Les troubles psychiques des patients cérébro-lésés

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L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 327–9
ÉDITORIAL
Les troubles psychiques des patients
cérébro-lésés : un problème de santé publique
Hélène Oppenheim-Gluckman 1 , Pascale Pradat-Diehl 2
L
doi:10.1684/ipe.2012.0923
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es traumatismes crâniens sont responsables de troubles cognitifs et comportementaux. Ils engendrent souvent des troubles psychiques qui nécessitent un
suivi interdisciplinaire de longue durée. L’intervention des professionnels de
la santé mentale, contrairement à celle des équipes de rééducation et de réadaptation, est souvent trop tardive. Ce problème particulièrement illustré par les traumatisés
crâniens peut être généralisé à d’autres pathologies cérébrales causes de lésions cérébrales acquises avec atteinte cognitive : accident vasculaire cérébral, anoxie, tumeur.
Les connaissances des professionnels de la santé et du public sur les séquelles de
ces pathologies acquises restent encore insuffisantes, alors que leur prise en charge
et leur accompagnement nécessitent des connaissances croisées, interdisciplinaires,
neurologiques et neuropsychologiques, psychiatrique et psychopathologiques.
Les pathologies cérébrales acquises sont fréquentes. Le traumatisme crânien (TC)
toucherait 150 000 personnes par an en France, l’accident vasculaire cérébral (AVC)
130 000. En Île-de-France le nombre des traumatismes crâniens (TC) est estimé entre
25 000 et 30 000 par an. Le traumatisme crânien est classé à sa phase initiale comme
léger dans 80 % des cas, modéré ou grave dans 20 % des cas. Le traumatisme crânien
touche principalement les sujets jeunes de 15 à 25 ans. Les accidents vasculaires
cérébraux sont la première cause d’incapacité acquise chez l’adulte. Ils touchent
classiquement les sujets âgés (âge moyen 70 ans) mais aussi les sujets jeunes puisque
5 % des accidents vasculaires cérébraux surviennent avant 45 ans.
Le traumatisme crânien et les pathologies cérébrales acquises constituent un problème majeur de santé publique. D’où la mise en place depuis 1996 de plusieurs plans
ministériels pour améliorer la prise en charge des patients cérébro-lésés, en particulier
traumatisés crâniens et le développement depuis un peu plus de quinze ans de structures spécifiques de prise en charge de ces patients. Le dernier programme d’action
gouvernemental en faveur des traumatisés crâniens et des blessés médullaires a été
annoncé le 9 Février 2012 à l’hôpital Raymond-Poincaré à Garches, après une large
concertation avec les professionnels concernés et les associations de famille.
Associés aux troubles cognitifs et du comportement, les troubles de la personnalité des patients cérébro-lésés sont reconnus comme les plus invalidants en terme de
qualité de vie pour le patient et son entourage. Ils sont à l’origine des demandes les
plus fréquentes des services qui prennent en charge les patients cérébro-lésés vers les
psychiatres et les psychothérapeutes.
1 Psychiatre et psychanalyste, 136, avenue du Maine, 75014 Paris ; Institut Marcel-Rivière, 78 La Verrière ; Inserm U 669, Paris, membre du conseil
d’administration du réseau Traumatisme crânien d’Île-de-France et de France traumatisme crânien
<[email protected]>
2 APHP Hôpital Pitié-Salpêtrière, Département de médecine physique et de réadaptation. UPMC ER 06, présidente de l’association Réseau
traumatisme crânien Île-de-France
Tirés à part : H. Oppenheim-Gluckman
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012
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Pour citer cet article : Oppenheim-Gluckman H, Pradat-Diehl P. Les troubles psychiques des patients cérébro-lésés : un problème de santé publique. L’Information
psychiatrique 2012 ; 88 : 327-9 doi:10.1684/ipe.2012.0923
H. Oppenheim-Gluckman, P. Pradat-Diehl
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Les troubles du comportement des patients traumatisés crâniens sont un des principaux obstacles à l’insertion sociale ou professionnelle des patients cérébro-lésés,
en particulier des traumatisés crâniens. Dans les publications françaises, ils concerneraient plus de la moitié des patients1 . Les études montrent aussi une plus grande
prévalence des troubles psychiatriques chez les patients traumatisés crâniens que dans
une population générale. Ainsi, la prévalence de toutes les pathologies psychiatriques
confondues est de 49 % après un traumatisme crânien sévère ou modéré, de 34 % après
un traumatisme crânien léger et de 18 % dans une population contrôle2 . Par ailleurs, les
tentatives de suicide concerneraient 26,2 % des personnes traumatisées crâniennes3 .
La dépression post AVC touche au moins 50 % des patients4 .
Il faut ajouter à ces éléments la nécessité de la prise en charge de la souffrance
des familles qui vivent des situations brutalement dramatiques. La souffrance de
l’entourage avec ses retentissements psychiques et psychiatriques est décrite depuis
de nombreuses années5 .
La souffrance du patient et de sa famille, leurs troubles psychiatriques, nécessite
souvent un suivi psychothérapeutique ou psychiatrique. La nécessité de ce suivi a été
reprise dans la circulaire ministérielle du 18 juin 2004 relative à la filière de prise en
charge sanitaire, médico-sociale et sociale des traumatisés crânio-cérébraux6 .
Pourtant, actuellement les suivis psychiatriques ou psychothérapeutiques des
patients cérébro-lésés et/ou de leurs proches restent difficiles et insuffisants. Dans une
enquête menée par le Centre ressource francilien pour le traumatisme crânien au premier trimestre 2007 auprès de 21 structures sanitaires et médico-sociales spécifiques
d’Île-de-France prenant en charge des patients cérébro-lésés, 72 % des établissements
estimaient ne pas être en mesure de répondre aux problèmes psychiatriques et psychopathologiques des patients cérébro-lésés et/ou de leur entourage de façon satisfaisante.
Nous espérons avec ce dossier, initié par l’association Réseau traumatisme crânien
Île-de-France et le Centre ressource francilien pour le traumatisme crânien, et consacré
à la prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique des patients cérébro-lésés,
contribuer à une meilleure connaissance des patients cérébro-lésés et à une amélioration
de leurs suivis psychiatriques et/ou psychothérapeutiques.
1
Cohadon F. Sortir du coma. Paris : Odile Jacob, 2000.
Fann JR, et al. Psychiatric illness following traumatic brain injury in an adult health maintenance organization population. Arch gen Psychiatry 2004 ;
61 : 53-61.
3 Simpson G, Tate R. Clinical features of suicide attempts after traumatic brain injury. J Nerv Ment Dis 2005 ; 193 : 680-5.
4 Groupe de travail sur les accidents vasculaires cérébraux. AFHIF, 2002.
5 Brooks N, Campsie L, Symington C, et al. The five year outcome of severe blunt head injury: a relative’s view. Journal of Neurology, Neurosurgery,
and Psychiatry 1986 ; 49 : 764-70. Voir aussi les recommandations pour l’accueil des enfants avec un parent cérébro-lésé éditées par le Centre ressource
francilien pour le traumatisme crânien (CRFTC).
6 Circulaire ministérielle DHOS/SDO/01/DGS/SD5D/DGAS/PHAN/3B/280 du 18 juin 2004 relative à la filière de prise en charge sanitaire, médicosociale et sociale des traumatisés crânio-cérébraux et des traumatisés médullaires.
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L’organisation actuelle pour la prise en charge des troubles psychiatriques liées aux blessures cérébrales
Les lésions cérébrales acquises avec atteinte cognitive génèrent souvent une pathologie psychiatrique et une psychopathologie telles qu’elles ont en partie nécessité la rédaction de la circulaire ministérielle du 18 juin 2004.
Cette dernière met l’accent sur les caractéristiques des traumatisés cranio-cérébraux et sur la nécessité d’apporter rapidité,
fluidité, pertinence et durabilité à leur prise en charge sur les plans physique, psychique et social. Elle préconise une
organisation en réseau d’acteurs expérimentés et identifiés.
Depuis sa diffusion, dans un grand nombre de régions, se sont mis en place des dispositifs spécifiques, principalement
des réseaux et des Centres ressource, pour garantir aux personnes un accompagnement adapté à leur état. Des échanges
sur les modes de fonctionnement sont régulièrement proposés dans un souci de mutualisation.
La région Île-de-France s’est dotée depuis 2003 d’une structure publique, le Centre ressources francilien du traumatisme
crânien (CRFTC), gérée par une association de professionnels, pour coordonner et soutenir l’action des acteurs. Un
projet de « lieu ressource », composé d’un temps de psychiatre et d’un temps de psychologue, a été proposé aux
pouvoirs publics, pour soutenir les équipes en difficultés. Des actions de formation vers les professionnels pour mieux
appréhender les troubles du comportement, les troubles psychiatriques et la souffrance psychique des patients cérébrolésés, et aussi pour aider à accompagner les familles, sont régulièrement proposées. Des actions ont été conduites pour
une meilleure prise en charge des enfants dont un parent est cérébro-lésé
En synergie avec la Fédération française de psychiatrie a été organisé un colloque en 2009 sur le thème « Blessure
cérébrale et psychopathologie ».
Jean-Jacques Weiss
Directeur du CRFTC
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