Cas clinique Manifestations cutanées au cours des nouveaux traitements de l’hépatite C Skin manifestations in patients treated for hepatitis C V. Descamps*, T. Asselah** (* Service de dermatologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris ; Toxidermie • Hépatite chronique C • Interféron alpha • Ribavirine • Antiprotéase • Télaprévir • Bocéprévir Dermatological adverse drug reaction • Chronic hepatitis C • Interferon alfa • Ribavirin • Antiprotease • Telaprevir • Boceprevir ** Service d’hépatologie, hôpital Beaujon, Clichy) L es traitements de l’hépatite C connaissent un grand changement en 2012 avec la mise à disposition des antiprotéases qui font entrer la prise en charge des patients atteints d’hépatite chronique C dans une ère nouvelle. Au traitement classique – associant interféron pégylé et ribavirine, pour une durée de 24 à 72 semaines et dont l’efficacité est dépendante du génotype viral – se sont récemment ajoutées les antiprotéases (bocéprévir et télaprévir) et les antipolymérases en cours d’évaluation. Ces traitements sont particulièrement importants pour les génotypes 1 qui étaient peu répondeurs au traitement classique. Le dermatologue est particulièrement concerné par la prise en charge des patients traités pour une hépatite chronique C. Aux manifestations cutanées classiques associées à l’hépatite chronique C (prurit, érythème acral, psoriasis, lichen plan, vascularite, cryoglobulinémie mixte, porphyrie cutanée tardive) s'ajoutent les effets indésirables propres à ces différents traitements et l’induction ou la révélation possible de maladies inflammatoires sous traitement par interféron alpha (psoriasis, lichen plan, sarcoïdose, dermatite atopique) [1-4]. Nous rapportons quatre observations de patients traités avec succès par ces nouvelles thérapeutiques et illustrant des manifestations classiques au cours de ces traitements. Observations Cas 1 Un patient âgé de 52 ans était traité depuis 4 mois par l’association bocéprévir, interféron pégylé et ribavirine. Il avait reçu un premier traitement, 18 mois auparavant, par interféron pégylé et ribavirine seuls, sans efficacité. Sous ce nouveau traitement sont apparues progressivement des lésions nummulaires prurigineuses disséminées, accompagnées d’une grande sécheresse cutanée et muqueuse. Un prélèvement mycologique réalisé en ville était négatif. L’aspect clinique évoquait un eczéma nummulaire, malgré l’absence d’antécédent atopique, mais pouvait faire discuter un psoriasis remanié (figures 1-3). Il n’y avait pas d’autre atteinte, en particulier phanérienne, en facteur du psoriasis. Une biopsie cutanée confirmait le diagnostic d’eczéma. Un traitement par dermocorticoïdes associés aux émollients permettait d’améliorer incomplètement les lésions cutanées et le prurit. L’arrêt de l’antiprotéase (comme prévu dans le cadre de son traitement) ne modifiait pas l’évolution des lésions cutanées qui persistaient, inchangées, sous l’association d’interféron et de ribavirine. 156 ID6-2011_V2.indd 156 Légendes Figure 1. Lésions nummulaires eczématiformes du bras droit. Figure 2. Lésions nummulaires au dos. Figure 3. Lésions nummulaires du bras gauche. Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 30/11/11 17:10 Cas clinique 1 2 3 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 ID6-2011_V2.indd 157 157 30/11/11 17:10 Cas clinique Ce tableau clinique était caractéristique des éruptions eczématiformes, parfois nummulaires ou disséminées, observées sous traitement par interféron seul et encore plus fréquentes au cours des associations interféron-ribavirine et interféron-ribavirineantiprotéase. Il est souvent noté des plaques eczématiformes aux sites d’injection de l’interféron (figure 4). Cas 2 Un patient âgé de 47 ans était traité pour une hépatite chronique C par l’association bocéprévir, interféron pégylé et ribavirine depuis 4 mois. Légendes Il avait présenté, dès le début du traitement, des lésions érythémateuses eczématiformes aux sites d’injection d’interféron pégylé et une photosensibilité en rapport avec la prise de ribavirine. Depuis, il réalisait une photoprotection par application régulière de crème antisolaire. Figure 4. Érythème aux points d’injection de l’interféron pégylé. Depuis deux semaines était apparue une éruption différente œdémateuse diffuse, très prurigineuse, prédominant au niveau du tronc et du visage, sans facteur déclenchant particulier (figure 5). Figure 6. Placards érythémateux et purpuriques des jambes. L’état général était conservé. Le patient ne présentait pas de fièvre. Les aires ganglionnaires étaient libres, à l’exception de ganglions banals axillaires. Au niveau des jambes, les lésions prenaient un aspect purpurique, favorisé par une thrombopénie (figure 6). Figure 8. Plaque érythématosquameuse psoriasiforme de la jambe. Figure 5. Rash maculopapuleux œdemateux du tronc. Figure 7. Hypertrichose ciliaire. Le bilan biologique ne montrait pas d’hyperéosinophilie et ne révélait aucune atteinte viscérale, n’apportant aucun argument en faveur d’un DRESS : absence d’hyperéosinophilie, absence d’atteinte viscérale. Une biopsie réalisée sur les placards érythémato-œdémateux ne mettait pas en évidence de signe spécifique, la peau paraissant normale, sans infiltrat inflammatoire, contrastant avec l’aspect inflammatoire clinique. Un traitement par dermocorticoïdes forts associés à des émollients et à des antihistaminiques a permis un contrôle relatif de l’éruption, qui a persisté mais dans une limite supportable. Cas 3 Un patient de 46 ans était traité pour une hépatite chronique C par interféron alpha, ribavirine et télaprévir. Il consultait pour des lésions érythématosquameuses apparues sous traitement. L’aspect clinique évoquait un psoriasis avec des lésions disséminées prédominant au niveau des coudes, genoux, jambes et points d’injection d’interféron. Il notait en parallèle une modification des cheveux dont la couleur avait changé et des cils, devenus plus épais et de grande taille (figure 7). Les modifications phanériennes sont classiques sous interféron alpha. L’interféron est souvent responsable d’un effluvium télogène mais peut induire aussi des modifications réversibles des cheveux et des cils. L’aspect clinique était typique d’un psoriasis induit par l’interféron (figure 8). Sous interféron, les traitements locaux contrôlaient incomplètement le psoriasis. Finalement, le psoriasis régressait spontanément peu de jours après l’arrêt du traitement par interféron. 158 ID6-2011_V2.indd 158 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 30/11/11 17:10 Cas clinique 4 5 6 7 8 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 ID6-2011_V2.indd 159 159 30/11/11 17:10 Cas clinique Cas 4 Une patiente âgée de 61 ans était traitée pour une hépatite chronique C par interféron alpha, ribavirine et télaprévir. Trois semaines après le début du traitement, survenait une éruption prurigineuse érythématopapuleuse œdémateuse diffuse, avec aspect purpurique au niveau des jambes et œdème du visage (figures 9-11), qui s’aggravait progressivement, malgré des dermocorticoïdes, des émollients et des antihistaminiques. À l’examen clinique, les aires ganglionnaires étaient libres, les muqueuses étaient indemnes. Elle était hospitalisée du fait de la survenue, en parallèle, d’une anémie nécessitant une transfusion de culots globulaires et de l’apparition d’une fièvre élevée. Les examens biologiques ne mettaient pas en évidence d’éosinophilie ni d’atteinte viscérale. Le traitement par télaprévir était interrompu, permettant une régression de l’éruption. Discussion Les manifestations cutanées associées à l’interféron et à la ribavirine sont bien connues. Il est intéressant de noter que l’association de la ribavirine et de l’interféron a augmenté la fréquence des manifestations prenant la forme de sécheresse cutanée, prurit et éruptions eczématiformes déjà connues sous interféron seul. Le passage à l’interféron pégylé a encore augmenté la fréquence de ces manifestations. La ribavirine a ajouté des effets indésirables spécifiques, en particulier la photosensibilité. Depuis la récente mise à disposition des antiprotéases, et particulèrement du télaprévir, les manifestations cutanées ont augmenté de façon spectaculaire au cours de ces traitements : le prurit et les éruptions cutanées représentent en effet les effets secondaires les plus fréquents. Légendes Figure 9. Éruption maculopapuleuse du tronc. Figure 10. Éruption cutanée sur les jambes avec renforcement périphérique donnant un aspect circiné. Figure 11. Érythème et œdème du visage. Sur l’étude cumulée de l’ensemble des patients traités par télaprévir au cours des études de phases 2 et 3 (près de 2 000 patients) les toxidermies étaient observées chez 55 % des patients traités par télaprévir contre 33 % des patients sous placebo (5-9). La très grande majorité (90 %) de ces toxidermies étaient peu sévères mais invalidantes. Elles apparaissent généralement en début de traitement (50 % dans les 4 premières semaines) mais peuvent apparaître à tout moment. Le début médian est en effet de 25 jours. Elles sont d’évolution prolongée, leur durée médiane étant de 44 jours. Les éruptions eczématiformes prurigineuses fréquentes d’apparition parfois rapide ne représentent qu’une simple augmentation de la fréquence des éruptions déjà connues avec l’association interféron–ribavirine. Elles sont distinctes des éruptions plus sévères et peut-être plus spécifiques des antiprotéases, en particulier du télaprévir. Ces dernières surviennent plus tardivement, souvent 3 à 4 semaines après le début du traitement. Elles se présentent sous la forme de lésions érythématopapuleuses œdémateuses extrêmement prurigineuses, avec parfois un œdème du visage et une fièvre élevée. Une toxidermie à type de DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms) a été rapportée (10). L’observation présentée (cas 4) aurait pu cliniquement faire discuter ce diagnostic. Toutefois, dans la majorité des cas, il n’y a pas les critères diagnostiques pour un DRESS : absence de lymphocytes atypiques, absence d’éosinophilie, absence d’atteinte viscérale. 160 ID6-2011_V2.indd 160 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 30/11/11 17:10 Cas clinique 9 10 11 Images en Dermatologie • Vol. IV • n° 6 • novembre-décembre 2011 ID6-2011_V2.indd 161 161 30/11/11 17:10 Cas clinique Dans le cadre d’une revue rétrospective effectuée par des experts dermatologues, il a été constaté, au cours d’essais de phase III portant sur 1 257 patients, que sur 221 cas d’éruptions cutanées de sévérité de grade 3, 208 (94 %) étaient associés au télaprévir. Sur les cas classés en syndrome de Stevens-Johnson (SSJ) [3 cas dont 1 certain, 1 probable, 1 possible] dont 1 survenant 11 semaines après l’arrêt du télaprévir et 11 cas de DRESS (dont 1 certain, 2 probables, 8 possibles), seulement 1 cas a été retenu par les experts comme possible SSJ et 3 cas confirmés de DRESS. La majorité des arrêts de traitements pour effets indésirables (rash sévères principalement) ont eu lieu après 8 semaines :Annoncez cela illustre la survenue plus tardive de ces rashs sévères. Annoncez MISE AU POINT Références bibliographiques 1. Berger L, Descamps V, Marck Y et al. Alpha interferon-induced eczema in atopic patients infected by hepatitis C virus: 4 case reports. Ann Dermatol Venereol 2000;127:51-5. 2. Descamps V, Landry J, Francès C, Marinho E, Ratziu V, Chosidow O. Facial cosmetic filler injections as possible target for systemic sarcoidosis in patients treated with interferon for chronic hepatitis C: two cases. Dermatology 2008;217:81-4. Les éruptions associées au bocéprévir sont moins fréquentes (11-12). Dans l’étude pivot 3. Wendling J, Descamps V, Grossin M et al. interferon alfa and consacrée au bocéprévir chez les patients traités antérieurement, les rashs cutanés Sarcoidosis during combined ces with chronic hepatitis ninon2 patients ribavirin therapy n a s e e D étaient observés chez 14 et 17e% dans les groupes traités par bocéprévir contre 5 % m s iè s tarif C. Arch Dermatol 2002;138:546-7. elles Decutanée Un deuxet ribavirine, dans le groupe traité par interféron la sécheresse chez 21 et rofessionn ite p tu ra s g if n s s io 4. Marcellin P, Descamps V, Martinot-Peignoux M e r dysgueusie (43 et dégune insert dermatologique majeur était 22 % contre 8 %. L’effet indésirable gratuites with et al. Cryoglobulinemia vasculitis associated r r u u o o p p r infection. 45 % contre 11 %). poCuvirus with hepatitis Gastroenterology s é it iv s t é c e n s 1993;104:272-7. t n les coll s abon ia le d u t les éP, Bourlière M, Lübbe J et al. DermatoLe mécanisme de ces toxidermies reste mal compris. Parallèlement à l’intensification 5. Cacoub des traitements de l’hépatite chronique C avec le recours à la ribavirine, l’utilisation logical side effects of hepatitis C and its treatment: Contactez Valérie Glatin Contactez Valérie Glatin Contactez Valérie Glatin Contactez Valérie Glatin de l’interféron pégylé, et maintenant l’emploi des antiprotéases, nous observons une Patientau 01 46 67 62 77 management in the era of direct-acting antiau 01 46 67 62 77 au 01 46 67 62 77 au 01 46 67 62 77 Hepatol 2011 Aug 30.[Epub aheadou faites parvenir of print] augmentation de la fréquence et de la sévérité des éruptions ou faites parvenir eczématiformes, peut- virals. Jou faites parvenir ou faites parvenir votre annonce par mail votre annonce par mail votre annonce par mail votre annonce par mail être liées à l’action de l’interféron. De façon intéressante, la protéase des protéines 6. McHutchison JG, Manns MP, Muir AJ et al.; à [email protected] à [email protected] à [email protected] Study Team. Telaprevir forà [email protected] previously non structurales NS3/NS4A ciblée par le télaprévir – qui libère normalement NS3 et PROVE3 NS4 nécessaires à la réplication virale – joue aussi un rôle dans l’échappement du treated chronic HCV infection. N Engl J Med système immunitaire, antagonisant l’effet de l’interféron alpha. Le télaprévir pourrait 2010;362:1292-303. 7. Zeuzem S, Andreone P, Pol S et al.; REALIZE ainsi agir aussi en potentialisant les effets de l’interféron alpha. Study Team. Telaprevir for retreatment of HCV infection. N Engl J Med 2011;364:2417-28. Les dermatologues doivent connaître ces nouvelles manifestationsbandeaux associées auxen pied à placer 8. Jacobson IM, McHutchison JG, Dusheiko G et antiprotéases utilisées dans la prise en charge de l’hépatite chronique dans C delagénotype 1. petite colonne al.; ADVANCE Study Team. Telaprevir for previously Un plan de minimalisation des risques a été mis en place pour la gestion de ces effets untreated chronic hepatitis C virus infection. N Engl indésirables. Les patients doivent être prévenus au début du traitement de la fréquence J Med 2011;364:2405-16. de ces effets indésirables et de la nécessité de recourir à une photoprotection afin de 9. Sherman KE, Flamm SL, Afdhal NH et al.; ILLUprévenir la photosensibilité due à la ribavirine et à des émollients pour lutter contre MINATE Study Team. Response-guided telaprevir combination treatment for hepatitis C virus infecla sécheresse cutanée et le prurit. La sévérité de l’éruption est jugée sur son étendue tion. N Engl J Med 2011;365:1014-24. (grade 1 < 30 %, grade 2 : 30-50 %, grade 3 > 50 %). LaSelon présence de signes de gravitéde rédaction demande de la secrétaire Montaudié H, Passeron T, Cardot-Leccia N, (lésions bulleuses ou ulcération muqueuse, purpura sur infiltré, lésions atypiques) classeà faire10. le choix du /des bandeau(x) paraître Sebbag N, Lacour JP. Drug rash with eosinophilia l’éruption en grade 3. Sur le plan thérapeutique, la majorité des éruptions cutanées de type eczématiformes de grades 1 et 2 peuvent être contrôlées par émollients, and systemic symptoms due to telaprevir. Dermatology 2010;221:303-5. dermocorticoïdes et antihistaminiques. Les éruptions sévères (> 50 % de la surface 11. Bacon BR, Gordon SC, Lawitz E et al.; corporelle), le plus souvent plus tardives, justifient d’une interruption immédiate du HCV RESPOND-2 Investigators. Boceprevir for traitement et nécessitent un suivi dermatologique. Il faudra éliminer une toxidermie previously treated chronic HCV genotype 1 infecbandeau à placer en pied grave “classique” (DRESS, SSJ ou NET, ou PEAG). En cas de persistance de l’éruption tion. N Engl J Med 2011;364:1207-17 sous les colonnes malgré l’abandon de l’antiprotéase, l’arrêt de la ribavirine estdeux conseillé. II 12. Poordad F, McCone J Jr, Bacon BR et al.; SPRINT-2 Investigators. Boceprevir for untreated Conflit d’intérêts. Communications au cours de réunions organisées par le laboratoire chronic HCV genotype 1 infection. N Engl J Med 2011;364:1195-206. Janssen. vous ! vous ! Annoncez vous ! Annoncez vous ! Annoncez-vous ! 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