Le th??tre en France au XVIIIe si?cle

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Le théâtre en France au XVIIIe siècle , Pierre Larthomas 1
Les rapports du théâtre et de la société sont complexes au XVIIIe
siècle comme à toutes les époques. D'abord parce qu'il y a des théâtres et
que chaque théâtre dans une certaine mesure a son public; quant aux
spectateurs, les plus nombreux, qui fréquentent plusieurs salles, leurs
dispositions d'esprit sont bien différentes d'un théâtre à l'autre: tel qui
rit chez les forains de calembours misérables est puriste à la ComédieFrançaise. On ne s'intéresse pas toujours aux mêmes sujets à Paris et en
province. Les Deux Amis qui sont tombés à Paris plaisent à Lyon et à
Marseille et le public provincial est jugé ordinairement plus sérieux et .plus
soucieux de moralité que celui de la capitale. Ces réserves"! exprimées,ces
distinctions établies, on peut cependant porter un jugement d'ensemble
sur le public du XVIIIe siècle et les œuvres qu'il aime et qu'il désire voir.
Socialement, ce public est avant tout un public bourgeois. Le peuple,
au sens restreint du terme, est exclu des salles de spectacles par le prix
des places, même à la foire; la noblesse est numériquement minoritaire.
Domine donc dans -chaque salle cette classe sociale montante qui va'faire
la Révolution. Dans ces conditions", le théâtre du XVIIIe siècle est très
souvent un théâtre de classe, ce qui doit s'entendre de plusieurs manières.
Et tout d'abord il faut noter une évolution très nette du début du siècle à
la veille de la Révolution: on passe peu à peu d'une comédie de caractères
et de moeurs à une comédie des conditions:.Lesage peint dans Turcaret les
moeurs des affairistes, Diderot a pour ambition de montrer une classe
sociale et les difficultés qu'elle affronte. Le drame devient bourgeois:
qu'est-ce â dire sinon qu'il s'adresse à une classé sociale déterminée et la
présente à elle-même: peinture de la bourgeoisie pour la bourgeoisie qui
souvent se reconnaît et s'admire ? La tragédie est encore jouée avec succès,
comme divertissement des lettrés et évocation d'un monde plus
grandiose et plus terrible que l'on aborde sans danger grâce au théâtre
mais ce n'est pas" un hasard si, d'une part, au mépris des anachronismes,
foisonnent dans les oeuvres les sentences politiques ou religieuses (plutôt
antireligieuses)
qui
révèlent
des
préoccupations
très
actuelles
et
témoignent de l'évolution des esprits, si, d''autre part, les principes mêmes
de la tragédie sont mis en cause: "Que me font à moi, sujet paisible d'un
Etat monarchique du XVIIIe siècle les révolutions d'Athènes et de Rome
?", écrit Beaumarchais. C'est un progrès déjà d'emprunter des thèmes plus
récents à l'histoire de France ; c'est mieux encore de représenter un
drame touchant, puisé dans nos moeurs. Drame où les conditions vont jouer
un grand rôle,'peintes pour la bourgeoisie par des auteurs issus la plupart
de cette même bourgeoisie. De ce théâtre-, en dehors des parodies comme
Le Vidangeur sensible qui tirent précisément leur comique de ce que l'on
peut appeler le décalage social, les artisans, les ouvriers sont quasiment
absents.
Les rapports entre la bourgeoisie et la noblesse, tels qu'ils sont
représentés sur la_ scène, ne sont pas moins complexes. Ils expriment, de
la part des auteurs et de leur public, à la fois l'envie, la jalousie- et le
mépris. L'envie parce que l'ambition des grands bourgeois est d'être
anoblis; la jalousie parce que l'argent ne donne pas tout et que la
considération va encore à ceux qui se sont donné la peine de naître, comme
dit Figaro et non ceux qui, par leur travail, accroissent les richesses et font
la prospérité de la nation. Le mépris parce qu'en face d'une bourgeoisie
travailleuse et- décente, trop de nobles se conduisent en parasites
dépravés.
La satire, lorsqu'elle est violente, s'exerce aussi bien à l'égard des
bourgeois qui ne se contentent pas d'être ce qu'ils sont que de nobles-qui
ne méritent pas de l'être. De là chez Beaumarchais, dans les deux chefsd'oeuvre espagnols, ces répliques cinglantes dont on a peut-être exagéré la
force et, 1'originalité. Tel mot se, retrouve dans Montaigne ou, si l'on -en
croit La Harpe, dans l'Art de se désopiler la rate, recueil où se pourvoient
volontiers les gens à bons mots, et La Bruyère est souvent plus féroce que
Beaumarchais. Mais Figaro dit tout haut ce que son public pense tout bas,
exprime l'opinion commune, souligne des disconvenances sociales qui sont
de plus en plus sensibles.
Pierre LARTHOMAS, Le théâtre en France au XVIIIe siècle.
NOTE - : Les mots soulignés correspondent aux mots en italique dans le
texte.
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