères ISR (pollution, gouvernance d’entreprise, etc.).
23
Références bibliographiques
1. Anouar Hassoune, « Principes de structuration des « sukuk » », Finance éthique et
finance islamique : quelle convergence?, Les Cahiers de la Finance Islamique, 2009,
vol. 1, p.18-28
2. Christine Walsh, «Ethics : Inherent in Islamic Finance; resisted in American
business», Fordha, journal of corporate & financial law, 2007, vol.7, disponible sur le
lien:
http://www.scribd.com/doc/6340596/Ethics-Inherent-in-Islamic-FinanceThrough-Sharia-Law-Resisted-in-American-Business-Despite-Sarbanes-Oxley
consulté le 14 janvier 2010
3. Ibrahim Warde, «Islamic finance», Le Monde Diplomatique, 2001, vol.8, disponible
sur le lien http://mondediplo.com/2001/09/09islamicbanking#nb8, consulté le 14
janvier 2010
4. Michel Dion, «L’éthique du profit et les grandes religions du monde », Entreprise
éthique, 1998, n 9, p. 109
5. Le rapport annuel sur finance islamique de International Financial Services London,
http://www.ifsl.org.uk/output/ReportItem.aspx?NewsID=32, consulté le 7janvier 2010
6. « Introduction aux principes de la finance islamique », article online disponible sur le
site de l’Association d’Innovation pour le Développement économique et Immobilier
(AIDIMM), le lien: http://aidimm.com/articles/introduction-aux-principes-de-lafinance-islamique_23.html
7. François Guéranger « Finance islamique : une illustration de la finance éthique » 2009
collection marchés financiers
8. Jean Paul Laramée et al. « Finance islamique à la française : un moteur pour
l'économie française, une alternative éthique pour tous les Français » 2009 Ed. Secure
finance
9. Michel Roux, « Finance éthique » 2005, Ed. Revue banque
10. Cyril Demaria, « Développement durable et finance » Ed.Maxima, 2004
24
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