Découpler l’utilisation des ressources naturelles et les impacts environnementaux de la croissance économique Synthèse du Rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) – Mai 2011 Source : http://www.unep.org/resourcepanel/decoupling/files/pdf/Decoupling_Report_English.pdf Fichier pdf – 4,6 Mo – 174 pages Rédigé par : Eric Drezet – EcoInfo – Juin 2011 Introduction Devant l’alarmante progression de la consommation des ressources naturelles au niveau mondial, les experts qui ont participé à l’élaboration de ce rapport interpellent l’humanité pour qu’elle trouve rapidement les solutions pour « faire plus avec moins », ce qu’ils présentent sous le terme de découplage. Qu’est-ce qu’on entend par « découpler » : réduit à sa plus simple expression, découpler consiste à diminuer la quantité de ressources (comme l’eau, les matériaux, les minéraux, les sols ou les énergies fossiles) utilisées pour contribuer à la croissance économique et décoreller le développement économique de la détérioration de l’environnement. Quelques chiffres Le 20ème siècle a été une période où l’humanité a connu une remarquable progression1 : L’extraction de matériaux de construction a été multipliée par 34 Celle des minerais et minéraux par 27 Celle des combustibles fossiles par 12 Et celle de la biomasse par 3,6 L’extraction des quatre catégories de ressources citées ci-dessus et prises en compte dans ce rapport est globalement évaluée entre 47 et 59 milliards de tonnes par année2 (données de 2005) et continue de progresser. D’ici à 2050, ce niveau d’extraction pourrait passer à 140 milliards de tonnes. L’augmentation constante de la consommation de ces matières premières s’est accompagnée d’une diminution des prix de la plupart d’entre elles, ce qui a sans doute contribué à la perception d’une disponibilité accrue ; en réalité, cette baisse des prix est due à une augmentation 1 Note EcoInfo : Dans le même temps, la population mondiale est passée de 1,6 milliard (entre 1,55 et 1,76 milliard) en 1900 à un peu plus de 6 milliards à la fin du siècle, soit une multiplication par environ 3,75 2 Fischer-Kowalski et al., 2011 de l’efficacité d’extraction3. En revanche, en ce qui concerne les ressources naturelles qui s’épuisent, elles deviennent de plus en plus coûteuses à extraire, en terme économique, en terme de ressources nécessaires comme en terme d’impact sur l’environnement. Figure 1. Extraction globale de ressources en milliards de tonnes entre 1900 et 2005 On peut noter la relative faiblesse de l’évolution de l’extraction de biomasse ; ceci est dû à la substitution de l’utilisation de la biomasse pour la combustion par les énergies fossiles. En 1900, la biomasse représentait les trois quarts des matériaux utilisés alors qu’un siècle plus tard, elle ne représente plus qu’un tiers. Entre 1900 et 2005, l’extraction totale de matériaux a été multipliée par 8 Dans le même temps, la moyenne globale par tête d’utilisation des ressources a simplement doublé. Un terrien de 2005 a besoin de 8,54 à 9,25 tonnes de ressources naturelles par an, alors qu’un siècle plus tôt la moyenne était de 4,6 tonnes. Un des principaux éléments qui a tiré la hausse de 3 Note EcoInfo : la diminution des prix des principales matières premières est sans doute également due à une production essentiellement située dans les pays émergents où les salaires sont faibles, les conditions de travail inacceptables en occident et des préoccupations environnementales très peu, voire pas prises en considération 4 Behrens et al., 2007 5 Krausmann et al., 2009 l’extraction et de l’utilisation des matières premières est l’augmentation de la population mondiale6. Bien entendu, le niveau de prélèvements est loin d’être égal selon les pays : Un indien consomme en moyenne 4 tonnes de matières premières par an Un canadien en consomme 25 De plus, l’émergence de certaines économies importantes (comme la Chine, l’Inde et le Brésil) fait actuellement peser sur les ressources le même poids que les économies occidentales après la seconde guerre mondiale. Les classes moyennes en expansion rapide de ces pays convergent vers le niveau de consommation que nos pays connaissent depuis plusieurs décennies. Ces données montrent que l’utilisation de ressources naturelles pendant le 20ème siècle a augmenté environ 2 fois plus que la population mondiale Mais cette augmentation s’est effectuée à une allure plus faible que l’économie mondiale : le découplage des ressources s’est produit de manière spontanée (pendant la baisse ou au moins la stagnation des prix des matières premières) plutôt que sous l’impulsion d’une volonté politique. Alors que l’utilisation mondiale de ressources a été multipliée par 8, le produit intérieur brut a été multiplié par 23. Le prix moyen des matières premières a baissé de 30% au cours du 20ème siècle7. Figure 2. Empreinte environnementale selon de niveau de développement et la densité de population 6 Steinberger et al., 2010 ; Krausmann et al., 2008 7 Wagner et al. , 2002 Selon la base de données Mosus de SERI, l’extraction de minerais et minéraux industriels n’a pas seulement doublé dans les 25 dernières années, elle s’est également déplacée des pays industrialisés vers les pays en voie de développement et récemment industrialisés (cf. figure 3). Figure 3. Extraction globale de minerais et minéraux en 1980 et 2006 par type de pays En 2006, plus de la moitié des minerais et minéraux ont été extraits en dehors des pays industrialisés, ce qui a un impact sur l’environnement dû aux plus faibles législations environnementales dans ces pays. Aujourd’hui, selon le métal concerné, il faut déplacer environ trois fois plus de matériaux pour l’extraction de la même quantité de minerai qu’il y a un siècle. Ceci entraîne des dégradations des sols, des besoins en eau et en énergie proportionnels. Même si les méthodes d’extraction ont fait des progrès, il n’existe aucune étude prouvant que le niveau des impacts environnementaux progressera moins que le niveau des minerais extraits. La plupart des impacts environnementaux induits par l’extraction et l’utilisation de matériaux de construction sont observés au niveau régional (perturbation des écosystèmes au niveau des sols, de l’air et de l’eau). En outre, il faut prendre en compte l’utilisation d’énergie pour l’extraction et le transport. De même, il faut prendre en compte la production de béton (dont 15 % implique le ciment qui est une source majeure d’émission de CO2). 1 kg de ciment génère environ 1 kg de CO2. Les 3 scénarii de consommation globale de ressources naturelles Le rapport propose 3 scénarii pour la future utilisation globale de matières premières : Scénario 1 : maintien niveau actuel dans les pays développés, rattrapage des autres pays Dans ce premier scénario, la consommation de ressources par habitant reste stable dans les pays industrialisés (au niveau des trois dernières décennies), alors que les pays sous-développés et émergents poursuivent leur progression : La consommation globale annuelle de ressources (minéraux, minerai, énergies fossiles et biomasse) s’élève à 140 milliards de tonnes Pour une population mondiale estimée à 9 milliards, ceci conduit à une consommation de 16 tonnes de ressources par an et par habitant Selon les experts ayant rédigé ce rapport, ce scénario est insoutenable : Au niveau des ressources : ce niveau de consommation dépasse les ressources disponibles Au niveau des émissions : les émissions dépasseraient les limites en matière de capacité à absorber les impacts Scénario 2 : légère contraction de la consommation dans les pays développés, convergence des autres pays Ce second scénario table sur une diminution de moitié de la consommation de ressources naturelles par habitant alors que les autres pays progressent jusqu’à ce même niveau : La consommation globale annuelle de ressources (minéraux, minerai, énergies fossiles et biomasse) s’élève à 70 milliards de tonnes d’ici à 2050 (40% de plus qu’en 2000) Pour une population mondiale estimée à 9 milliards, ceci conduit à une consommation de 8 tonnes de ressources par an et par habitant Ce scénario conduit à une remise en question profonde du modèle de production industriel occidental actuel et de nos habitudes de consommation trop consommateurs en ressources. Par contre, même à ce niveau réduit de prélèvements, la moyenne des émissions de CO 2 par habitant augmenterait de presque 50% pour atteindre 1,6 tonne par habitant et les émissions mondiales devraient plus que doubler pour atteindre 14,4 milliards de tonnes. Scénario 3 : forte contraction de la consommation dans les pays développés, qui convergent avec les autres pays Dans ce 3ème scénario, les pays industrialisés réduisent de deux tiers leur consommation par habitant pour la faire converger avec celle actuellement observée dans les autres pays ; ce scénario conduit à un taux de consommation mondial annuel par habitant de 6 tonnes et une consommation mondiale globale de près de 50 milliards de tonnes (le niveau atteint en 2000). Ce dernier scénario est jugé par les auteurs du rapport peu envisageable comme objectif stratégique potentiel tant les restrictions seraient importantes et peu de décideurs politiques seraient enclins à les préconiser à leurs populations8. Pourtant, les scientifiques estiment que le niveau de restrictions en matière de consommation de ressources engendré par ce scénario est lui aussi insoutenable. Les émissions mondiales de CO2 par habitant diminueraient d’environ 40% (0,75 t/hab. soit le niveau de 2000). D’après les auteurs du rapport, tous ces scenarii montrent que sans une amélioration significative de la productivité des ressources, il ne sera pas possible de faire face aux besoins de 9 milliards d’habitants en 2050. Seul le scenario 3 converge plus ou moins avec les préconisations du GIEC de limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés. . Figure 4. Tableau comparatif des consommations de ressources dans les 3 scenarii Au cours du siècle dernier, l’impact environnemental induit par la croissance économique a été réduit grâce à la mise en place de règlementations environnementales9. Grâce aux innovations technologiques, à l’éco-conception, à l’efficacité énergétique et à l’abandon de la vie rurale au profit des villes, l’économie mondiale a crû à un rythme plus rapide que la consommation de ressources, ce qui prouve que le découplage existe déjà… mais qu’il n’est pas suffisant10. 8 Note EcoInfo : on touche ici du doigt le fossé qui existe entre les dispositions à long terme nécessaires à la prise en charge des problèmes environnementaux et la réalité court-termiste des mandats politiques où il faut ménager le citoyen-électeur 9 Note EcoInfo : il faut entendre ici essentiellement dans les pays industrialisés, car pour ce qui est des pays émergents, c’est tout le contraire ; en somme nous avons « exporté » nos impacts environnementaux en faisant fabriquer par ces pays les produits que nous consommons en nombre de plus en plus important (y compris une grande partie de nos déchets) 10 Note EcoInfo : cette notion de découplage, pour autant qu’elle puisse résoudre le problème, ne change rien au fait que tant que notre consommation de ressources non renouvelables suivra la même trajectoire et que notre consommation de ressources renouvelables dépassera leur faculté de renouvellement, nous serons bel et bien dans un système non durable ; de plus, comme spécifié dans la figure 4, ce modèle est Le découplage à travers 4 pays Pour mettre en lumière l’approche du découplage, les experts ont étudié quatre pays : le Chine, l’Allemagne, le Japon et l’Afrique du sud. Le Japon et l’Allemagne sont des pays industrialisés à forte densité qui dépendent de ressources extérieures et du marché pour leurs produits. La Chine est une vaste économie à haute densité qui se développe rapidement qui à la fois importe beaucoup de ressources et exporte des produits manufacturés en grand nombre. Quant à l’Afrique du sud, c’est une petite économie à faible densité qui est très dépendante de l’exportation de ressource primaires. Dans ces 4 cas, l’émergence de coûts économiques et environnementaux induits par la raréfaction des ressources et les impacts environnementaux négatifs ont clairement affecté la croissance économique et le développement de ces pays. L’Allemagne s’est engagée sur l’amélioration de la productivité des énergies et des ressources, d’augmenter la part de sa production d’énergie renouvelable et de diminuer de 30% ses émissions de CO2 d’ici à 2020 Le Japon s’est engagé à devenir une « société durable » en réduisant ses émissions de CO2, en mettant en pratique la politique des 3R (réduction, réutilisation, recyclage) en harmonie avec la nature11 L’Afrique du sud a inscrit le développement durable dans sa constitution, mais son économie de plus en plus basée sur l’exportation de matières premières (charbon et minéraux) en fait le pays où les émissions de CO2 par habitant sont les plus élevées au monde (une baisse de 30 à 40% est prévue d’ici à 2050) Enfin la Chine se propose de devenir une « civilisation écologique » mettant en avant la gestion des ressources et l’impact environnemental en réduisant sa consommation énergétique, en diminuant son niveau de pollution et ses émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45% d’ici à 2020 La part des échanges internationaux Dans les dernières décennies, le commerce international s'est accru de manière considérable : entre 1970 et 2006, le volume du commerce mondial (en unités monétaires) s'est accru de 7,2% par an. Par rapport à 1970, la valeur commerciale12 a été en 2008 : presque multipliée par 10 pour les produits manufacturés également loin d’être équitable entre les pays industrialisés et les pays émergents, ainsi qu’entre les pays à faible ou forte densité 11 Note EcoInfo : les événements naturels (séisme suivi d’un tsunami) et industriels (explosion de plusieurs réacteurs nucléaires) survenus en mars 2011 auront certainement un impact négatif à long terme sur ces engagements 12 WTO, 2008 par 2,3 pour les hydrocarbures et produits miniers par plus de 3 pour les produits agricoles Le marché mondial est passé de 5,4 Gt en 1970 à 19 Gt en 2005, année où le commerce physique se décompose de la manière suivante13 (par ordre d'importance) : 49% pour les énergies fossiles 20% pour la biomasse 18% pour les métaux 10% pour les minéraux 3% pour le reste Cet accroissement du commerce mondial se traduit par une hausse de la part induite par les transports dans l'impact environnemental global : en 2004, le transport mondial a contribué pour 13,1% aux émissions de CO2. Pour ce qui est de l'empreinte globale en eau (les consommations directes et indirectes d'eau pour produire un bien), la part du commerce international était de 16% pour la période de 1997 à 200114. La première estimation de la part directe et indirecte d'extraction de matériaux imputable au commerce internationale a été évaluée à 20% de l'extraction mondiale de matériaux en 200015. Alors que la majorité des exportations des pays industrialisés concernent des produits manufacturés, les pays émergents quant à eux, exportent principalement des matières premières (cf. figure 5) : 80% des exportations de l’Afrique sont des matières premières (produits agricoles, minéraux et énergies fossiles) Plus des ¾ des exportations du Moyen Orient sont constituées d’énergies fossiles L’Amérique latine tire 70% des revenus de ses exportations de matières premières agricoles et minérales Récemment, l’Australie accru ses exportations de matières premières pour atteindre 70% (produits agricoles, énergies fossiles et minéraux) principalement vers les pays d’Asie 13 Dittrich, 2010 14 Hoekstra et Chapagain, 2007 15 Giljum et al, 2008 Figure 5. Composition des exportations (en unités monétaires) par région du monde en 2006 Les pays industrialisés constituent la plus grosse part du commerce mondial tandis que leur part d’extraction de matériaux correspond environ à leur part dans la population mondiale (cf. figure 6). Figure 6. Extraction des matières premières et échanges commerciaux par type de pays Les pays industrialisés importent les 2/3 de tous les matériaux commercialisés. A ce titre, ils tendent à être des pays importateurs nets de matériaux alors que les pays émergents jouent le rôle d’exportateurs nets, comme les pays à économie en transition au cours de la dernière décennie. En 2005, les pays industrialisés ont importé environ 2 Gt de matières premières dont les 2/3 provenant des pays émergents et 1/3 des pays de l’ancien Comecon (pays de l’ex bloc soviétique). Figure 7. Balances commerciales physiques Le rapport ne fournit pas à proprement parler de solutions pour parvenir au découplage dont il est question ici. Les experts proposent de les exposer lors de futurs rapports. Ressources complémentaires à ce dossier : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/indicateursindices/fiche/494/1339/productivite-matieres.html : la productivité matières a augmenté en France de 26 % entre 1990 et 2007 ; cependant, la consommation de matières par habitant reste stable. Prosperity without growth: economics for a finite planet Par Tim Jackson : http://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=jarKLCDcePYC&oi=fnd&pg=PR5&dq=prosperity+without+ growth+the+transition+to+a+sustainable+economy&ots=uWjHXGrne9&sig=AOglWeXd2j4L0fjnVv8Ug PPZrKE#v=onepage&q=prosperity%20without%20growth%20the%20transition%20to%20a%20sustai nable%20economy&f=false