60 Nature Le Matin Dimanche | 6 mars 2016 Toutes ces plantes en fleur, en avance ou pile à l’heure? Jardin Jonquilles, hellébores et certaines tulipes sont déjà écloses ou sur le point de l’être. La faute à la douceur de l’hiver, mais pas seulement. Valérie Hoffmeyer D ans les parcs, les promeneurs de l’hiver s’inquiètent, depuis fin janvier: les tapis de pâquerettes s’étendent dans les pelouses, les touffes de primevères allument le pied des buissons. Et depuis mi-février, même les jonquilles sont en fleurs. Alors que leur belle saison se situe d’habitude plutôt vers la mimars. Ces floraisons auraient au moins deux bonnes semaines d’avance cette année. Normal ou la faute à cet hiver trop chaud? Les réservistes Pour les plantes à bulbes, perce-neige, jonquilles et tulipes, rien de très étonnant, remarque Nicole Badin, paysagiste conseil et spécialiste des plantes vivaces dans la région genevoise. «Cela est dû en partie à leur physiologie. Elles constituent leurs réserves pendant et après la floraison, y compris la plantule qui sortira de terre au printemps suivant. Elles dorment ensuite pendant les mois secs. Un léger coup de froid – quelques jours à 6 ou 8 degrés suffisent – et la dormance est levée.» La mise à fleur peut dès lors se faire en un temps éclair, au moindre coup… de tiède. Et ce début 2016 n’en a pas manqué. La plante puise ses forces dans l’«oignon-valise», déjà en parfait état de marche. D’où les jonquilles en fleurs très tôt cette année. Il en va de même de certaines plantes à rhizomes, disposant d’un système de réserve souterrain qui met la plante dans les startingblocks. Cela explique la floraison avancée et très généreuse cette année des hellébores orientales, cousines rosées de l’hellébore noir, ou rose de Noël, indigène et d’un blanc verdâtre. Toutes ces réservistes auraient fleuri un peu plus tard au terme d’un hiver plus froid, mais cette précocité n’atteint pas la santé ou la vigueur de la plante. Certaines espèces se fichent d’ailleurs de la température et n’enclenchent leur réveil qu’en fonction de la durée du jour. Comme l’hellébore noir, justement, qui fleurit tout l’hiver et se protège du froid grâce à son antigel maison. Tandis que les autres dorment… Et les fleurs issues de graines? «Certaines sont très opportunistes, par exemple celles de la famille des choux, poursuit Nicole Badin. Au plus léger réchauffement, elles fleurissent. Elles sont habituées aux conditions extrêmes, de la steppe et de la toundra, des côtes battues par les vents salés, d’où l’urgence de se reproduire dès que les conditions le permettent. Elles peuvent éclore très vite, avec plusieurs semaines d’avance sur leur calendrier habituel, à la faveur d’une douceur passagère, sans qu’on puisse en accuser le réchauffement climatique.» Rien d’étonnant donc à ce que cette famille des brassicacées soit très représentée dans la vaste horde des mauvaises herbes… Ainsi de la modeste cardamine des prés, qui couvre de ses fleurs mauves depuis début février déjà les sols ouverts, comme l’interligne des vignes par exemple. «Un peu tôt», admet cette viticultrice, qui n’y voit pourtant pas de signes inquiétants. «On craint surtout un débourrage trop avancé des fruitiers, surtout s’il était suivi d’un coup de gel.» Les jonquilles, comme d’autres plantes à bulbe, éclosent très vite au moindre tiédissement de la température. Ce qui n’a pas manqué depuis le début de l’hiver. Prises une à une, ces précocités herbeuses ont donc d’autres causes que le seul dérèglement du climat à l’échelle planétaire. Mais les signes se multiplient: le fait que des plantes jadis considérées comme «annuelles» sous nos cieux deviennent peu à peu vivaces ne s’explique que par un phénomène de réchauffement. Comme ces sauges ou verveines horticoles, qui gardent désormais leurs feuilles tout l’hiver et refleurissent comme Les nouveaux visages de notre jardin une plante rustique, alors qu’elles étaient il y a peu assommées par les grands froids. Arbustes d’hiver Et chez les arbustes d’ornement? Leurs floraisons odorantes suscitent toujours des commentaires inquiets chez les néophytes, alors même qu’elles sont parfaitement banales depuis des siècles: ainsi du mahonia (des grappes jaunes sur un feuillage toujours vert), de la viorne odorante (en petits bouquets roses sur le bois encore nu), de certaines plantes de terre acide, azalées et rhododendrons. Et même du cornouiller mâle, un des rares indigènes à sortir ses maigres ombelles jaunes en plein hiver. Son but: attirer les rares mais affamés insectes pollinisateurs, eux aussi affectés à ce marché de niche… Une caste à laquelle n’appartiennent pas les rosiers, qui commencent à débourrer ces jours-ci dans le sud de la région lémanique. «C’est trop tôt, souligne Nicole Badin. Tout comme les magnolias et les pivoines qui sont déjà en fleurs dans la région de Bordeaux!» U A faire cette semaine Valérie Hoffmeyer et Gisèle Voegeli tiendont la rubrique Jardin en alternance «Certaines fleurs issues de graines sont très opportuniste s. Au plus léger réchauffeme nt, elles fleurissent» Nicole Badin, paysagiste conseil Le jardin a toujours été un rendez-vous du «Matin dimanche». Aprèsune pause d’hiver consécutive à la retraite de PaulAlain Magnollay, voici la rubrique de retour avec de nouvelles signatures. Valérie Hoffmeyer et Gisèle Voegeli écriront en alternance. Valérie Hoffmeyer est une Jurassienne de Genève. Elle a été journaliste, notamment au Journal de Genève, au Temps et à Femina, avant d’entreprendre une formation d’ingénieure en architecture du paysage à la HES de Lullier (devenue Hepia), et de créer en 2008 son Bureau d’études en architecture du paysage et communication. Elle enseigne également à l’HEPIA et est membre de plusieurs commissions (patrimoine, aménagement). Gisèle Voegeli est naturaliste de formation, passionnée de botanique, d’ornithologie et d’entomologie. Elle est également formée en écologie humaine et enseigne à la HES-so de Genève. Sa longue pratique du jardinage, dans toutes ses dimensions (verger, potager...), l’a rendue particulièrement attentive à une approche naturelle et respectueuse du jardin. $ Ayant tout l’hiver servi d’abri aux insectes et offert leurs graines à divers petits visiteurs du jardin, les vivaces peuvent être rabattues, nettoyées, voire divisées pour démultiplier les taches de couleurs en été. Emiettées et laissées sur place, les tiges servent volontiers de paillis. $ La glycine est à tailler. Revenir sur 2 ou 3 bourgeons à bois pour les rameaux de l’été tout en privilégiant les boutons à fleurs, l’explosion de couleurs n’en sera que meilleure. $ Les melons peuvent être semés en godets dès aujourd’hui et conservés à l’abri et au chaud (entre 20 et 25 degrés). Les plus beaux gagneront leur résidence d’été dès les dernières gelées oubliées.