Mini-revue Hépatite B et chimiothérapie anticancéreuse (et autres traitements immunosupresseurs) Sophie Hillaire Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Réseau Val de Seine, hôpital Foch, 40 rue Worth, 92 150 Suresnes <[email protected]> Chez les porteurs chroniques du virus de l’hépatite B, le risque de réactivation virale est important du fait de la diminution de l’efficience du système immunitaire, en particulier induite par la prescription de traitements immunosuppresseurs et ou de chimiothérapies anti-cancéreuses. Les épisodes de réactivation peuvent être asymptomatiques mais aussi se compliquer d’insuffisance hépatocellulaire, voire du décès du patient. Les facteurs favorisant ces épisodes sont liés à l’hôte, au traitement immunosuppresseur et à l’activité virale B avant le traitement. Il est donc primordial d’évaluer le risque de réactivation avant l’introduction d’un traitement immunosuppresseur, car la prescription d’un traitement antiviral permet de prévenir la survenue d’une réactivation et de complications sévères. Mots clés : réplication virale B, immuno-suppression, réactivation virale B, traitement antiviral doi: 10.1684/hpg.2007.0119 L’ Tirés à part : S. Hillaire hépatite chronique B concerne 300 à 400 millions de personnes dans le monde. La plupart de ces patients vivent ou sont originaires d’Asie ou d’Afrique subsaharienne. Le risque de passage à la chronicité est fonction de l’âge à la contamination. Les patients contaminés à la naissance ou dans la petite enfance ont un risque élevé (90 %) de devenir porteur chronique, alors que ceux contaminés à l’adolescence ont un risque inférieur à 10 %. Ceci s’explique probablement par l’immaturité du système immunitaire à la naissance, qui ne reconnaît pas le virus B comme différent du soi. La phase d’immunotolérance est longue chez les patients contaminés en période périnatale (figure 1) et les épisodes de réactivation de l’hépatite B ont une fréquence variable au cours de leur vie. Il est reconnu depuis 1975 que les chimiothérapies anticancéreuses et les traitements immunosuppresseurs favorisent les épisodes de réactivation chez les patients porteurs chroniques du virus de l’hépatite B [1]. Ces épisodes de réactivation peuvent passer inaperçus ou se compliquer d’ictère et entraîner le décès du patient du fait d’une insuffisance hépatique [2]. Lors de l’épisode de réactivation virale, la chimiothérapie anticancéreuse est le plus souvent arrêtée, au risque de voir évoluer la maladie néoplasique et de diminuer les chances de survie. Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 347 Mini-revue Copies/ml Charges virales élevées 108 Immunotolérance 107 Rupture de tolérance 106 Charges virales intermédiaires 105 Immunoélimination Réactivation 104 Portage inactif Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 103 Charges virales faibles 102 Infection occulte Arrêt de réplication 10 Charges virales indétectables Guérison ? 1 Figure 1. Schéma de l’évolution de la charge virale chez les porteurs chroniques du virus B. Récemment, des progrès importants ont été accomplis dans le diagnostic de l’activité de la maladie virale B d’une part, et l’efficacité des traitements antiviraux sur la réplication virale B d’autre part. Il est donc important en 2007, de prendre en compte avant de débuter une chimiothérapie anticancéreuse ou tout traitement immunosuppresseur (greffe, polyarthrite rhumatoïde, colite inflammatoire), le statut viral B des patients et d’adapter le suivi. Réactivation en cas de portage chronique du virus de l’hépatite B (Ag Hbs positifs) La fréquence de la réactivation virale B au cours des chimiothérapies chez les patients porteurs chroniques du virus B (Ag Hbs positifs) varie de 19 à 48 % selon les études. Elle va dépendre des caractéristiques de l’hôte (âge, sexe, sévérité de l’atteinte hépatique initiale), du type de chimiothérapie (corticoïdes, durée, nombre de cures) et de l’activité de la maladie virale B avant la chimiothérapie (présence ou non de l’Ag HBe et importance de la réplication virale évaluée par la mesure de l’ADN viral). Après le début du traitement immunosuppresseur, on observe une augmentation progressive de l’ADN du virus B. L’élévation des transaminases et la symptomatologie clinique surviennent plus tardivement, parfois même à l’arrêt des traitements immunosuppresseurs lors 348 de la restitution immune qui entraîne une réponse de l’hôte contre le virus B et une nécrose hépatocytaire [3]. La réactivation du virus de l’hépatite B a été rapportée pour différents types de cancers [2]. Les premiers cas ont été décrits chez des patients atteints de lymphomes, recevant de fortes doses de corticoïdes. L’intensité et la durée du traitement immunosuppresseur jouent aussi un rôle. Les patients recevant des chimiothérapies systémiques pour des carcinomes hépatocellulaires présentent dans 40 % des cas une réactivation alors que lorsque la chimiothérapie est administrée par voie transartérielle, seuls 25 % des patients ont une réactivation. Cependant, si des épisodes de réactivation ont été décrits avec tous les types de tumeurs et toutes les chimiothérapies (cytostatiques, cytotoxiques, anticorps monoclonaux anti-lymphocytes B et T), il faut être particulièrement vigilant lors de la prescription de corticoïdes, d’anthracycline, et de rituximab (mabtera). Les traitements cytotoxiques (acide folique et 5-fluoro-uracyl) semblent moins immunosuppresseurs et entraîner moins de réactivation. Les patients ayant subi plusieurs cures semblent aussi plus à risque de développer une réactivation virale B. La sévérité de la réactivation va dépendre du terrain. Chez un patient atteint de cirrhose, le risque d’une réactivation virale symptomatique responsable d’une insuffisance hépatocellulaire voire du décès, est plus élevé. La surveillance des épisodes de réactivation pourrait se faire par le dosage mensuel de l’ADN du virus de Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. l’hépatite B et de l’activité des transaminases. En effet, l’augmentation de l’ADN sérique précède de plusieurs semaines ou mois, l’augmentation des transaminases. La figure 2 schématise pour un patient la cinétique des transaminases et de l’ADN du VHB. Si l’on se contente d’étudier l’ADN du virus B un jour donné, par exemple à J52, l’ADN viral est très élevé et les transaminases normales alors qu’au jour 73, les transaminases sont très élevées mais la charge virale basse (restitution immune). Seul, le suivi des cinétiques de l’ADN et des transaminases permet le diagnostic de réactivation. Si on attend l’augmentation des transaminases pour débuter le traitement antiviral, le risque est d’être inefficace sur la maladie virale B. De plus, en cas d’anomalie du bilan hépatique, l’arrêt de la chimiothérapie anticancéreuse est le plus souvent nécessaire. Par ailleurs, chez ces patients polymédicamentés avec des pathologies graves, il est parfois difficile de faire la part des choses entre la réactivation virale B, la toxicité médicamenteuse, l’infiltration tumorale du foie, la maladie veino-occlusive, la péliose, etc. (figure 3). Il conviendrait donc avant tout traitement immunosuppresseur de faire un dépistage de l’Ag Hbs et chez les porteurs chroniques de l’Ag HBs de faire : – un bilan viral, Ag HBe Ac anti-HBe, ADN du virus B ; – un bilan de sévérité de la maladie hépatique : NFS plaquettes, transaminases, bilirubine, taux de prothrombine, facteur V ; – une échographie hépatique à la recherche d’une dysmorphie et de signe d’hypertension portale. Des experts ont proposé l’attitude pratique suivante Il convient de commencer la chimiothérapie sous couvert d’un traitement antiviral (si possible débuté 3 semaines avant le début de la chimiothérapie) [4]. Cependant, pour les patients ayant un ADN viral B inférieur à 103 copies/mL, une surveillance mensuelle de celui-ci pourrait être suffisante sans couverture antivirale si l’ADN viral augmente de 2 log, un traitement antiviral devrait être institué. Le traitement antiviral doit couvrir la durée du traitement immunosuppresseur et être poursuivi 3 à 12 mois après son arrêt. Une surveillance de l’ADN viral B doit être effectuée tous les 3 mois. L’ADN du virus B et les transaminases devront être surveillées après l’arrêt du traitement. Certains patients (avec des maladies actives avant la chimiothérapie) devront bien entendu continuer ce traitement). Risque de réactivation en cas d’infection occulte (Ag Hbs négatif, Ac Hbc positif, Ac Hbs positif ou négatif) Le virus de l’hépatite B est un virus à ADN. Après un premier contact, le virus reste à l’état quiescent chez les patients. Même chez les patients « guéris », l’absence 350 8 300 7 A D 6 N V 5 I R A 4 L L 3 O G 2 250 A L 200 A T 150 100 50 1 0 0 1 10 21 31 43 52 63 73 84 91 148 155 162 Jours Cycle Cycle 1 2 Cycle Cycle 3 4 ADN virus B Activité IU/ml Figure 2. Cinétique des transaminases et de l’ADN du virus B chez un patient porteur chronique du virus B recevant une chimiothérapie anticancéreuse et présentant un épisode de réactivation au cours de la chimiothérapie. Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 349 Mini-revue Chimiothérapie anticancéreuse POL Traitements immunosuppresseurs Virus B Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Diagnostic positif ADN viral et transaminases Parfois difficile à interpréter sans cinétique Diagnostic différentiel Diagnostic de gravité Insuffisance hépatocellulaire Toxicité médicamenteuse Infiltration tumorale du foie Arrêt de la chimiothérapie Péliose, MVO… Figure 3. Risques de l’infection virale B au cours de la chimiothérapie anti-cancéreuse. d’Ag Hbs et d’ADN viral B ainsi que la présence d’Ac Hbs et HBc traduisent l’efficacité du système immunitaire contre la réplication virale (réponse immunitaire par les lymphocytes T helper de type 1) [5]. Cependant, au cours de traitement immunosuppresseur, une réactivation de l’hépatite B est toujours possible, même si le risque est faible chez ces patients « guéris » [1, 6]. Chez les patients porteurs occultes du virus B (Ag Hbs –, Ac Hbs –, Ac Hbc + et ADN viral +) [7-8], comme chez les patients Ag Hbs positifs, la sévérité de la réactivation va dépendre des caractéristiques du patient, du type de chimiothérapie et des caractéristiques virales. Il semble que chez ces patients, l’association rituximab et corticothérapie soit particulièrement à risque. Dans une étude récente [9], ayant suivi de façon longitudinale 244 patients asiatiques Ag HBs négatifs avant le début de la chimiothérapie, mais dont 61 % avaient été en contact avec le virus B, une réactivation est apparue dans 8 cas (3,3 %). Tous ces patients ayant eu une réactivation avaient des anticorps antiHBs ou anti-HBc positifs et 75 % (6/8) avaient un ADN viral B détectable en faible quantité (22-79 copies/mL) dans le sang, par PCR en temps réel avant le début de la chimiothérapie. La chimiothérapie de 7 patients sur 8 contenait l’association rituximab et corticothérapie et le risque relatif de développer une réactivation virale B était significativement plus important avec ce type de chimiothérapie. 350 Le traitement antiviral Il semble qu’il soit préférable de commencer un traitement antiviral plutôt que d’attendre une élévation de l’ADN du virus B chez les patients Ag HBs positifs [4]. Le traitement le mieux étudié est la lamuvidine qui présente l’avantage par rapport à l’adéfovir d’entraîner une diminution plus rapide de la charge virale. Cependant, le risque avec la lamivudine est l’apparition de mutants résistants au niveau du site YMDD de la polymérase virale, avec une incidence de 24 % à un an et de 70 % à 5 ans. Le risque de résistance ne semble cependant pas un inconvénient majeur compte tenu des durées relativement brèves de ces traitements préventifs. L’intérêt de l’entécavir (du fait de son efficacité rapide sur la charge virale et des risques de résistance plus faible) ou d’autres molécules antivirales reste à évaluer. Enfin, il ne faut pas oublier que la vaccination contre le virus de l’hépatite B reste le moyen le plus efficace de prévenir cette infection. Une vaccination préventive pourrait en particulier être proposée aux patients ayant des pathologies hématologiques, rhumatologiques, digestives, ou des maladies de système pouvant nécessiter dans le futur un traitement immunosuppresseur. De la même façon, elle pourrait être proposée chez les patients ayant des états précancéreux. Elle peut être proposée même lorsque la chimiothérapie doit être débutée rapidement chez les patients n’ayant aucun marqueur viral B. Même si les chances de réponses sont diminuées, elles ne sont pas nulles (57 %) [10]. Hépato-Gastro, vol. 14, n°5, septembre-octobre 2007 Références 5. Chisari F. Cytotoxic T cells and viral hepatitis. JCI 1997 ; 99 : 1472-7. 6. Onozawa M, Hashimoto S, Izumiyama K. Progressive disappearance of anti-hepatitis B surface antigen antibody and reverse seroconversion after allogenic stem cell transplantation in patients with previous hepatitis B virus infection. Transplantation 2006 ; 79 : 616-9. 7. Hillaire S. 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