Comment diagnostiquer les démences les plus fréquentes du sujet

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Comment diagnostiquer les démences
les plus fréquentes du sujet âgé ?
Dr Gabriel Gold,
médecin adjoint agrégé
Département de Réhabilitation et
Gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
Adresse pour correspondance:
Dr Gabriel Gold
Hôpital de Gériatrie
3, Chemin du Pont Bochet
Thônex, 1226 CH
Introduction
La prévalence de la démence augmente de façon exponentielle avec
l’âge à partir de 60 ans et atteint 30 %
après l’âge de 90 ans1. L’évolution
démographique durant le XXème
siècle s’est traduite par un vieillissement très marqué de la population.
En Suisse, par exemple, le nombre de
nonagénaires qui était de 650 en
1900 a atteint 47.000 en l’an 2000.
Ces modifications démographiques
ont entraîné une augmentation
importante du nombre de personnes
souffrant de troubles cognitifs ce qui
en fait une préoccupation qui est
tout à fait d’actualité.
Une première étape :
dépister le trouble
cognitif
Le dépistage précoce des démences
reste difficile. Dans des consultations ambulatoires de médecine
générale, moins de 5 % des
démences légères et moins de 25 %
des démences moyennes à sévère
sont détectées. Pour améliorer cette
performance il importe donc de rester particulièrement attentif à certains indices cliniques précoces permettant de suspecter un trouble
cognitif. L’apparition de difficultés
dans l’accomplissement d’activités
relativement complexes de la vie
quotidienne (gestion des finances,
utilisation des transports publics),
des retards inhabituels aux rendezvous, une prise médicamenteuse qui
devient problématique ou le fait de
se présenter chez le médecin
accompagné d’un proche peuvent
être le premier signe d’un affaiblissement intellectuel. Dans ce cas, des
tests de détection tels que le mini
mental state examination (MMSE)
de Folstein et le test de la montre
sont particulièrement utiles pour
confirmer une suspicion clinique. Ils
ne peuvent affirmer à eux seuls
l’existence d’une démence mais ils
sont un élément clé du dépistage,
justifiant alors des examens plus
poussés.
Une deuxième étape :
distinguer la démence
de l’état confusionnel
et de la dépression
Lorsque les difficultés cognitives
sont objectivées, le premier effort
diagnostique doit s’attacher à faire la
différence entre une dépression, une
démence et un état confusionnel.
Il convient donc de rechercher en
premier lieu une humeur dépressive,
une perte d’intérêt, un sentiment de
dévalorisation ou de culpabilité, un
manque d’énergie, une perte de
poids et d’appétit, des troubles du
sommeil, voire des idées de mort ou
suicidaires. Certains de ces symptômes sont très peu spécifiques
d’une dépression chez le sujet âgé et
un
traitement
antidépresseur
d’épreuve peut s’avérer utile en cas
de doute.
Un début aigu, une évolution brève
et fluctuante, des troubles de la vigilance, une agitation précoce doivent
au contraire évoquer un état confusionnel qu’il est particulièrement
important de reconnaître car il est en
général secondaire à un problème
somatique sous-jacent dont il représente un signe de gravité. De plus, la
dépression et l’état confusionnel
sont généralement réversibles grâce
à un traitement antidépresseur dans
le premier cas ou par le traitement
de la cause et l’utilisation de neuroleptiques incisifs dans le second.
Les examens complémentaires à
demander routine devant une suspicion de démence incluent des
dosages sanguins (électrolytes y
compris la calcémie, créatinine, glycémie, formule sanguine, TSH, vitamine B12 et folates) et une neuroimagerie (imagerie par résonance
magnétique de préférence ou à
défaut un CT scan). Une évaluation
neuropsychologique permettra de
préciser les domaines cognitifs
affectés et de mesurer la sévérité des
troubles.
Une troisième étape :
identifier le type de
démence en question
Plutôt que de passer en revue toutes
les démences connues et leurs
caractéristiques cliniques (tâche
impossible à réaliser dans un seul
article) nous discuterons celles qui
se rencontrent le plus fréquemment
chez le sujet âgé en indiquant les
principaux éléments cliniques ou
paracliniques qui orientent le clinicien vers un diagnostic précis. Nous
ne listerons pas non plus tous les critères cliniques existants qui sont
parfois complexes et dont la valeur
est souvent incertaine.
La maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est de loin la
cause la plus fréquente de troubles
cognitifs et représente plus de la
moitié des cas de démence du sujet
âgé. Il faut l’évoquer devant un début
insidieux, des troubles portant initialement essentiellement sur la
mémoire et l’orientation s’accompagnant parfois de troubles thymiques
et associés à des difficultés
praxiques, gnosiques, langagières et
une altération des fonctions exécutives évoluant progressivement sur
plusieurs années. L’examen clinique
ne met pas en évidence de déficit
neurologique focal et la neuroimagerie révèle le plus souvent une atrophie cortico-sous-corticale.
La démence vasculaire2
La démence vasculaire est typiquement caractérisée par un début brutal, une évolution par paliers et la
présence de symptômes et de signes
neurologiques focaux. Si cette présentation clinique est effectivement
très évocatrice d’une démence vasculaire elle se rencontre malheureusement dans bien moins de la moitié des cas. La présence de facteurs
de risque cardiovasculaire tels que
l’hypertension, la fibrillation auriculaire, l’élévation de l’homocystéine
sérique, est associée à un risque
accru de démence vasculaire ce qui
n’est pas surprenant. Toutefois, ces
mêmes facteurs peuvent aussi favoriser la survenue d’une maladie
d’Alzheimer et ils ne sont donc d’aucune utilité pour le diagnostic différentiel.
Le profil neuropsychologique est
celui d’une atteinte marquée des
fonctions exécutives associée à un
déficit mnésique. Celui-ci est le plus
souvent lié à un problème de récupération de l’information stockée
alors que l’encodage est mieux préservé que dans les maladies neurodégénératives. Il en résulte que les
défauts au rappel libre sont souvent
corrigés par l’indiçage, contrairement à ce qui se passe dans la maladie d’Alzheimer3. Malheureusement
ces caractéristiques ne sont pas suffisamment spécifiques pour permettre à elles seules de poser le dia-
gnostic de démence vasculaire.
Les progrès de la neuroimagerie ont
permis de reconnaître l’importance
de la démence vasculaire ischémique sous-corticale qui s’exprime
cliniquement par un ralentissement
important et radiologiquement par
des lésions de la substance blanche
périventriculaire mais aussi plus à
distance des ventricules, en particulier au niveau du centre semi-ovale.
Le CT-scan et surtout l’IRM permettent aussi de mettre en évidence des
séquelles de ramollissement ou des
lacunes et sont particulièrement
utiles pour détecter ces lésions qui
peuvent exister en l’absence de
signes cliniques focaux ou d’anamnèse évocatrice. La neuroimagerie
améliore significativement la détection des démences vasculaires.
Le diagnostic de démence vasculaire
reste donc difficile, mais il convient
de l’évoquer devant la triade suivante :
1) présence d’une démence,
2) présence d’une pathologie cérébrovasculaire mise en évidence
par l’évaluation clinique ou paraclinique et
3) présence d’un lien entre les deux.
Les démences mixtes
Les démences vasculaires et la
maladie d’Alzheimer sont connues
depuis la fin du XIXème siècle et le
début du siècle suivant, mais il a fallu
attendre les années soixante du
XXème siècle pour voir apparaître la
première mention de démence
mixte. Ce concept a connu de nombreuses définitions mais la plupart
des auteurs utilisent actuellement ce
terme pour décrire une démence due
à la fois à des lésions de type Alzheimer et des lésions vasculaires.
Plusieurs études neuropathologiques ont montré leur coexistence
fréquente chez le sujet très âgé (âge
moyen 85 ans) et des corrélations
clinicopathologiques ont montré la
validité du concept de démence
mixte. L’utilisation de la neuroimagerie a permis d’améliorer significa-
tivement la détection des démences
mixtes mais des études récentes
mettant en évidence les conséquences cliniques de lésions vasculaires microscopiques (et donc invisibles à la neuroimagerie) suggèrent
que la démence mixte est très probablement sous-diagnostiquée du
vivant du patient4.
La démence à corps
de Lewy5
Les corps de Lewy furent décris en
1912 dans la substance noire de
patients atteints de « paralysis agitans » (actuellement connue sous le
nom de maladie de Parkinson). Leur
présence dans le cortex cérébral ne
fut par contre découverte qu’en
1961. La démence à corps de Lewy
est connue depuis une vingtaine
d’années. Il faut l’évoquer devant :
1) une détérioration progressive des
fonctions cognitives s’exprimant
initialement par des troubles de la
mémoire mais surtout marquée
par un ralentissement important,
des troubles de l’attention et des
fluctuations importantes,
2) un syndrome extrapyramidal
modéré et symétrique qui répond
faiblement au traitement par la Ldopa et qui est très sensible aux
neuroleptiques et
3) des hallucinations visuelles persistantes souvent complexes et
critiquées. Les chutes sont fréquentes dans ce type de démence
mais il s’agit d’un événement très
peu spécifique et multifactoriel
chez le sujet âgé qui est relativement peu utile dans le diagnostic
différentiel des démences.
Les démences frontotemporales6
Elles sont en fait rares chez le sujet
âgé. Elles se caractérisent par
1) un trouble du comportement et
une modification de la personnalité (désinhibition, négligence
corporelle, défaut de contrôle
émotionnel, parfois désintérêt et
apathie),
2) une détérioration progressive des
fonctions cognitives portant surtout sur les fonctions exécutives
alors que les troubles de la
mémoire sont plus tardifs et les
praxies sont souvent conservées
et
3) des troubles du langage. La neuroimagerie révèle une atrophie
fronto-temporale parfois asymétrique. Les cas familiaux sont relativement fréquents.
La catégorie des démences frontotemporales est en fait de classification complexe et inclue de nombreuses démences beaucoup plus
rares telles que la démence sémantique, l’aphasie primaire progressive, les démences fronto-temporales avec maladie du motoneurone,
etc. mais, une description détaillée de
ces situations n’a pas sa place dans
une revue des démences fréquentes
du sujet âgé.
Conclusion
La démence augmente en fréquence
avec l’avance en âge, mais elle est
rarement détectée, en particulier
dans les cas précoces. Une évalua-
tion clinique, un bilan neuropsychologique et des examens complémentaires de routine permettent
d’aboutir à un diagnostic précis.
Celui-ci est une première étape clé
pour aboutir à une prise en charge
pharmacologique et non pharmacologique la plus adéquate du patient
âgé dément et de ses proches.
Références
1. Herrmann F, Mermod J, Henderson AS,
Michel JP: Epidemiology of Dementia in
Geneva. Interdiscipl Top Gerontol 1999;
30:94-100.
2. Gold G. Les Démences Vasculaires.
Médecine et Hygiène 2002 ; 60 :1165-7.
3. Graham NL, Emery T, Hodges JR. Distinctive cognitive profiles in Alzheimer's
disease and subcortical vascular dementia. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004;
75:61-71.
4. Kovari E, Gold G, Herrmann FR, et al.
Cortical microinfarcts and demyelination
significantly affect cognition in brain
aging. Stroke 2004; 35:410-4.
5. McKeith IG. Dementia with Lewy
Bodies. Br J Psychiatry 2002;180:144-7.
6. Snowden JS, Near D and Mann DM
2002. Frontotemporal dementia. Br J Psychiatry 2002;180:140-3.
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