S ource : Berryman, T. (1998). « Les arbres, ces généreux géants porteurs de vie ». Sur la montagne (14) 3-4. Numéro portant sur la tempête de pluie verglaçante . Les arbres, ces généreux géants porteurs de vie Par Tom Berryman Souvent plus que centenaires, la présence tranquille et immobile des arbres dissimule presque entièrement leur vitalité. L’écorce rugueuse nous masque normalement leur vie animée. Cependant, les blessures ouvertes produites par le verglas et les troncs sectionnés par les scies à chaîne révèlent maintenant à l’air libre et à nos se ns la vie intérieure des arbres. Se pencher et observer attentivement un tronc d’arbre sectionné permet d’entrevoir l’incroyable dynamique de la vie végétale. La matière et la vie du tronc naissent et se déploient tout juste entre le bois pâle et l’écorce foncée. Là, une mince couche de cellules se reproduisent en se divisant. Elles donnent naissance au bois vers l’intérieur de l’arbre et à l’écorce vers l’extérieur. Dans le bois, l’œil attentif, parfois aidé d’une loupe, peut voir des petits trous dans les cernes annuels de croissance. Ce sont les minuscules vaisseaux qui conduisent l’eau et les minéraux, cette « nourriture » de l’arbre. Dans l’écorce sont logés les vaisseaux conduisant la sève élaborée, le « sang » de l’arbre. Et l’arbre boit. Dans un bouleau de taille moyenne, il monte 200 litres d’eau par jour. L’arbre s’est ainsi constitué pour que l’eau et la sève circulent entre les racines et les feuilles. Le tronc est une vaste et solide voie de circulation pour des liquides. À partir de l’observation d’une section d’un tronc, l’imagination peut suivre ces fluides circulant dans l’arbre. Dans le sol, des poils absorbants captent l’eau et les minéraux. Ils passent ensuite dans les radicelles et les racines avant de remonter dans le bois du tronc. L’eau et les minéraux voyagent ensuite dans les branches charpentières et les branches secondaires, les rameaux et les ramilles, les pétioles et les nervures pour atteindre finalement le limbe des feuilles. C’est là, dans les cellules contenant la chlorophylle, que l’arbre compose sa sève. L’arbre combine alors l’eau du sol et le gaz carbonique de l’air. Avec la lumière du soleil, il en synthétise des sucres et de l’oxygène, d’où le nom photosynthèse. L’un des termes scientifiques pour désigner les sucres nous renseigne d’ailleurs sur leur origine. Tout emballage d’aliments présente un tableau de valeur nutritionnelle où on nomme les sucres: glucides ou hydrates de carbone. Les sucres de la sève et tous les autres sont en quelque sorte du carbone qui a en contact avec de l’eau, du carbone qui a été hydraté, d’où le terme hydrate de carbone. Ce terme nous rappelle ainsi leur origine sous forme d’eau et de gaz carbonique. La sève élaborée nourrit ensuite les tissus vivants de l’arbre comme notre sang nourrit nos tissus animaux. Elle circule dans de nouvelles voies par nervures et pétioles, ramilles et rameaux, branches secondaires et branches charpentières, écorce du tronc, racines et radicelles jusqu’aux poils absorbants. Il nous est parfois difficile de voir en un arbre un être vivant. Nous établissons plus volontairement des liens de similitudes entre nous et les autres animaux qu’entre nous et les végétaux. La biologie nous enseigne pourtant qu’ils sont comme nous, constitués de cellules qui se reproduisent et se spécialisent pour former un organisme complexe. Comme nous, ils viennent au monde, respirent, grandissent, se nourrissent, se reproduisent et meurent. La biologie nous informe aussi que nous possédons des ancêtres bactériens communs. Ainsi, le rouge du sang et le vert des plantes sont issus de molécules presque identiques : l’hémoglobine et la chlorophylle. L’hémoglobine des globules rouges capte l’oxygène de l’air et le fait circuler dans notre organisme pour que nos cellules le respirent en brûlant des sucres. Nos cellules produisent alors du gaz carbonique que l’hémoglobine capte et achemine vers nos poumons où nous l’expirons. La chlorophylle des plantes vertes capte le gaz carbonique de l’air et, avec de l’eau, elle en crée du sucre et de l’oxygène lors de la photosynthèse. Cependant, comme toute cellule vivante, les cellules végétales ont besoin de respirer. Comme les nôtres, en respirant, les cellules végétales métabolisent des sucres avec de l’oxygène. Heureusement pour les animaux, les végétaux produisent davantage d’oxygène par photosynthèse qu’ils n’en brûlent pour se maintenir en vie. Ce surplus est notre souffle de vie. Notre vie et les autres vies animales dépendent de celle des végétaux. Voici donc un autre enseignement de la biologie. Aussitôt germé et ses premières feuilles apparues, lepetit arbre se construit et grandit de la sorte en respirant et en faisant de la photosynthèse. Une jeune plantule se métamorphose alors en un géant tranquille avec des tissus et des organes différenciés. La vie d’un arbre se déroule de la sorte en étroite relation avec son milieu de vie et au sein d’une communauté végétale. Chaque espèce possède des adaptations à certaines conditions particulières du milieu. Ces adaptations sont transmises aux générations futures lorsque les arbres se reproduisent par copulation. Les mâles étamines émettent alors le pollen qui féconde l’ovule femelle d’une fleur de la même espèce. L’ovule fécondé devient dès lors une graine qui contient un embryon. De génération en génération, les espèces végétales évoluent de cette façon comme le font les espèces animales. Les arbres et les végétaux font tout cela avec un surplus de générosité. En plus de bénéficier de la production d’oxygène, il y a toutes les différentes parties de végétaux que nous et les autres animaux mangeons en feuilles, tiges, racines, fruits et graines. Ce sont encore ces végétaux que nous mangeons indirectement dans la viande et autres produits animaux tels les oeufs et produits laitiers. La vie des arbres a bien d’autres façons de porter notre vie. Pensons seulement au papier. Bien sûr on sait qu’il provient du bois. Plus exactement, le papier et la majorité du bois sont constitués de cellulose. Or, qu’est-ce que la cellulose? Il s’agit d’un autre hydrate de carbone que l’arbre forme, cette fois à partir des sucres plus élémentaires de la sève. Brûlé en présence d’oxygène dans nos foyers, cet hydrate de carbone nous chauffe. Il ne s’agit là bien sûr que quelques-uns des innombrables bienfaits des arbres. L’arbre et ses composantes accompagnent une pers onne tout au long de sa vie, de sa naissance à sa mort. C’est le bois du « berceau de ses premières nuits... et le triste cercueil de sa dernière demeure » écrit Pierre-Émile Rocray. Il y a une joie de vivre à voir toute cette générosité végétale et ce, même dans la désolation des arbres cassés et blessés à la suite du verglas. Dans un vieil arbre, l’ancienne branche cassée a laissé place à un trou dans le tronc. Cette alcôve abrite une famille d’oiseaux, une famille d’écureuils ou un raton laveur. Des insectes sous l’écorce satisfont la faim des Pics. D’autres insectes et d’autres animaux se nourrissent et vivent à partir de nombreuses parties des végétaux et ils sont eux-mêmes avalés par une foule d’autres animaux. Ils sont nombreux. les organismes s’épanouissant de la sorte en liens étroits avec les arbres et les forêts. L’arbre et les autres végétaux sont généreux. Ils sont porteurs de vie. Le déploiement de la vie d’un arbre et l’excédent qu’il génère supportent l’épanouissement d’une multitude d’autres êtres vivants. Y a-t-il quelque apprentissage à réaliser à partir de cette profusion d’organismes supportés par la vie d’un arbre? Cette vie peut questionner celle des êtres humains. Peut-on, nous aussi, individuellement et collectivement, avoir un mode de vie qui supporte et encourage l’abondance et la diversité du monde vivant? Il s’agit certes d’une bonne question à ruminer tout en se reposant adossé au tronc d’un arbre, dans l’ombre fraîche d’un de ces généreux êtres immobiles.