ÉCOTOURISME, BIODIVERSITÉ et DÉVELOPPEMENT DURABLE : l’importance d’un plan de conservation multi-échelles Politique et planification de l’écotourisme Déclaration faite au Sommet mondial de l’écotourisme Ville de Québec (Canada) ; 19-22 mai 2002 par Jean-Luc DesGranges, Ph.D. Chercheur à la biodiversité, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Canada Les zones de protection intégrale, en nous mettant à l'abri des défauts potentiels (actuels ou futurs, perçus ou non perçus) de nos modes d'exploitation des ressources biologiques et d'occupation du territoire, ne doivent pas représenter un effort ultime de conservation, mais plutôt servir de clé de voûte au développement durable des sociétés humaines. En principe, rien ne s'oppose à la pratique de l’écotourisme à l'intérieur de ces sanctuaires de faune. Toutefois, l’écotourisme pourrait servir davantage à la sauvegarde de la biodiversité s’il se pratiquait également, sinon principalement, dans des zones tampons et des corridors naturels qui relieraient les aires protégées entre elles. Ces corridors se devront d’être suffisamment larges pour comprendre en leur centre des habitats sauvages recherchés par les espèces les plus exigeantes, par exemple les grandes espèces de carnivores et de piscivores qui évitent les lisières et les habitats semi-naturels trop sujets aux dérangements humains. Pour que l’écotourisme joue pleinement son rôle de conservation dans les pays économiquement pauvres (qui sont par ailleurs souvent les plus riches en biodiversité), il doit générer des revenus suffisamment importants pour soutenir les économies locales, régionales et nationales, permettant de restreindre le plus possible les effets négatifs des autres formes d’utilisation des territoires sauvages non protégées et de leurs ressources (autant biotiques qu’abiotiques) comme le font l’agriculture, la foresterie et les pêches. Le développement de l’écotourisme, centré sur les espèces et les écosystèmes sauvages, doit suivre l’établissement d’un plan continental et national de sauvegarde de la biodiversité et non le précéder. Seul le développement de couplages internationaux entre les représentants gouvernementaux, les aménagistes de la faune, les délégués des industries tributaires des ressources naturelles (dont l’écotourisme) et les porte-parole des collectivités locales peut garantir que notre compréhension des impacts de l’écotourisme sur les écosystèmes progressera et que les nouvelles connaissances seront intégrées dans des plans de conservation internationaux. Ce n’est qu’à cette échelle géographique et politique que ces plans seront véritablement efficaces et que les valeurs écotouristiques pourront être conservées pour les générations futures. Le plan de conservation préparé dans le cadre du « Portrait de la biodiversité du Saint-Laurent » sert d’exemple pour illustrer le propos (http://www.qc.ec.gc.ca/faune/biodiv/fr/sites_interet/plan_conservation.html). L’écotourisme, l’industrie privilégiée du développement durable La forme de tourisme qui vise le développement durable, soit la sauvegarde de l’environnement, la protection du patrimoine culturel et social, de même que le développement économique des régions visitées porte le nom d’écotourisme (Whelan 1991 ; Ceballos-Lascuráin 1996 ; Wood 2002). C’est donc une activité touristique réfléchie qui initie les touristes à la beauté, la richesse et l’unicité du patrimoine naturel et culturel d’une nation. Pour mériter ce nom, un produit écotouristique doit assurer la préservation continue de l’intégrité des écosystèmes et de la culture des lieux visités, tout en produisant des avantages économiques soutenus (Gössling 1999). L'écotourisme se présente habituellement sous forme scientifique, esthétique ou philosophique et comporte toujours un fort élément d’interprétation et de socialisation, ce qui n’est généralement pas le cas du tourisme d’aventure axé, quant à lui, sur la pratique sportive dans un cadre naturel. C’est, dans ce cas, une activité de plein air faite en groupes structurés, accompagnés de guides qui bénéficient d’une grande expérience dans la pratique d’un ou plusieurs sports de contact avec la nature. Par sa définition même, l’écotourisme, lorsqu’il est bien pratiqué, constitue le secteur économique privilégié du développement durable (Munasinghe et McNeely 1994 ; Vaughan 2000). En effet, cette industrie dépend en premier lieu d’une nature intègre où sont préservés les éléments endémiques et rares de la biodiversité régionale et où subsistent généralement des nations autochtones riches en traditions et en culture. Quelles belles opportunités environnementales, sociales et économiques s’offrent à l’industrie internationale et nationale de l’écotourisme d’établir un réseau mondial de laboratoires in situ du développement durable! On pourrait tenter cette expérience en mettant à profit le réseau actuel des réserves mondiales de la biosphère (au nombre de 409 dans 94 pays en 2002), étant donné que ces sites visent à harmoniser les objectifs de conservation et les besoins sociaux et économiques des communautés rurales (http ://www.unesco.org/mab/wnbr.htm). Les chances de succès sont d’autant plus grandes que les consommateurs des ressources écotouristiques sont des gens qui sont pour la plupart fortement scolarisés et qui s’intéressent à la vie sous toutes ses formes. Ce sont des « libres penseurs » en ce sens qu’ils abordent généralement les enjeux environnementaux, sociaux et économiques avec sérieux et qu’ils sont désireux de contribuer à solutionner les problèmes dont ils ont conscience. Ce sont en quelque sorte des « croisés » du développement durable prêts à porter le message du maintien de la biodiversité dans les coins les plus reculés de la planète. En 1992, ces naturalistes-voyageurs représentaient près de 15% des touristes internationaux...et c’est sans compter les excursionnistes régionaux ! Herliczek (1996, dans Mendelsohn 1997) évalue à 2 billions de dollars ($US) les revenus annuels mondiaux de l’écotourisme. Par ailleurs, Filion et collaborateurs (1994) estiment qu’environ 75 millions d’observateurs d’oiseaux laissent à eux seuls près de 80 millions de dollars ($US) dans les pays où ils pratiquent leur loisir! Comme une partie croissante des revenus de l’écotourisme sont réalisés dans le tiers monde, là où se trouvent les principaux sites de la biodiversité mondiale, on tient là une opportunités en or dont il faut absolument profiter pour supporter financièrement les pays pauvres auxquels incombent la responsabilité d’assurer la part la plus importante de la facture de la conservation de la biodiversité mondiale. En 1992, 130 nations, la plupart parmi les pays sous-développés avaient établis quelques 30,000 espaces verts dont 7000 aires protégées, couvrant près de 10% de la surface de la planète (McNeely 1992 dans Ceballos-Lascuráin 1996). Evidemment, plusieurs de ces sites sont trop petits, trop isolés ou pas suffisamment protégés pour assurer la conservation des populations animales et végétales qu’ils hébergent. Ces aires de conservation ne peuvent pas actuellement subir le stress additionnel que représente l’écotourisme, même s’il est pratiqué par des gens informés et soucieux de ne pas affecter l’intégrité des « sanctuaires » qu’ils visitent. Le développement de l’écotourisme, centré sur les espèces et les écosystèmes sauvages, doit suivre l’établissement d’un plan continental et national de sauvegarde de la biodiversité et non le précéder. Cette façon habituelle de faire aura néanmoins contribué à montrer l’urgent besoin d’un tel outil de planification de la biodiversité, et cela à tous les niveaux d’intervention écologiques et politiques, soit mondial, continental, national, régional et local (Poiani et collaborateurs 2000). La biodiversité comme critère d’évaluation de l’écotourisme Toute activité économique qui «exploite» les ressources naturelles devrait se faire à l’intérieur d’un cadre qui vise à en assurer la pérennité. L’écotourisme étant une forme de contact contemplatif avec la nature plutôt qu’une activité de prélèvement de la ressource, on n’avait pas imaginé que cette activité économique pouvait menacer un jour le capital nature dont elle dépend. Or, force est de constater que l’engouement actuel pour les voyages-nature n’est pas sans laisser de traces, qui s’avèrent parfois être indélébiles ! Les dommages causés à la végétation par le va-etvient des touristes et de leurs véhicules, bateaux et aéronefs, l’érosion des sols et des artefacts géologiques et culturels, les dérangements causés aux modes de vie des animaux (craintifs aussi bien qu’opportunistes), la pollution de l’eau, l’introduction d’espèces exotiques et la perte continue du caractère sauvage des sites et des peuplades isolés ne sont probablement que les plus apparents des impacts causés par l’écotourisme. Qu’en est-il de l’intégrité des processus écologiques responsables du maintien de la mosaïque environnementale et des relations trophiques, symbiotiques ou même parasitiques qui lient entres elles les millions d’espèces d’une forêt, d’une prairie, d’un marais ou d’un récif corallien ? Les pressions exercées par l'homme sur son environnement entraînent habituellement des modifications importantes dans la composition des communautés biotiques bien avant que les processus, comme la production biologique, la décomposition et le recyclage des éléments nutritifs, ne montrent des signes de défaillance (Schindler 1987). C'est pour cela que de plus en plus d'écologistes croient que les changements observés dans la biodiversité constituent le meilleur système d'alerte pour détecter rapidement et contrer le plus efficacement possible les atteintes qui nuisent à l'intégrité des écosystèmes naturels. La biodiversité mondiale : le bilan à l'aube du troisième millénaire Les premières questions qui viennent à l'esprit quand on s'interroge sur la biodiversité d'un milieu tournent invariablement autour du nombre d'espèces qui l'habitent et comment ce nombre évolue en fonction des pressions qu'exercent les activités humaines sur ce milieu. Malheureusement, les réponses à ces questions sont parmi les plus difficiles à trouver. Après un quart de siècle de recherche par des systématiciens du monde entier, force est de constater que les estimations du nombre total d'espèces sauvages vivant présentement sur la terre varient d'un ordre de grandeur, soit un facteur de 10, et se situent entre 3 millions et 30 millions (May 1992). Plusieurs spécialistes croient cependant que leur nombre s'élève à environ 13 millions et que ces espèces vivent surtout dans les forêts et les récifs tropicaux (Briggs 1994). Ce nombre représente moins de 5 % des espèces qui ont vécu à une époque ou à une autre sur la terre (Elson 1992). Bien que la vie soit d'abord apparue dans la mer, et qu'elle ait bénéficié de huit fois plus de temps pour se développer que celle en milieu terrestre, il est surprenant de constater qu'avec à peine 200 000 espèces marines, les océans du monde n'hébergent tout juste que 2 % de la biodiversité mondiale actuelle (voir Briggs 1994, pour une explication écologique de cette disparité). Des quelque 13 millions d'espèces qui vivent actuellement sur la terre, seulement 1,8 million ont été décrites scientifiquement (Wilson 1989). Le travail de rattrapage à faire en systématique est à ce point important qu'il faudrait près de 30 ans – à pas moins de 30 000 taxinomistes – pour récupérer un tel retard. Or, au rythme où disparaissent actuellement les espèces en conséquence de l'explosion démographique de l'homme, d'aucuns croient que près du tiers de la richesse biologique actuelle de la planète pourrait disparaître avant que ne soit complétée cette gigantesque corvée en 2025 (Pineda 1992). Pour les chercheurs chargés de faire des évaluations des conséquences environnementales de l’écotourisme , cela signifie qu'ils devront accorder de plus en plus d'importance à l'étude des espèces indicatrices du bon fonctionnement des écosystèmes, afin de prendre les mesures qui assureront le maintien de conditions propices au développement des populations de ces espèces «parapluies». Leur bien-être est garant de celui d'une myriade d'espèces compagnes, dont l'étude individuelle serait irréaliste, compte tenu de la trop grande variété de formes vivantes et de la rareté des ressources humaines et financières. Heureusement, notre connaissance taxinomique des plantes vasculaires et des vertébrés, aussi bien aquatiques que terrestres, est excellente. Ces organismes, pour la plupart suffisamment gros pour permettre leur identification à l'oeil nu, ont fait l'objet de nombreux inventaires au cours des 30 dernières années. Ce sont principalement les patrons de distribution de ces grands groupes de vivants qui devraient servir à établir les plans d’actions stratégiques pour le maintien de la biodiversité aux différents niveaux d’intervention. Il importe de mieux comprendre les processus écologiques ainsi que les échelles géographiques auxquels ceux-ci opèrent, car la viabilité des populations de plusieurs espèces vedettes de l’écotourisme (grands carnivores, grands migrateurs, primates, etc.) dépend en premier lieu de l’intégrité de processus écologiques qui agissent à de larges échelles géographiques et temporelles. Il deviendra alors évident que la conservation de la biodiversité ne peut être assurée sans une meilleure collaboration entre les entités politiques des différentes régions biogéographiques de la planète. En effet, plusieurs espèces sauvages dépendent, que ce soit pour leur alimentation ou leur migration, d’une mosaïque environnementale qui se déploie sur plusieurs formations géomorphologiques transcontinentales. Seul le développement de couplages internationaux entre les représentants gouvernementaux, les aménagistes de la faune, les délégués des industries tributaires des ressources naturelles (dont l’écotourisme) et les porte-parole des collectivités locales peut garantir que notre compréhension des impacts de l’écotourisme (et des autres activités qui prélèvent des ressources naturelles) sur les écosystèmes et les processus écologiques sousjacents progressera et que les nouvelles connaissances seront intégrées dans des plans de conservation internationaux. Ce n’est qu’à cette échelle géographique et politique que ces plans (en autant qu’ils soient intégrés et dynamiques) seront véritablement efficaces et que les valeurs écotouristiques pourront être conservées pour les générations futures. L’importance d’un plan de conservation multi-échelles À eux seuls, les réseaux d'aires protégées ne pourront pas suffire à maintenir l'ensemble de la biodiversité mondiale. En plus de couvrir une superficie relativement restreinte, ces réseaux connaîtront toujours des lacunes importantes, puisque des superficies adéquates d'habitats ne sont déjà plus disponibles pour la conservation dans les régions les plus fortement urbanisées ou transformées par l’agriculture ou la foresterie. Bien qu'il s'y trouve quelques petits territoires qui assurent, in extremis, la protection d'habitats pour des populations résiduelles d'espèces menacées ou particulièrement rares à l'échelle régionale (filtre fin), la superficie totale et le déploiement géographique de ces aires protégées sont nettement insuffisants pour permettre le maintien des processus écologiques régionaux. Or, ceux-ci sont responsables de l'établissement, de la reproduction et du développement de la végétation et des populations animales de ces secteurs. Les communautés naturelles sont dynamiques. Elles subissent des transformations rapides lorsqu'elles sont soumises aux perturbations naturelles et se modifient progressivement sous l'effet de la succession végétale et des changements graduels du climat. Pour qu'il n'y ait pas de perte nette et irréversible de la biodiversité, il importe de protéger non seulement les espèces les plus vulnérables mais, plus encore, d'assurer également le maintien des conditions physiques et des processus écologiques des sites où l'ensemble des espèces a évolué. Pour cela, il faudra faire en sorte que les aires protégées soient entourées de territoires relativement « sauvages » et qu'elles soient reliées entre elles par des corridors nombreux et suffisamment larges pour englober des portions représentatives des écosystèmes régionaux. Ces corridors seront beaucoup plus vastes que les aires protégées (Noss 1991). Outre le fait qu'ils sont nécessaires aux déplacements des espèces qui ont besoin de grands territoires pour survivre, ils sont également essentiels au flux génique entre populations. Cela permettra d'éviter l'enclavement, suivi de l'extirpation des populations d'espèces spécialistes, qui pourraient bien ne pas être adaptées aux conditions futures des sites qui les protègent actuellement. Il est connu depuis longtemps qu'il est impossible de préserver durablement l'ensemble des organismes et des écosystèmes dans des conditions satisfaisantes, si leurs seuls refuges sont des aires protégées du type le plus classique, mais cette dernière formule est la seule qui ait été largement appliquée jusqu'à présent. Les zones de protection intégrale, en nous mettant à l'abri des défauts potentiels (actuels ou futurs, perçus ou non perçus) de nos modes d'exploitation des ressources biologiques et d'occupation du territoire, ne doivent pas représenter un effort ultime de conservation mais plutôt servir de clé de voûte au développement durable des sociétés humaines. En principe, rien ne s'oppose à l'exploitation durable des ressources contenues à l'intérieur des zones tampons et des corridors naturels qui relieront les aires protégées entre elles. Ce qui importe, c'est que l'on maintienne des corridors suffisamment larges pour comprendre en leur centre des habitats sauvages recherchés par les espèces les plus exigeantes, par exemple les grandes espèces de carnivores et de piscivores qui évitent les lisières et les habitats semi-naturels trop sujets aux dérangements humains. C’est là que l’industrie de l’écotourisme peut le plus contribuer à la sauvegarde de la biodiversité, en autant que la planification de la protection de la biodiversité ne se fasse pas une fois que les droits d’exploitation des ressources seront déjà solidement ancrés et quasiment immuables. Pour que l’écotourisme joue pleinement son rôle de conservation dans les pays économiquement pauvres (qui sont par ailleurs souvent les plus riches en biodiversité), il doit générer des revenus suffisamment importants pour soutenir les économies locales, régionales et nationales, permettant de restreindre le plus possible les effets négatifs des autres formes d’utilisation des territoires « sauvages » non protégées et de leurs ressources (autant biotiques qu’abiotiques) comme le font l’agriculture, la foresterie et les pêches. Pour assurer la conservation génétique des espèces en dépit des modifications naturelles ou artificielles de l'environnement, un système plus ouvert de conservation est nécessaire, où des zones d'écosystèmes naturels non perturbés peuvent être entourées d'aires où se pratiquent des modes d'utilisation conciliables et compatibles. Soyons réalistes, la majorité des animaux et des plantes vit déjà et pourrait bien se concentrer de plus en plus à l'extérieur des parcs, dans les zones exploitées pour l'agriculture, la foresterie ou les établissements humains (Pimentel et collaborateurs 1992). Aussi doit-on faire en sorte que les territoires exploités par l'homme puissent héberger le plus grand nombre d'espèces dont les populations soient viables. Dans les zones situées à proximité des villes, là où l'artificialisation du milieu est intense, l'adoption d'un mode de gestion territorial de type intensif en foresterie, en agriculture de même qu'en urbanisme aurait pour effet de diminuer la proportion du territoire requise pour soutenir le rendement économique et limiter l'étalement urbain. En agissant de la sorte, il devrait être possible d'accroître le nombre et la superficie des parcs et des corridors de conservation, et ouvrir ainsi davantage de territoires à l’écotourisme . La démarche proposée devrait permettre d'identifier des écosystèmes et des sites géographiques où se concentrent les éléments les plus importants de la biodiversité d’une région, d’un pays ou d’un continent. Des principes fondamentaux en biologie de la conservation, telle l'analyse de la viabilité des populations en péril, de la succession végétale et de la qualité des habitats liées au cycle vital complet des espèces migratrices, doivent être pris en considération pour décider de l'emplacement idéal et de la superficie optimale des aires à protéger, et décider de l’intensité de leur fréquentation par les touristes . Par ailleurs, il faudra recourir à la restauration écologique et à la réintroduction des espèces extirpées là où, à cause du développement humain, il n'est désormais plus possible d'établir des sites protégés de superficie suffisante pour assurer le maintien de populations viables des espèces menacées. De plus en plus, on devra dépasser le niveau des actions, somme toute modestes et très localisées, qui visaient à sauvegarder des espèces en péril pour en venir à une gestion véritablement écologique des territoires, c'est-à-dire qui tienne compte des échelles biologiques, spatiales et temporelles où interviennent les processus-clés géomorphologiques, hydrologiques, écologiques et évolutifs responsables de la conservation et de la diversification des organismes vivants. En outre, une stratégie dynamique en vue du maintien de systèmes de réserves à longue échéance permettrait le remplacement périodique de certaines portions du réseau de conservation en réponse à de grands changements environnementaux tels ceux que laissent présager les changements climatiques actuels. La sauvegarde de la biodiversité du Saint-Laurent :exemple d’un plan de conservation Au cours de la dernière moitié du siècle, l'accroissement de la population québécoise et des activités humaines le long du fleuve a entraîné une détérioration, sinon la disparition, de vastes étendues d'habitats riverains, principalement dans l'archipel de Montréal. Parallèlement à la diminution de la superficie des terres humides, on constatait le déclin de plusieurs espèces sauvages, tant et si bien qu'aujourd'hui, pas moins de 169 espèces de plantes vasculaires et 35 espèces de vertébrés sont considérées comme menacées de disparition de l'hydrosystème du SaintLaurent (DesGranges et Ducruc 2000). Bien que plusieurs de ces espèces fassent actuellement l'objet d'attentions particulières, leur grand nombre et la régularité avec laquelle de nouvelles espèces se retrouvent en situation précaire nous forcent à multiplier les efforts pour la sauvegarde de la biodiversité du Saint-Laurent. Le site internet du Portrait de la biodiversité du Saint-Laurent fournit un tableau fournissant la liste des écosystèmes d'importance, des sites candidats et des groupes d'espèces clés pour la sauvegarde de la biodiversité du Saint-Laurent (DesGranges 2000). (http://www.qc.ec.gc.ca/faune/biodiv/fr/sites_interet/plan_conservation.html) Écosystèmes d'importance, sites candidats et groupes d'espèces clés pour la sauvegarde de la biodiversité du Saint-Laurent (les sites candidats sont indiqués en rouge, magenta ou vert selon qu'il y a une perte importante, moyenne ou minime de biodiversité s'ils ne sont pas rapidement protégés ou administrés adéquatement) Tronçon fluvial Estuaire fluvial Estuaire salé Golfe d'eau douce d'eau douce et saumâtre et Saguenay Confluence du fleuve Marais intertidaux Marais intertidaux Barachois et FILTRE Écosystèmes avec plusieurs rivières d'eau douce d'eau salé lagunes GROSSIE Extrémité ouest de Embouchures des Barachois de la Gestion intégrée R l'archipel d'Hochelaga rivières Batiscan, Zosteraies marines baie des Chaleurs pour conserver les Extrémité est de Sainte-Anne et du Embouchure de la Lagunes des îles processus l'archipel d'Hochelaga Chêne rivière aux Outardes de la Madeleine écologiques Delta de BerthierEmbouchure de la régionaux Sorel-Odanak rivière aux Foins et Marais intertidaux à Remontées d'eaux de la rivière Trinité spartines profondes au Saguenay Baie de Mille-Vaches Haut-fond du banc Rouge près Herbaçaies salées de Magpie Battures des Bergeronnes Remontée d'eaux profondes du chenal laurentien à la confluence du Saguenay Parc marin du Saguenay–SaintLaurent Archipels et deltas Archipels Côtes sableuses et Îles des lacs fluviaux Îles de Montmagny bancs coquilliers et du corridor fluvial Banc de Portneuf Protection de Falaises littorales grands ensembles Pointe au Platon Contact des mornes terrestres et de Godbout avec la aquatiques Contact du Bouclier plaine littorale de la (géotopes) canadien avec les baie Sainte-Marguerite Basses-Terres et Pointe des Monts estuaire du SaintLaurent Cap Tourmente Paysages Habitats Protection des biotopes rares Rapides (frayères en eau vive) Rapides de Lachine Rapides de CapSaint-Jacques Rapides Rapides Richelieu Estrans vaseux Archipel de Montmagny Hauts-fonds à herbiers aquatiques Îles basses à prairies Battures du lac Saint- herbeuses Louis Battures aux Grandes battures Loups Marins Tailhandier Marais intertidaux à Prairies basses scirpes inondables (frayères Battures de en eau calme) Kamouraska Plaine du lac SaintPierre Étangs d'eau douce Lac Saint-Paul Forêts feuillues méridionales Tourbières Forêts feuillues méridionales inondables (érablières Grande Plée bleue argentées à chêne bicolore, à caryer Saulaies arbustives cordiforme ou à Estran nord de l'île micocoulier) d'Orléans Ormaies, frênaies, érablières noires Pinèdes et Étangs d'eau douce Embouchure de la rivière Rimouski Archipels Archipel des Sept Îles Archipel de Mingan Archipels de la Basse-Côte-Nord Archipel des îles de la Madeleine Particularités géomorphologiques de l'île d'Anticosti Parc Vauréal Grands complexes tourbeux Embouchure de la rivière Romaine Embouchure de la rivière Natashquan Landes à krummholz Collines de Brador Cordons dunaires Dune du Nord aux îles de la Madeleine prucheraies FILTRE FIN Espèces Protection des métapopulations d'espèces menacées (maintien de la diversité génétique interspécifique) Espèces de flore et de faune à statut précaire - Plantes calcicoles - Oiseaux des prairies herbeuses et des terres humides Espèces méridionales rares - Poissons rares d'eau Protection des populations vivant douce à la limite de leur - Herpétofaune de aire de répartition l'archipel d'Hochelaga - Échassiers géographique méridionaux (maintien de la diversité génétique - Oiseaux insectivores des marécages intraspécifique) arborescents Gènes Espèces de flore et de faune à statut précaire - Plantes endémiques de l'estuaire d'eau douce - Oiseaux des terres humides - Poissons de la zone de turbidité maximale Espèces méridionales rares - Amphibiens et oiseaux des étangs d'eau douce Espèces de flore et de faune à statut précaire - Plantes de falaises et de talus exposés - Oiseaux aquatiques coloniaux - Canards de mer - Mammifères marins Espèces de faune et de flore à statut précaire - Plantes calcicoles - Plantes endémiques du golfe du SaintLaurent - Oiseaux marins coloniaux - Mammifères marins Espèces méridionales Espèces rares septentrionales - Amphibiens et rares oiseaux des étangs - Plantes de la d'eau douce plaine côtière - Plantes et oiseaux de atlantique aux îles la forêt décidue de la Madeleine mature - Plantes et oiseaux de la toundra forestière sur la Basse-Côte-Nord - Plantes et oiseaux de la forêt décidue mature Le parachèvement d'un réseau d'aires protégées représentant autant que possible tous les écopaysages régionaux du Saint-Laurent s'impose en tout premier lieu (DesGranges 1996). Chaque portion significative de paysages que nous réussirons à conserver dans un état naturel ou semi-naturel deviendra un refuge pour les espèces connues et inconnues (dont plusieurs groupes d'invertébrés et de plantes invasculaires) qui y vivent (filtre grossier). Cette sélection devrait tenir compte de la complexité et de l'unicité des milieux physiques dans les différents secteurs du SaintLaurent. En effet, il est généralement admis que les secteurs les plus hétérogènes et les plus contrastés du point de vue de leurs caractéristiques physiques revêtent une importance particulière pour la biodiversité. Cela tient au fait qu'une mosaïque complexe d'habitats, dont certains peuvent être rares à certaines échelles géographiques, est susceptible d'héberger une flore et une faune variées, comportant davantage d'espèces rares. Dans le cas du milieu terrestre, on a tenté de caractériser l'écodiversité des segments et des paysages littoraux. Bien qu'il ne semble pas y avoir de liens évidents entre l'écodiversité et la biodiversité selon l'approche méthodologique retenue, les informations générées sont tout de même utiles puisqu'elles identifient les secteurs qui présentent le plus d'intérêt pour leur diversité paysagère; ces secteurs pourraient représenter des sites de choix pour l'établissement de parcs naturels pittoresques. Le long du Saint-Laurent, l'analyse de la biodiversité des groupes les mieux étudiés montre clairement l'importance des milieux humides, particulièrement ceux qui se trouvent à l'embouchure des rivières ou à l'intérieur d'archipels ou de complexes deltaïques. Ces hydro-paysages sont le site d'une production biologique intense. Ils rassemblent dans une aire géographique restreinte les sites de reproduction, d'alevinage et d'alimentation d'un grand nombre de poissons et d'oiseaux aquatiques. Les conditions d'inondations variables, selon la durée saisonnière des crues ou la période quotidienne des marées, y créent une mosaïque complexe d'habitats humides. Ceux-ci hébergent un grand nombre d'espèces végétales et animales rares, compte tenu de la faible superficie des terres humides comparativement à celle des habitats terrestres. Étant donné la complexité des écosystèmes de la biosphère, nous ne posséderons probablement jamais la connaissance complète des espèces et des communautés biologiques qui y vivent. Nous ne devons pas attendre d'avoir toutes ces données pour concevoir un réseau intégré d'aires protégées et pour adopter une approche de conservation davantage centrée sur les écosystèmes et la pratique du développement durable. Quand l'incertitude plane sur les risques encourus par des espèces vivantes, il vaut mieux emprunter la voie de la prudence et ne pas hésiter à protéger plus que moins. Une fois épuisées, les possibilités de conserver des terres ou d'en protéger l'intégrité écologique ne pourront, par après, être facilement recouvrées. Liste des références : Briggs, J.C. 1994. Species diversity: land and sea compared. Systematic Biolology 43 : 130-135 ; Ceballos-Lascuráin, H. 1996. Tourism, ecotourism, and protected areas. IV World Congress on National Parks and Protected Areas, Caracas. IUCN Protected Areas Programme. 293 p ; DesGranges, J.-L. 1996. Landscapes and biodiversity : links to be forged. Ecodecision 20 : 7576 ; DesGranges, J.-L. 2000. Un plan de conservation de la biodiversité. Dans DesGranges, J.-L. et J.-P. Ducruc (sous la direction de). 2000. Portrait de la biodiversité du Saint-Laurent. Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec et Direction du patrimoine écologique, ministère de l'Environnement du Québec. Version électronique française & anglaise http://www.qc.ec.gc.ca/faune/biodiv/fr/sites_interet/plan_conservation.html ; DesGranges, J.-L. et J.-P. Ducruc (sous la direction de). 2000. Portrait de la biodiversité du Saint-Laurent. Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec et Direction du patrimoine écologique, ministère de l'Environnement du Québec. Version électronique française et anglaise http://www.qc.ec.gc.ca/faune/biodiv ; Elson, D. 1992. Earth. Marshall Editions Developments Limited. 216 p ; Filion, F. L., J. P. Foley, et A. J. Jacquemot. 1994. The economics of global ecotourism. Pp 235-252 dans Munasinghe, M. et J. McNeely (éds). Protected area economics and policy : linking conservation and sustainable development. The World Bank for the World Conservation Union (IUCN). 364p ; Gaston, K.J. 1996. What is biodiversity? p. 1-9 dans Gaston, K.J. (éd.). Biodiversity: A Biology of Numbers and Difference. Blackwell Science, U.K. 472 p ; Gössling, S. 1999. Ecotourism : a means to safegard biodiversity and ecosystem functions ? Ecological Economics 29 :303-320 ; May, R.M. 1992. How many species inhabit the Earth? Scientific American (October) : 42-48 ; Mendelsohn, R. 1997. Pp. 617622 in Meffe, G. K., C. R. Carroll, et collaborateurs. Principles of Conservation Biology, 2nd ed. Sinauer Associates, Massachusetts.729p ; Munasinghe, M. et J. McNeely (eds). 1994. Protected area economics and policy : linking conservation and sustainable development. The World Bank for the World Conservation Union (IUCN). 364 p ; Noss, R.F. 1991. Landscape connectivity : different functions at different scales, p. 27-39 dans Hudson, W.E. (éd.). Landscape linkages and biodiversity. Island Press, Washington, D.C. ; Pineda, F.D. 1992. Biodiversity and the quality of human life. Development 4 : 75-78 ; Poiani, K. A., B. D. Richter, M. G. Anderson et H. E. Richter. 2000. Biodiversity conservation at multiple scales : functional sites, landscapes, and networks. Bioscience 50 :133-146 ; Schindler, D.W. 1987. Detecting ecosystem responses to anthropogenic stress. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences 44 : 6-25 ; Vaughan, D. 2000. Tourism and biodiversity : a convergence of interests ? International Affairs 76 :283-297 ; Whelan, T (éd.).1991. Nature Tourism : Managing for the Environment. Island Press, Washington, D.C. 223 p ; Wilson, E.O. 1989. Conservation: The next hundred years, p. 3-7 dans Western, D. et M.C. Pearl (éds.). Conservation for the Twenty-first Century. Oxford University Press, New York ; Wood, M. 2002.Ecotourism : Principles, Practices and Policies for Sustainability. UNEP internet publication http ://www.uneptie.org/pc/tourism/ecotourism/home.htm