CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE “Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.” Voltaire LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE La désacralisation des lois comme nécessité démocratique CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN Association ALDÉRAN Toulouse pour la promotion de la Philosophie MAISON DE LA PHILOSOPHIE 29 rue de la digue, 31300 Toulouse Tél : 05.61.42.14.40 Email : [email protected] Site : www.alderan-philo.org conférence N°1600-120 LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE La désacralisation des lois conférence d’Éric Lowen donnée le 23/06/2010 à la Maison de la philosophie à Toulouse Nos sociétés ont sacralisé l’obéissance. Des siècles de pensée et d’éducation ont fait de l’obéissance une vertu, une sorte de valeur en soi, où il faut obéir parce que l’obéissance est la règle. Mais que vaut une obéissance sans réflexion éthique ? Si parfois il est légitime d’obéir, la désobéissance est aussi un devoir, parfois plus important que l’obéissance. Comment s’entend cette notion de désobéissance ? À quel moment finit l’obéissance et commence le devoir de désobéissance ? En vertu de quelle éthique ? Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 2 LE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE La désacralisation des lois comme nécessité démocratique PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN Je crois que nous devrions êtres hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. Henry David Thoreau (1817-1862) Du devoir de la désobéissance civile, 1848 I PRÉSENTATION 1 - Une question éthique fondamentale dans toute société, l’obéissance à la loi 2 - Mais prudence dans le traitement de cette question II L’IMPORTANCE CULTURELLE DE L’OBÉISSANCE 1 - La sacralisation de l’obéissance, la diabolisation de la désobéissance 2 - L’obéissance élevée au rang de vertu 3 - Les principales expressions de cet ordre d’obéissance 4 - Ce devoir d’obéissance est d’autant plus fort dans les sociétés traditionnelles III LES FONDEMENTS DU DEVOIR D’OBÉISSANCE ET SES LIMITES 1 - Différentes catégories d’obéissance : compréhension, contrainte, intérêt, mécanicité 2 - La notion d’obéissance en société, l’obéissance aux lois comme obligation sociale 3 - Une obéissance par le poids de l’autorité, et non en vertu du bien fondé de l’action demandée 4 - Qui tourne vite au maintien de l’ordre pour l’ordre, au respect de la loi parce qu’elle est la loi 5 - Les obéissances problématiques sont minoritaires mais éthiquement majoritaires 6 - La contextualisation de l’obéissance : elle est légitime ou illégitime en fonction des cas 7 - La volonté de l’autorité ne se confonde pas automatiquement avec l’intérêt général 8 - La subordination et infériorisation de l’individu - réduit au rang de rouage 9 - La logique de l’obéissance, “sous peine de...” et “en récompense...” 10 - Ce qui mène à l’obéissance aveugle et au sadisme en toute bonne conscience IV LES PRINCIPES DU DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE 1 - La lente remise en cause de cette sacralisation de l’obéissance, vers le refus de soumission 2 - Distinguer la désobéissance égotique de la désobéissance éthique 3 - La désobéissance n’est pas ni l’anarchie ni le désordre 4 - Une désobéissance qui n’est plus motivée par l’intérêt personnel 5 - Une raison éthique comme cause et finalité de la désobéissance 6 - La remise en cause d’un ordre problématique au profit d’un ordre plus équitable 7 - Une obéissance à une éthique humaniste supérieure, relevant du droit naturel 8 - L’autorité de la conscience remplace celle de la force et de l’inertie 9 - Le devoir de désobéissance est toujours un acte d’obéissance libre à notre conscience 10 - Le rétablissement de l’individu comme sujet autonome, conscient, responsable et libre 11 - Le devoir de désobéissance, une liberté intérieure aboutissant à une liberté extérieure V LES DIFFÉRENTES EXPRESSIONS DE CE DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE 1 - Désobéissance divine ou destinale 2 - Désobéissance naturelle 3 - Désobéissance familiale Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 3 4 - Désobéissance sociologique, contre la norme sociale 5 - Désobéissance politique, dont un exemple est la désobéissance politique 6 - Désobéissance militaire, contre les ordres militaristes 7 - Désobéissance mercantile (consumérisme, monopoles...) 8 - Désobéissance économique 9 - Désobéissance culturelle 10 - Désobéissance intellectuelle 11 - Désobéissance insurrectionnelle, stade ultime de la désobéissance VI CONCLUSION 1 - La résistance à l'oppression est un droit naturel, un droit humain élémentaire 2 - Le devoir de désobéissance est un devoir philosophique 3 - Autant qu’un devoir démocratique 4 - Un des éléments moteurs de la libération de l’Humanité et de son progrès ORA ET LABORA Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 4 Document 1 : Dans les traditions judéochrétiennes, les logiques d’obéissance et de désobéissance s’inscrivent dans les mythes cosmogoniques fondateurs de la genèse avec l’épisode d’Adam et Eve qui désobéissent au premier commandement de Dieu leur ordonnant de ne pas manger de l’arbre du fruit de la connaissance. Ce premier rapport sera ensuite renouvelé par d’autres désobéissances des hommes aux commandements divins : déluge, tour de Babel, le veau d’or de Moïse, etc. Dans ces idéologies, la désobéissance est assimilée au mal, l’obéissance au bien. Document 2 : Si l’obéissance est si facile, c’est aussi parce qu’elle possède ses joies. L'obéissance a ses peines. Peine du libre arbitre individuel limité ou contrarié ; peine de l'effort, de l'anonymat dans l'effort, de l'effort méconnu, et tenu pour allant de soi ; peine des reproches mérités ou non, des sanctions ; peine de se savoir l'artisan ignoré des succès, et le coupable des échecs et des revers. - Mais l'obéissance a ses joies. Joie de l'éloge et de la récompense. Joie de l'insouciance enfantine, et joie de la retrouver adulte ; joie de la confiance, de la sécurité plénière procurée par le père ou par le chef. Joie de s'identifier à lui, et par là d'être puissant en lui, de triompher avec lui, d'être fier de soi parce que fier de lui. Joie d'être nous, grâce à lui. Joie paisible de la soumission à la règle et du conformisme collectif. «Peu de gens croient avec Xénophon au bonheur de Sparte. Quelle triste occupation, disent-ils, que des exercices militaires, que le perpétuel exercice des armes ! Sparte, ajoutent-ils, n'était qu'un couvent ; tout s'y réglait par le coup de la cloche. Mais, répondrai-je, le coup de la récréation ne plaît-il pas à l'écolier ? Est-ce la cloche qui rend le moine malheureux ? Lorsqu'on est bien nourri, bien vêtu, à l'abri de l'ennui, toute occupation est également bonne, et les plus périlleuses ne sont pas les moins agréables» (Helvétius). Joie de marcher du même pas que le voisin, et que tous les autres, joie d'être une des pattes d'un mille-pattes énorme et terrifiant, joie d'être figurant dans un ballet ou un drame bien réglé promis à la gloire. Maurice Marsal L'autorité, 1982 Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 5 Document 3 : L’obéissance a aussi ses penseurs et ses théoriciens. Il ne faut pas les sous-estimer. Ce qui compte, c'est la continuité de l'État. Une nation n'est pas un Léviathan - une sorte d'animal collectif comme une, ruche ou une termitière. C'est un assemblage politique plus ou moins artificiel et fragile ; celui-ci ne subsiste que tant qu'il est habité par une volonté unanime -, et cette volonté, à travers les divergences sans nombre des citoyens et des partis, ne peut se rassembler que sur un pouvoir légitime, c'est-à-dire un pouvoir reconnu par tous. Brisez cette légitimité, vous brisez du même coup la colonne vertébrale de l'État : vous lui substituez les factions ; et tout pouvoir qui lui succédera étant illégitime représentera seulement la faction qui l'aura soutenu : le pays sera disloqué. C'est le plus grand crime qui se puisse commettre contre la patrie ; une guerre perdue est peu de chose auprès de ce crime-là. Vercors (1902-1991) La puissance du jour propos du personnage Broussard, ancien préfet de Vichy et collaborateur Document 4 : Un exemple classique de désobéissance, celui d’Antigone face au tyran Cléon dans la pièce de Sophocle. CRÉON (au garde). - File où tu voudras la conscience légère - tu es libre. (À Antigone,) Réponds en peu de mots. Connaissais-tu mon édit ? ANTIGONE. - Comment ne l'aurais-je pas connu ? Il était public. CRÉON. - Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ? ANTIGONE. - Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'a promulguée, et la justice qui siège auprès des dieux de sous terre (4) n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là (5) mais intangibles . Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n'était-ce point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme, encourir a rigueur des dieux ? je savais bien que je mourrais ; c'était inévitable - et même sans ton édit! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu des maux, comment n'aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m'attend n'a rien qui me tourmente. Si j'avais dû (6) laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, le ne m'en serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être n'as-tu rien à m'envier sur l'article de la folie ! LE CORYPHÉE. - Comme on retrouve dans la fille le caractère intraitable du père ! Elle ne sait pas fléchir devant l'adversité. CRÉON. - Apprends que c'est le manque de souplesse, le plus souvent, qui nous fait trébucher. Le fer massif, si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se rompre. Mais je sais aussi qu'un léger frein a bientôt raison des chevaux rétifs. Oui, l'orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d'autrui. Celle-ci savait parfaitement ce qu'elle faisait quand elle s'est mise au-dessus de la loi. Son forfait accompli, elle pèche une seconde fois par outrecuidance lorsqu'elle s'en fait gloire et sourit à son œuvre. En vérité, de nous deux, c'est elle qui serait l'homme, si je la laissais triompher impunément. Elle est ma nièce, mais me touchât-elle par le sang de plus près que tous les miens, ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment capital. Car j'accuse également Ismène d'avoir comploté avec elle cette inhumation. Qu'on l'appelle : je l'ai rencontrée tout à l'heure dans le palais, l'air égaré, hors d'elle, Or ceux qui trament dans l'ombre quelque mauvais dessein se trahissent toujours par leur agitation... Mais ce que je déteste, c'est qu'un coupable, quand il se voit pris sur le fait, cherche à peindre son crime en beau. ANTIGONE. - je suis ta prisonnière ; tu vas me mettre à mort : que te faut-il de plus ? CRÉON. - Rien. Ce châtiment me satisfait. ANTIGONE. - Alors, pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu dis m'est odieux - je m'en voudrais du contraire - et il n'est rien en moi qui ne te blesse. En vérité, pouvais-je m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît. CRÉON. - Tu es seule, à Thèbes, à professer de pareilles opinions. Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 6 ANTIGONE, désignant le chœur. - Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres. CRÉON. - Ne rougis-tu pas de t'écarter du sentiment commun ? ANTIGONE. - Il n'y a point de honte à honorer ceux de notre sang. CRÉON. - Mais l'autre, son adversaire, n'était-il pas ton frère aussi ? ANTIGONE. - Par son père et par sa mère, oui, il était mon frère. CRÉON. - N'est-ce pas l'outrager que d'honorer l'autre ? ANTIGONE. - Tu n'en jugera pas ainsi, maintenant qu'il repose dans la mort. CRÉON. - Cependant ta piété le ravale au rang du criminel. ANTIGONE. - Ce n'est pas un esclave qui tombait sous ses coups ; c'était son frère. CRÉON. - L'un ravageait sa patrie ; l'autre en était le rempart. ANTIGONE. - Hadès n'a pas deux poids et deux mesures. CRÉON. - Le méchant n'a pas droit à la part du juste. ANTIGONE. - Qui sait si nos maximes restent pures aux yeux des morts ? CRÉON. - Un ennemi mort est toujours un ennemi. ANTIGONE. - Je suis faite pour partager l'amour, non la haine. CRÉON. - Descends donc là-bas, et, s'il te faut aimer à tout prix, aime les morts. Moi vivant, ce n'est pas une femme qui fera la loi. Sophocle (-495,-406 av. J.C.) Antigone, vers 384 à 515 Traduction de R. Pignarre (éd. Garnier-Flammarion) 4. La justice qui siège auprès des dieux de sous terre : la justice (diké) infernale, distincte de celle qui est assise près du trône de Zeus. Souvent assimilée aux Érynies, divinités infernales qui pourchassent les criminels. 5. Intangibles : à quoi on ne doit pas porter atteinte; inviolables, sacrées. 6. Un corps que ma mère a mis au monde : Antigone se réfère à son devoir familial, mais aussi à la famille maudite des Labdacides. Voir plus loin : «dans la fille, le caractère intraitable du père». Document 5 : Un autre grand texte classique d’appel à la désobéissance est le livre de La Boétie, écrit lors de la Renaissance française dans le cadre des guerres de religion. De la domination, le soutien et fondement de la tyrannie ; qui pense que les hallebardes des gardes, l'assiette du guêt, gardent le tyran, à mon jugement se trompe fort ; ils s'en aident, comme je crois, plus pour la formalité et épouvantail, que pour force qu'ils y aient [...]. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, ce ne sont pas les compagnies de gens à pied, ce ne sont pas les armes, qui défendent le tyran. Mais on ne le croira pas du premier coup ; toutefois il est vrai. Ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui lui tiennent le pays tout en servage. Toujours il a été, que cinq ou six ont eu l'oreille du tyran, et s'y sont approchés d'eux-mêmes, ou bien ont été appelés par lui, pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, maquereaux de ses voluptés, et communs aux biens de ses pilleries. Ces six adressent si bien leur chef, qu'il faut pour la société, qu'il soit méchant, non pas seulement de ses méchancetés, mais encore des leurs. Ces six ont six cents, qui profitent sous eux, et font de leurs six cents ce que les six font au tyran. Ces six cents tiennent sous eux six mille, qu'ils ont élevé en état, auxquels ils ont fait donner ou le gouvernement des Provinces, ou le maniement des deniers, afin qu'ils tiennent la main à leur avarice, et cruauté, et qu'ils l'exécutent quand il sera temps, et fassent tant de mal d'ailleurs, qu'ils ne puissent durer que sous leur ombre, ni s'exempter que par leur moyen des lois et de la peine. Grande est la suite qui vient après de cela. Et qui voudra s'amuser à dévider ce filet, il verra, que non pas les six mille, mais les cent mille, les millions, par cette corde, se tiennent au tyran, s'aidant d'icelle, comme en Homère Jupiter qui se vante s'il tire la chaîne d'amener vers soi tous les Dieux. La Boétie (1530-1563) Discours de la servitude volontaire, 1576 Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 7 Document 6 : Henry David Thoreau, fondateur de la désobéissance civile non-violente a passé sa vie à refuser de se soumettre aux modèles économiques et sociaux de la société puritaine du Massachusetts du 19ème siècle. La marche vers le respect de l’Individu L'évolution de la monarchie absolue à la monarchie parlementaire, de la monarchie parlementaire à la démocratie est une évolution vers un respect véritable de l'individu. La démocratie, telle que nous la connaissons, est-elle l'ultime progrès en fait de gouvernement ? N'est-il pas possible de faire un pas de plus vers la reconnaissance et l'établissement des droits de l'homme ? Jamais il n’y aura un État vraiment libre et éclairé tant que l'État n'en viendra pas à reconnaître à l’individu un pouvoir supérieur et indépendant, d'où proviendrait tout le pouvoir et l’autorité du gouvernement qui traiterait l’individu en conséquence. Je me plais à imaginer un État, enfin, qui puisse être juste envers tous les hommes et traiter l'individu avec respect, comme un voisin ; qui même ne jugerait pas incompatible avec son propre repos que quelques hommes vivent à l'écart de lui, sans se mêler de ses affaires ou être encerclés par lui, du moment qu’ils rempliraient tous leurs devoirs envers leurs voisins et leurs semblables. Un État qui porterait ce genre de fruit et accepterait qu’il tombât sitôt mûr, préparerait la voie pour un État encore plus parfait, plus splendide, tel que je l’ai imaginé mais encore jamais vu nulle part. Henry David Thoreau (1817-1862) Du devoir de la Désobéissance civile, 1849 Document 7 : Simone de Beauvoir, en publiant “Le deuxième Sexe” a inauguré la phase moderne de la désobéissance des femmes envers la condition que leur imposait (et impose encore) les modèles sociologiques de la civilisation occidentale (photo Doisneau/Rapho). Les femmes d'aujourd'hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles commencent à affirmer concrètement leur indépendance ; mais ce n'est pas sans peine qu'elles réussissent à vivre intégralement leur condition d'être humain. Élevées par des femmes, au sein d'un monde féminin, leur destinée normale est le mariage qui les subordonne encore pratiquement à l'homme ; le prestige viril est encore loin d'être effacé : il repose encore sur de solides bases économiques et sociales. Il est donc Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 8 nécessaire d'étudier avec soin le destin traditionnel de la femme. Comment la femme fait-elle l'apprentissage de sa condition, comment l'éprouve-t-elle, dans quel univers se trouve-t-elle entérinée, quelles évasions lui sont permises, voilà ce que je chercherai à décrire. Alors seulement nous pourrons comprendre quels problèmes se posent aux femmes qui, héritant d'un lourd passé, s'efforcent de forger un avenir nouveau. Quand j'emploie les mots «femmes» ou «féminin», je ne me réfère évidemment à aucun archétype, a aucune immuable essence ; après la plupart de mes affirmations il faut sous-entendre «dans l'état actuel de l'éducation et des mœurs». Il ne s'agit pas ici d'énoncer des vérités éternelles mais de décrire le fond commun sur lequel s'enlève toute existence féminine singulière. On ne naît pas femme on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine. C'est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin. Simone de Beauvoir (1908-1986) Le Deuxième Sexe, t. II, L'Expérience vécue, Gallimard, 1949, p. 9-13 Document 8 : D’autres femmes avant elle avaient commencé ce lent travail de refus d’obéissance menant à la révolte et à la libération. Ce que nous voulons, c’est la science et la liberté Elles sont dégoûtées, les femmes ! Les vilenies leur font lever le cœur. Un peu moqueuses aussi, elles saisissent vite ce qu'il y a d'épatant à voir des gommeux, des fleurs de gratin, des pschutteux, des petits-crevés enfin, jeunes ou vieux, drôles, crétinisés par un tas de choses malpropres, et dont la race est finie, soupeser dans leurs pattes sales les cerveaux des femmes, comme s'ils sentaient monter la marée de ces affamées de savoir, qui ne demandent que cela au vieux monde : le peu qu'il sait. Ils sont jaloux, ces êtres qui ne veulent rien faire, de toutes les ardeurs nouvelles qui ravissent le dernier miel à l'automne du vieux monde. ( ... ) L'homme tient à ce que la femme reste ainsi, pour être sûr qu'elle n'empiétera ni sur ses «fonctions», ni sur ses «titres». Rassurez-vous encore, messieurs, nous n'avons pas besoin du titre pour prendre vos fonctions quand il nous plaît ! Vos titres ? Ah ! bah ! Nous n'aimons pas les guenilles ; faites en ce que vous voudrez : c'est trop rapiécé, trop étriqué pour nous. Ce que nous voulons, c'est la science et la liberté. Vos titres ? Le temps n'est pas loin où vous viendrez nous les offrir, pour essayer par ce partage de les retaper un peu. Gardez ces défroques, nous n'en voulons pas. Louise Michel (1830-1905) Mémoires, 1886 Document 9 : Un exemple de désobéissance sociologique. Tout vagabondage déplaît au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds de l’esprit, qui, étouffant sous le toit qui abritait leurs Peres, s’en vont chercher au loin plus d’air et plus d’espace. Au lieu de restes au coin de l’âtre familial à remuer les cendres d’une opinion modérée, au lieu de tenir pour des vérités indiscutables ce qui a consolé et apaisé tant de générations avant eux, ils franchissent la Barrière qui clôt le champ paternel, et s’en vont par les chemins audacieux de la critique, où les mène leur insatiable curiosité de douter... Max Stirner (1806-1856) L’unique et sa propriété, 1845 Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 9 DÉCOUVREZ NOTRE AUDIOTHÈQUE pour télécharger cette conférence, celles de la bibliographie et des centaines d’autres Tous nos cours et conférences sont enregistrés et disponibles dans notre AUDIOTHÈQUE en CD et DVD. Des milliers d’enregistrements à disposition, notre catalogue est sur notre site : www.alderan-philo.org. Plusieurs formules sont à votre disposition pour les obtenir : 1 - PHILO UPLOAD : un abonnement annuel pour un libre accès à la totalité des enregistrements disponibles. Présentation sur notre site internet ou envoyez-nous un email avec le code PHILO UPLOAD et laissez-vous guider en quelques clics : [email protected] 2 - TÉLÉCHARGEMENT : vous commandez la conférence ou le cycle qui vous intéresse via internet. C’est rapide et économique. 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Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 10 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS - Les cours et conférences sans nom d’auteurs sont d’Éric Lowen - Revue de philosophie “ALDÉRAN” - N°5 : loi Debré : l’immigration n’est pas un crime, la nécessité de la désobéissance civile - N°12 et N°13 : Dossier spécial “Droits humains : cinquantenaire de la Déclaration Universelle de 1948 - N°13 : Dossier spécial “50ème anniversaire du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir” - N° 14 : Quand la Sagesse devient Action, de Patrick Mavery Conférences en relation avec ces questions - Le devenir de l’humanité - La conquête des libertés - Liberté, j’écris ton nom... éloge de la liberté - Qu’est-ce que les Droits Humains ? Introduction à la philosophie des Droits Humains - Les fondements des droits humains - La pérennité du combat pour les Droits Humains - La place de l’être humain dans la nature - La condition humaine, du déterminisme vers la liberté - L’origine darwinienne du Bien et du Mal dans l’Être Humain - Pour une éthique sans dieu(x) - La libération de l’Humanité 1600-097 1600-197 1600-143 1600-187 1600-103 1600-284 1600-043 1600-083 1600-005 1600-099 1600-080 Conférences sur l’histoire des révolutions - Qu’est-ce qu’une révolution ? - La révolution athénienne, l’invention de la démocratie - La révolution romaine - La révolution des Gracques - Spartacus et les révoltes serviles de l’Antiquité - La révolution hollandaise et la création de la république des Provinces-Unies - La révolution anglaise et la république de Cromwell - La glorieuse révolution, la seconde révolution anglaise - La révolution américaine - La révolution française de 1789 - Toussaint Louverture et la Révolution d’Haïti - Bolivar et les révolutions sud-américaines - La révolution de Juillet 1830, les trois glorieuses - La révolution de 1848, la seconde république - 1848, le printemps des peuples - Le Risorgimento, la révolution italienne - La Commune, la révolution de 1871 - La révolution mexicaine - La révolution russe de 1917 - 1936, Le front populaire, histoire d’une révolution méconnue - La révolution indienne et Gandhi - La seconde révolution américaine des droits civiques et Martin Luther King - Le printemps de Prague, la révolution écrasée - Mai 1968, révolution sociologique - La révolution portugaise des oeillets - La révolution sud-africaine et Nelson Mandela 1600-230 1000-157 1000-159 1000-194 1000-092 1000-099 1000-100 1000-195 1000-101 1000-102 1000-122 1000-103 1000-154 1000-126 1000-164 1000-104 1000-105 1000-097 1000-107 1000-174 1000-108 1000-109 1000-168 1000-117 1000-169 1000-198 Conférences sur quelques penseurs et philosophes reliés à ce sujet - Voltaire et l’affaire Calas - La théorie du pacte social chez Thomas Hobbes : fondation du devoir d'obéissance ou du droit de résistance ? par Vincent Gray - Henry David Thoreau et la désobéissance civile - George Orwell et la dénonciation des totalitarismes 1000-129 1000-279 1000-170 1000-123 Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 11 - Vercors, à la recherche de la dignité humaine - Saint-Exupéry et l’engagement pour l’Humanité - L'engagement politique de Camus, par Jean-Louis Saint-Ygnan 1000-113 1000-075 1000-251 Quelques livres sur le sujet - Les résistants, L’histoire de ceux qui refusèrent, Robert Belot, Larousse, 2003 - La rébellion française, mouvements populaires et conscience sociale, (1661-1789), Jean Nicolas, Seuil, 2002 - Éloge de la désobéissance, Rony Brauman et Eyal Siva, Le Pommier, 2001 - La révolte des citoyens, Jean-François Soulet, Privat, 2001 - Des hommes ordinaires, le 101ème bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, Christopher Robert Browning (1984), Tallandier, 2007 - L’objecteur de conscience, Jean-Pierre Cattelain, coll. Que sais-je ?, PUF, 1982 - La soumission à l'autorité : Un point de vue expérimental, Stanley Milgram (1974), Calmann-Lévy, 1994 - Théorie de la justice, John Rawls (1971), Seuil, 1987 - L’autorité, Maurice Marsal, PUF, 1961 - La mort est mon métier, Robert Merle (1952), Gallimard, 1990 - L’impérialisme, les origines du totalitarisme, Hannah Arendt (1951), Fayard, 1982 - L’homme révolté, Albert Camus (1951), Éditions Gallimard, 1988 - 1984, George Orwell (1947), Gallimard, 1988 - Le silence de la mer (1942), Le silence de la mer et autres œuvres, Vercors, Omnibus, 2002 - Le meilleur des mondes, Aldous Huxley (1932), Presses Pocket - Babbit, Sinclair Lewis (1922), Éditions Rombaldi, 1970 - Du devoir de la désobéissance civile, Henry David Thoreau (1848), ALDÉRAN Éditions, 1998 - Traité du gouvernement civil, John Locke (1680), Flammarion, 1992 - Le citoyen ou les fondements de la politique, Thomas Hobbes (1642), GF Flammarion, 1982 - Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie (1548), Flammarion, 1997 - Éthique de Nicomaque, Aristote, Flammarion, 1992 Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-120 : “Le devoir de désobéissance” - 21/03/2001 - page 12