Colloque de Sfax - Faculté de droit de Sfax

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« LA RESPONSABILITE MEDICALE DU FAIT D’AUTRUI »
Christophe RADE
Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
Vice-Président de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV
INTRODUCTION
La responsabilité médicale ne constituait pas, jusqu’à l’entrée en
vigueur de la loi française du 4 mars 2002 relative aux droits des patients,
une branche autonome du droit de la responsabilité civile, même si sa
spécificité était toutefois nettement affirmée. Depuis la réforme
intervenue en 2002, il est possible de soutenir qu’elle a acquis une marge
certaine d’autonomie.
Qu’on la considère ou non comme réellement autonome, la
particularité de la responsabilité médicale tient tout d’abord à l’objet
même de l’activité concernée ; le corps humain est en effet un sujet
d’attention qui échappe partiellement à toute certitude, les produits de
l’activité médicale, si avancée soit-elle sur un plan scientifique et
technique, ne pouvant être à coup sur garantis contre l’aléa. La
particularité de la matière tient aussi à la nature même des dommages
dont il est réclamé réparation ; s’il n’est pas exclu de rencontrer des
préjudices matériels ou économiques, l’essentiel des préjudices constatés
est corporel. Or l’intégrité physique des personnes est le sujet de toutes
les attentions, du législateur comme du juge.
Il faut d’ailleurs tout de suite signaler l’intrusion constante du
droit dans la médecine au cours du vingtième siècle, notamment depuis la
“découverte” de la nature contractuelle des relations entretenues par le
patient avec son médecin dans l’arrêt Mercier du 20 mai 1936. La part du
droit dans le règlement des différends médicaux a d’ailleurs trouvé dans
la diversification et les progrès réalisés dans l’art de soigner un terreau
des plus favorables.
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La médecine française a évolué dans une double direction en
insistant non seulement sur le développement du secteur libéral mais
également en renforçant les moyens du secteur hospitalier. C’est surtout
dans ce cadre hospitalier que se pose la question de la responsabilité
médicale du fait d’autrui. Lorsqu’un patient entre en effet à l’hôpital,
qu’il soit public ou privé, des rapports se nouent certes avec
l’établissement mais également avec les praticiens chargés de réaliser les
actes médicaux nécessités par son état. Dans ce contexte, les hôpitaux
répondent naturellement des erreurs et des fautes commises par les
praticiens et le personnel médical, posant ainsi le problème de la
responsabilité des établissements du fait du personnel.
Jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la
jurisprudence judiciaire et administrative avait développé un certain
nombre de solutions visant à dégager le cadre de cette responsabilité du
fait d’autrui et soulignant la différence de situation des patients selon
qu’ils se trouvent au sein d’une clinique (privée) ou d’un hôpital (public).
Ces jurisprudences ont été partiellement remises en cause par la
loi du 4 mars 2002 qui dépasse le clivage traditionnel droit privé/droit
public pour imposer des règles uniformes 1. L’entrée en vigueur de ce
texte nous imposera donc, à chaque fois que cela s’avèrera nécessaire, de
rappeler les solutions dégagées par la jurisprudence avant de présenter le
dispositif issu de la loi nouvelle.
La loi de 2002 réalise en premier lieu le souhait, maintes fois
formulé d’une unification des règles juridiques applicables aux
dommages médicaux 2. Soustraites à l’influence du Code civil et de la
jurisprudence dont l’œuvre se trouve assez paradoxalement d’ailleurs
tantôt consacrée, tantôt remise en cause, la loi pose de nouveaux
principes applicables à toutes les victimes, quelles que soient les
1
2
Sur cette loi, notre étude « La réforme de la responsabilité médicale après la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »,
Resp. civ. et assur. 2002, chron. 7.
En ce sens notre chron. « L’harmonisation des jurisprudences judiciaires et
administratives en matière de responsabilité médicale : réflexions sur la
méthode », Resp. civ. et assur. 2000, chron. 17, et les réf. citées.
58
circonstances et les structures au sein desquelles elles sont soignées.
De ce point de vue, la loi du 4 mars 2002 met un terme à l’inégalité de
traitement entre victimes selon qu’elles relevaient du droit privé ou du
droit public, ce qui constitue un premier motif de satisfaction.
Le texte réalise en second lieu la conciliation du droit à réparation
des victimes, exigence de valeur constitutionnelle, et la protection des
acteurs de la santé qui supportaient jusque là seuls la montée en
puissance du courant victimologiste. Cette double exigence éthique
s’appuie sur une logique globale qui ne pourra qu’emporter l’adhésion
puisqu’en même temps que se trouve réaffirmé le principe d’une
responsabilité individuelle fondée principalement sur la faute, la loi du 4
mars 2002 offre aux victimes de dommages médicaux un régime de
solidarité qui dépersonnalise la dette de réparation et leur assure la prise
en charge effective de leur dommage.
Une partie des solutions traditionnelles survivra soit dans le cadre
tracé par le législateur, soit en marge de celui-ci dans la mesure où la loi
ne s’applique pas à l’ensemble des dommages médicaux. Singulièrement,
la loi du 4 mars 2002 s’est intéressée exclusivement aux rapports
patients/établissements ou professionnels et n’a pas réglé la question des
actions que les patients pourraient engager directement contre les salariés
des établissements, ni la question, liée à la précédente, des recours
exercés par ces établissements contre leurs salariés. Même si ces
solutions ne pourront plus, selon nous, être fondées comme c’était le cas
auparavant sur les règles propres au droit privé (contrat de soins) et
public (situation institutionnelle du patient, usager du service public
hospitalier), leur contenu ne devrait pas être finalement bouleversé, pour
des raisons que nous évoquerons au fur et à mesure.
Afin d’exposer les règles qui gouvernent la responsabilité du fait
d’autrui en matière de responsabilité médicale, nous envisagerons dans
un premier temps l’examen des règles relatives aux conditions de la
responsabilité médicale du fait d’autrui avant de nous intéresser à son
régime.
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I – Les conditions de la responsabilité médicale du fait d’autrui
Certaines conditions tiennent tout d’abord à la personne du
responsable (A). D’autres tiennent à la personne de l’auteur du
dommage (B).
A – Les conditions tenant à la personne du responsable
Il nous ici exposer la situation antérieure à la réforme avant
d’envisager les conséquences de celle ci sur les solutions traditionnelles.
1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002
Avant l’unification du droit de la responsabilité médicale, les
solutions différaient selon que l’on se situait dans le secteur privé ou
public.
a – Situation en droit privé
Depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, la responsabilité des
médecins et des établissements privés était classiquement fondée sur
l’existence d’un contrat médical. Ce fondement contractuel imposait à la
victime d’invoquer les règles de la responsabilité contractuelle (C. civ.,
art. 1147 et s. du Code civil) et lui interdisait d’invoquer le bénéfice de la
responsabilité extracontractuelle, en raison du principe dit du non-cumul
des responsabilités. Il existe toutefois un certain nombre de situations
dans lesquelles aucun contrat n’a pu être passé entre le patient et
l’établissement ou le professionnel. Dans cette hypothèse là, l’action
devait être engagée sur les règles de la responsabilité extracontractuelle.
2) Existence d’un contrat médical
Pour déterminer la personne responsable, il faut distinguer selon
que la victime est soignée par un professionnel exerçant à titre libéral ou
par un établissement.
60
Lorsque la victime est soignée dans le cadre de la médecine
ambulatoire, le contrat de soins est passé directement avec le
professionnel libéral 3 et c’est lui qui sera responsable des dommages,
même s’ils ont été causés par des personnes qu’il emploie.
La situation peut se compliquer lorsque le patient est soigné dans
un établissement de soins car le régime applicable dépendra de la nature
du contrat qui unit les médecins à l’établissement.
Si les médecins exercent au sein de l’établissement à titre salarié,
le contrat de soins est passé avec l’établissement qui répondra des
conséquences d’une faute médicale 4.
Lorsqu’en revanche le patient aura été soigné dans une clinique
par un médecin lié à cette dernière par un contrat d’exercice libéral, le
patient passera en réalité deux contrats distincts. Le contrat de soins
proprement dit sera conclu avec le praticien exerçant à titre libéral ; c’est
donc ce dernier qui sera responsable de l’échec des actes médicaux
entrepris. Mais parallèlement à ce premier contrat, la victime passera
également une autre convention avec l’établissement qui répondra alors
de la partie hôtelière du contrat mais également des soins courants pré et
post opératoires.
Cette juxtaposition de deux conventions pose un problème délicat
d’articulation des responsabilités. Le médecin exerçant au sein de
l’établissement à titre libéral utilise en effet la plupart du temps les
services de personnel médical salarié de l’établissement, ce qui pose un
problème lorsqu’un dommage a été causé précisément par ce personnel.
Dans cette hypothèse, la jurisprudence procède à un certain nombre de
distinctions fondées essentiellement sur un critère chronologique.
S’agissant des actes de soins réalisés par le personnel médical avant
3
4
Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 ; Clinique Victor Pauchet de Butler c./ Reitzaum : D.
1999, jur. p. 7198, note E. Savatier.
Cass. 1ère civ., 4 juin 1991 ; Fondation Rotschield : JCP G. 1991, II, 21730, note
J. SAVATIER. – Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 ; Sté clinique Victor Pauchet de
Butler : JCP G 1999, II, 10112, rapport P. Sargos ; RTD civ. 1999, p. 634, n° 6,
obs. P. Jourdain ; D. 1999, somm. p. 386, obs. J. Pennnau.
61
l’opération, les dommages qui pourraient en résulter devront être réparés
par l’établissement lui-même. Pendant l’opération, le personnel médical
se trouve subordonné au médecin responsable de l’opération et tous les
dommages qu’il pourrait causer engageront de plein droit la
responsabilité contractuelle du professionnel. La solution a été dégagée
s’agissant d’une infirmière posant une perfusion 5, d’un anesthésiste
injectant du curare sous la responsabilité du chirurgien 6, de la sagefemme réalisant un accouchement dystocique sous la responsabilité d’un
obstétricien 7, de la religieuse préposée du médecin 8 ou de l’aide
soignante placée par la clinique sous son autorité le temps des soins 9.
Lorsque des dommages auront été causés dans des soins post opératoires
et pour tous les dommages qui pourraient résulter à l’occasion du séjour
du patient dans la chambre, c’est la responsabilité de l’établissement qui
devra être engagée.
Un problème supplémentaire se pose lorsque interviennent, lors
de l’opération, deux praticiens. Si l’un d’entre eux exerce à titre libéral et
que l’autre exerce à titre de salarié, c’est bien entendu le professionnel
exerçant à titre libéral qui répondra personnellement de l’échec des soins
qu’il dispense ; les dommages causés par le médecin salarié relevant
naturellement de la responsabilité de la clinique avec laquelle le patient a
également contracté.
Lorsqu’au cours d’une même opération deux professionnels
libéraux interviennent simultanément, ce qui sera généralement le cas
lorsque et le chirurgien et l’anesthésiste exercent au sein de la clinique à
titre libéral, chaque professionnel est responsable de l’échec de sa propre
5
6
7
8
9
Paris, 21 avr. 1982, D. 1983, inf. rap., p. 497, obs. J. PENNEAU.
Cass. 1ère civ., 18 oct. 1960 : JCP. G. 1960, II, 11846, note R. SAVATIER.
CA Toulouse, 1ère chbre, 2 nov. 1999 ; Gaestel c/ Mollias Larrgeola : CJA 2000, n°
5513, obs. D. Krajeski.
Cass. 1ère civ., 15 nov. 1955 : D. 1956, Jur. p. 113, note R. SAVATIER.
Cass. 1ère civ., 13 mars 2001 ; Clinique la Roseraie et a. c/ M. Mourad El Goulli :
Resp. civ. et assur. 2001, comm. 194 ; D. 2001, somm. p. 3085, obs. J. Penneau :
gynécologue exerçant dans la clinique en libéral.
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part du contrat et il n’est pas rare que les deux praticiens soient reconnus
responsables in solidum du dommage causé à la victime en cas de fautes
cumulées 10. Le chirurgien répondra des fautes qu’il a commises dans
l’exercice de son art et l’anesthésiste sera responsable de tous les
dommages liés à l’anesthésie. On pourra se demander alors si le chef
d’équipe, c’est-à-dire le chirurgien, pourrait répondre des dommages
causés par l’anesthésiste, qu’il exerce à titre libéral ou à titre salarié. En
principe, l’indépendance dont jouit chaque professionnel dans l’exercice
de son art interdit qu’un médecin puisse être considéré comme
responsable des dommages causés par un autre médecin. En d’autres
termes, la jurisprudence ne consacre pas de responsabilité du chirurgien
du fait des dommages causés par l’anesthésiste 11. Si ce dernier exerce à
titre libéral, il sera personnellement responsable de ses actes 12 ; s’il
exerce à titre de salarié, c’est la clinique qui répondra des dommages
causés par l’anesthésiste aux patients. Toutefois, il est toujours possible
d’engager la responsabilité du chirurgien pour faute prouvée. La faute
consistera généralement soit à avoir mal choisi l’anesthésiste –sans avoir
vérifié au préalable son expérience, sa réputation ou ses aptitudes 13-, soit
à avoir laissé opérer un autre praticien qu’il savait ne pas être capable
d’assumer l’opération 14.
10
11
12
13
14
Cass. 1re civ., 10 janv. 1990 : Bull. civ. I, n° 10 (prescription d’un produit
allergisant) ; CA Pau, 5 févr. 1997 : RTD sanit. et soc. 1997, p. 842, n° 19
(incompatibilité de médicaments associés) ; CA Riom, 13 févr. 1997 : RTD sanit.
et soc. 1997, p. 842, n° 20 (cumul de négligences ayant conduit au décès du patient
en état de choc septique) ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1997 ; Poggiolini : D. 1998, IR p.
6 (le chirurgien n’avait pas signalé à l’anesthésiste la myopie dont souffrait son
patient et qui, augmentant l’allongement du globe oculaire, accroissait les risques
que comportait une anesthésie locale par injection rétrobulbaire).
Cass. 1ère civ., 13 déc. 1989 : Juris-data n° 004570.
Cass. soc., 19 nov. 1981 : JCP G 1982, IV, p. 52 ; CA Douai, 4 oct. 1972 : JCP G.
1974, IV, p. 56.
Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : D. 1987, somm. p. 420, obs. J. PENNEAU.
CA Paris, 1er déc. 1995 : JCP G 1997, II, 22760, note H. VRAY (chirurgiendentiste qui avait laissé croire à sa patiente que son jeune remplaçant pouvait
réaliser, sans problème, et en un temps très court, une reconstitution prothétique
importante alors que les clichés pris laissaient prévoir des difficultés).
63
2) Situation en l’absence de contrat médical
L’absence de contrat médical peut résulter de différentes
situations : patient hospitalisé et qui ne pouvait connaître l’identité du
médecin libéral destiné à le soigner (dans cette hypothèse, le contrat est
passé avec la clinique, mais pas avec ce praticien) 15 ; médecin
psychiatre signant un certificat d’internement sans examiner le
patient 16 ; annulation du contrat de soins 17 ; dommage étranger à
l’exécution du contrat de soins ou intervenu après expiration du contrat
de soins 18. La jurisprudence tend à étendre la qualification de contrat de
soins, notamment s’agissant de patients hospitalisés inconscients 19.
En l’absence de contrat, la responsabilité de l’établissement ou du
praticien devra être recherchée sur le fondement de l’article 1384,
alinéa 5, du Code civil, imposant au commettant de répondre des
dommages causés par le préposé dans les fonctions auxquelles il l’a
employé. On sait depuis 1992 que la Cour de cassation admet qu’un
établissement, ou qu’une personne morale de droit privé, puisse répondre
comme commettant des dommages causés par un médecin 20.
On pourrait se demander également s’il serait possible de fonder
la responsabilité du fait d’autrui sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code
15
16
17
18
19
20
Cass. 1ère civ., 20 févr. 1979 : Bull. civ. I, n° 68.
Caen, 19 oct. 1989 : Juris-data n° 052578 (en l’occurrence le médecin s’était
trompé en estimant qu’une jeune handicapée mentale avait subi des violences
sexuelles et qu’elle n’était plus vierge, ce qui a entraîné la transformation d’une
accusation d’attentat à la pudeur en viol). - CA Paris, 1re ch., sect. B, 5 juill. 2001,
Ville d'Aix-en-Provence c/ Granata : Juris-Data n° 2001-153935.
TGI Bobigny, 15 déc. 1976 : D. 1977, Jur. p. 245, note Ph. Le Tourneau (illicéité
pour violation de la législation sur l’IVG envers les étrangers).
Cass. 2è. civ., 30 juin 1976 : Bull. civ. II, n° 220 (explosion d’ampoules 8 ans
après que le médecin les eut remises au patient).
Cass. civ., 7 janv. 1940 : Gaz. Pal. 1941, 1, p. 203.
Cass. crim., 5 mars 1992 : JCP G. 1993, II, 22013, note F. CHABAS ; RTD civ.
1993, p. 137, obs. P. JOURDAIN (contrat passé entre la Croix-Rouge et un
médecin anesthésiste réanimateur pour remplacer un titulaire pendant une période
de vacances - erreur de manipulation rendant le patient infirme).
64
civil, en application de la jurisprudence Blieck 21. On ne note qu’une
seule application de cette jurisprudence en matière de responsabilité
médicale 22.
b – Situation en droit public
Il faut rappeler ici que la jurisprudence administrative ne
reconnaît nullement l’existence d’un contrat passé par le patient et
l’hôpital public. Le patient, considéré comme un usager du service public
hospitalier, se trouve en effet placé dans une situation statutaire. Par
application de la jurisprudence Pelletier, dégagée en 1873 par le Tribunal
des conflits, c’est l’hôpital qui répond des fautes commises dans le cadre
de l’exécution du service par son personnel. C’est ici l’application de la
théorie de la faute de service qui permet à la victime d’agir en
responsabilité pour faute devant l’établissement 23. Ce n’est que dans
l’hypothèse très exceptionnelle d’une faute personnelle détachable du
service qu’une action en responsabilité civile peut être exercée
directement par les patients contre les personnes travaillant au sein de
l’hôpital public, et ce devant les juridictions judiciaires. Dans l’hypothèse
de faute commise concomitamment par le professionnel et l’hôpital
public ou dans l’hypothèse d’une faute commise par le professionnel
mais qui aurait un lien avec le service (soit un lien temporel soit un lien
matériel), la victime dispose d’une action contre l’hôpital tenu
d’indemniser solidairement les dommages causés par le médecin.
21
22
23
Sur cette jurisprudence, notre étude « Responsabilité du fait d’autrui. Principe
général », J.-Cl. Responsabilité civile, Fasc. 140.
CA Orléans, 25 juin 1996 ; Cie d’Assurances Zurich c/ Krezel : Juris-Data n°
044670 ; JCP G 1997, I, 4070, n° 24, obs. G. Viney (clinique psychiatrique
responsable du fait des dommages causés par un malade hébergé et soigné depuis
plus d’un an).
Sur cette jurisprudence, C. Guettier, « Droit de la responsabilité et des contrats »,
par Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Dalloz action, 2002/2003, sp. n° 155 et s.
65
3 ) Situation issue de la loi du 4 mars 2002
L’article L. 1142-1, I, al. 1er, du Code de la santé publique
subordonne désormais la mise en cause de la responsabilité d’un
établissement ou d’un professionnel de santé (et donc la compétence de
l’assureur de responsabilité) à la preuve d’une faute, sans autre précision,
et non à la preuve d’une faute commise personnellement par
l’établissement ou le professionnel considéré. Cette absence de
correspondance nécessaire entre la faute et le responsable était une
nécessité absolue s’agissant de la responsabilité des personnes morales.
Sauf à exiger une faute commise par les organes de ces dernières, aucune
autre solution n’était envisageable car ce sont bien les personnels de ces
établissements qui exécutent les actes médicaux pour le compte de leur
employeur, mais sans le représenter au sens juridique du terme.
Cette affirmation entraîne nécessairement des conséquences sur la
responsabilité des professionnels de santé exerçant à titre libéral puisque
ces derniers seront responsables lorsqu’ils auront commis une faute
personnelle mais également lorsque de telles fautes auront été commises
par leurs préposés. La jurisprudence relative à ce qu’on a pu très
improprement qualifier de « responsabilité contractuelle du fait d’autrui »
n’est donc pas remise en cause par la loi nouvelle et les solutions
classiques continueront de s’appliquer, même sur un nouveau fondement.
B – Conditions tenant à la personne de l’auteur du dommage
La première condition tient à l’existence d’un lien de
subordination. La seconde tient à l’existence d’un fait dommageable
causé par la personne subordonnée.
1 ) L’existence d’un lien de subordination
Pour que la responsabilité du fait d’autrui en matière de
responsabilité médicale puisse être engagée, la victime devra prouver
l’existence d’une faute commise dans l’exécution du contrat de soin.
Cette faute devra avoir été commise soit par le professionnel exerçant à
titre libéral, soit par le personnel subordonné chargé de l’exécution du
66
contrat, cette faute engageant alors directement la responsabilité de
l’établissement qui l’ emploie.
En l’absence de contrat de soins, on rappellera que l’action de la
victime devait être fondée sur l’article 1384, alinéa 5, du Code civil. Pour
que la responsabilité de l’établissement soit engagée, la victime devra
donc prouver que la personne qui lui a causé le dommage agissait dans le
cadre d’un rapport de subordination. Ce sera systématiquement le cas
lorsque les médecins ou le personnel de l’hôpital sont des salariés de
l’établissement, puisque dans cette hypothèse l’existence même d’un lien
de subordination se trouve présumée en raison de l’existence d’un contrat
de travail. Toutefois, cette présomption n’est qu’une présomption du fait
de l’homme et l’établissement pourra chercher à s’exonérer en prouvant
l’existence d’un abus de fonction, c’est-à-dire en prouvant qu’au moment
des faits l’auteur du fait dommageable a agi hors des fonctions
auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses
attributions 24.
Par ailleurs, on rappellera que la jurisprudence ajoute désormais
une condition supplémentaire tenant au comportement de la victime,
celle-ci doit avoir plus valablement croire que le salarié agissait dans le
cadre de ses fonctions 25.
Ces solutions ne devraient pas être remises en cause par la loi du
4 mars 2002 qui laisse subsister ces hypothèses sans s’y être
véritablement intéressé.
2) L’existence d’un fait dommageable
Lorsqu’il existait un contrat de soins passé par le patient avec
l’établissement, ce dernier doit simplement prouver l’existence d’une
faute commise dans l’exécution du contrat de soins. Il importe peu, dès
lors, que cette faute ait été commise par le responsable ou par l’un de ses
24
25
Définition de l’abus de fonction depuis Cass ass. plén. 19 mai 1988 : D. 1988, Jur.
p. 513, note C. LARROUMET ; RTD civ. 1989, p. 89, obs. P. JOURDAIN.
Cass. civ. 2è. 11 juin 1992 : Bull. civ. II, n° 164 ; JCP G. 1992, I, 3625, obs. G.
VINEY.
67
préposés. La solution ne diffère pas lorsqu’on se situe en dehors du
champ contractuel. La loi du 4 mars 2002 n’a pas modifié les termes du
débat puisqu’elle s’est contentée, sous les réserves déjà évoquées, de
réaffirmer le principe d’une responsabilité fondée sur la faute.
Après avoir examiné les conditions de la responsabilité médicale
du fait d’autrui, intéressons-nous désormais à la mise en œuvre de cette
responsabilité du fait d’autrui en matière médicale.
II - La mise en œuvre de la responsabilité médicale du fait d’autrui
Nous examinerons successivement les droits de la victime (A)
avant de nous intéresser aux droits du débiteur (B).
A – Les droits de la victime
Commençons par rappeler la situation antérieure à la réforme
avant d’examiner cette dernière.
1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002
Traditionnellement, la jurisprudence admettait que la victime
dispose d’une double action sur le terrain contractuel contre
l’établissement avec lequel elle a contracté et sur le terrain délictuel
contre les praticiens qui l’ont soigné même lorsqu’il se trouve en
situation de subordination.
Cette jurisprudence a été remise en cause par l’arrêt Costedoat
intervenu le 25 février 2000. Depuis cette date, on sait en effet que
« n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi
sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son
commettant » 26. En d’autres termes, et par analogie avec la situation
statutaire du fonctionnaire, le préposé qui se contente d’exécuter les
26
Cass. Ass. Plén., 25 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note
M. Billiau ; JCP G 2000, I, 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000, Jur. p. 673, note
P. Brun ; Ch. Radé, « Les limites de l’immunité civile du préposé », Resp. civ. et
assur. 2000, chron. 22 ; RTD civ. 2000, p. 582, n° 5, obs. P. Jourdain.
68
ordres de son employeur n’est pas responsable personnellement de ses
actes. La doctrine se divise sur l’explication de cette solution : pour
certains auteurs, la jurisprudence consacre une véritable immunité de
responsabilité au bénéfice du salarié 27 ; pour d’autres – dont nous
sommes, l’explication de cette immunité est à rechercher dans l’article
1383 du Code civil, parce que le salarié ordinaire placé en situation de
subordination pourrait commettre naturellement des imprudences ou des
négligences, ce comportement ne pourrait pas être consécutif d’une faute
puisqu’une telle négligence pourrait être commise par le bon père de
famille. A contrario, ce préposé pourrait demeurer personnellement
responsable de ses actes en cas de faute intentionnelle puisqu’on admet
généralement qu’en aucune circonstance, le bon père de famille n’est
autorisé à commettre de faute intentionnelle.
Cette explication de l’arrêt Costedoat fondé sur l’article 1382 et
1383 du Code civil semble avoir été consacrée par la Cour de cassation
dans l’arrêt Cousin rendu le 14 décembre 2001 28. Dans cet arrêt qui ne
concernait pas directement la responsabilité médicale, un préposé a été
reconnu personnellement responsable de ses actes après avoir été
condamné au pénal pour avoir commis une infraction intentionnelle.
Deux précisions doivent toutefois ici être apportées. Tout d’abord,
on relèvera que la jurisprudence semble extrêmement réticente pour faire
bénéficier les médecins de la jurisprudence Costedoat, considérant ici
l’indépendance dont jouit le médecin dans l’exercice de son art comme
imposant de consacrer une responsabilité personnelle. Cette explication
résulte non seulement des propositions faites par le Conseiller Doyen
Pierre Sargos en 1999 29, mais également de deux décisions, l’une
émanant du Tribunal des conflits dans une décision du 14 février 2000 30,
l’autre d’un examen de la jurisprudence de la Première Chambre civile de
27
28
29
30
En ce sens les analyses de M. Billiau, préc.
Cass. ass. plén., R., 14 déc. 2001 ; Cousin : BICC n° 551 du 1er mars 2002, conc.
R. de Goutte ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 4, par H. Groutel ; JCP G 2002, II,
10026, note M. Billiau ; D. 2002, Jur. p. 1230, note J. Julien, somm. p. 1317, obs.
D. Mazeaud.
P. Sargos, concl. sous Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 : JCP G 1999, II, 10112, n° 14.
TC, 14 févr. 2000 : N° 2929, M. X... c/ Centre hospitalier régional de Nancy et a.
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la Cour de cassation et notamment d’une décision intervenue le 9 avril
2002 qui montre la volonté affichée de la Cour de rendre
systématiquement les médecins responsables personnellement de tous
leurs faits et gestes, et ce qu’ils exercent à titre salarié ou libéral 31.
Ce refus d’appliquer la jurisprudence Costedoat a été critiqué. Ces
décisions se focalisent en effet sur le critère de l’indépendance technique
du médecin alors que ces derniers doivent être traités comme tout salarié,
l’entreprise, qui profite de leur activité, devant logiquement assumer les
risques qui sont liés à cette même activité 32.
2) Situation issue de la loi du 4 mars 2002
La loi du 4 mars 2002 ne nous livre aucune indication sur l’action
que la victime pourrait diriger directement contre les salariés d’un
établissement. L’article L. 1141-1 du Code de la santé publique vise
simplement les professionnels visés par le livre IV du Code, sans plus de
précisions. La question est alors de savoir si, en l’absence d’indication
dans la loi, la jurisprudence admettant classiquement l’action directe de
la victime contre le salarié lorsqu’il est médecin, reste en vigueur. La
réponse à cette question s’impose si l’on considère la jurisprudence de la
Cour de cassation qui refuse au médecin le bénéfice de l’immunité
conférée aux salariés en général. Dans ces conditions, il apparaît que les
médecins demeureront personnellement responsables de leurs actes.
Cette solution risque de poser un problème dans la mesure où la loi
n’impose l’assurance de responsabilité civile qu’aux professionnels de
santé exerçant à titre libéral (CSP, art. L. 1142-2). Le risque est donc de
voir des actions menées contre des médecins salariés non assurés.
31
32
Resp. civ. et assur. 2002, chron. Ch. Radé, n° 13.
En ce sens notre chron. « Il faut sauver la jurisprudence Costedoat ! (à propos d’un
arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 avril 2002 », Resp.
civ. et assur. 2002, chron. 13. ; S. Porchy-Simon, « Regard critique sur la
responsabilité civile de l’établissement de santé privé du fait du médecin »,
Mélange Lambert, Dalloz, 2002, p. 361 s.
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B – Les droits du débiteur
Ici encore les solutions antérieures et postérieures à la réforme
devront être exposées.
1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002
Il convient en premier de rappeler ici les dispositions de l’article
L. 121-12 du Code des assurances. Ce texte interdit en effet à l’assureur
du responsable d’exercer toute action récursoire contre les préposés de
son assuré, sauf intention malveillante de leur part. Lorsque le dommage
aura été indemnisé par l’assureur, aucune action récursoire ne sera donc
possible contre les salariés ou contre les agents publics de l’hôpital. Ce
n’est qu’en l’absence d’intervention de l’assureur de responsabilité que la
question se pose. Jusqu’à l’arrêt Costedoat, rendu en assemblée plénière
le 25 février 2000, on admettait que l’établissement subrogé dans les
droits de la victime puisse se retourner contre son préposé lorsque ce
dernier avait commis une faute.
Depuis l’arrêt Costedoat du 25 février 2000, une telle action ne
semble plus possible. La raison en est simple. La victime ne dispose plus
d’un droit d’agir contre le préposé qui a agi dans le cadre de sa mission.
Or, on sait que l’action récursoire de l’employeur se fonde sur la
subrogation dans les droits de la victime. Puisque la victime ne dispose
plus de droits contre le préposé, alors il faut admettre qu’il n’y a aucune
action subrogatoire possible de la part de l’établissement. Toutefois, on
rappellera que la jurisprudence ne semble pas décidée à appliquer la
solution Costedoat aux médecins. Si l’on considère que les médecins
restent responsables personnellement de leurs actes, y compris dans les
rapports avec la victime, alors il faut admettre que l’action subrogatoire
de l’établissement demeure possible.
Rappelons toutefois que cette situation est en pratique
extrêmement rare en raison de la présence quasi systématique d’un
assureur de responsabilité au côté de l’hôpital.
Cette conclusion doit d’ailleurs aujourd’hui être étendue en
considération de la loi du 4 mars 2002. Cette loi a en effet imposé le
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principe d’une assurance de responsabilité à tous les professionnels
exerçant à titre libéral et à tous les établissements. Dans ces conditions, il
sera en pratique exceptionnel que la victime s’adresse directement à un
établissement et ne puisse pas s’adresser à l’assureur. On relèvera
d’ailleurs qu’en cas d’échec de l’assureur de responsabilité, la victime
disposera d’une action supplétive contre l’Office National
d’Indemnisation.
* * *
Il n’est pas possible d’envisager une responsabilité médicale qui
ne comporterait pas de responsabilité du fait d’autrui, car la médecine
s’exerce presque toujours à plusieurs. Les solutions classiques dégagées
par la jurisprudence ont été en partie simplifiée par l’entrée en vigueur de
la loi du 4 mars 2002 qui impose des réponses uniques aux questions qui
se posent tant dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics.
Tout n’a toutefois pas été réglé par la loi nouvelle et les tribunaux
devront déterminer, pour l’essentiel, si les professionnels de santé
salariés doivent être considérés comme des salariés ordinaires, et
protégés comme tels, ou comme des praticiens libres dans l’exercice de
leur art et responsables de tous leurs actes. C’est sans doute sur ce point
très précis que des éclaircissements seront nécessaires dans les années à
venir.
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