Maq HGE 5 dossier D 13/05/04 O S 16:04 S Page 224 I E R T H É M A T I Q U E Colite grave : traitement chirurgical ● Y. Panis* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ La colite aiguë grave est une urgence médico-chirurgicale dont la gravité est aujourd’hui appréciée au mieux par l’endoscopie. ■ La chirurgie est indiquée en urgence avant tout traitement médical en cas de perforation, colectasie, syndrome toxique ou hémorragie abondante, de même en cas d’échec du traitement médical intensif. ■ La colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie représente le premier temps opératoire de choix en cas de colite aiguë grave sur maladie inflammatoire. ■ La mortalité opératoire de la colectomie subtotale est nulle en l’absence de complication, mais elle augmente considérablement notamment s’il existe une perforation colique. ■ Après colectomie subtotale, le rétablissement de continuité se fait habituellement par une anastomose iléo-anale en cas de rectocolite hémorragique, et par une anastomose iléorectale en cas de maladie de Crohn. L a colite aiguë grave (CAG) est un événement grave dans l’évolution d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Elle est plus fréquente en cas de rectocolite hémorragique (RCH) que de maladie de Crohn (MC) et peut être révélatrice de la maladie. Sa définition est clinico-biologique (critères de Truelove) (1) ou endoscopique, surtout aujourd’hui (2). C’est l’existence d’ulcérations creusantes, laissant voir la musculeuse, de décollements muqueux qui vont faire porter le diagnostic de colite grave. La réalisation précoce d’une colectomie subtotale en urgence avec * Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Lariboisière, Paris. 224 iléostomie et sigmoïdostomie a permis il y a maintenant plus de 25 ans de transformer le pronostic de ces patients (3). Aujourd’hui, cette colectomie subtotale est réalisée dès le diagnostic de CAG, en cas de complications à type de colectasie ou de perforation, ou de plus en plus souvent en cas d’échec d’un traitement médical intensif initial. INDICATIONS CHIRURGICALES En urgence, avant tout traitement médical La colectomie subtotale doit être réalisée en urgence, avant tout traitement médical, en cas de CAG compliquée d’emblée. • Le mégacôlon toxique (ou colectasie) Il s’agit d’une complication rare (3 à 4 % des patients avec MICI) mais grave de la CAG, survenant sur une MICI. Il survient plus fréquemment dans la RCH que dans la MC, et plus souvent en cas de pancolite que de lésions localisées. Il s’agit d’une dilatation aiguë du côlon, survenant chez un patient présentant un tableau clinique et biologique de CAG, avec une diarrhée plus ou moins sanglante, des douleurs abdominales et un tableau “toxique” associant au maximum les trois signes suivants : tachycardie (> 120/min), fièvre (> 38.6°C), hyperleucocytose (> 10500/ml). Devant un tel tableau, surtout quand le patient a une MICI connue, il importe de réaliser une radiographie d’abdomen sans préparation, qui fera le diagnostic de colectasie (diamètre du caecum ou du côlon transverse supérieur à 6 cm pour la plupart des auteurs). La découverte de cette colectasie, dans le contexte de MICI connue ou probable, contre-indique formellement la réalisation d’une coloscopie (en raison, dans ce cas, du risque majeur de perforation) et impose la réalisation en urgence d’une colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie. Le traitement médical pourrait en effet, en cas de colectasie, exposer le patient à la survenue d’une perforation, pouvant initialement évoluer à bas bruit du fait de la corticothérapie. Dans ces cas, la réalisation tardive de la colectomie subtotale, chez un malade fragilisé et avec perforation colique, est associée à une mortalité inacceptable, allant jusqu’à 40 % dans une série récente (4). La même intervention, chez un patient avec colectasie mais sans perforation ni péritonite, permet la guérison de la poussée dans tous les cas, avec dans notre expérience une mortalité nulle (5). La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - octobre 1998 Maq HGE 5 dossier 13/05/04 16:04 Page 225 • La perforation colique Diagnostiquée cliniquement avec facilité en cas de signes péritonéaux (défense voire contracture abdominale généralisée), elle est parfois détectée simplement sur la radiographie d’abdomen sans préparation (pneumopéritoine), du fait d’une sémiologie trompeuse voire absente chez le malade sous corticothérapie. • Autres formes cliniques L’existence d’un syndrome “toxique”, associant fièvre, désydratation majeure avec troubles hydroélectrolytiques et altération de l’état général, constitue aussi habituellement une indication à la colectomie en urgence, avant tout traitement médical. Plus rarement, une hémorragie digestive basse massive, voire un choc septique (par translocation bactérienne) feront indiquer la colectomie en urgence. Après échec d’un traitement médical intensif Aujourd’hui, l’efficacité relative de la corticothérapie intraveineuse à forte dose (1 mg/kg j) et de la ciclosporine (dans la RCH essentiellement) (6) fait souvent discuter cette colectomie subtotale en cas d’échec du traitement médical, c’est-à-dire, dans notre expérience, en cas d’absence d’amélioration voire d’aggravation des signes à l’endoscopie faite sept jours après le début du traitement médical. Il faut néammoins garder à l’esprit que si, aujourd’hui, dans les centres chirurgicaux spécialisés, la mortalité opératoire de la colectomie subtotale, avant la survenue de complications graves, est proche de zéro, celle-ci croît en cas de retard à l’intervention, essentiellement du fait de l’existence d’une péritonite par perforation colique. Ainsi, sur une série de 32 malades avec colite grave sur RCH, traités par ciclosporine, une perforation colique et un décès post-opératoire étaient notés chez les nonrépondeurs à la ciclosporine (un tiers des patients) (7). C’est pourquoi seule une amélioration franche et rapide de l’état du patient sous traitement médical, associée à une amélioration endoscopique, et ce bien sûr en l’absence de colectasie, peut faire surseoir à la colectomie subtotale. PRINCIPES DE L’INTERVENTION CHIRURGICALE Si différents types d’intervention ont initialement été proposés, allant de l’iléostomie de dérivation à la coloproctectomie totale, la colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie est aujourd’hui l’intervention de choix en cas de CAG sur MICI (8). Elle présente en effet le double avantage : - de retirer la quasi-totalité du côlon malade, sans laisser dans le ventre d’anastomose ou de moignon rectal fermé, source de morbidité potentielle ; - de permettre, notamment en cas de doute diagnostique entre RCH et MC, de choisir ensuite à distance la meilleure option chirurgicale pour le patient, c’est-à-dire principalement de décider de la conservation ou non du rectum. La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - octobre 1998 Plus récemment, certains ont proposé, pour des patients avec CAG, mais sans colectasie ou signe toxique, de réaliser dès le premier temps opératoire une anastomose iléo-anale avec iléostomie de protection (9). Colectomie subtotale Le principe de l’intervention est d’enlever la quasi-totalité du côlon malade, sans faire d’anastomose, afin de limiter au maximum les complications post-opératoires. On réalise ainsi une colectomie subtotale (enlevant l’ensemble du côlon droit, transverse et gauche) suivie d’une iléostomie terminale dans la fosse iliaque droite et une sigmoïdostomie dans la fosse iliaque gauche (ou pour certains au bas de la médiane, voir dans la fosse iliaque droite avec l’iléostomie) (figure 1). Figure 1. Rétablissement de continuité Deux à trois mois plus tard, en fonction du diagnostic et de l’état du rectum restant, le rétablissement de continuité est réalisé. • En cas de rectocolite hémorragique Le rétablissement de continuité sera obtenu le plus souvent par une anastomose iléo-anale avec réservoir en J, protégée par une iléostomie, qui est ensuite fermée par voie élective six semaines plus tard. On réalise ainsi un traitement chirurgical en “trois temps”. Parfois, si les conditions sont favorables, l’intervention sera réalisée en deux temps (sans iléostomie de protection). L’anastomose iléo-anale représente aujourd’hui l’intervention de référence dans la RCH. Elle permet d’arriver au double objectif de guérison de la maladie par ablation de l’ensemble de la muqueuse colo-rectale malade, et de conservation de la fonction 225 Maq HGE 5 dossier D 13/05/04 O S 16:04 S Page 226 I E R T sphinctérienne par réalisation d’une anastomose entre le sphincter de l’anus et un réservoir grêlique en J (figure 2). Ce réservoir permet de créer un néorectum qui va permettre, malgré l’ablation du rectum natif, d’obtenir un résultat fonctionnel satisfaisant chez la grande majorité des patients, avec 4 à 5 selles par 24 heures, 15 à 20 % des patients ayant des fuites le plus souvent occasionnelles. Les troubles sexuels graves, à type d’impuissance, concernent moins de 1 % des patients. Le risque évolutif à long terme est la survenue d’une inflammation du réservoir (ou “pochite”), la plupart du temps traitée médicalement avec efficacité. À long terme, le risque d’échec de l’intervention avec perte du réservoir et iléostomie définitive (pochite réfractaire, Crohn méconnu, sepsis pelvien persistant) est d’environ 5 %. H É M A T I Q U E taux de récidive à dix ans de la maladie sur l’intestin restant est de 9 % après iléostomie définitive contre 50 % après anastomose iléo-rectale. À long terme, dans toutes les séries publiées, après anastomose iléo-rectale, le risque de proctectomie secondaire avec iléostomie définitive est d’environ 40 à 50 %. La MC constitue en effet pour la plupart des auteurs une contreindication absolue à l’anastomose iléo-anale. Nous plaidons néanmoins pour la réalisation de l’anastomose iléo-anale dans des cas très sélectionnés de MC colique avec rectum non conservable, comme alternative à l’iléostomie définitive, à condition qu’il n’ait pas d’antécédents de manifestations anopérinéales ou d’atteinte du grêle. Nous avons ainsi montré qu’en respectant ces critères très stricts plus de 80 % des patients ont un bon résultat cinq ans après l’intervention (10). Récemment, une étude de la Mayo Clinic a confirmé nos résultats en montrant que dix ans après l’anastomose iléo-anale, cette dernière a permis d’éviter l’iléostomie chez plus de la moitié des patients (11). CONCLUSION La colite aiguë grave sur MICI est une affection rare mais dont la gravité potentielle souligne l’importance d’une étroite collaboration entre médecins et chirurgiens. En effet, dès le diagnostic posé, le plus souvent désormais grâce à l’endoscopie, il ne faut pas retarder la réalisation en urgence d’une colectomie subtotale en cas de forme compliquée, mais aussi en cas d’échec d’un traitement médical intensif initial. ■ Mots-clés. Rectocolite hémorragique - Maladie de Crohn Colite aiguë grave - Colectomie. R Figure 2. É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Truelove S.C., Jewell D.P. Intensive intravenous regimen for severe attacks of ulcerative colitis. Lancet 1974 ; I : 1067-70. 2. Carbonnel F., Lavergne A., Lémann M. et coll. Colonoscopy of acute colitis. A • En cas de maladie de Crohn Le rétablissement de continuité est obtenu le plus souvent par une anastomose iléo-rectale en cas de rectum conservable. Beaucoup plus rarement, si le rectum n’est pas conservable (du fait le plus souvent d’un microrectum ou de manifestations ano-périnéales graves associées), une amputation abdomino-périnéale avec iléostomie définitive est nécessaire. La seconde intervention consiste alors en une proctectomie totale, avec sacrifice du sphincter de l’anus, et une iléostomie définitive. Habituellement, le périnée est fermé lors de l’intervention et l’iléostomie est placée dans la fosse iliaque droite. Cette intervention mutilante est en fait réalisée dans l’immense majorité des cas seulement après échec d’une anastomose iléo-rectale, et non pas d’emblée. L’anastomose iléo-rectale a l’avantage de conserver la fonction sphinctérienne, mais elle est grevée d’un taux élevé de récidive, très supérieur à celui observé après iléostomie définitive. Le 226 safe and reliable tool for assessment of severity. Dig Dis Sci 1994 ; 39 : 1550-7. 3. Goligher J.C., Hoffman D.C., De Dombal F.T. Surgical treatment of severe attacks of ulcerative colitis, with special reference to the advantages of early operation. Br Med J 1970 ; 4 : 703-6. 4. Greenstein A.L., Aufses A.H. Differences in pathogenesis, incidence and outcome of perforation in inflammatory bowel disease. Surg Gynecol Obstet 1985 ; 160 : 63-9. 5. Maylin V., Panis Y., Bonhomme N. et coll. Colectomie subtotale pour colite aiguë grave : résultats sur 133 patients consécutifs. Gastroentérol Clin Biol 1997 ; 21 : A15. 6. Lichtiger S., Present D.H., Kornbluth A. et coll. Ciclosporine in severe ulcerative colitis refractory to steroid therapy. N Engl J Med 1994 ; 330 : 1841-5. 7. Carbonnel G., Boruchowicz A., Duclos B. et coll. Intravenous cyclosporine in attacks of ulcerative colitis. Short-term and long-term responses. Dig Dis Sci 1996 ; 41 : 2471-6. 8. Johnson W.R., Hughes E.S.R., McDermott F.T. et coll. The outcome of patients with ulcerative colitis managed by subtotal colectomy. Surg Gynecol Obstet 1986 ; 162 : 421-5. 9. Ziv Y., Fazio V.W., Church J.M. et coll. Safety of urgent restorative proctocolectomy with ileal pouch-anal anastomosis for fulminant colitis. Dis Colon Rectum 1995 ; 38 : 345-9. 10. Panis Y., Poupard B., Nemeth J. et coll. Ileal pouch-anal anastomosis for Crohn’s disease. Lancet 1996 ; 347 : 854-7. 11. Sagar P.M., Dozois R.R., Wolff B.G. Long-term results of ileal pouch-anal anastomosis in patients with Crohn’s disease. Dis Colon Rectum 1996 ; 39 : 893-8. La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - octobre 1998