Sciences et technologie P rofesseur et chercheur au Centre INRS-Institut Armand-Frappier, Santé humaine, Michel Fournier accède au Cercle d’excellence de l’Université du Québec après avoir reçu le prix Michel-Jurdant pour ses travaux en immunotoxicologie. Il y a des lunes, déjà, que l’on parle du danger « potentiel» que représentent les tonnes de rejets industriels dispersés dans l’environnement. Michel Fournier, lui, a démontré comment ces contaminants affectent la qualité de la réponse immunitaire et comment les humains et les bélugas, comme les vers de terre, les ours blancs ou les mollusques, sont décimés par notre inconscience. Le prix de l’inconscience Le prix de Le prix de l’inconscience l’inconscience Par Michel Bélair * Responsable scientifique du centre INRS-IAFSanté humaine, Michel Fournier n’est pas un homme particulièrement optimiste par les temps qui courent. « On s’éloigne de plus en plus de la problématique environnementale, on l’a bien vu avec les prises de position de l’administration Bush, soulignet-il en entrevue. Et tout indique que nos gouvernements ont décidé de s’en tenir à la gestion de crise, comme à Walkerton, plutôt que de prendre des mesures énergiques pour contrôler la pollution. » C’est d’autant plus grave que nous en sommes encore au-dessus du seuil tolérable, mais qu’on a cessé d’investir dans l’environnement parce que ce n’est plus un dossier politiquement rentable. Il y a aussi que les instruments de mesure que nous possédons aujourd’hui - quand ce n’est pas la réalité, simplement - démontrent que la pollution a des conséquences encore plus pernicieuses que nous ne le pensions. Sur ce dernier point, le discours de Michel Fournier se fait très dérangeant, on le verra. Il y a longtemps, en effet, que le professeur Fournier est préoccupé par la dégradation de l’environnement et de façon plus précise par la contamination des écosystèmes comme celui du Saint-Laurent. Au début des années 80, alors qu’il enseigne à l’UQAM, les données ne sont pas très nombreuses en immunotoxicologie : il devra prendre le dossier à zéro, ou presque. Il dessine d’abord toute une série d’expériences pour montrer l’effet de certains produits toxiques sur les cellules du thymus qui est au cœur de la réponse immunitaire. Dans les années qui suivent, Michel Fournier et son équipe travaillent sur ce qu’ils appellent « le potentiel immunotoxique » de 24 Michel Fournier plusieurs contaminants industriels qui ont la mauvaise habitude de se promener dans la nature. On les verra tester des substances qui se retrouvent fréquemment dans les insecticides et les pesticides commerciaux – ils démontrent ainsi que l’atrazine utilisée dans les champs de maïs a un impact dévastateur sur les amphibiens - ou des polluants chimiques déversés dans l’eau et dans l’atmosphère comme le dieldrin, de sinistre mémoire, banni à la suite des pressions des écolos américains. En multipliant les expériences et en ciblant toujours « l’agent toxique » de façon de plus en plus précise, ils réussiront ainsi à expliquer comment les mécanismes de toxicité agissent sur la cellule et plus précisément sur les macrophages, les défenseurs les plus actifs du système immunitaire. Encouragé par ces résultats, le professeur Fournier met bientôt sur pied un protocole d’observation puis d’intervention sur le terrain et développe ainsi un tout nouveau champ de recherche : la caractérisation du bilan immunitaire d’espèces fauniques. Il se met alors à travailler autant avec des vers de terre, des mies et des mollusques de toutes sortes qu’avec des truites arc-en-ciel, des phoques, des alligators, des aigles à tête blanche, même des ours blancs et des bélugas. On le retrouvera à la tête d’équipes de chercheurs sous tous les climats. Il participe aux ateliers du World Wildlife Fund et de l’Agence américaine de protection de l’environnement. Il préside le Groupe de travail canadien sur la santé des écosystèmes, fait partie de la Commission internationale pour l’exploration de la mer, de la US Marine Mammals Commission et d’innombrables comités... Bref, Michel Fournier est devenu RÉSEAU / HIVER 2001-2002 une référence internationale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sait de quoi il parle. C’est précisément pour cela que son discours dérange. C’est que dans tous les habitats fauniques dans lesquels il a travaillé, il a constaté que les embryons sont beaucoup plus affectés que les individus adultes – il donne l’exemple d’un insecticide courant dont seulement 1/250 000 de la dose affectant un adulte réussit à marquer l’embryon de façon indélébile – ce qui explique la série des déformations génétiques constatées chez nombre d’espèces animales. Encore plus grave, on peut faire le même constat chez les humains. À la suite d’études dans la région des Grands Lacs, on sait maintenant que les enfants dont les mères ont consommé régulièrement du poisson pêché dans ces eaux ont des problèmes anormalement élevés mettant en cause le système immunitaire, le système endocrinien et le développement du cerveau. Comme si les enfants d’aujourd’hui payaient le prix de plus de trente ans d’intoxication de leurs parents. « Mais il ne faut pas perdre espoir, reprend le professeur Fournier, la solution est entre les mains des citoyens qui doivent presser les politiciens pour qu’ils agissent et transforment les lois : il faut sensibiliser le plus de gens possible, le plus rapidement possible, aux dangers qui nous menacent. Heureusement, on chiffre maintenant beaucoup mieux le coût de la pollution. » Voilà le côté le plus encourageant du dossier : lorsque l’on procède à l’homologation d’un nouveau produit, on tient maintenant compte de sa future influence sur le système de santé dans son ensemble. « C’est une tendance lourde, explique Michel Fournier. Auparavant, on se contentait de chiffrer les bénéfices, mais aujourd’hui l’équation générale a changé. » On n’a, par exemple, qu’à penser à tout ce qui est lié au sort des bélugas – écotourisme, économie locale, développement régional, etc. – pour comprendre les implications de la pollution sur un milieu donné. En Europe, les pressions sont plus fortes, mieux articulées : les Verts comptent depuis longtemps des scientifiques dans leurs rangs qui viennent étoffer leur prises de position et les agriculteurs de la Communauté ont commencé à diversifier leur approche. Ici, le travail reste à faire. « Il faut continuer à être vigilant, conclut Michel Fournier. Il n’y a pas que les pratiques culturales à réformer, toutes nos habitudes sont en cause. On sait même que les produits domestiques et les médicaments périmés déversés dans l’eau affectent les poissons : il est naïf de croire que les humains ne sont pas touchés. » Il reste évidemment à faire en sorte que les décideurs prennent conscience de l’urgence du dossier environnemental, même si ce n’est plus très à la mode… RÉSEAU / HIVER 2001-2002 UQAM Pressions nécessaires Dans les dents ! Serge Lebel, professeur associé au Département des sciences de la terre et de l’atmosphère de l’UQAM, revient du Vaucluse. Dans ses bagages, il traînait quelques bouts d’os qui sont venu changer la conception que l’on se faisait de nos ancêtres, les humains prénéandertaliens. Dans les faits, il s’agit plus précisément d’un bout de mâchoire et de deux dents trouvés sur le site de fouille du Bau de l’Aubésier dans le sud de la France. On estime que les fossiles datent d’environ 200 000 ans. Cette mandibule et ces deux dents sont des trouvailles assez particulières, il faut l’avouer. C’est que l’équipe internationale d’archéologues dirigée par Serge Lebel a trouvé sur la mâchoire une sorte de pont osseux cicatriciel recouvrant une vieille blessure. Le propriétaire de la mâchoire était âgé d’environ trente-cinq, peut-être quarante ans, ce qui est énorme puisque l’espérance de vie à l’époque dépassait rarement trente ans. Un individu blessé gravement, donc, au point d’être incapable de se nourrir par lui-même, mais qui a survécu, soutenu par sa communauté. C’est là un type de comportement que l’on croyait jusque-là être apparu beaucoup plus tard avec les premiers humains il y a seulement 50000 ans. Les dents, quant à elles, appartenaient à deux individus différents et laissent croire que ces préhumains s’en servaient pour découper leur nourriture et saisir des objets. SOURCE : SITE WEB DE L’UQAM (HTTP:/ WWW.UNITES.UQAM.CA/SIRP/COM/01-069.HTM) Serge Lebel, professeur associé au Département des sciences de la terre et de l’atmosphère de l’UQAM * Michel Bélair est journaliste au quotidien Le Devoir. On peut le rejoindre par courriel à [email protected] 25