20-Journal-fevrier-2015_Mise en page 1 22/01/15 16:49 Page119 JOURNAL protéiforme pour les oppositions et les rencontres entre civilisations. Il était connu et apprécié en particulier pour ses travaux sur les rapports entre Islam et Occident : « l’Orient vu d’Occident » (l’« orientalisme ») évidemment et la critique de l’orientalisme dont Edward Saïd était le chantre admiré, mais aussi « L’Occident vu d’Orient », pour reprendre le titre d’une exposition à Barcelone dont il a établi en 2004 le catalogue (Occident vist des d’Orient en catalan). Le choc, le scandale absolu plutôt et l’humiliation que fut pour lui, musulman pourtant détaché de la foi mais musulman imprégné de la haute culture des siècles d’or de l’islam, l’attentat du World Trade Center, éveilla ou réveilla une colère et une indignation qu’il exprima d’abord dans la Maladie de l’islam1, puis dans plusieurs essais engagés contre l’islamisme, qui le révélèrent à un public beaucoup plus vaste. Il s’avéra alors un polémiste redoutable à tous égards, non seulement dans ses livres mais aussi sur les plateaux de télévision, à la radio et dans les journaux qui accueillaient ses tribunes sans concessions. Servi par sa connaissance considérable de l’islam ancien et actuel, religion et culture, il intégrait ce savoir de façon ABDELWAHAB MEDDEB ET LE « PARI DE CIVILISATION » Plus durement que d’autres, Abdelwahab Meddeb a stigmatisé l’horreur de l’islamisme. Plus fortement que d’autres, il a magnifié la grandeur et la beauté de l’islam. Tel fut l’un des paradoxes de cette voix unique dans la galaxie de l’islamologie savante et politique, une « voix » au sens large, « audible » autant dans l’oralité que dans une écriture très particulière. Les hommages rendus après sa mort, le 6 novembre 2014, ont rappelé et illustré les riches et multiples inflexions de cette voix qui s’est tue trop tôt. Intellectuel engagé Combien le 11 septembre 2001 a représenté un tournant dans son parcours, on le voit à travers sa bibliographie. Jusque-là, il était un intellectuel et un écrivain riche de deux généalogies – arabe et européenne – et de plusieurs cultures, doté de talents multiples : poète et romancier, traducteur et commentateur de grandes œuvres et traités de la tradition soufie, auteur d’essais en lien avec son enseignement de littérature comparée à l’université Paris 10-Nanterre et son intérêt 1. Abdelwahab Meddeb, la Maladie de l’islam, Paris, Le Seuil, 2002, rééd. coll. « Points », 2005. 119 Février 2015